Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 20001010


Dossier : T-613-99

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE JOHN A. O'KEEFE



AFFAIRE INTÉRESSANT un appel interjeté conformément à l'article 56 de la

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, de la

décision du registraire des marques de commerce prononcée le 5 février 1999

relativement à une opposition formée par Novopharm Ltd. contre

la demande d'enregistrement numéro 688 588 pour la marque de commerce TABLET DESIGN déposée par Burroughs Wellcome Inc.

faisant maintenant affaire sous le nom de Glaxo Wellcome Inc.

ENTRE :



GLAXO WELLCOME INC.,


demanderesse,


- et -


NOVOPHARM LTD.,


défenderesse.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE O'KEEFE


[1]      Il s'agit d'un appel interjeté conformément à l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. 7-13 (la Loi), de la décision prononcée par le registraire des marques de commerce le 5 février 1999 dans laquelle le registraire, par suite de l'opposition formulée par la défenderesse, a refusé l'enregistrement du signe distinctif de la demanderesse en tant que marque de commerce.

RAPPEL DES FAITS

[2]      Glaxo Wellcome Inc. (Glaxo) a produit une demande d'enregistrement pour un signe distinctif devant être employé en liaison avec des [TRADUCTION] « préparations pharmaceutiques utilisant l'acyclovir comme ingrédient actif » . Cette demande a été modifiée le 11 mars 1992 pour indiquer que les marchandises étaient des [TRADUCTION] « préparations pharmaceutiques utilisant l'acyclovir comme ingrédient actif, nommément des comprimés » .

[3]      Le signe distinctif en question est la forme des comprimés qui contiennent de l'acyclovir. L'acyclovir est un ingrédient actif utilisé dans le traitement de l'herpès zoster. Glaxo vend ses comprimés sous le nom de marque ZOVIRAX. Le signe est un comprimé en forme de bouclier à six côtés. La demande se limitait à la forme et n'indiquait pas qu'elle visait uniquement une couleur particulière ou des inscriptions portées sur le comprimé lui-même; le signe distinctif dont on demandait l'enregistrement était la forme : un comprimé à six côtés ayant la forme d'un bouclier. Ce signe ressemble dans une certaine mesure à la marque imprimée sur l'emballage du médicament ZOVIRAX.

[4]      Novopharm Ltd. (Novopharm) a déposé une déclaration d'opposition à l'enregistrement le 13 avril 1993. L'opposition soulevait huit motifs, dont deux ont été retenus par le registraire : le signe n'est pas conforme à l'alinéa 13(1)a) de la Loi parce qu'il n'a pas de caractère distinctif inhérent et qu'il n'est pas devenu distinctif du fait de son emploi.

Preuve soumise au registraire

[5]      Glaxo a commencé à vendre ZOVIRAX en septembre 1986 avec le signe distinctif en litige. Les auteurs des affidavits déposés pour Glaxo déclarent que le signe ne présente aucun avantage ou but fonctionnels ou utilitaires. Cinquante-six (56) millions de comprimés ont été vendus entre août 1987 et août 1994, la moyenne des ordonnances étant de cinquante (59) comprimés. Selon Glaxo, dès le départ, la société voulait que le comprimé ait une forme distinctive propre à distinguer ses comprimés des comprimés des autres fabricants.

[6]      Glaxo a produit des affidavits souscrits par des particuliers et des gynécologues

ainsi que des imprimés qui font référence à la forme du comprimé [TRADUCTION] : « comme un bouclier » . Les auteurs de ces affidavits affirment pouvoir reconnaître les pilules comme étant du ZOVIRAX, provenant de Glaxo.


[7]      La défenderesse a présenté des éléments de preuve établissant que, si la marque de commerce ZOVIRAX ou l'incrustation en forme de triangle ne se trouvent pas sur la pilule, les pharmaciens ne peuvent la reconnaître. Elle a produit divers comprimés en forme de bouclier, mais elle a admis qu'aucun d'eux ne contient de l'acyclovir comme ingrédient actif et qu'aucun n'est utilisé dans le traitement de l'herpès zoster.

[8]      À partir de ces éléments de preuve, le registraire a tiré les conclusions suivantes : le signe distinctif est en grande partie fonctionnel et, donc, à faible caractère distinctif inhérent (puisqu'il constitue le moyen par lequel le produit est livré); la forme réelle du comprimé est unique, mais il existe beaucoup de comprimés similaires, ce qui impose à Glaxo une lourde charge pour établir le caractère distinctif de son signe distinctif; pour s'acquitter de la charge de la preuve qu'impose l'alinéa 13(1)a), la demanderesse doit démontrer que la plupart des adultes canadiens reconnaissent son signe distinctif en tant que tel; la [TRADUCTION] « grande majorité » des Canadiens connaissent maintenant la forme des comprimés de la demanderesse, mais beaucoup moins savent que la forme sert de signe distinctif; par conséquent, Glaxo ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait selon l'alinéa 13(1)a). Le consommateur ultime ne verrait pas nécessairement la forme des comprimés au moment de l'achat.

ARGUMENTS

[9]      La demanderesse prétend que la Cour ne doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision du registraire que s'il est prouvé que cette décision ne contient manifestement aucune erreur fondamentale. En outre, même si la décision ne contient pas d'erreur, la Cour est encore tenue et a encore le droit de se prononcer sur son exactitude lorsque de nouvelles preuves sont présentées à l'audition de l'appel.

[10]      La demanderesse prétend que le registraire a commis une erreur de droit en appliquant le critère légal énoncé à l'alinéa 13(1)a) de la Loi et en concluant qu'un signe distinctif dans la forme des marchandises est faible puisqu'il est en grande partie fonctionnel. La demanderesse fait valoir qu'elle a satisfait au critère de l'alinéa 13(1)a) et que le signe est devenu distinctif compte tenu de la preuve de l'existence d'autres comprimés sur le marché.

[11]      Selon la défenderesse, la Cour doit, en appel, faire preuve de retenue face à la décision du registraire et devrait hésiter à modifier cette décision, sauf dans les cas où celle-ci se fonde sur un principe erroné. Elle ajoute que l'appel n'est un procès de novo que lorsque la nouvelle preuve produite est importante.

[12]      La défenderesse soutient que c'est à bon droit que le registraire a imposé une lourde charge de preuve à Glaxo. Le degré de preuve requis pour établir un caractère distinctif acquis est inversement proportionnel au degré de caractère distinctif inhérent de la marque. Le signe en question présente un faible caractère distinctif inhérent puisque la présentation, sous forme de comprimé, est faite pour être avalée, ce qui limite les options envisageables; les côtés biseautés rendent le comprimé plus facile à avaler et tout comprimé apparaîtrait largement fonctionnel aux yeux d'un consommateur.

[13]      La défenderesse prétend que les critères appliqués par le registraire sont justes et qu'aucune preuve n'établit que les consommateurs reconnaissent le signe faisant l'objet de la demande comme une indication de la source du produit. La demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve.

[14]      QUESTIONS EN LITIGE


1.      Quelle est la norme de contrôle applicable à un appel interjeté conformément à l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce lorsque de nouveaux éléments de preuve sont introduits en appel?


2.      Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en statuant que, pour satisfaire au critère énoncé à l'alinéa 13(1)a) de la Loi, la demanderesse (appelante) devait démontrer que la plupart des adultes canadiens reconnaissent son signe distinctif?


3.      Compte tenu des nouveaux éléments de preuve déposés par la demanderesse, le registraire a-t-il commis une erreur en concluant, d'après la preuve selon laquelle des comprimés de tiers seraient de forme similaire à celle du signe distinctif en litige, que le caractère distinctif inhérent du signe de la demanderesse était faible?


4.      Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en statuant que la norme de preuve pour établir l'enregistrabilité aux termes de l'alinéa 13(1)a) à laquelle devait satisfaire la demanderesse en l'espèce devait être [TRADUCTION] « encore plus rigoureuse » que dans les autres affaires?


5.      Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la demanderesse ne s'était pas acquittée de la charge imposée par l'alinéa 13(1)a) de prouver que son signe distinctif était devenu distinctif à la date de la demande?


6.      Le registraire a-t-il négligé d'accorder l'importance voulue à l'ampleur des ventes et de la publicité faites par la demanderesse des comprimés portant son signe distinctif ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par des médecins et des pharmaciens?


7.      Le registraire a-t-il commis une erreur lorsqu'il a rejeté la demande en se fondant sur le huitième motif d'opposition et, ce faisant, sur des conclusions concernant le caractère distinctif aux termes de l'alinéa 13(1)a) et lorsqu'il a aussi conclu qu'à la date de l'opposition la demanderesse [TRADUCTION] « [...] n'était pas parvenue à s'acquitter de la lourde charge de prouver que son signe est distinctif partout au Canada » ?


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[15]      Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent à la présente affaire :

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

"distinguishing guise" means

(a) a shaping of wares or their containers, or

(b) a mode of wrapping or packaging wares

the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him rom those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;

« signe distinctif » Selon le cas_:

a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants;

b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises,

dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.

"trade-mark" means

. . .

(c) a distinguishing guise, or

. . .

« marque de commerce » Selon le cas_:

. . .

c) signe distinctif;

. . .

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not



(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;


(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;




(c) the name in any language of any of the wares or services in connexion with which it is used or proposed to be used;



(d) confusing with a registered trade-mark;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication; and

(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

a) elle est constituée d'un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

e) elle est une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption;

f) elle est une dénomination dont l'article 10.1 interdit l'adoption;

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d'une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d'origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l'indication;

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d'une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d'origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l'indication.

13. (1) A distinguishing guise is registrable only if

(a) it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration; and


(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise in association with the wares or services with which it has been used is not likely unreasonably to limit the development of any art or industry.



(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise.

13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois_:

a) le signe a été employé au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenu distinctif à la date de la production d'une demande d'enregistrement le concernant;

b) l'emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en liaison avec les marchandises ou services avec lesquels il a été employé n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.

(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.


. . .

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

. . .

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

ANALYSE
[16]      Première question en litige
     Quelle est la norme de contrôle applicable à un appel interjeté conformément à l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce lorsque de nouveaux éléments de preuve sont introduits en appel?
     Dans l'arrêt Brasserie Molson c. John Labatt Ltée [2000] A.C.F. n º 159, le juge Rothstein de la Cour d'appel fédérale a indiqué au paragraphe 51 :
     Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.
[17]      En l'espèce, la demanderesse a présenté de nouvelles preuves en appel, soit des véritables échantillons de certaines pilules qui, selon ce que prétend la défenderesse, seraient similaires aux comprimés de la demanderesse. La défenderesse a produit des éléments de preuve visant à établir les ventes faites des comprimés d'un tiers. Compte tenu de ces éléments de preuve additionnels présentés en appel qui n'ont pas été soumis au registraire, il ressort que la norme de contrôle à appliquer est d'en venir à mes propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire. Il est à noter que, même si un appel où de nouveaux éléments de preuve sont produits est souvent appelé « procès de novo » , il ne s'agit pas véritablement d'un tel procès puisque le dossier du registraire est versé au dossier de l'appel. Dans un « procès de novo » , rien de ce qui provient de la première audience n'est utilisé puisqu'un dossier entièrement nouveau est constitué au niveau de l'appel, sans égard à la preuve de l'audience précédente.
[18]      Deuxième question en litige
     Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en statuant que, pour satisfaire au critère énoncé à l'alinéa 13(1)a) de la Loi, la demanderesse (appelante) devait démontrer que la plupart des adultes canadiens reconnaissent son signe distinctif?
     Le registraire a statué que [TRADUCTION] « la demanderesse doit établir que la plupart des adultes canadiens reconnaissent son signe distinctif en tant que tel » . J'estime que le registraire a commis une erreur en se prononçant ainsi. Selon moi, il serait des plus difficiles, sinon impossible de démontrer que la plupart des adultes canadiens reconnaissent le signe distinctif de la demanderesse. Ni l'arrêt Molson, précité, ni la décision Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer (1996) 66 C.P.R. (3d) 453 (C.F.1re inst.) n'imposent une exigence aussi rigoureuse.

[19]      Troisième question en litige

     Compte tenu des nouveaux éléments de preuve déposés par la demanderesse, le registraire a-t-il commis une erreur en concluant, d'après la preuve selon laquelle des comprimés de tiers seraient de forme similaire à celle du signe distinctif en litige, que le caractère distinctif inhérent du signe de la demanderesse était faible?

    

     Sur cette question, je partage l'avis du registraire. Il est communément accepté que, bien que la forme d'un produit puisse constituer une marque, la marque résultante est habituellement faible (voir l'affaire Novopharm Ltd. c. Bayer Inc., au paragraphe 77).

[20]      Quatrième question en litige

     Le registraire a-t-il commis une erreur de droit en statuant que la norme de preuve applicable à l'enregistrabilité aux termes de l'alinéa 13(1)a) à laquelle devait satisfaire la demanderesse en l'espèce devait être [TRADUCTION] « encore plus rigoureuse » que dans les autres affaires?

     Pour reprendre l'arrêt Brasserie Molson c. John Labatt Ltée, précité, le juge Rothstein, faisant référence au paragraphe 12(2) de la Loi, a indiqué ce qui suit au paragraphe 53 :


     Bien qu'aucune décision ne suggère le contraire, je pense qu'il est salutaire de confirmer que la norme de preuve requise par le paragraphe 12(2) est la preuve prépondérante, comme dans les autres instances civiles. Le terme « charge lourde » paraît tenir au caractère exceptionnel du paragraphe 12(2). Le paragraphe 12(2) est une exception au principe de la non-enregistrabilité d'une marque de commerce suivant les alinéas 12(1)a) ou b). En l'espèce, Molson a admis que le terme « Export » était clairement descriptif d'une qualité de bière. Toutefois, du fait de son emploi prolongé au Canada par Molson « depuis 1903 » , on fait valoir que le mot a acquis un caractère distinctif, et que sa connotation descriptive initiale est alors devenue secondaire dans l'esprit du public par rapport au produit brassé « Export » de Molson, à un point tel que sa signification seconde distinctive est devenue prépondérante [voir la note 21 ci-dessous]. Le paragraphe 12(2) étant une exception à la non-enregistrabilité des termes clairement descriptifs, le requérant doit soumettre une preuve qui n'est pas requise lorsqu'une marque de commerce n'est pas un terme clairement descriptif. En l'espèce, il faut prouver que l'emploi prolongé a fait qu'un mot descriptif en liaison avec la bière est devenu distinctif du produit brassé de Molson. Si une telle preuve est soumise, elle doit être évaluée suivant la prépondérance des probabilités. Il n'y a pas d'autre fardeau que celui de satisfaire aux exigences du paragraphe 12(2).

[21]      La demanderesse a fait valoir que la norme de preuve applicable à l'alinéa 13(1)a) de la Loi devrait être la même que celle qui est mentionnée par la Cour dans l'arrêt Brasserie Molson c. John Labatt Ltée, précité. Je souscris à cette prétention et, si le registraire voulait dire autre chose en utilisant les mots [TRADUCTION] « encore plus rigoureuse » , il a commis une erreur.

[22]      Cinquième question en litige

     Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en concluant que la demanderesse ne s'était pas acquittée de la charge imposée par l'alinéa 13(1)a) de prouver que son signe distinctif était devenu distinctif à la date de la demande?

     Lorsqu'un demandeur souhaite que le caractère distinctif de son signe distinctif soit reconnu en tant que tel au sens de l'alinéa 13(1)a) de la Loi, il doit établir, selon la probabilité la plus forte, que le signe distinctif a été adapté pour distinguer ses marchandises de celles des autres partout au Canada ou que son signe distinctif distingue réellement ses marchandises de celles des autres partout au Canada. Il ne fait aucun doute, comme le montre le niveau des ventes, que la demanderesse a employé son signe partout au Canada.

[23]      La preuve établit que le comprimé de ZOVIRAX porte le mot ZOVIRAX d'un côté et un triangle de l'autre côté. Essentiellement, les experts de la demanderesse ont déclaré, en contre-interrogatoire, que, si le triangle et le mot ZOVIRAX n'étaient pas sur le comprimé, il ne s'agissait pas de ZOVIRAX. On a demandé à M. Goff s'il était capable de reconnaître le comprimé comme étant du ZOVIRAX sans le mot ZOVIRAX ET LE TRIANGLE et il a répondu [TRADUCTION] : « Je pense que oui » .

[24]      Le paragraphe 2 de la demande d'enregistrement indique ce qui suit :
         [TRADUCTION] La marque de commerce est le signe distinctif illustré par le dessin ci-joint :






[25]      Les auteurs des affidavits déposés pour la demanderesse sont, entre autres, David Andrew Goff et le Dr Kenneth F. Walker. M. Goff était le directeur des affaires générales de Burroughs Wellcome Inc. et le Dr Walker est gynécologue.

[26]      En contre-interrogatoire, M. Goff a déclaré :
     [TRADUCTION]
     Q.      Que voulez-vous dire quand vous répondez : « Ce ne serait pas du ZOVIRAX » ?
     R.      Et bien -- je veux dire que ZOVIRAX porte des marques distinctives. De sorte que --
     Q.      Sans ces marques, pourriez-vous reconnaître qu'il s'agit de ZOVIRAX?
     R.      Je pense que oui.
[27]      Également en contre-interrogatoire, le Dr Walker a déclaré :
     [TRADUCTION]      Q. D'accord, et vous ne le prescrivez pas parce qu'il a la forme d'un bouclier, n'est-ce pas?
     R.      Non.
     Q.      Vous le prescrivez parce qu'il est efficace?
     R.      C'est ça.
     Q.      Vous ne le prescrivez pas parce qu'il est bleu?
     R.      Non.
     Q.      Savez-vous qu'il y a aussi un comprimé rose?
     R. Je ne sais pas. La couleur... la couleur... je dois admettre que la couleur ne constitue pas un point important dans ma vie, je suppose.
     Q. Et bien, cela n'a pas vraiment d'importance étant donné que vous n'êtes pas le consommateur, qui est le patient, pas vrai?
     R.      C'est cela.
     Q. Quand vous dites que vous connaissez la forme distinctive de bouclier du comprimé, vous pourriez reconnaître le comprimé uniquement par son apparence?
     R.      Oh! oui, je pense que je pourrais le reconnaître par son apparence, oui.
     Q. Et bien, vous m'avez dit tout à l'heure que le mot ZOVIRAX était écrit sur le comprimé. Si le mot ZOVIRAX n'est pas écrit sur le comprimé, diriez-vous qu'il s'agit de ZOVIRAX?
     R. Oui, parce qu'il y a le petit triangle à l'arrière.
     Q.      S'il n'y avait pas de triangle, pourriez-vous dire qu'il s'agit de ZOVIRAX?
     R. Peut-être pas.
     Q.      C'est bon. D'accord. Donc, lorsque vous déclarez, au paragraphe deux, que vous n'avez jamais vu de comprimé comparable, je dirais, docteur, que, pour cela, vous avez vraiment dû tenir compte des inscriptions et des autres indications qui se trouvent sur le comprimé pour le reconnaître, non?
     R.      Oui.
     Q.      Donc, il faut voir le mot ZOVIRAX et le triangle sur le comprimé pour pouvoir le reconnaître, c'est exact?
     R.      C'est exact.
     Q.      Maintenant, à part cela, si vous avez -- laissez-moi vous montrer ces autres comprimés auxquels les déposants font référence dans le présent cas. Laissez-moi vous montrer -- avons-nous deux exemplaires de ceci? Je veux verser en pièce 2 cet extrait du CPS de 1993, 28e édition. Reconnaissez-vous ce CPS --
     R.      Je le reconnais.
     Q.      -- comme étant -- ce document n'est pas exhaustif, mais il est pas mal complet, c'est exact?
     R.      C'est exact.
     PIÈCE no 2 :      Extrait du CPS de 1993, 28e édition.
     Me JOHNSTON:      Q.      Si vous allez à -- je pense que les numéros de page sont dans le haut, soit à gauche, soit à droite, docteur.
     R.      Oui?
     Q.      Page R-16, qui est à peu près à trois pages du début, au bas de la colonne huit, C, soit à la ligne huit, colonne C, vous trouvez? Il y a un produit appelé Anafranil là, le voyez-vous dans le bas?
     R.      À la page 16?
     Q.      R-16.
     R.      R-16, colonne huit? Oui, oui, je le vois.
     Q.      Anafranil?
     R.      Oui.
     Q.      Diriez-vous qu'il a la forme d'un bouclier?
     R.      Oui.
     Q.      Maintenant, si nous allons à la page R-18, vous voyez un comprimé, dans la colonne B, ligne sept.
     R.      Oui.
     Q.      Zocor
     R.      Oui
     Q.      Diriez-vous qu'il a la forme d'un bouclier?
     R.      Oui.
     Q.      Et si nous passons à la page suivante, qui est la page R-20. Si vous allez à la colonne D, ligne sept, il y a deux comprimés là, l'un est Elavil Plus et l'autre est Dexedrine, à la colonne C et à la colonne D; voyez-vous ces deux comprimés?
     R.      Je les vois.
     Q.      Diriez-vous qu'ils ont la forme d'un bouclier?
     R.      Oui.
     Q.      Diriez-vous que le suivant, Flexeril, à la colonne E est en forme de bouclier?
     R.      Assez, oui.
     Q.      Et c'est ce que vous pourriez aussi dire si vous passez à la page R-21, si vous regardez à la colonne A, ligne cinq, Zocor?
     R.      Oui.
     Q.      C'est exact?
     R.      Oui.
     Q.      Il est en forme de bouclier?
     R.      Oui.
     Q.      Et ensuite, encore, si nous passons à la page R-23, colonne E, ligne deux, il y a Voltaren SR, le voyez-vous?
     R.      Je le vois.
     Q.      Et ensuite, allons à la ligne sept, colonne B, vous voyez Tofranil tout en bas?
     R.      Mm-hmm.
     Q.      Oui? Il est en forme de bouclier, n'est-ce pas?
     R.      Il l'est.
     Q.      Oui. Et ensuite, si nous allons à la page R-26, à la colonne A, vous avez Sectral de Rhone-Poulenc, à la ligne six, vous le voyez?
     R.      Je le vois.
     Q.      Il est en forme de bouclier, n'est-ce pas?
     R.      Il l'est.
     Q.      Et ainsi prétendriez-vous encore maintenant, après avoir examiné tous ces comprimés, que la forme de bouclier est distinctive -- elle n'est pas distinctive, n'est-ce pas, docteur?
     R.      Je pense qu'on pourrait dire qu'il y a beaucoup de comprimés qui semblent avoir la forme d'un bouclier.
     Q.      C'est ça. Donc, lorsque vous affirmez que vous n'avez jamais vu de comprimé comparable, je viens juste de vous montrer des comprimés comparables, n'est-ce pas?
     R.      C'est vrai.

[28]      La demanderesse n'a produit aucune preuve provenant des patients et, bien qu'il soit vrai qu'une telle preuve n'est pas toujours nécessaire (voir la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. et le registraire des marques de commerce, [2000] 2 C.F. 553 (C.F.1re inst.), il arrive qu'elle le soit.

[29]      Je crois que la demanderesse doit, lorsque ses propres témoins éprouvent des doutes sur le caractère distinctif de la forme du comprimé, produire une preuve provenant des patients afin de pouvoir s'acquitter de la charge de prouver, selon la probabilité la plus forte, qu'on reconnaît sa marchandise par sa forme. Dans le présent cas, la forme, et non la couleur ou la grosseur du comprimé, est le seul élément en litige.

[30]      La demanderesse a aussi prétendu que son matériel publicitaire étaye sa demande, mais, à mon avis, une bonne part de ce matériel est postérieur à la présente demande.

[31]      Compte tenu de la preuve présentée par les témoins de la demanderesse, je ne suis pas convaincu que celle-ci a démontré que son signe distinctif (la forme de bouclier) était devenu distinctif à la date de la demande.

[32]      Bien que le registraire se soit trompé au sujet du fardeau de preuve à appliquer aux termes de l'alinéa 13(1)a) de la Loi, ma conclusion quant à l'exactitude de sa décision finale aux termes de l'alinéa 13(1)a) est qu'en fait, cette décision est exacte. Comme dans le cas du registraire, la demanderesse ne m'a pas convaincu que son signe distinctif était devenu distinctif au sens du paragraphe 13(1) à la date de la production de la demande d'enregistrement.

[33]      Il incombait à la demanderesse d'établir que son signe distinctif (la forme du comprimé) est reconnu pour être distinctif de ses marchandises. Le Dr Walker a admis qu'il y avait d'autres comprimés en forme de bouclier sur le marché. M. Goff a aussi été interrogé quant à savoir s'il reconnaîtrait ZOVIRAX sans les autres inscriptions qui sont sur le comprimé (le triangle et le mot ZOVIRAX) et il a répondu [TRADUCTION] : « Je pense que oui » . Il ne s'agit pas là d'une preuve très convaincante et elle ne parvient pas à établir, selon la probabilité la plus forte, que la forme de bouclier distinguait les comprimés de la demanderesse des autres comprimés ayant une forme de bouclier qui se trouvent sur le marché.

[34]      Par conséquent, j'estime que la forme de bouclier n'est pas, par son emploi, devenue distinctive du produit.

[35]      Sixième question en litige

     Le registraire a-t-il négligé d'accorder l'importance voulue à l'ampleur des ventes et de la publicité faites par la demanderesse de ses comprimés portant son signe distinctif ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par des médecins et des pharmaciens?

     Il ressort de la décision que j'ai rendu à la cinquième question qu'on peut raisonnablement conclure que je ne crois pas que le registraire ait négligé d'accorder toute l'importance voulue à l'ampleur des ventes et de la publicité faites de ses comprimés par la demanderesse ainsi qu'aux éléments de preuve présentés par des médecins et des pharmaciens. J'ai examiné certains de ces éléments de preuve dans la présente décision et je ne crois pas que le registraire ait négligé de donner l'importance voulue à l'un d'entre eux.

[36]      Septième question en litige

     Le registraire a-t-il commis une erreur lorsqu'il a rejeté la demande en se fondant sur le huitième motif d'opposition et, ce faisant, en se fondant sur des conclusions concernant le caractère distinctif aux termes de l'alinéa 13(1)a) et en concluant aussi qu'à la date de l'opposition la demanderesse [TRADUCTION] « [...] n'était pas parvenue à s'acquitter de la lourde charge de prouver que son signe distinctif est distinctif partout au Canada » ?

     Je suis d'accord avec l'avocat de la demanderesse lorsqu'il dit que, d'après les conclusions tirées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Brasserie Molson c. John Labatt Ltée, précité, la date applicable pour établir le caractère distinctif aux termes de l'alinéa 13(1)a) est la date de la production de la demande d'enregistrement. Il est à noter que la Cour d'appel, dans l'arrêt Molson, précité, examinait l'alinéa 12(1)a) de la Loi, mais je suis d'avis que le même raisonnement s'applique à l'alinéa 13(1)a). Compte tenu de cette conclusion, j'estime inutile de pousser plus loin l'examen de cette question.

[37]      Par conséquent, l'appel est rejeté avec dépens en faveur de la défenderesse.


ORDONNANCE

[38]      LA COUR ORDONNE ce qui suit : l'appel est rejeté avec dépens en faveur de la demanderesse.




     « John A. O'Keefe »

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 10 octobre 2000


Traduction certifiée conforme :


Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




DOSSIER :                  T-613-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      GLAXO WELLCOME INC. c. NOVOPHARM LTD. ET AL.

    

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 12 AVRIL 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE O'KEEFE le 10 octobre 2000.



ONT COMPARU :

MICHAEL E. CHARLES                  POUR LA DEMANDERESSE
CAROL HITCHMAN ET                   POUR NOVOPHARM LTD.

PAULA BREMNER


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERESKIN & PARR                      POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)     

HITCHMAN & SPRIGINGS              POUR NOVOPHARM LTD.

TORONTO (ONTARIO)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.