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Date : 20040611

Dossier : T-2015-02

Référence : 2004 CF 855

ENTRE :

                                                         MARVIN ALLEN SHARP

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


[1]                Le demandeur a porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) que le Service correctionnel du Canada (SCC) discriminait contre lui du fait qu'il ne lui faisait bénéficier d'aucun aménagement spécial à titre de personne handicapée, ce handicap étant la rétinopathie pigmentaire. Dans une lettre non datée que le demandeur a reçue le 4 novembre 2002, la Commission l'avisait que, conformément à l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[1], elle avait décidé de rejeter sa plainte. Le seul motif invoqué par la Commission pour sa décision était le suivant :

[traduction] La preuve n'étaye pas l'allégation du plaignant [le demandeur] que le défendeur ne lui a fait bénéficier d'aucun aménagement spécial.

[2]                Les présents motifs font suite à l'audition de la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée lui-même à l'encontre de la décision de la Commission.

[3]                Le demandeur purge une longue peine de prison par suite d'un procès au criminel. Pendant toute la période en cause, il était incarcéré à l'établissement Drumheller, un établissement correctionnel géré par le Service correctionnel du Canada. Il n'est pas contesté qu'il souffre de rétinopathie pigmentaire, une maladie de l'oeil qui progressivement mène à la cécité. En fait, le demandeur reçoit une prestation d'invalidité du Régime de pensions du Canada[2] depuis 1992. Dans sa plainte, il alléguait que SCC n'avait fait aucun aménagement pour lui : il n'avait pas reçu les soins médicaux dont il avait besoin; ce qu'il recevait à lire ne lui était pas présenté dans un format approprié; on n'avait pas tenu compte de sa demande d'aide pour que ses repas lui soient servis plus tôt; on ne lui servait pas la même chose qu'aux autres détenus; on n'avait pas tenu compte de sa demande qu'on lui fournisse un environnement sans obstacles et sécuritaire.

[4]                La Commission a tenu une enquête approfondie sur la plainte du demandeur, bien que son enquêteur ne se soit pas rendu à l'établissement Drumheller dans le cours de l'enquête. L'enquêteur a préparé un rapport relativement long, qui a été remis au demandeur et à SCC. Tant le demandeur que SCC ont été invités à présenter leurs observations relativement au rapport et les deux l'ont fait. Le rapport de l'enquêteur se terminait par une brève analyse de chacun des motifs de plainte avancés par le demandeur et faisait la recommandation suivante :

[traduction] Je recommande que la Commission rejette la plainte en vertu de l'alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne au motif que :

•                La preuve n'étaye pas l'allégation du plaignant que le défendeur ne lui a fait bénéficier d'aucun aménagement spécial.

[5]                Le rapport de l'enquêteur, accompagné des observations du demandeur et de SCC, a été présenté à la Commission, qui a rendu, essentiellement dans les mêmes termes que ceux de l'enquêteur, la décision contestée, qui adoptait la recommandation de l'enquêteur.

[6]                Les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui sont pertinentes quant au présent contrôle judiciaire sont les suivantes :


5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

                [Non souligné dans l'original.]

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

on a prohibited ground of discrimination.

                                    [emphasis added]



Il n'a pas été contesté à l'audience que le demandeur se plaint d'avoir été défavorisé ou de ne pas avoir bénéficié d'un aménagement lors de la fourniture de biens, de services, d'installations et de moyens d'hébergement pour un motif de distinction illicite, soit la déficience.


44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

...

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

...

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

...

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

...

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

(I) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

                [Non souligné dans l'original.]

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41©) to (e).

                                    [emphasis added]


En l'espèce, l'alinéa 44(3)b) s'applique : la Commission a clairement conclu que l'examen de la plainte du demandeur n'était pas justifié.

[7]                Les questions que soulève le présent contrôle judiciaire se limitent à deux, savoir : premièrement, quelle est la norme de contrôle applicable à la décision contestée; deuxièmement, eu égard à cette norme de contrôle, la Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en rendant la décision qu'elle a rendue?


[8]                Dans Gardner c. Procureur général du Canada[3], j'ai décidé que la norme de contrôle qui s'appliquait aux affaires comme l'espèce est la décision raisonnable simpliciter. Pour ce faire, je me suis fondé en grande partie sur la décision que mon collègue le juge O'Keefe a rendue dans l'affaire MacLean c. Marine Atlantic Inc.[4] et la jurisprudence qu'il cite. Je suis convaincu que le raisonnement suivi dans ces précédents est applicable à l'espèce et que la décision raisonnable simpliciter est la norme de contrôle appropriée.

[9]                Dans l'arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan[5], le juge Iacobucci, au nom de la cour, qui était unanime, a écrit aux paragraphes 46, 47 et 55 :

Le niveau de déférence requis dans le contrôle judiciaire d'une mesure administrative selon la norme de la décision raisonnable fait appel à l'autodiscipline. Une cour sera souvent obligée d'accepter qu'une décision est raisonnable même s'il est peu probable qu'elle aurait fait le même raisonnement ou tiré la même conclusion que le tribunal [...]

[...]

La norme de la décision raisonnable consiste essentiellement à se demander « si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision » . [...]

La déférence requise découle de la question puisqu'elle impose à la cour de révision de déterminer si la décision est généralement étayée par le raisonnement du tribunal ou de l'instance décisionnelle, plutôt que de l'inviter à refaire sa propre analyse. [...]

[...]


La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir [...] . Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision [...]

                                                                                          [Parties du texte et renvois omis.]

[10]            La mention, dans les extraits que je viens de citer, de motifs et des raisonnements suivis dans ces motifs soulèverait un problème en l'espèce, à moins de conclure, comme je le fais à la vue des documents qu'on m'a présentés, que les motifs brefs et lapidaires rendus par la Commission dans la présente affaire, qui reprennent les termes de la recommandation que l'enquêteur avait faite à la Commission, incorporent par renvoi l'ensemble du rapport de l'enquêteur.

[11]            Compte tenu du rapport de l'enquêteur dans son ensemble et compte tenu du critère, exposé ci-dessus, que la Cour doit appliquer pour savoir si la décision contestée doit être maintenue, je suis convaincu que la décision de la Commission canadienne des droits de la personne que le demandeur conteste doit être maintenue, en dépit des protestations éloquentes que le demandeur a fait entendre, puisqu'il agissait pour son propre compte.

[12]            En définitive, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


[13]            L'avocat du défendeur, dans son mémoire des faits et du droit, a fait savoir que le défendeur demande les dépens. Cette demande n'a pas été réitérée à l'audience. Prenant en considération tous les documents et toutes les observations présentés en l'espèce, et vu le pouvoir discrétionnaire de la Cour, je n'adjugerai aucuns dépens.

                                                                       _ Frederick E. Gibson _             

                                                                                                     Juge                             

Calgary (Alberta)

le 11 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-2015-02

INTITULÉ :                                                    MARVIN ALLEN SHARP

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              DRUMHELLER (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            10 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   11 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Marvin Allen Sharp                                                        LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

Rick Garvin                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mountain Penitentiary

Agassiz (Colombie-Britannique)                                     LE DEMANDEUR, POUR SON PROPRE COMPTE

Morris A. Rosenberg                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]            L.R.C. 1985, ch. H-6.

[2]            L.R.C. 1985, ch. C-8.

[3]            2004 CF 493, 2 avril 2004.

[4]            [2003] A.C.F. no 1854 (QL).

[5]            [2003] 1 R.C.S. 247.


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