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Date : 19971124


Dossier : IMM-1616-96

ENTRE


OVENDO URIAH DAVIS,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision qui a été prise pour le compte de l'intimé, aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration1, selon laquelle l'intimé était d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada. La décision est datée du 18 avril 1996.

[2]      Les faits sur lesquels est fondée la présente demande peuvent être brièvement résumés comme suit. Le requérant est né en Jamaïque en mars 1971. En juin 1988, il est arrivé au Canada avec sa mère, à titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement. Il réside au Canada depuis lors. Sa conjointe est citoyenne canadienne. Au moment de l'audience qui a eu lieu devant moi, le requérant et sa femme avaient un enfant.

[3]      Le casier judiciaire du requérant n'est pas chargé. En mars 1992, le requérant a été déclaré coupable d'avoir fait des appels téléphoniques harassants. Il s'est vu imposer un jour d'emprisonnement ainsi qu'une année de probation. Le 7 mars 1994, à la suite d'un plaidoyer de culpabilité, il a été déclaré coupable de trafic de "crack". Une peine de 42 mois lui a été imposée. Par suite de cette déclaration de culpabilité, son expulsion a été ordonnée.

[4]      Par une lettre datée du 4 janvier 1996, le requérant a été informé que l'intimé envisageait d'émettre un avis selon lequel il constituait un danger pour le public au Canada. On a fourni au requérant de nombreux documents sur lesquels le ministre envisageait de se fonder lorsqu'il déterminerait si un avis devait être émis. Le requérant a eu la possibilité de présenter des observations, ce qu'il a fait par l'entremise de son avocat.

[5]      Les documents de l'intimé et les observations qui ont été présentées pour le compte du requérant ont fait l'objet d'un rapport par un agent du ministère de l'intimé, lequel était intitulé : "Rapport sur l'avis du ministre se rapportant à l'examen de l'arriéré des affaires criminelles " Danger pour le public, paragraphe 70(5)". L'agent a conclu le rapport ainsi :

                 [TRADUCTION]                 
                 Compte tenu des renseignements figurant dans tous les rapports qui ont été rédigés par le personnel de Service correctionnel Canada (le SCC) et de la Commission des libérations conditionnelles, je ne suis pas convaincu que l'individu ici en cause ne constitue pas un danger pour le public au Canada. Les renseignements figurant dans ces rapports m'amènent à croire que l'individu en question a un tempérament coléreux et qu'il peut être violent.                 

.........

L'individu a fait l'objet d'une seule déclaration de culpabilité liée aux stupéfiants, mais je crois fermement qu'à l'heure actuelle, il constitue un danger pour le public au Canada. Je ne crois pas qu'on doive lui donner la possibilité de commettre une récidive au Canada.


.........

COMPTE TENU DES RENSEIGNEMENTS SUSMENTIONNÉS, LESQUELS SONT ÉTAYÉS PAR LES PIÈCES CI-JOINTES, JE RECOMMANDE QU'ON DEMANDE AU MINISTRE D'ÉMETTRE UN AVIS SELON LEQUEL L'INDIVIDU SUSMENTIONNÉ CONSTITUE UN "DANGER, POUR LE PUBLIC" AU SENS DE L'ARTICLE 70 DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION.

[6]      Dans le même document, un gestionnaire souscrivait à la recommandation de l'agent et faisait en outre la remarque suivante :

[TRADUCTION]

- les remarques concernant des "accusations" qui n'ont pas entraîné de poursuites et de déclarations de culpabilité ne sont pas pertinentes lorsqu'il s'agit de savoir si l'individu constitue un danger pour le public.

Je puis uniquement supposer que la remarque du gestionnaire se rapporte au paragraphe du rapport dans lequel il est dit que la police estime que le requérant se livre au trafic des stupéfiants et qu'il a adopté le mode de vie que la chose comporte depuis bien plus longtemps que ses antécédents judiciaires ne permettent de le supposer. La police a apparemment exprimé l'avis selon lequel le requérant avait un "rôle important" et qu'il reprendrait peut-être ses activités criminelles lorsqu'il serait mis en liberté. Dans le rapport, cet avis est juxtaposé à la reconnaissance selon laquelle le juge qui avait prononcé la peine avait fait remarquer que le requérant avait un [TRADUCTION] "[...] rôle relativement peu important" en ce qui concerne le trafic des stupéfiants.

[7]      L'avocat du requérant a soutenu devant moi que l'avis selon lequel son client constitue un danger pour le public au Canada devrait être infirmé parce qu'il est principalement fondé sur un rapport qui démontre qu'on a fait preuve de partialité ou qui permet avec raison de craindre la partialité, compte du sommaire dans lequel sont énumérés tous les éléments dont disposait le représentant du ministre, parce que la décision était abusive en ce sens que les éléments dont disposait le représentant de l'intimé exigeaient manifestement un résultat différent, et parce qu'on n'avait pas agi d'une façon équitable à l'endroit du requérant en ce sens que le rapport de l'agent, de même que l'avis concordant exprimé par le gestionnaire, n'avaient pas été communiqués au requérant et que ce dernier n'avait pas eu la possibilité de se défendre.

[8]      Dans l'affaire Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration)2, un appel avait été interjeté contre une décision que la Section de première instance avait rendue dans le cadre du contrôle judiciaire d'un avis du ministre selon lequel il y avait danger pour le public; Monsieur le juge Strayer a dit ceci :

Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.
[Je souligne; j'ai omis les renvois.]

[9]      Le mot "comme" figurant dans le passage précité semblerait montrer que les motifs de révision énumérés ne sont pas exclusifs. Telle semble avoir été l'intention du juge Strayer lorsque, plus loin dans ses motifs, il a dit ce qui suit :

Il s'agit en l'espèce de savoir s'il est possible d'affirmer avec certitude que le délégué du ministre a agi de mauvaise foi, en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier.

Dans ce dernier passage, j'interprète les mots :"en tenant compte de facteurs ou d'éléments de preuve dénués de pertinence, ou sans égard au dossier" comme étant l'équivalent des mots : "la prise en considération de facteurs dénués de pertinence" figurant dans le passage antérieur. En outre, j'estime que le fait que l'erreur de droit n'est pas mentionnée comme motif de révision dans le second passage est simplement attribuable à ce que les faits dont disposait Monsieur le juge Strayer démontraient qu'aucune erreur de droit n'avait été commise.

[10]      Dans le premier passage cité de l'arrêt Williams ci-dessus, j'ai souligné la position de Monsieur le juge Strayer, à savoir qu'en l'absence d'une preuve contraire, et en l'espèce on ne m'a référé à aucune preuve contraire, la Cour doit supposer que le décideur était de bonne foi en tenant compte de tous les documents qui lui avaient été présentés. Je présume que le représentant de l'intimé avait à sa disposition tous les éléments pertinents et non pas uniquement l'exposé et la recommandation d'un agent du ministère de l'intimé. En l'absence d'une preuve contraire, je suppose qu'il a tenu compte de tous ces éléments de preuve.

[11]      Je supposerai, aux fins des présents motifs, que le représentant de l'intimé s'est fortement fondé sur le rapport et sur la recommandation, à laquelle souscrivait un gestionnaire, l'informant de l'avis de l'agent et du gestionnaire. Je ne puis voir pourquoi le rapport et l'avis auraient été préparés si ce n'est pour éviter au représentant de l'intimé d'avoir à examiner en détail la totalité des éléments présentés.

[12]      J'aurais peut-être résumé les éléments de preuve d'une façon différente, ou je serais peut-être arrivé à une recommandation différente, mais bien sûr tel n'est pas le critère. Je suis convaincu que le sommaire de l'agent était raisonnable, qu'il ne révélait pas qu'on avait fait preuve de partialité ou qu'il ne permettait pas avec raison de craindre la partialité, et qu'il n'énonçait pas d'une façon erronée les éléments dont l'agent et plus tard le représentant de l'intimé disposaient. La mise en garde effectuée par le gestionnaire venait s'ajouter d'une façon utile à l'exposé et s'harmonisait avec lui.

[13]      À mon avis, il aurait été préférable de remettre au requérant une copie du rapport et de la recommandation ainsi que des commentaires du gestionnaire et de son avis concordant et de lui permettre de faire des remarques à ce sujet, lesquelles seraient directement soumises au représentant de l'intimé pour examen, mais je ne puis conclure que l'omission de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

[14]      Ici encore, dans l'arrêt Williams, Monsieur le juge Strayer a dit ceci :

Je confirmerais d'abord, comme l'ont fait de nombreuses cours de justice dans le passé, qu'il est généralement sinon toujours préférable que les cours de justice et les tribunaux motivent leurs décisions. Donner des motifs est avantageux à bien des égards : les motifs permettent aux parties de savoir pourquoi elles ont eu gain de cause ou été déboutées, ce qui est une considération très importante; la rédaction de motifs astreint une cour de justice ou un tribunal à une discipline lorsqu'il faut justifier le résultat; et les motifs aident indéniablement une cour de justice, par la suite, à statuer sur un appel ou à exercer des pouvoirs de contrôle judiciaire.

[15]      Je suis convaincu en particulier lorsque les motifs de la décision du représentant de l'intimé ne sont pas donnés, qu'il serait possible de dire la même chose à l'égard de la présentation au requérant du sommaire et des recommandations sur lesquels le représentant accordera probablement beaucoup d'importance. La communication de ce document comporterait un avantage énorme, soit d'accroître la confiance dans l'efficacité du processus. Si l'on prend cette mesure et si l'on fournit une possibilité raisonnable de répondre au document, le nombre de demandes de contrôle judiciaire découlant d'un avis selon lequel il y a danger pour le public diminuera probablement. Il est difficile d'imaginer des arguments militant contre la communication à part ceux qui sont liés au temps supplémentaire que prendrait le processus. En ce qui concerne le facteur temps, il faut par ailleurs tenir compte du fait que les individus comme le présent requérant ont souvent habité au Canada pendant la majeure partie de leur vie, qu'ils sont dans une large mesure un produit de leur milieu au Canada et qu'ils feront face à de grandes difficultés s'ils sont renvoyés dans un milieu où ils ont peu de ressources pour subvenir à leurs besoins et peu de possibilités d'emploi, sinon aucune, ainsi que du fait qu'ils constitueraient probablement un danger beaucoup plus grave si, dans leur nouveau milieu, ils se soumettaient aux influences et se livraient aux activités qui ont mené à leur mode de vie criminel au Canada, ou qui y ont du moins contribué. Il faut dire que l'équité exige que ces individus sachent ce sur quoi le représentant de l'intimé s'est en partie fondé.

[16]      Bref, compte tenu du critère énoncé dans l'arrêt Williams, en ce qui concerne le contrôle judiciaire d'affaires comme celle-ci, je ne puis constater l'existence d'aucune erreur susceptible de révision justifiant l'intervention de cette cour. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[17]      Cette demande a été entendue devant moi à Calgary (Alberta) le 22 avril 1997. Les questions qui ont été réglées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Williams d'une façon qui me lie n'ont pas été débattues devant moi mais, étant donné qu'il était alors généralement reconnu que l'autorisation de se pourvoir en appel de la décision Williams devant la Cour suprême du Canada serait demandée, l'avocat du requérant a demandé que l'audience soit ajournée tant qu'il ne serait pas statué sur cette demande. J'ai fait droit à la demande. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la demande d'autorisation a été rejetée sans que des motifs soient donnés. On a depuis lors communiqué avec les avocats du requérant et de l'intimé par l'entremise du greffe de Calgary et ces derniers conviennent qu'il ne servirait à rien de reprendre l'audience. J'ai donc considéré le dossier comme clos et j'ai rédigé les présents motifs.

[18]      Si l'avocat d'une partie ou de l'autre veut proposer la certification d'une question, il doit la soumettre au greffe de Calgary dans les sept jours qui suivent la date des présents motifs. J'examinerai alors la question et je rendrai une ordonnance.

                         Frederick E. Gibson

                                 Juge

Ottawa (Ontario),

le 24 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

_____________________________

F. Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-1616-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      OVENDO URIAH DAVIS c. MCI

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 22 AVRIL 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 24 novembre 1997

ONT COMPARU :

M. SHERRITT (403) 262-7745      POUR LE REQUÉRANT

B. HARDSTAFF (403) 495-2977      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVISON WORDEN

G. MICHAEL SHERRITT     

BRAD HARDSTAFF      POUR LE REQUÉRANT

George Thomson      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2

2      [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême du Canada refusée (sans que des motifs soient donnés), 16 octobre 1997, [1997] A.C.S.C. no 332 (QL).

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