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Date : 20001106


Dossier : T-1776-00


ENTRE :



LORNE MCCONNELL et KEVIN WHYNDER,

en leurs propres noms et en leur qualité de représentants des membres de la

population carcérale générale de l'établissement Kent

et de leurs visiteurs

     demandeurs

     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS



[1]      La présente requête vise l'obtention d'une injonction interlocutoire jusqu'au procès en l'espèce, interdisant au défendeur d'intégrer les visites sans se préoccuper de savoir si les détenus sont en détention protégée ou s'ils font partie de la population carcérale générale.

[2]      La présente requête sollicite aussi un bref de prohibition visant à empêcher qu'on diminue les périodes de temps et les dates disponibles pour que les membres de la population carcérale générale reçoivent des visiteurs en l'absence des détenus en détention protégée et de leurs visiteurs, ou subsidiairement une ordonnance de prohibition interdisant au défendeur d'autoriser les détenus en détention protégée et leurs visiteurs à être présents lorsque les membres de la population carcérale générale reçoivent leurs visiteurs.

LA LÉGISLATION APPLICABLE

[3]      La législation régissant le Service correctionnel du Canada comprend notamment la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLSC) et les règlements adoptés en vertu de l'article 96 de cette loi (les Règlements).

[4]      L'article 3 de la LSCMLSC énonce l'objet du système correctionnel fédéral comme suit :

Purpose

3. The purpose of the federal correctional system is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by

(a) carrying out sentences imposed by courts through the safe and humane custody and supervision of offenders; and

(b) assisting the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens through the provision of programs in penitentiaries and in the community.

Objet

3. Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d'une société juste, vivant en paix et en sécurité, d'une part, en assurant l'exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines, et d'autre part, en aidant au moyen de programmes appropriés dans les pénitenciers ou dans la collectivité, à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois.



Les articles 5 et 6 de la LSCMLSC sont rédigés comme suit :

Correctional Service of Canada

5. There shall continue to be a correctional service in and for Canada, to be known as the Correctional Service of Canada, which shall be responsible for

(a) the care and custody of inmates;

(b) the provision of programs that contribute to the rehabilitation of offenders and to their successful reintegration into the community;

(c) the preparation of inmates for release;

(d) parole, statutory release supervision and long-term supervision of offenders; and


(e) maintaining a program of public education about the operations of the Service.

                    

1992, c. 20, s. 5; 1997, c. 17, s. 13.

Service correctionnel du Canada

5. Est maintenu le Service correctionnel du Canada, auquel incombent les tâches suivantes :


a) la prise en charge et la garde des détenus;

b) la mise sur pied de programmes contribuant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale;

c) la préparation des détenus à leur libération;

d) la supervision à l'égard des mises en liberté conditionnelle ou d'office et la surveillance de longue durée de délinquants;

e) la mise en oeuvre d'un programme d'éducation publique sur ses activités.

1992, ch. 20, art. 5; 1997, ch. 17, art. 13.

6. (1) The Governor in Council may appoint a person to be known as the Commissioner of Corrections who, under the direction of the Minister, has the control and management of the Service and all matters connected with the Service.

(2) The national headquarters of the Service and the offices of the Commissioner shall be in the National Capital Region described in the schedule to the National Capital Act.

(3) The Commissioner may establish regional headquarters of the Service.

6. (1) Le gouverneur en conseil nomme le commissaire; celui-ci a, sous la direction du ministre, toute autorité sur le Service et tout ce qui s'y rattache.


(2) L'administration centrale du Service et les bureaux du commissaire sont situés dans la région de la capitale nationale au sens de l'annexe de la Loi sur la capitale nationale.

(3) Le commissaire peut constituer des administrations régionales du Service.

[5]      Pour obtenir gain de cause en l'instance, les demandeurs doivent démontrer qu'il y a une question sérieuse à trancher, qu'ils subiront un préjudice irréparable en l'absence d'une injonction interlocutoire, et que la prépondérance des inconvénients les favorise.

LA QUESTION SÉRIEUSE

[6]      Afin de déterminer s'il y a une question sérieuse à trancher, il faut que je me rapporte à la demande de contrôle judiciaire. Je dois me demander si la décision du commissaire du Service correctionnel du Canada, qui a maintenu la décision du directeur de l'établissement, était manifestement déraisonnable.

[7]      Le défendeur soutient que la décision du directeur de l'établissement d'intégrer les visites est de nature purement administrative, qu'elle n'affecte fondamentalement aucun des droits des demandeurs, et qu'elle ne constitue pas une question sérieuse à trancher.

[8]      Sans décider dans ce sens, mais partant de l'hypothèse qu'il y a une question sérieuse à trancher, je vais passer directement à l'étape suivante du test.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[9]      Les demandeurs soutiennent que la décision du défendeur met en présence deux groupes antagonistes de détenus violents dans une aire confinée et en présence de visiteurs et de membres du personnel. Les demandeurs soutiennent que cette décision ouvre la porte à la possibilité de violence et que ce fait constitue un préjudice irréparable. Citant l'arrêt RJR-MacDonald1, les demandeurs soutiennent qu'il est difficile de quantifier ce qui constitue un préjudice irréparable dans une demande fondée sur l'article 12 de la Charte des droits et libertés.

[10]      J'ai examiné soigneusement les affidavits des deux parties.

[11]      Selon moi, la preuve des demandeurs sur cette question est une preuve spéculative et d'opinion qui ne démontre pas l'existence d'un risque réel de préjudice.

[12]      Le défendeur m'a convaincu que le directeur de l'établissement avait examiné toutes les préoccupations présentées par les demandeurs et déterminé que tout risque qui pouvait être lié aux visites intégrées pouvait tout à fait être géré dans le cadre de l'établissement.

[13]      En l'instance, les demandeurs doivent démontrer qu'il y a une probabilité réaliste de préjudice. Dans Chen v. Canada Trustco Mortgage Co. (1997), 13 C.P.C. (4th) 186, à la p. 188, le juge Molloy déclare ceci :

         [traduction]

         C'est la personne qui sollicite la délivrance de l'injonction qui doit démontrer l'existence du préjudice irréparable. Cette démonstration doit se fonder sur la preuve devant la Cour. Comme le juge Epstein le déclare dans 754233 Ontario v. R.-M. Trust Co. (20 janvier 1997) Doc. 96-Cu-114787, Re 7166196 (Div. gén. Ont.), « On ne peut fonder le préjudice irréparable sur de la simple spéculation » .

En l'espèce, les demandeurs n'ont pas démontré qu'ils subiront un préjudice irréparable en l'absence d'une injonction.

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[14]      Au sujet de la prépondérance des inconvénients, je ne trouve rien dans la présente affaire qui m'indiquerait que le pouvoir discrétionnaire du directeur de l'établissement a été exercé de façon incorrecte. Je note aussi que la décision en cause a été examinée et confirmée par le sous-commissaire du Service correctionnel, région du Pacifique, ainsi que par la Commission.

[15]      La Cour ne peut usurper le rôle d'un fonctionnaire public exerçant légalement son pouvoir discrétionnaire en vertu d'une compétence que lui accorde la loi, comme c'est le cas en l'instance.

[16]      Selon moi, la prépondérance des inconvénients va dans le sens d'un refus de délivrer l'injonction. Le préjudice à l'intérêt public qui serait causé si l'on empêchait le directeur de l'établissement Kent d'intégrer les visites et de chercher à atteindre un des objectifs principaux que fixe la législation est plus important que le préjudice potentiel que pourraient subir les demandeurs.

[17]      Pour ces motifs, la requête est rejetée.



                                 « Pierre Blais »

                                     Juge



Le 6 novembre 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)





Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :                  T-1776-00
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Lorne McConnell et autres

                         c.

                         Le procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :              le 30 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  6 novembre 2000


ONT COMPARU

M. Anthony Zipp                  pour les demandeurs
M. Curtis Workun                  pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Zipp & Company

Avocats et procureurs

Coquitlam (C.-B.)                  pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur

général du Canada                  pour le défendeur
__________________

1 RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [1995] 3 R.C.S. 199; (1994) 111 D.L.R. (4th) 385 (ci-après RJR).

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