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     IMM-3395-96

ENTRE:

     RODICA-LUCIANA CULINESCU

     et

     CORNEL CULINESCU

     Requérants

ET:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

     Il s'agit d'une demande de révision judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugie de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, concluant que les requérants ne sont pas réfugiés au sens de la Convention. Les requérants demandent l'annulation de la décision.

1.      Faits

     Citoyens de la Roumanie, les requérants, Rodica-Luciana Culinescu et son époux Cornel, invoquent une crainte raisonnable de persécution en raison de leurs opinions politiques comme motif de revendication du statut de réfugié. Les faits sur lesquels ils fondent leur prétention sont étayés dans la décision de la Commission.

     Les requérants auraient été engagés politiquement en Roumanie en tant que membres du Parti national paysan chrétien et démocrate (le "PNPCD"). C'est à ce titre qu'ils auraient participé à un nombre de manifestations dénonçant les activités du gouvernement roumain. Lors de certaines de ces manifestations, ils auraient été arrêtés et détenus par la police. Par exemple, au mois de mai 1990, les requérants ont été délégués par le PNPCD pour se rendre à Bucarest afin de démontrer leur solidarité avec les étudiants qui occupaient la Place de l'Université. Le 17 mai 1990, la requérante aurait été arrêtée lors d'une intervention policière. Elle aurait été conduite au poste de police et battue par les agents. Ceux-ci auraient voulu l'inciter à signer une déclaration dans laquelle elle avouait avoir troublé l'ordre public. La requérante aurait refusé de signer une telle déclaration, mais par contre, elle aurait reconnu par écrit qu'elle avait participé à la manifestation.

     Un incident similaire survint le 12 juin 1990. À cette date, les requérants auraient tous deux, cette fois-ci, été arrêtés par la police de Bucarest. Avant d'être relâchés, ils auraient été battus et la requérante, forcée de signer une déclaration dont elle ignorait le contenu.

     Au cours du mois de juillet 1990, les requérants auraient reçu un avis de convocation les enjoignant de se rendre au poste de police, où ils auraient été contraints de signer une déclaration concernant leur participation aux manifestations de Bucarest. Ils auraient été exhortés en même temps de cesser leurs activités politiques et de collaborer avec la police.

     Subséquemment, les requérants auraient reçu un second avis de convocation. Or, ils décidèrent de l'ignorer et de s'exiler en Hongrie, où ils demeurèrent pour près de trois ans.

     C'est au cours de leur exil que les requérants se seraient associés aux opposants du gouvernement roumain, et plus particulièrement aux opposants d'origine hongroise. Au cours de l'audience devant la Commission, la requérante a témoigné avoir déclarer lors d'une rencontre avec les ressortissants roumains que les roumains d'origine hongroise devraient avoir le droit d'arborer le drapeau hongrois et de célébrer la fête nationale hongroise. Elle aurait aussi accusé le gouvernement roumain d'entretenir les tensions entre roumains et hongrois. Ce fut aussi son témoignage que ses propos auraient été rapportés au gouvernement roumain par un agent ayant infiltré le groupe, de sorte que son époux et elle auraient été arrêtés par la police en décembre 1992, alors qu'ils retournaient en Roumanie pour visiter leurs parents à l'occasion des fêtes.

     En effet, les requérants auraient été arrêtés à la frontière et conduits au poste de police à Arade, où ils auraient été détenus pendant sept mois sans contact avec le monde extérieur. Des accusations de trahison auraient été portées contre eux en vertu des dispositions 155 et 167 du Code pénal roumain pour avoir participé à un complot contre l'État roumain et d'avoir mis en danger son intégrité territoriale. La preuve documentaire indique que chacune de ces accusations entraîne des peines d'emprisonnement de 15 à 20 ans. Les requérants auraient été libérés le 15 juillet 1993 en attendant leur procès, sans pour autant avoir connu les détails de la preuve contre eux.

     Le 23 mars 1995, soit près de deux ans plus tard, ils auraient comparu de nouveau devant le tribunal. Ils demandèrent un ajournement sous le prétexte de ne pas avoir eu le temps de retenir les services d'un avocat. L'ajournement fut accordé jusqu'au 29 mai 1995.

     À la suggestion des autorités du PNPCD, qui considéraient que le couple n'avait aucune chance de procès équitable devant un tribunal contrôlé par le pouvoir de l'État, les requérants quittèrent la Roumanie peu de temps après. Ces derniers se rendirent à deux reprises en Hongrie afin de se procurer les visas et les billets d'avion nécessaires pour voyager au Canada, pays choisi parce que le frère de la requérante y avait déjà été accepté à titre de réfugié.

     Les requérants déposèrent en preuve la citation à leur procès, ainsi qu'une convocation policière en date du 8 novembre 1995.

2.      Décision du tribunal

     La Commission a refusé d'octroyer aux requérants le statut de réfugié. Elle était d'avis, à la lumière de la preuve documentaire, que leurs témoignages n'étaient pas dignes de foi. Le tribunal s'est prononcé comme suit sur la crédibilité des requérants:

     Il nous apparaît déraisonnable de croire que des accusations aussi graves pourraient être portées contre les deux demandeurs à la suite de propos très anodins qu'auraient tenus la demanderesse dans un café de Budapest en Hongrie. En Roumanie, l'Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR), représentant la minorité hongroise roumaine comptant 2 millions de personnes, est le deuxième parti en importance par sa représentation au parlement roumain. Les représentations de la minorité hongroise auprès du gouvernement roumain ont depuis longtemps dépassé le stade des revendications formulées par la demanderesse. En effet, déjà en 1991 était formé à Budapest un gouvernement transylvain en exil et, cette même année, une demande d'autonomie avait été formulée par les départements de Covasna et de Harghita, situés au centre de la Transylvanie et peuplés majoritairement de hongrois. Le même document ajoute que le projet d'autonomie de la Transylvanie a trouvé des alliés en France, aux Pays-Bas, en Slovaquie et en Ukraine notamment. Dès lors, il nous apparaît invraisemblable que la situation soit telle que proposée par la demanderesse.         
     Considérant que nous ne pouvons ajouter foi aux témoignages des demandeurs sur un point essentiel de leur revendication, à savoir l'existence de poursuites judiciaires qui sont à l'origine de leur crainte de retour en Roumanie, nous sommes d'opinions que les demandeurs n'ont pas fait la preuve d'une crainte bien fondée de persécution s'ils devaient retourner dans leur pays.         
     Ajoutons également que les demandeurs n'ont pas craint de revenir en Roumanie à deux occasions lors de voyages en Hongrie en 1995. De plus, ils n'ont ni réclamé le statut de réfugié en Hongrie où la soeur de la demanderesse a pourtant été reconnue comme réfugiée, ni dans les autres pays signataires de la Convention qu'ils ont traversés lors de leur voyage vers le Canada. La demanderesse dans son témoignage a reconnu avoir choisi de réclamer le statut de réfugie au Canada considérant que son frère y habitait déjà.         

3.      Analyse

     Il est bien établi que la crédibilité est une question de fait qui relève entièrement de la compétence de la Commission en sa qualité de juge des faits. Il est loisible au tribunal de conclure qu'un requérant n'est pas digne de foi en se fondant sur des invraisemblances relevées dans le témoignage de ce dernier, dans la mesure où ses conclusions ne sont pas déraisonnables1 et que ses motifs sont exposés en des " termes clairs et explicites "2. La Cour de révision ne peut donc pas intervenir dans les conclusions de faits de la Commission à moins que le tribunal ait agi, en rendant sa décision, de façon absurde, arbitraire ou sans tenir compte d'une preuve pertinente qui lui a été soumise. Il appert aussi que l'obligation des requérants de réfuter les conclusions de non-credibilité de la Commission est très lourde.

     En l'espèce, les requérants prétendent que le tribunal a commis une erreur déraisonnable en concluant que leurs prétentions au sujet de l'existence de poursuites judiciaires étaient invraisemblables. Ils fondent leur argument sur le fait qu'il n'y avait aucune preuve qui contredisait leur témoignage ou qui aurait pu le rendre invraisemblable. Ils soutiennent que la Commission avait l'obligation d'expertiser les documents qu'ils avaient déposés en preuve, surtout si elle avait des doutes quant à leur authenticité.

     La Commission n'avait aucune obligation d'agir de la sorte. Il suffit qu'elle dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en question l'authenticité de la citation à procès pour conclure que le témoignage des requérants était invraisemblable3. En l'espèce, la preuve documentaire était suffisamment convaincante pour justifier les conclusions tirées par la Commission. Ces conclusions ne sont donc pas abusives, arbitraires ou manifestement déraisonnables de façon a permettre l'intervention de la Cour. Et j'ajouterais à cela qu'une lecture du procès-verbal ne dévoile aucun élément de preuve étant de nature à vicier les conclusions du tribunal.

4.      Conclusion

     Le tribunal n'ayant pas commis d'erreur susceptible de contrôle judiciaire, la requête doit être rejetée.

     L-Marcel Joyal

     ___________________

     J U G E

O T T A W A (Ontario)

le 17 septembre 1997.

__________________

1      Aguebor c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1993), 160 N.R. (C.F.A.).

2      Hilo c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'immigration) (1992), 15 Imm. L.R. (2d) 201 (C.F.A.).

3      Voir Gyimak v. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (1995), F.C.J. No. 1519 (C.F. 1re inst.).


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-3395-96

INTITULE : RODICA-LUCIANA CULINESCU et CORNEL CULINESCU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE : Montreal, Quebec DATE DE L'AUDIENCE : Le 12 aout 1997 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE JOYAL EN DATE DU 17 septembre 1997

COMPARUTIONS

Me Daniel Paquin POUR LA PARTIE REQUERANTE

Me Jocelyne Murphy POUR LA PARTIE INTIMEE

AVOCATS INSCRITS A U DOSSIER

Me Daniel Paquin POUR LA PARTIE REQUERANTE

M. George Thomson POUR LA PARTIE INTIMEE Sous-procureur general du Canada

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