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     Date : 1998.01.09

     IMM-2805-97

E n t r e :

     LAM HUNG THAI,

     requérant,

     et

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Le requérant cherche à faire annuler une décision prise par le ministre intimé. Le délégué du ministre s'est en effet dit d'avis, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, que le requérant représentait un danger pour le public au Canada. La seule question en litige est celle de savoir si l'auteur de la décision a prise celle-ci sans tenir compte des éléments dont il disposait (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[2]      Le requérant a été reconnu coupable d'agression sexuelle le 31 janvier 1996. L'infraction avait été commise le 24 avril 1994. Il avait été libéré sous caution en attendant son procès. Il s'est marié dans l'intervalle. L'infraction du 24 avril 1994 était la première infraction criminelle dont il était accusé. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour.

[3]      La victime de l'agression sexuelle était une personne que le requérant avait rencontrée aux cours de danse qu'il suivait. Il était déjà sorti avec elle. Il l'a attirée dans une chambre d'hôtel en recourant à la ruse. Il a cessé son agression " pas sur-le-champ toutefois ", après que la victime l'eut frappé et lui eut dit à plusieurs reprises d'arrêter. Il a ensuite exprimé du remords et lui a demandé pardon. Il l'a raccompagnée chez sa tante et a collaboré avec les policiers après que la tante de la victime les eut appelés et qu'elle eut signalé l'incident.

[4]      Le juge qui a prononcé la peine a fait remarquer que le requérant avait attiré la victime dans une chambre d'hôtel par des manoeuvres assez complexes, que la victime avait eu à se défendre vigoureusement contre ses avances sexuelles, qu'elle avait subi un traumatisme émotif qui risquait fort de durer, qu'elle n'avait pas subi de lésion corporelle, que ses vêtements n'avaient pas été déchirés, qu'il n'y avait pas eu de violence gratuite hormis les actes sexuels qui faisaient l'objet de la plainte. Le juge a souligné que le requérant avait effectivement fini par cesser l'agression lorsque la victime lui avait vigoureusement résisté, qu'il l'avait raccompagnée à l'endroit d'où ils étaient partis, qu'il s'est montré coopératif et qu'il s'est bien comporté pendant toute la période qui avait suivi la perpétration de l'infraction, tant envers la victime qu'envers la famille de celle-ci et les policiers. Le juge a conclu cette partie de sa sentence en déclarant :

     [TRADUCTION]         
     L'accusé travaille sans interruption depuis son arrivée au Canada, il y a environ six ans. Il n'a aucun antécédent judiciaire. Il s'agit d'un incident isolé d'infraction sexuelle et, ainsi que son avocat l'a fait remarquer, il n'y a pas eu récidive. [Non souligné sans l'original.]         

[5]      L'agent d'immigration qui était chargé d'enquêter sur le cas du requérant a communiqué avec un intervenant du Service correctionnel au Centre correctionnel de Fort Saskatchewan, où le requérant était incarcéré. Une lettre datée du 30 septembre 1996 a été envoyée en réponse. L'intervenant du Service correctionnel a essentiellement déclaré que le comportement du requérant au centre correctionnel avait été exemplaire.

     [TRADUCTION]         
     Le comportement et la conduite de l'intéressé dans notre Centre sont bons. Aucun rapport défavorable n'a été versé à son dossier, à l'exception d'un seul incident. On lui a retiré les fonctions qu'il remplissait à la cuisine après qu'il eut commencé à cuisiner pour lui-même. Il n'a fait l'objet d'aucune accusation au cours de son incarcération et n'a manqué à aucun règlement. Il reçoit régulièrement la visite des membres de sa famille. Il semble être aimable la plupart du temps. Il nie avoir des problèmes d'alcool ou de drogue.         
     L'intéressé n'a pas fait l'objet d'une évaluation psychologique. Il semble être en bonne santé, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique.         

[6]      L'auteur de la lettre du 30 septembre précisait que le requérant devait comparaître devant la Commission nationale des libérations conditionnelles en octobre 1996 et que l'agent d'immigration devait communiquer avec M. Mark Pauline, un agent (communautaire) de gestion des cas du bureau régional d'Edmonton de la Commission pour obtenir des renseignements au sujet de la possible libération conditionnelle du requérant.

[7]      Toutefois, avant cette date, le 13 septembre 1996, le requérant s'était désisté de sa demande de libération conditionnelle. Il a écrit, dans sa demande de désistement :

     [TRADUCTION]         
     Je désire retirer ma demande de libération conditionnelle totale et de semi-liberté parce que je n'ai pas terminé le programme.         

[8]      La lettre du 30 septembre de l'intervenant du Service correctionnel et celle que M. Pauline a par la suite envoyée, le 15 octobre 1996, montrent qu'en prison, le requérant niait les événements constatés au procès. Il affirmait que c'était l'oncle de la fille qui les avaient surpris " en flagrant délit " dans son appartement et qui avait porté les accusations. Comme le requérant niait sa culpabilité, il n'avait été dirigé vers aucun des programmes offerts aux délinquants sexuels. Il ressort de la lettre de M. Pauline que celui-ci a reçu le requérant en entrevue le 13 septembre 1996 au sujet de la demande de libération conditionnelle qui était alors encore pendante et que, malgré le fait qu'il avait d'abord nié sa culpabilité, le requérant a, après avoir été confronté à certains détails, commencé à les admettre.

[9]      Le requérant a été avisé qu'on envisageait la possibilité d'exprimer l'avis qu'il représentait un danger pour le public et on lui a envoyé les documents précités sur lesquels l'évaluation devait être fondée, de même que les deux lettres. Le requérant n'a pas transmis les documents (sauf la lettre de notification elle-même) à son avocat de l'époque (qui l'avait représenté au procès). En réponse à la lettre de notification, son avocat a écrit une lettre d'appui en faveur du requérant. Dans cette lettre, l'avocat exposait en détail la nature de l'infraction dont le requérant avait été reconnu coupable et citait des extraits de la transcription du témoignage que la victime avait donné au procès. Dans cette lettre, l'avocat se disait d'avis que [TRADUCTION] " Cet écart de conduite commis par M. Thai, dont la conduite était par ailleurs exemplaire depuis son arrivée au Canada, ne devrait pas entraîner des conséquences aussi destructives pour sa vie que son expulsion au Viêt-Nam ". Il conclut sa lettre en disant, après avoir relaté l'infraction et cité des extraits des témoignages entendus au procès :

     [TRADUCTION] On constate, à la lecture de ce qui précède, que M. Thai n'est pas un homme brutal. Il a exprimé immédiatement après l'incident des remords sincères face aux gestes qu'il avait commis. Mais ce qui est peut-être le plus important, c'est le fait que, bien qu'il semble avoir dépassé les bornes pendant un certain temps, il a fini par regretter ses gestes et par exprimer ses regrets après que la fille lui eut demandé d'arrêter.         
     Je demande donc instamment que M. Thai ne soit pas expulsé. L'expression " agression sexuelle " évoque de graves gestes, mais si l'on examine attentivement ce qui s'est véritablement produit en l'espèce, j'estime humblement que nous sommes en présence d'une agression qui se situe au bas de l'échelle de gravité des agression sexuelles. Il semble que le comportement de M. Thai pendant un certain temps ne lui ressemblait pas, mais dès qu'il est redevenu lui-même, il a agi avec égards envers Mme Gan et a fait tout ce qu'elle lui a demandé.         

[10]      Je reviens donc à la lettre écrite par M. Pauline le 15 octobre 1996. Il y a bien peu d'autres éléments au dossier qui pourraient justifier un avis fondé sur le paragraphe 70(5). M. Pauline a écrit que les facteurs qui démontrent l'existence d'un " risque élevé " dans le cas du requérant sont les suivants : (1) il ne connaissait la victime que depuis deux mois; c'était leur second rendez-vous; il était obsédé par elle; (2) il l'a attirée dans la chambre d'hôtel en lui tendant un piège bien monté; (3) le degré d'intrusion de l'agression était modéré; (4) le requérant recourt à des distorsions cognitives pour rationaliser ses gestes (ce comportement est acceptable au Viêt-Nam) et il refuse de participer à un programme de traitement; (5) si la victime ne s'était pas défendue, l'agression sexuelle aurait été plus grave.

[11]      Il est difficile de comprendre pourquoi l'un ou l'autre de ces facteurs justifie la conclusion qu'il y a un risque élevé de récidive. Hormis le quatrième point, il ne s'agit que d'une simple description de l'infraction qui a été commise, infraction que le juge a qualifiée d'" incident isolé ".

[12]      En ce qui concerne le refus du requérant de reconnaître sa culpabilité alors qu'il était incarcéré " un autre facteur que M. Pauline considère comme un indice de risque élevé ", cet élément doit indéniablement être mis en balance avec l'élément de preuve selon lequel il a effectivement exprimé du remords au moment de l'incident et au procès.

[13]      Bien que l'auteur de la lettre du 15 octobre affirme que le requérant " refuse de participer à un programme de traitement ", l'intervenant du Service correctionnel avait déclaré que, comme le requérant niait sa culpabilité, [TRADUCTION] " il n'a pas été dirigé vers le Programme Phoenix ".

[14]      Bien que l'auteur de la lettre du 15 octobre affirme que, lorsqu'il a été informé que l'intervenant communiquerait avec Immigration Canada, le requérant [TRADUCTION] " a immédiatement demandé de se désister de sa demande de libération conditionnelle ", le requérant a écrit dans le formulaire de désistement, qu'il a signé le 13 septembre 1996, que la raison pour laquelle il se désistait de sa demande était qu'il n'avait pas [TRADUCTION] " terminé le programme ". Le requérant avait participé à un programme d'anglais, langue seconde et se préparait à suivre le programme de formation générale. Ainsi qu'il a déjà été souligné, il n'avait suivi aucun programme destiné aux délinquants sexuels. Il semble probable que ce qui s'est produit, c'est que M. Pauline l'a informé, lors de l'entrevue du 13 septembre 1996, qu'il ne recommanderait pas sa libération conditionnelle tant qu'il n'aurait pas terminé un programme destiné aux délinquants sexuels. Il est bien connu que les agents communautaires de gestion des cas refusent souvent de recommander la libération conditionnelle d'un détenu tant qu'il n'a pas exprimé de remords et qu'il n'a pas suivi un cours du genre de ceux dont il a déjà été question. L'explication que le requérant a donnée pour expliquer pourquoi il s'était désisté de sa demande de libération conditionnelle est beaucoup plus crédible que celle qui figure dans la lettre du 15 octobre.

[15]      L'auteur de la lettre du 15 octobre affirme que [TRADUCTION] " le risque que représente ce contrevenant ne peut être géré efficacement dans la collectivité [...] ", que [TRADUCTION] " les risques de récidive sont modérés à élevés " et que [TRADUCTION] " il s'agit d'un délinquant sexuel non traité qui est très peu conscient de son cycle de criminalité ". L'auteur de cette lettre n'allègue aucun fait pour justifier les opinions qu'il avance. Il ne cite aucune étude; le requérant n'a fait l'objet d'aucune évaluation psychologique au cours de son incarcération; son comportement au centre correctionnel ne permet pas de conclure que sa conduite justifie une crainte de risque futur; les circonstances de l'infraction elle-même ne démontrent pas, ainsi que le juge l'a fait remarquer, qu'il y ait eu de la violence gratuite. L'auteur de la lettre parle du " cycle de criminalité " du requérant. Or, on ne peut parler de cycle : une seule infraction a été commise.

[16]      Pour exprimer un avis au sujet du danger que représente quelqu'un pour le public, il faut évaluer le danger actuel ainsi que le danger futur, c'est-à-dire se demander s'il y a lieu de penser que l'intéressé commettra de nouveau les actes qui ont mené à son incarcération ou s'il se livrera à d'autres activités qui feraient en sorte qu'il représenterait un danger pour le public. La perpétration d'une infraction isolée ne constitue pas une preuve de récidive, bien que, par leur nature, certaines infractions peuvent inviter une telle conclusion. Le dossier ne renferme pratiquement rien d'autre que les opinions spéculatives et non appuyées d'un agent (communautaire) de gestion des cas qui a interrogé le requérant une seule fois. Même si l'on exige seulement " des éléments de preuve " dans les affaires de ce genre pour justifier la décision du délégué du ministre, ces éléments de preuve doivent avoir un certain fondement et être appuyés par les faits.

[17]      Force m'est de conclure que l'auteur de la décision n'a pas tenu compte des éléments dont il disposait pour prendre sa décision au sujet du danger que le requérant représente pour le public.

     " B. Reed "

                                         Juge

Edmonton (Alberta)

Le 9 janvier 1998.

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2805-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lam Hung Thai c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :          Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :      7 janvier 1998

MOTIFS ET DISPOSITIF DE L'ORDONNANCE du juge Reed en date du 8 janvier 1998

ONT COMPARU :

     Me Michael J. Tilleard              pour le requérant
     Me Douglas Titosky                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Wright & McMenemy              pour le requérant
     Edmonton (Alberta)
     Me George Thomson                  pour l'intimé
     Sous-procureur général du Canada
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