Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040623

Dossier : DES-2-03

Référence : 2004 CF 798

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1), ainsi que des articles 78 et 80 de la Loi;

ET ERNST ZÜNDEL

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le vendredi 30 avril 2004, M. Zündel a présenté une requête au cours de l'audience qui se tenait, en vertu de l'article 80 de la Loi, concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré par les ministres à son encontre. M. Zündel sollicitait une déclaration selon laquelle aucune autorisation n'était requise pour la délivrance d'assignations à témoigner en l'instance. Subsidiairement, M. Zündel sollicitait une ordonnance le dispensant de toute exigence d'autorisation en vertu de l'alinéa 41(4)c) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) ou, subsidiairement encore une fois, il demandait que des assignations à témoigner soient délivrées maintenant pour alors exigeant que les personnes suivantes comparaissent devant la Cour aux dates mentionnées sur les assignations : M. Keith Landy, président, Congrès juif canadien (CJC); M. Frank Dimant, vice-président administratif, B'Nai Brith Canada; M. John Joseph Farrell et M. Andrew Mitrovica.

[2]                Des assignations à témoigner ont été délivrées pour ces quatre témoins. L'un d'eux, M. Farrell, a apparemment refusé la signification de l'assignation. Les trois autres témoins ont présenté des requêtes pour faire annuler les assignations à témoigner, en invoquant d'abord le motif relié à leur validité, puisqu'ils n'ont pas été délivrés en vertu de l'alinéa 41(4)c) des Règles, puis au motif que le témoignage des témoins ne serait pas pertinent pour la Cour.

[3]                Un autre témoin, la juge principale régionale Marshall de la Cour de justice de l'Ontario, avait, au départ, accepté de témoigner pour M. Zündel. Elle présente maintenant une requête pour faire annuler l'assignation à témoigner.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[4]                1.        Les assignations à témoigner qui ont été délivrées devraient-elles être annulées?

2.        Une autorisation doit-elle être accordée pour la délivrance d'une assignation à témoigner en la présente instance?


ANALYSE

Motifs justifiant l'annulation d'une assignation à témoigner

[5]                La jurisprudence relative aux assignations à témoigner démontre qu'il y a deux considérations principales qui s'appliquent à une requête en annulation d'une assignation à témoigner : 1) Y a-t-il un privilège ou une autre règle de droit qui s'applique de façon que le témoin ne doive pas être contraint à témoigner?; (p. ex. Nation et bande indienne de Samson c. Canada, [2003] A.C.F. no 1238); 2) Le témoignage des témoins assignés est-il pertinent et important en fonction des questions que la Cour doit trancher? (P. ex. Jaballah (Re), [2001] A.C.F. no 1748; Merck & Co. c. Apotex Inc., [1998] A.C.F. no 294)

[6]                Le privilège s'appliquera, par exemple, dans le cas de l'immunité parlementaire lorsque le Parlement est en session (Nation et bande indienne de Samson, précitée) ou dans le cas du secret professionnel, bien qu'un avocat qui exerce des fonctions de gestion puisse bien être appelé à témoigner (Zarzour c. Canada, [2001] A.C.F. no 123).


[7]                Pour ce qui est de la question de savoir si le témoignage à être rendu sera utile au juge du procès, les tribunaux seront réticents à empêcher les parties de présenter les témoignages dont elles pensent avoir besoin, mais les tribunaux, en général, ne permettront pas les interrogatoires à l'aveuglette. Par conséquent, si une partie présente une requête pour faire annuler l'assignation à témoigner, elle doit démontrer l'absence de pertinence ou d'importance du témoignage que la partie qui a délivré l'assignation à témoigner a l'intention de présenter. Évidemment, le juge qui décide de la question d'annuler ou pas l'assignation ne se prononce pas sur le poids à donner à un tel témoignage, cela devant être déterminé par le juge des faits (Stevens c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. no 98).

[8]                Dans l'arrêt R. c. Harris, [1994] O.J. no 1875 (C.A. Ont.), la Cour d'appel de l'Ontario a statué qu'il n'était pas suffisant pour la partie qui a assigné le témoin d'affirmer tout simplement que le témoignage du témoin pourrait être pertinent; la partie devait plutôt établir qu'il était probable que le témoin livrerait un témoignage pertinent. Dans cette affaire, la Cour a soupesé les affidavits respectifs des parties : d'un côté, l'affidavit était celui de la secrétaire du bureau d'avocats qui représentait l'accusé et qui avait assigné l'avocat de la Couronne, laquelle a affirmé qu'on lui avait dit que le témoignage concernerait la bonne foi alléguée des policiers; de l'autre, l'affidavit du témoin assigné affirmait qu'il n'avait aucun témoignage pertinent à livrer. Le premier affidavit était un pur ouï-dire et il était hautement spéculatif. L'assignation à témoigner a donc été annulée.


[9]                Dans la décision Nelson c. Canada (Ministre de l'Agence des douanes et du revenu), [2001] A.C.F. no 1220, M. Nelson a cherché à assigner un certain nombre de ministres, dont le premier ministre, à témoigner dans son action intentée à l'encontre du ministre de l'Agence des douanes et du revenu. La requête a été rejetée parce que rien dans les documents à l'appui ne prouvait que l'une ou l'autre de ces personnes avait été, de quelque façon que ce soit, impliquée dans les événements à l'origine de l'action.

[10]            Par conséquent, le critère est celui de la pertinence et de l'importance du témoignage à être livré par le témoin éventuel.

Les assignations à témoigner en cause

M. Keith Landy, président, Congrès juif canadien

M. Frank Dimant, vice-président administratif, B'Nai Brith Canada

[11]            Comme ces deux assignations à témoigner soulèvent les mêmes questions, je les traiterai conjointement.

[12]            MM. Landy et Dimant ont chacun reçu signification d'une assignation à se présenter à la Cour pour témoigner et à apporter avec eux tous les documents datés du 1er janvier 2003 ou après, se rapportant de quelque manière à M. Zündel, au SCRS ou à toute rencontre ayant eu lieu avec un représentant des gouvernements fédéral ou ontarien relativement à Ernst Zündel.


[13]            Ils ont tous les deux déposé une requête pour annuler l'assignation à témoigner dans la présente instance, au motif que l'assignation ne respectait pas les Règles, que le témoignage recherché n'était ni pertinent ni nécessaire à l'instance, que l'assignation avait une portée trop large et qu'elle constituait un abus de procédure.

[14]            Le critère consiste à se demander si M. Landy ou M. Dimant sont susceptibles de fournir un témoignage utile à la Cour pour déterminer le caractère raisonnable du certificat. La plus grande partie du témoignage susceptible d'être rendu par l'un ou l'autre fait déjà partie du domaine public : le CJC et B'nai Brith ont demandé à plusieurs reprises l'expulsion de M. Zündel et ont exprimé publiquement leur consternation de voir M. Zündel revenir des États-Unis et demander l'asile.

[15]            Le lobbyisme auprès des ministres constitue un exercice légitime dans une société ouverte et démocratique comme le Canada. Toute personne a la possibilité de faire du lobbyisme auprès d'un ministre à tout moment et de faire connaître son point de vue. En l'espèce, les seuls éléments de preuve fournis concernaient le lobbyisme public effectué par les deux organisations de MM. Landy et Dimant. Elles ont rencontré les ministres et ont publié des communiqués de presse.


[16]            Le CJC et B'nai Brith se sont beaucoup fait entendre au sujet de cette affaire, au point que les témoignages de M. Landy ou de M. Dimant à cet égard ne serviraient guère. Ils ne seraient pas en mesure de témoigner en ce qui a trait à l'influence réelle que le CJC ou B'nai Brith peuvent avoir eu sur le gouvernement, puisque seuls les décideurs (en l'espèce, les ministres) connaissent la façon dont la décision a été prise.

[17]            Il semble que M. Zündel tente de démontrer que des considérations non pertinentes ont été prises en compte dans la décision des ministres de délivrer le certificat de sécurité, lesquelles sont liées aux pressions exercées par M. Landy, M. Dimant et leurs organisations respectives. Nous avons des éléments de preuve selon lesquels le CJC et B'nai Brith ont exprimé aux ministres des opinions bien arrêtées, mais rien ne prouve qu'ils aient fourni des documents ou des éléments de preuve.

[18]            Dans la décision Jaballah (Re), [2001] A.C.F. no 1748, l'avocat de M. Jaballah cherchait à faire témoigner les ministres concernant le processus décisionnel qui a conduit à la délivrance d'un deuxième certificat de sécurité à l'encontre de M. Jaballah, après que le juge Cullen a déclaré le premier déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jaballah, [1999] A.C.F. no 1681). Le juge MacKay a clairement déclaré que sonder les motifs des ministres dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire n'était pas approprié ni pertinent ni utile.

¶ 13       À mon avis, remettre en question les éléments d'information ou l'intention des ministres au moment de leur décision de délivrer la seconde attestation ne constituerait rien de plus qu'une recherche à l'aveuglette. Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve évoqués par l'avocat puissent aider le juge désigné à rendre la décision qu'il doit prononcer aux termes de l'alinéa 40.1(4)d), en l'occurrence

décide[r] si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition [...]

¶ 14       Les ministres ont signé et remis l'attestation dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire ministériel. Il s'agissait de mesures administratives prises dans l'exécution du mandat que le législateur fédéral leur avait confié dans l'intérêt de la sécurité de l'État.


[19]            Les ministres ont pris la décision de délivrer le certificat en se basant sur l'ensemble des éléments de preuve dont ils disposaient. Cette décision a été déposée à la Cour pour que celle-ci se prononce sur son caractère raisonnable. L'intention ou les motifs des ministres ne sont d'aucun intérêt pour la Cour. Le certificat repose sur la force probante de la preuve à son appui.

[20]            Clairement, l'assignation à témoigner est trop lourde en ce qui a trait à la production de notes et de documents. De plus, on ne m'a pas convaincu que M. Landy ou M. Dimant seraient en mesure d'apporter un éclairage nouveau sur le caractère raisonnable de la décision du ministre. L'intervention du CJC et de B'nai Brith a été faite publiquement et de manière conséquente. Il est clair que les deux organisations ont exercé des pressions, tant par des déclarations publiques que dans des réunions privées. À mon avis, ceci n'a rien à voir avec le caractère raisonnable du certificat ni avec la question de savoir si M. Zündel représente un danger pour la société canadienne. Le CJC et B'nai Brith ont leur propre opinion sur le sujet; le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle est déjà bien connue, de même que les raisons y afférentes.


[21]            L'avocat de M. Zündel n'a pas été en mesure de préciser les questions qu'il poserait à ces témoins. L'ensemble des éléments de preuve déposés à l'appui des assignations à témoigner concernaient des activités publiques et des rencontres, reconnues publiquement, avec les ministres. Vu l'absence de pertinence en l'espèce et compte tenu du fait que l'avocat de M. Zündel ne pouvait pas préciser quel témoignage important ces témoins seraient en mesure de fournir, je ne crois pas que le témoignage de M. Landy ou celui de M. Dimant aideraient la Cour à trancher la question du caractère raisonnable du certificat. Je suis donc d'avis d'accueillir la requête en annulation des assignations à témoigner.

M. Andrew Mitrovica, auteur et journaliste

[22]            M. Mitrovica a écrit un livre, intitulé Covert Entry, lequel a été publié en 2002. Le livre est principalement basé sur les révélations d'un certain John Joseph Farrell, censé avoir été un agent du SCRS. Le livre expose un certain nombre de faiblesses au sein du SCRS et il y a un passage en particulier qui représente un intérêt pour M. Zündel, où M. Farrell mentionne à M. Mitrovica que le SCRS aurait pu être au courant du fait qu'une bombe était expédiée par la poste à M. Zündel, sans que rien ne soit fait pour l'arrêter.

[23]            M. Zündel désire faire témoigner M. Mitrovica au sujet de ce qu'il sait du lien existant entre le SCRS et M. Zündel. M. Mitrovica réplique que tout renseignement qu'il posséderait serait du ouï-dire et que, de plus, il ne voudrait pas trahir la confiance des différentes sources qui peuvent avoir contribué à sa recherche.

[24]            L'assignation à témoigner signifiée à M. Mitrovica a également une très grande portée; il doit apporter avec lui tous les documents, toutes les déclarations, etc. se rapportant de quelque manière à Ernst Zündel, à John Joseph Farrell, au SCRS ou au livre Covert Entry.


[25]            M. Mitrovica a fait valoir que l'assignation à témoigner devrait être annulée en raison du fait qu'elle l'obligerait à divulguer des renseignements et des sources confidentiels, contrairement aux droits reconnus en common law et protégés par le paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[26]            Ces droits ont récemment été confirmés dans une décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans l'affaire R. c. National Post, [2004] O.J. no 178, dans laquelle la juge Benotto a déclaré :

[TRADUCTION]

[...] la relation entre le journaliste et la source a été protégée par la common law en matière de privilège. L'intérêt de la société à protéger la confidentialité de la source l'emporte sur les avantages de divulguer le document. Le fait de saper le lien journaliste-informateur et de priver les médias d'un outil important pour la cueillette de l'information affecterait la société dans son ensemble.


[27]            Le critère pour savoir si un journaliste devrait être contraint à témoigner a été exposé en détail dans la décision R. c. Hughes, [1998] B.C.J. no 1694 (C.S.C.-B.), dans laquelle le juge Romilly avait à trancher la question de savoir si un journaliste appelé à témoigner par un accusé dans une affaire d'agression sexuelle pouvait invoquer la nécessité de protéger les sources confidentielles. Dans cette affaire, une ordonnance de non-publication était en vigueur pour protéger l'identité des plaignants. Toutefois, le juge a décidé que le journaliste pouvait être appelé à témoigner sur le contenu des entrevues qu'il avait tenues avec les plaignants, puisque le fait d'avoir communiqué avec lui équivalait à un consentement à la divulgation des renseignements et que le contenu de l'entrevue était fort pertinent pour la défense de l'accusé. Dans cette affaire, le juge Romilly a énoncé les facteurs dont le tribunal doit tenir compte pour trancher la question de savoir si un journaliste doit être contraint à témoigner :

a)          la pertinence et le caractère substantiel du témoignage à l'égard des questions en litige;

b)          la nécessité du témoignage pour la cause de l'accusé et sa capacité de présenter une défense pleine et entière;

c)          la valeur probante du témoignage;

d)          la possibilité de trouver les éléments de preuve par d'autres moyens et, le cas échéant, le déploiement d'efforts raisonnables de la part de l'accusé pour obtenir les éléments de preuve de cette autre source;

e)         la possibilité que le fait d'être appelé à témoigner porte atteinte à la capacité du média à recueillir et à rapporter l'information et, le cas échéant, la mesure dans laquelle il y a atteinte;

f)          la possibilité que la nécessité du témoignage dans l'affaire dont le tribunal est saisi l'emporte sur l'atteinte, le cas échéant, au rôle du média;

g)          la possibilité que l'atteinte à la fonction du média puisse être minimisée en limitant le témoignage soumis à ce qui est indispensable pour la cause de l'accusé et pour son droit à une défense pleine et entière.

[28]            M. Zündel a fait valoir que le témoignage de M. Mitrovica serait pertinent parce qu'il se rapporte à la campagne alléguée du SCRS contre M. Zündel. S'il peut être démontré que le SCRS a délibérément omis de tenter d'arrêter les envois de bombe par la poste à M. Zündel, cela jettera un doute sur l'ensemble de la preuve se trouvant au coeur de la décision des ministres.


[29]            M. Zündel n'a pas démontré comment le témoignage de M. Mitrovica pouvait ajouter quelque chose à ce que celui-ci avait déjà écrit dans son livre. Comme M. Mitrovica le déclare dans sa requête en annulation de l'assignation à témoigner, tout témoignage qu'il pourrait rendre serait du ouï-dire. Bien que, en soi, cela ne soit pas un motif suffisant pour mettre de côté un tel témoignage, étant donné le libellé de l'article 78 de la Loi, cela influe sur la valeur probante du témoignage que M. Mitrovica pourrait rendre, de même que sur sa pertinence en l'instance. M. Mitrovica a déjà divulgué sa principale source d'information pour le livre. Quant aux autres sources, le cas échéant, M. Mitrovica pourrait invoquer son privilège en tant que journaliste et il me semble qu'il aurait le droit de le faire. Les avantages de faire témoigner M. Mitrovica semblent plutôt douteux, par rapport à un préjudice certain causé à la liberté de la presse. Lord Denning, dans l'arrêt Senior v. Holdsworth, [1975] 2 All ER 1009 (C.A.), a exposé les arguments en faveur d'un équilibre entre le besoin de savoir et la nécessité de ne pas entraver les journalistes dans leur travail (à la page 1015) :

[TRADUCTION]

Ensuite, il y a la situation très particulière du journaliste ou du reporter qui recueille des informations d'intérêt public. Les tribunaux respectent son travail et ne l'entraveront pas plus qu'il ne faut. Ils tenteront d'atteindre un équilibre entre ces deux questions. D'un côté, il y a l'intérêt public qui exige que l'on ne gêne pas le cours de la justice en retenant des éléments de preuve [...] De l'autre côté, il y a l'intérêt du public à ce que les confidences soient respectées et à ce que les journalistes ne craignent pas d'être obligés de divulguer tous les renseignements qui leur parviennent [...] Comme la Cour l'a déjà affirmé au sujet du témoignage de vive voix d'un journaliste :

Le juge [...] ne lui ordonnera pas de répondre, à moins non seulement que cela soit pertinent, mais également qu'il y ait, dans le cours de la justice, une question appropriée et, en fait, nécessaire devant être soulevée et à laquelle il faut répondre.


[30]            L'avocat de M. Zündel a tenté d'assigner M. Farrell, la principale source de M. Mitrovica, à témoigner mais en vain. Il s'agit d'une question distincte que je n'aborderai que lorsque cela sera nécessaire, s'il y a lieu. Dans l'intervalle, j'estime que le témoignage de M. Mitrovica n'est guère pertinent pour contribuer au-delà de ce qui a déjà été publié. Le fait de le contraindre à produire ses notes et ses documents est trop intrusif et, compte tenu du peu de valeur probante que je pourrais accorder à de tels documents constituant du ouï-dire, je ne vois pas l'utilité de troubler la jouissance du privilège journalistique rattaché au témoignage de M. Mitrovica.

[31]            Les événements entourant la bombe qui a été expédiée à M. Zündel et la situation des personnes qui ont été, à un moment donné, soupçonnés dans cette affaire m'intéressent, comme je l'ai affirmé directement lors de l'audience. Je ne pense pas que M. Mitrovica soit la personne pour clarifier ces questions et, dans les circonstances, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de le contraindre à témoigner. M. Mitrovica ne possède aucune preuve directe des activités du SCRS, seulement ce qu'on lui a rapporté, la principale source étant quelqu'un qui, manifestement, pour employer un euphémisme basé sur le contenu du livre, est en désaccord avec le SCRS. Pour ce motif, je ne crois pas que M. Mitrovica puisse offrir à la Cour un témoignage pertinent.

[32]            Le dernier point du critère, la possibilité que l'atteinte puisse être minimisée en limitant l'étendue du témoignage à être rendu, a été souligné dans la requête de M. Mitrovica en tant que solution intermédiaire. Toutefois, pour les motifs déjà mentionnés, je ne vois pas comment M. Mitrovica peut contribuer à la présente instance au-delà de ce qui fait déjà partie du domaine public par son livre.

[33]            La requête de M. Mitrovica est accueillie et l'assignation à témoigner est annulée.


La juge principale régionale L. Marshall (Cour de justice de l'Ontario)

[34]            Il y a près de vingt ans, la juge Marshall, avocate à l'époque, a représenté M. Zündel. La juge Marshall devait témoigner concernant les procédures d'expulsion que le gouvernement canadien avait entreprises contre M. Zündel en 1985, immédiatement après qu'il a été reconnu coupable de diffusion de fausses nouvelles, en contravention de l'article 181 du Code criminel. L'article 181 a finalement été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada et M. Zündel a été acquitté, ce qui a donc mis fin au processus d'expulsion.

[35]            La juge Marshall a présenté une requête visant à faire annuler l'assignation à témoigner en invoquant que sa délivrance n'était pas valide et que son témoignage ne serait pas pertinent dans la présente instance.

[36]            Le critère dans ce cas, comme pour les autres requêtes en annulation, c'est la pertinence et l'importance du témoignage que le témoin rendrait. Je ne crois pas que la question du secret professionnel soit en cause, puisqu'il est bien établi en droit que ce privilège appartient au client, non pas à l'avocat. Si M. Zündel souhaite faire témoigner la juge Marshall sur certaines questions, il renonce ainsi au privilège rattaché aux communications se rapportant à ces questions (S. & K. Processors Ltd. c. Campbell Ave. Herring Producers Ltd., [1983] B.C.J. no 1499 (C.S.C.-B.).

[37]            La principale objection de la juge Marshall relativement à l'assignation à témoigner, c'est le fait que son témoignage ne soit pas pertinent à l'instance dont je suis saisi. M. Zündel ne m'a pas convaincu de la pertinence du processus d'expulsion d'il y a près de vingt ans, lequel était basé sur une déclaration de culpabilité devant une cour criminelle. La déclaration de culpabilité a été annulée, le processus d'expulsion arrêté et le présent certificat constitue un processus complètement différent, basé sur une preuve complètement différente.

[38]            L'avocat de M. Zündel a fait valoir quatre raisons pour faire témoigner la juge Marshall : son opinion concernant la vitesse avec laquelle le gouvernement a agi pour faire expulser M. Zündel une fois qu'il a été déclaré coupable; le fait qu'elle ait été agressée en entrant au tribunal, à l'époque où elle défendait M. Zündel, par des manifestants qui appartiendraient à un groupe de défense juif; son expertise sur la façon dont l'exportation est appliquée dans les cas de criminels reconnus coupables qui ont comparu devant elle au tribunal; enfin, la plus extraordinaire, l'avocat de M. Zündel amènerait la juge Marshall à m'aider à accomplir ma tâche difficile. Le but était de la faire témoigner sur le fait qu'il était très dangereux d'entendre un témoignage à huis clos, qu'elle-même, n'écoutant que l'interrogatoire principal, aurait quelquefois été induite en erreur n'eut été du contre-interrogatoire salutaire.


[39]            Malheureusement pour M. Zündel, ces arguments ne m'ont pas convaincu. La juge Marshall, comme elle l'a mentionné dans la transcription, ne possédait aucune expertise particulière en matière d'immigration à l'époque des procédures d'expulsion de M. Zündel. Par conséquent, son opinion sur la manière dont le gouvernement agissait à l'époque n'est guère pertinente. Le fait qu'elle ait été agressée il y a dix-neuf ans en entrant au tribunal n'est pas pertinent en l'instance.

[40]            Comme l'avocat de la juge Marshall l'a, à bon droit, signalé, le processus d'expulsion dans le cas de déclarations de culpabilité criminelle n'a rien à voir avec l'instance relative au certificat dont il est question ici. En plus, si le témoignage a pour but de démontrer que les procédures d'expulsion prennent habituellement des années, je pense que M. Zündel serait un bon exemple de la durée pendant laquelle ces procédures peuvent s'étirer. Les procédures d'expulsion contre M. Zündel ont débuté en 1985. Le jugement de la Cour suprême qui l'a acquitté est sorti en 1992. M. Zündel n'a jamais été expulsé.

[41]            Enfin, quant à la dernière raison pour laquelle la juge Marshall témoignerait, je dirai simplement ceci : j'applique la loi; je ne l'écris pas. Au cours de la présente instance, j'ai dit à maintes reprises à quel point il était difficile de traiter de la preuve secrète. Il n'est pas nécessaire qu'on me rappelle les dangers des instances ex parte, ni qu'on me dise comment m'acquitter de ma charge judiciaire.

[42]            Je conclus que le témoignage de la juge Marshall ne serait pas pertinent ni utile pour la Cour et j'accueille sa requête en annulation de l'assignation à témoigner.


M. John Joseph Farrell

[43]            Dans la requête initiale présentée à la Cour par M. Zündel, il y est fait référence à l'assignation à témoigner délivrée à M. John Joseph Farrell. Toutefois, il n'y a aucune requête contestant cette assignation. La requête présentée en vertu de l'alinéa 41(4)c) des Règles est prématurée en l'espèce.

[44]            Si M. Farrell comparaît devant la Cour, il y aura sans doute une certaine analyse concernant son témoignage et l'étendue de celui-ci. Ce sera à déterminer. Je soulignerais simplement que, dans le cas de M. Farrell, compte tenu de ce que contient le livre de M. Mitrovica, je serais d'abord porté à dire que son témoignage serait pertinent pour la Cour et que je souhaiterais l'entendre. Tout cela est sujet, bien entendu, aux observations qui pourraient être faites par les parties.

Nécessité d'une autorisation de la Cour pour délivrer les assignations à témoigner

[45]            Compte tenu de ma décision concernant les requêtes en annulation des assignations à témoigner, il ne sera pas nécessaire d'aborder la question de savoir si l'on doit demander l'autorisation de la Cour pour délivrer de telles assignations.

[46]            Dans les observations écrites des parties, une seule partie a demandé les dépens de sa requête. J'estime qu'il n'est pas approprié d'adjuger des dépens relativement à l'une ou l'autre des requêtes dont la Cour est saisie.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Les assignations à témoigner délivrées à M. Landy, à M. Dimant, à M. Mitrovica et à la juge Marshall sont annulées.

Il n'y aura pas de dépens relativement aux présentes requêtes.

« Pierre Blais »                                   

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                  DES-2-03

INTITULÉ :                                                                 AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1), ainsi que des articles 78 et 80 de la Loi;

ET ERNST ZÜNDEL

LIEU DES AUDIENCES :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATES DES AUDIENCES :                                      LES 9 ET 16 MAI 2003

LES 28, 29 ET 30 JUILLET 2003

LES 23 ET 24 SEPTEMBRE 2003

LES 6 ET 7 NOVEMBRE 2003

LES 10 ET 11 DÉCEMBRE 2003

LES 22, 23, 26 ET 27 JANVIER 2004

LES 9, 12, 18 ET 19 FÉVRIER 2004

LES 13, 14, 29 ET 30 AVRIL 2004

LES 4 ET 5 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                 LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                                LE 23 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh et Pamela Larmondin                         POUR LE MINISTRE

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


Murray Rodych et Toby Hoffman                                   POUR LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

Service canadien du renseignement de sécurité

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

Peter Lindsay et Chi-Kun Shi                                         POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

Marvin Kurz                                                                   POUR M. FRANK DIMANT

Dale Streiman & Kurz

Avocats

Brampton (Ontario)

Brian MacLeod Rogers                                                  POUR M. ANDREW MITROVICA

Avocat

Toronto (Ontario)

Paul D. Stern                                                                  POUR LA JUGE MARSHALL

Stern & Landesman

Avocats

Toronto (Ontario)

Judy L. Chan                                                                  POUR M. KEITH LANDY

Blake, Cassels & Graydon LLP

Avocats

Toronto (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.