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     Date : 19981130

     Dossier : T-192-98

OTTAWA (Ontario), le 30 novembre 1998

En présence de Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

     RADIL BROS. FISHING CO. LTD.,

     demanderesse,

ET :

     SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le

     DIRECTEUR GÉNÉRAL DU MINISTÈRE DES

     PÊCHES ET DES OCÉANS, RÉGION DU PACIFIQUE, et

     BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED et

     TITAN FISHING LTD.,

     défenderesses.

     ORDONNANCE

[1]      Je radie par les présentes la demande de réparation contenue dans la déclaration de la demanderesse et j'accorde à cette dernière trente jours pour déposer une déclaration modifiée contenant une demande de réparation identique à celle qui figure dans l'avis de requête introductive d'instance.


[2]      À tous les autres égards, la demande des défenderesses est rejetée.

                                 " P. Rouleau "

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19981130

     Dossier : T-192-98

ENTRE :

     RADIL BROS. FISHING CO. LTD.,

     demanderesse,

ET :

     SA MAJESTÉ LA REINE, représentée par le

     DIRECTEUR GÉNÉRAL DU MINISTÈRE DES

     PÊCHES ET DES OCÉANS, RÉGION DU PACIFIQUE, et

     BRITISH COLUMBIA PACKERS LIMITED et

     TITAN FISHING LTD.,

     défenderesses.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      La présente demande est fondée sur le paragraphe 214(2) des Règles de la Cour fédérale et tend à l'obtention d'un jugement sommaire rejetant la partie de la déclaration de la demanderesse contenue aux alinéas a) et b) des conclusions visant Sa Majesté la Reine et aux alinéas a), b) et c) des conclusions visant la défenderesse Titan Fishing Ltd.

[2]      La demanderesse, Radil Bros. Fishing Co. Ltd., est propriétaire d'un bateau de pêche de quatre-vingt-six pieds, le SEACREST, qui est utilisé pour pêcher le poisson de fond au chalut en Colombie-Britannique. La demanderesse a acheté le SEACREST ainsi que le permis 008 de pêche de fond T (T8) en 1986. Les permis de pêche de fond T sont délivrés à un bateau de pêche commerciale et permettent à son détenteur de pêcher le poisson de fond avec un chalut. Les permis sont délivrés annuellement et une demande doit être présentée par le propriétaire du bateau ou le représentant du propriétaire recensé du bateau.

[3]      Le 13 janvier 1993, la défenderesse British Columbia Packers Limited (B.C. Packers), qui était autorisée à présenter des demandes de permis de pêche commerciale au nom de Radil Bros., a présenté une demande de permis T8. Le ministère des Pêches et des Océans lui a délivré un permis le 22 janvier 1993.

[4]      Par conséquent, le 3 août 1993, B.C. Packers a demandé au ministère des Pêches et des Océans de transférer au PACIFIC EAGLE le permis de pêche de fond T8 délivré au      SEACREST, et de transférer au SEACREST le permis de pêche du saumon et du poisson de fond T92 délivré au PACIFIC EAGLE. Le même jour, B.C. Packers a avisé la demanderesse que le permis A que détenait auparavant le PACIFIC EAGLE avait été transféré et délivré au SEACREST.

[5]      En 1995, la défenderesse Titan Fishing Ltd. a acheté le PACIFIC EAGLE. Dans le cadre de la vente, le permis T8, qui était auparavant rattaché au SEACREST, a été transféré à Titan. Lorsque Titan s'est porté acquéreur du PACIFIC EAGLE, chacun savait dans l'industrie que le ministère des Pêches et des Océans allait vraisemblablement mettre en place un régime de pêche contingentée qui serait fondé sur la longueur du bateau ou sur l'historique de la capture, ou sur les deux. L'historique de la capture du SEACREST rattaché au permis T8 était de beaucoup supérieur à l'historique de la capture du PACIFIC EAGLE rattaché au permis T92.

[6]      Le 18 mars 1997, le Ministère a posté aux détenteurs de permis de pêche au chalut de poisson de fond un avis les informant que le ministre des Pêches et des Océans avait approuvé la mise en oeuvre d'un nouveau plan de gestion de la pêche au chalut comportant l'attribution de quotas individuels. Il avait joint à cette lettre le plan de gestion pour 1997-1998 qui prévoyait que la formule d'allocation des quotas individuels pour la pêche au chalut serait fondée dans une proportion de 70 p. 100 sur les prises moyennes de poisson de fond durant la période quinquennale comprise entre 1988 et 1982 et dans une proportion de 30 p. 100 sur la longueur du bateau. Les renseignements utilisés pour calculer l'allocation des quotas individuels pour le SEACREST étaient inclus dans la lettre en date du 18 mars 1997.

[7]      Avant 1997 et la mise en place des quotas individuels, il n'existait aucune différence entre le permis T8 et le permis T92 en ce qui concerne l'admissibilité à la pêche du poisson de fond. Toutefois, après la mise en place de la formule choisie pour l'attribution des quotas individuels, le remplacement du permis T8 par le permis T92 a fait en sorte que le SEACREST a obtenu un quota de beaucoup inférieur à celui auquel il aurait autrement eu droit.

[8]      Sur réception de la lettre en date du 18 mars, la demanderesse s'est renseignée auprès du Ministère sur le moment et la façon dont le permis T8 avait été transféré au PACIFIC EAGLE. Radil Bros. a soutenu qu'au moment d'acheter le permis de classe A en 1993, elle ignorait que les permis T avaient aussi été transférés, de sorte qu'elle avait continué de fonctionner en présumant qu'elle détenait encore le permis T8. Le 6 octobre 1997, le Ministère a avisé la demanderesse que [traduction] " les dossiers du Service des permis commerciaux révèlent que, le 3 août 1993, le permis 008 de pêche au chalut du poisson de fond T détenu par le CFV 20308 MV " SEACREST " avait été transféré au CFV 23297 MV " PACIFIC EAGLE " et que le permis 0092 de pêche au chalut du poisson de fond (T) détenu par le MV " PACIFIC EAGLE " avait été transféré au MV " SEACREST ".

[9]      Les avocats de la demanderesse ont écrit au ministre des Pêches et des Océans le 10 octobre 1997 pour demander qu'on leur confirme que le permis T8 serait délivré à Radil Bros. en 1998. Le 12 décembre 1997, le ministre a répondu que les fonctionnaires régionaux étudiaient la question et communiqueraient avec eux. Les avocats de la demanderesse ont écrit au directeur général de la Région du Pacifique le 29 décembre 1997 pour demander une réponse. Le 4 février 1998, date du dépôt de l'avis de requête introductive d'instance, ni le ministre ni le directeur général de la Région du Pacifique n'avaient répondu à la question de la délivrance du permis T8.

[10]      Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse demandait une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre des Pêches et des Océans et au directeur général de la Région du Pacifique de prendre une décision concernant la délivrance du permis T8 à la demanderesse pour l'année de pêche 1998-1999; un jugement déclaratoire portant que le transfert du permis T8 le 3 août 1993 était non autorisé, illégal, nul ou par ailleurs sans effet, et que la demanderesse est le détenteur légitime du permis; et un jugement déclaratoire portant que la demanderesse a le droit d'obtenir le permis T8 pour l'année de pêche 1998-1999 et a droit au quota individuel accordé au permis T8 en 1997.

[11]      Le 23 février 1998, la défenderesse Titan Fishing Ltd. a déposé un avis de requête introductive d'instance en vue d'obtenir une ordonnance portant radiation de la demande de la demanderesse au motif qu'il s'agissait d'un recours abusif ou, subsidiairement, une ordonnance tendant à l'instruction de la demande comme s'il s'agissait d'une action. Le juge Campbell a rejeté la demande de radiation de la défenderesse mais a ordonné que l'affaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Dans ses motifs d'ordonnance, le juge Campbell a déclaré :

     L'élément le plus frappant en l'espèce est le fait que l'opération commerciale de 1993 concernant les permis est au coeur du litige, et c'est réellement un facteur qui découle de cela que le ministère des Pêches a donné suite à la délivrance des permis relativement à cette opération. Par conséquent, je conclus que la réparation demandée en l'espèce par Radil Bros. contre le directeur général, ministère des Pêches, est inextricablement liée à l'opération même.         
     En ce qui concerne la réparation demandée, je suis convaincu qu'il est impossible de statuer correctement sur cette question sans une analyse approfondie de l'opération effectuée en 1993, ce qui ne saurait, selon moi, être fait dans le cadre d'un contrôle judiciaire.         
     Il me paraît nécessaire de découvrir les faits fondamentaux de l'opération faite en 1993. Il est également important que les témoins soient entendus, que leur comportement soit observé et que leur crédibilité soit évaluée lors de l'instruction de la présente affaire. De toute évidence, à cet égard, un contrôle judiciaire fondé sur des affidavits est insuffisant.         
     De plus, en ce qui concerne l'usage entre Radil Bros. et B.C. Packers, qui me paraît être une question brûlante en l'espèce, il est nécessaire qu'il y ait un interrogatoire préalable et des témoignages en personne lors de l'instruction. En d'autres termes, en ce qui concerne cet usage, il faut que toutes les questions soient examinées, en particulier celles du consentement et du mandat entre Radil Bros. et B.C. Packers, lesquelles, j'en suis convaincu, peuvent uniquement être réglées par voie d'interrogatoire préalable et de témoignages en personne.         

     [...]

     Par conséquent, il est dans l'intérêt de la justice et, pour être juste, il est particulièrement dans l'intérêt de Titan, de transformer l'espèce en action.         
     Pour ces motifs, je rejette la demande de radiation de l'avis introductif d'instance, mais je fais droit à la demande visant à convertir la demande en action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale.         

[12]      Par la suite, la demanderesse a déposé, le 24 mars 1998, une déclaration en vue d'obtenir un jugement déclaratoire contre la Couronne et la défenderesse Titan Fishing Ltd. portant que le transfert du permis T8 était nul et que la demanderesse avait le droit d'obtenir le permis. Toutefois, contrairement à ce qui est indiqué dans l'avis de requête introductive d'instance, la demanderesse cherche également à obtenir dans la déclaration des dommages-intérêts de la Couronne et de la défenderesse B.C. Packers Limited.

[13]      Dans la demande de jugement sommaire qu'elle vient de présenter, la défenderesse Titan Fishing Ltd. sollicite une ordonnance radiant la réparation demandée dans la déclaration de la demanderesse et radiant la réclamation contre la Couronne qui demande que soit rendu un jugement déclaratoire portant que le transfert du permis T8 était nul et que la demanderesse est en droit d'obtenir le permis. Titan soutient que la réparation demandée est prescrite parce que le délai prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale est expiré.

[14]      Les dispositions en matière de jugement sommaire contenues dans les Règles de la Cour fédérale visent à permettre à la Cour de statuer sommairement sur les affaires qui, selon elle, ne devraient pas être instruites parce qu'il n'existe aucun différend factuel véritable entre les parties. C'est une décision qui doit être prise en fonction des circonstances particulières de chaque affaire et en fonction du droit et des faits invoqués au soutien de la déclaration ou de la défense.

[15]      Une requête en jugement sommaire ne vise pas à remplacer un procès et ne devrait pas être considérée comme telle. Le juge des requêtes qui doit décider si un procès est inutile et ne servirait à rien a un rôle restreint et doit se garder d'agir comme un juge de première instance et de se prononcer sur les questions en litige. Dans la mesure où il existe une question litigieuse véritable en ce qui concerne les faits essentiels, la force ou la faiblesse de la réclamation ou de la défense contestée importe peu. L'affaire devrait être instruite pour que le litige puisse être tranché par le juge de première instance. Par conséquent, un jugement sommaire devrait être prononcé uniquement dans les cas les plus évidents.

[16]      À mon avis, il ne convient pas d'accorder un jugement sommaire en l'espèce. Premièrement, je n'accepte pas la prétention de la défenderesse que le contrôle judiciaire demandé est prescrit. Après avoir été avisée que le quota individuel attribué au SEACREST se rattachait au permis T92 plutôt qu'au permis T8, la demanderesse a cherché à savoir auprès de B.C. Packers et du ministère des Pêches pourquoi le permis T8 n'était plus au nom de Radil Bros. Fishing Co. Ltd. À ce moment-là, les permis de pêche pour 1997 avaient déjà été délivrés et devaient expirer le 31 décembre 1997. De nouveaux permis devaient être délivrés après le 1er janvier 1998.

[17]      Après avoir appris comment s'était fait le transfert des permis, la demanderesse a présenté des observations au ministre des Pêches et des Océans et au Ministère concernant la délivrance du permis T8 pour l'année de pêche 1998.

[18]      En 1997, un comité d'appel a été constitué pour entendre les appels relatifs au programme de quotas individuels pour la pêche du poisson de fond. Ce comité avait notamment pour mandat de décider s'il existait des circonstances atténuantes ou des renseignements pertinents qui justifiaient qu'on s'écarte de l'allocation existante attribuée à un permis. La demanderesse a soumis des observations au comité d'appel responsable des permis dans la région du Pacifique, mais, le 16 janvier 1998, le comité a avisé la demanderesse qu'il n'entendrait pas l'appel et qu'il ne ferait aucune recommandation au ministre. La demanderesse a par la suite présenté sa demande de contrôle judiciaire à la Cour le 3 février 1998.

[19]      Vu ces faits, je suis convaincu que la demanderesse a fait preuve de diligence une fois qu'elle a su qu'elle ne détenait plus le permis T8. Elle ne devrait pas être pénalisée non plus parce qu'elle a tenté d'exercer tous les recours à sa disposition avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire à la Cour. À cet égard, la demanderesse pouvait à juste titre demander au comité d'appel de rendre une décision ou de faire une recommandation avant de déposer son avis de requête introductive d'instance.

[20]      Par ailleurs, je conviens avec le juge Campbell que le différend entre les parties ne saurait être tranché sans un examen approfondi de l'opération effectuée en 1993 qui a abouti au transfert du permis T8 que détenait la demanderesse. Il existe une question sérieuse en ce qui concerne la nature des rapports entre la demanderesse et la défenderesse B.C. Packers et l'usage entre elles. Ce sont des questions qu'il convient de trancher par voie d'interrogatoire préalable et de témoignages en personne. Bref, la preuve soulève plusieurs questions de droit et de fait valables, mais, dans l'état actuel des choses, elle ne permet pas de les trancher. Bien des questions demeurent encore sans réponse.

[21]      Pour ces motifs, la demande de jugement sommaire est rejetée.

[22]      Cependant, la conversion d'une demande de contrôle judiciaire en action n'autorise pas la demanderesse à déposer par la suite une déclaration dans laquelle la réparation demandée est différente de celle contenue dans l'avis de requête introductive d'instance. Le paragraphe 18.2(4) a pour objet de permettre l'instruction d'une demande de contrôle judiciaire comme s'il s'agissait d'une action, c'est-à-dire avec des interrogatoires préalables, l'assignation de témoins et l'audition de leurs témoignages. Il ne crée pas une nouvelle cause d'action et ne permet pas à une partie de demander une nouvelle réparation ou une réparation qui s'ajoute à celle qui était initialement demandée.

[23]      Par conséquent, je radie les conclusions contenues dans la déclaration de la demanderesse et j'accorde à celle-ci trente jours pour déposer une déclaration modifiée contenant une demande de réparation identique à celle qui figure dans l'avis de requête introductive d'instance.


[24]      À tous les autres égards, la demande de la défenderesse est rejetée.

                                 " P. ROULEAU "

                                         JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 30 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-192-98

INTITULÉ :                          RADIL BROS. FISHING CO. LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 5 OCTOBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                      30 NOVEMBRE 1998

COMPARUTIONS :

RAYMOND POLLARD                      POUR LA DEMANDERESSE

PAUL PARTRIDGE                          POUR LA DÉFENDERESSE - SA MAJESTÉ LA REINE
MURRAY BLOK                          POUR LA DÉFENDERESSE - BC PACKERS
DAVID BROWN                          POUR LA DÉFENDERESSE - TITAN FISHING LTD.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RICHARDS BUELL SUTTON                  POUR LA DEMANDERESSE

VANCOUVER (C.-B.)

MORRIS ROSENBERG                      POUR LA DÉFENDERESSE - SA

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL                  MAJESTÉ LA REINE

DU CANADA

RUSSELL & DUMOULIN                      POUR LA DÉFENDERESSE - BC

VANCOUVER (C.-B.)                      PACKERS

STIKEMAN ELLIOTT                      POUR LA DÉFENDERESSE -

VANCOUVER (C.-B.)                      TITAN FISHING LTD.

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