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Date : 20040831

Dossier : IMM-6703-03

Référence : 2004 CF 1191

Ottawa (Ontario), le 31 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                              MARIYA SHULHA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

VUE D'ENSEMBLE

[1]                Les éléments fondamentaux d'une affaire sont établis par le juge des faits. Ce n'est pas dans le cadre d'un contrôle judiciaire qu'il y a lieu de tenter de déceler un problème potentiel touchant une question secondaire, en particulier lorsque l'existence d'un tel problème ne peut être établie qu'à l'aide d'outils d'évaluation de la crédibilité, dont ne dispose que le juge des faits.


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales[1] et l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[2] d'une décision datée du 29 juillet 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de la demanderesse en vue de se faire reconnaître la qualité de « réfugié[e] au sens de la Convention » ou celle de personne à protéger.

CONTEXTE

[3]                La demanderesse, Mariya Shulha, est une citoyenne de l'Ukraine âgée de 40 ans. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée en raison de la violence qu'elle a subie de la part de son ex-mari.


[4]                Mme Shulha prétend qu'elle a rencontré son ex-mari en 1981. Il a commencé à faire preuve de violence envers elle en 1984. En 1997, il s'est mis à boire. Mme Shulha affirme que lorsqu'il était ivre, son ex-mari l'humiliait et la forçait à avoir des rapports sexuels avec lui. Bien qu'il ait été traité pour son alcoolisme, il a continué de boire.

[5]                En janvier 1999, il a battu Mme Shulha à un point tel qu'elle a perdu connaissance. La police est venue et Mme Shulha a été emmenée à l'hôpital. L'ex-mari de Mme Shulha a été interrogé pendant 3 heures, puis a été libéré. Mme Shulha a passé plusieurs semaines à l'hôpital, souffrant d'une commotion.

[6]                Mme Shulha a continué de vivre avec son ex-mari, mais elle a présenté une demande de visa de visiteur au Canada.

[7]                En septembre 1999, Mme Shulha a présenté une requête en divorce. L'ex-mari de Mme Shulha n'a pas tenu compte de l'avis de comparution et l'audience a été reportée.

[8]                L'ex-mari de Mme Shulha a menacé de la tuer et lui a dit que seule la mort les séparerait.

[9]                En novembre 1999, l'ex-mari de Mme Shulha a reçu un deuxième avis de comparution pour l'audience relative au divorce. En réponse à cet avis, il a dit à Mme Shulha qu'il ne consentirait pas au divorce. Il l'a frappée au visage et lui et lui a cogné la tête contre le mur.

[10]            Mme Shulha est arrivée au Canada le 5 décembre 1999. Elle a présenté sa demande d'asile près de deux ans plus tard.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[11]            La Commission a conclu qu'il y avait plusieurs contradictions entre le récit figurant dans le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de la demanderesse et celui contenu dans son témoignage oral, notamment en ce qui concerne la description de la nature de la violence dont elle avait été victime.

[12]            En outre, la Commission a statué que Mme Shulha avait fait une modification importante à son FRP et qu'elle n'avait pas réussi à expliquer pourquoi elle avait initialement omis d'inclure ce renseignement additionnel dans son FRP. La Commission a tiré une inférence défavorable de ce fait.

[13]            La Commission a également jugé que le témoignage de Mme Shulha relativement au divorce posait problème. En particulier, la Commission a souligné que la décision rendue relativement à la procédure de divorce indiquait que l'ex-mari de Mme Shulha avait introduit une procédure de divorce contre elle le 26 juillet 2001. Cela contredit le témoignage de Mme Shulha suivant lequel elle avait introduit la procédure en septembre 1999.

[14]            La Commission a conclu que l'ex-mari de Mme Shulha ne s'intéressait plus à elle. Il y avait une lettre du fils de la demanderesse indiquant que l'ex-mari de la demanderesse s'informait toujours à son sujet. Cette lettre avait toutefois été écrite en juin 2001, et on a jugé qu'elle était intéressée parce qu'elle avait été écrite par le fils de Mme Shulha.

[15]            La Commission a tiré une inférence défavorable du fait que Mme Shulha avait vécu au Canada pendant près de deux ans avant de présenter sa demande d'asile, même si elle savait qu'elle pouvait être renvoyée en Ukraine parce que son visa était expiré.

[16]            La Commission n'a accordé aucune importance au rapport du psychologue parce que le psychologue avait pris connaissance du FRP contesté.

[17]            La Commission a conclu :

Je suis d'avis que la demandeure n'est pas digne de foi. Malgré un mariage difficile, les contradictions que renferment son témoignage et le fait important omis dans l'exposé des faits me portent à croire que rien ne prouve qu'elle serait encore la cible de son ex-époux si elle retournait en Ukraine. Aucune information sur ce dernier datant d'après juillet 2001 n'a été présentée[3].

QUESTIONS EN LITIGE

[18]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des éléments de preuve dont elle était saisie?


[19]            La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence défavorable de la modification qu'avait faite Mme Shulha à son FRP?

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte des éléments de preuve dont elle était saisie?


[20]            Mme Shulha soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de divers rapports de police et médicaux décrivant la violence dont elle avait été victime, en particulier un rapport médical et un rapport de police corroborant son témoignage suivant lequel elle avait été agressée par son ex-mari en janvier 1999. La conclusion de la Commission suivant laquelle Mme Shulha n'était pas crédible repose en grande partie sur le fait qu'elle n'avait pas décrit cette agression dans son FRP initial, mais qu'elle avait modifié celui-ci par la suite afin d'en faire mention. Mme Shulha prétend qu'étant donné que ces rapports sont directement pertinents quant à la conclusion de la Commission suivant laquelle cet incident n'avait pas eu lieu, la Commission a commis une erreur en n'en faisant pas mention. De même, la Commission n'a pas tenu compte de la preuve médicale indiquant que Mme Shulha avait été agressée par son ex-mari en janvier 1999, malgré le fait qu'elle ait conclu que cette agression n'avait pas eu lieu[4].

[21]            Le défendeur prétend que la Commission n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve dont elle est saisie lorsqu'elle rend sa décision[5]. En l'espèce, il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse n'était pas crédible en raison de la modification qu'elle avait apportée à son FRP.

[22]            En outre, la Commission a fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur plusieurs autres conclusions. Il y avait une contradiction importante entre le FRP et l'entrevue d'immigration; il y avait des éléments de preuve contradictoires quant à savoir qui avait introduit la procédure de divorce et à quel moment cette procédure avait été introduite; il n'y avait pas de preuve indiquant que l'ex-mari de Mme Shulha s'intéressait toujours à elle; enfin, Mme Shulha avait attendu près de deux ans avant de présenter sa demande d'asile. Compte tenu de toutes de ces conclusions, il était loisible à la Commission de rendre la décision qu'elle a rendue.


[23]            La Cour estime que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport médical et du rapport de police dont elle était saisie. Comme l'établit la décision Cepeda-Gutierrez, la Commission commet une erreur lorsqu'elle n'apprécie pas des éléments de preuve qui contredisent directement ses conclusions. Vu que le rapport médical et le rapport de la police contredisaient directement les conclusions de la Commission suivant lesquelles Mme Shulha n'avait pas été agressée comme elle avait prétendu l'avoir été, la Commission a commis une erreur.

[24]            La Cour ne conclut pas, toutefois, qu'il s'agissait d'une erreur importante. Comme l'affirme le défendeur, la Commission a fondé sa décision sur de nombreuses autres conclusions, que n'a pas contestées Mme Shulha. Même en retirant la conclusion suivant laquelle certaines agressions n'avaient pas eu lieu, la Commission avait des motifs suffisants lui permettant de conclure que Mme Shulha n'était pas crédible. En conséquence, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle.

La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant une inférence défavorable de la modification qu'avait faite Mme Shulha à son FRP?

[25]            Mme Shulha prétend que, comme elle a modifié son FRP neuf jours avant l'audience, et non pas à l'audience elle-même, la Commission n'aurait pas dû tirer une inférence défavorable du fait qu'elle avait modifié son FRP.

[26]            Le défendeur soutient que la Commission est autorisée à évaluer la crédibilité en comparant le FRP au témoignage oral de la demanderesse[6]. La Commission n'a donc pas commis d'erreur.

[27]            La Cour est d'accord avec le défendeur. Le moment où Mme Shulha a modifié son FRP n'est pas important. Ce qui est important c'est la raison pour laquelle elle n'a pas inclus le renseignement en question dans son FRP initial. Comme l'a souligné le défendeur, Mme Shulha n'a pas réussi à expliquer pourquoi elle n'avait pas décrit l'agression de janvier 1999 dans son FRP initial. Compte tenu de ce fait, la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant une inférence défavorable quant à la crédibilité de Mme Shulha.

CONCLUSION

[28]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          La présente affaire ne nécessite pas la certification d'une question.

« Michel M. J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-6703-03

INTITULÉ :                                              MARIYA SHULHA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 24 AOÛT 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                     LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                             LE 31 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

M. Steven Beiles                                         POUR LA DEMANDERESSE

Deboroah Drukarsh                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Steven Beiles                                         POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.R.C. 1985, ch. F-7.

[2] L.C. 2001, ch. 27.

[3] Dossier de la demanderesse, décision de la Commission, à la page 11.

[4] La demanderesse cite sur ce point la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.), [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17 (1re inst.) (la décision Cepeda-Gutierrez).

[5] Le défendeur cite sur ce point l'arrêt Hassan c. Canada (M.E.I.), [1992] A.C.F. no 946 (C.A.F.).

[6] Basseghi c. Canada (M.C.I.), [1994] A.C.F. no 1867; Joseph c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 49, au paragraphe 36; Oyebade c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 1113, 2001 CFPI 773, au paragraphe 13; Grinevich c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 444, au paragraphe 4 (1re inst.).


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