Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040322


Dossier : IMM-2947-03

Référence : 2004 CF 428

Ottawa, Ontario, March 22, 2004

En présence de monsieur le juge Blais

ENTRE :

SHAMEZ POONAWALLA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS

EN VERTU DE LA RÈGLE 397(2)

(ÉTANT convaincu que l’Ordonnance émise le 8 mars 2004 contient des

fautes de transcription et des omissions en vertu de la règle 397(2), j’ai décidé

de corriger ces erreurs et d’émettre les Motifs de l’ordonnance et ordonnance modifiés.)

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de Mme L. Hill, représentante du ministre, de soumettre à la section de l’immigration un rapport au ministre recommandant une enquête d’admissibilité, comme le permet l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               Le 5 décembre 2003, monsieur le juge Rouleau, de la Cour fédérale, rejetait une demande de sursis d’exécution d’une mesure d’expulsion qui devait être exécutée le 8 décembre 2003. Dans sa décision, le juge Rouleau se réfère à un autre dossier, IMM-7023-03, qui concerne une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) et rejetant un appel interjeté contre la mesure d’expulsion.

LES FAITS

[3]               Le demandeur est né en Inde le 18 janvier 1980. Ses parents ont divorcé en 1981. Son père, qui était toxicomane, aurait tenté de le vendre en échange de drogues lorsqu’il avait trois ou quatre ans. À l’âge de sept ans, il a vu sa mère mourir carbonisée. Son oncle maternel, Amin Ismael, citoyen canadien, s’est rendu en Inde, est devenu son tuteur officiel et l’a ramené avec lui au Canada. M. Ismael a élevé le demandeur comme s’il eût été son fils, mais le demandeur n’est jamais devenu citoyen canadien.

[4]               Quand le demandeur eut seize ans, des conflits avec sa tante et son oncle le conduisirent à quitter la maison. Il avait du mal à conserver un travail et il a basculé dans des activités criminelles au sein d’une bande.

[5]               Il a été reconnu coupable de possession d’objets volés, ainsi que de conduite sans assurance ou sans permis. Il s’est laissé entraîner dans le trafic de drogue et a été reconnu coupable de possession de cocaïne aux fins d’en faire le trafic, ainsi que d’appartenance à une organisation criminelle. Pour ces deux dernières infractions, à l’égard desquelles il avait plaidé coupable, il fut condamné à des périodes d’emprisonnement de cinq ans et six mois.

[6]               Alors qu’il purgeait sa peine à Drumheller (Alberta), un rapport fut rédigé aux fins de l’article 27 de l’ancienne Loi sur l’immigration. Aux termes de la nouvelle loi, entrée en vigueur en 2002, le rapport est aujourd’hui discrétionnaire selon l’article 44, mais le rapport préparé en vertu de l’article 27 peut néanmoins être utilisé aux fins de l’article 44, et cela en vertu de l’article 321 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon la LIPR, le rapport est transmis au ministre (ou à son représentant), qui peut soumettre le rapport à la section de l’immigration pour enquête d’admissibilité.

[7]               Dans le cas du demandeur, le rapport a été soumis par la représentante du ministre à la section de l’immigration, laquelle a jugé que le demandeur n’était pas admissible pour cause de grande criminalité et qu’il devait donc être renvoyé. La section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel formé contre la mesure d’expulsion. La mesure d’expulsion a été appliquée le 8 décembre 2003. Le demandeur a été reconduit en Inde, depuis Vancouver.

POINTS LITIGIEUX

[8]               La représentante du ministre a-t-elle commis une erreur sujette à révision lorsqu’elle a renvoyé à la section de l’immigration le rapport au ministre recommandant une enquête d’admissibilité?

ANALYSE

(Questions préliminaires)

[9]               Le défendeur a fait valoir que l’intitulé devrait être modifié pour tenir compte du fait que c’est maintenant le solliciteur général, en tant que chef de l’ASFC, qui serait chargé des questions de non-admissibilité; le demandeur partage cet avis. Par conséquent, conformément au décret C.P. 2003-2061 du 12 décembre 2003 et au décret C.P. 2003-2063, lui aussi daté du 12 décembre 2003, l’intitulé est modifié de manière à désigner comme défendeur le solliciteur général du Canada, sous l’appellation de vice-premier ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[10]           Le défendeur soulève également la question de l’absence d’intérêt pratique puisque le demandeur avait déjà été expulsé. Cependant, le paragraphe 52(2) de la LIPR prévoit la possibilité d’annulation de la mesure d’expulsion par contrôle judiciaire, et la possibilité pour le ressortissant étranger de revenir au Canada aux frais du ministre. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de la mesure d’expulsion; puisque le demandeur a été expulsé, il n’existe plus de litige réel entre les parties.

[11]           Le fait de l’expulsion n’est pas en soi le signe d’une absence d’intérêt pratique, ainsi que le montre le paragraphe 52(2) de la LIPR. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de soumettre le rapport à la section de l’immigration, et non de la décision de le renvoyer dans son pays, et cela vraisemblablement pour des raisons stratégiques. La décision de la section de l’immigration était sans doute raisonnable et sage et elle est probablement inattaquable. Le contrôle judiciaire n’est pas empêché parce qu’un moyen est préféré à un autre; puisque l’autorisation a été accordée par la Cour pour un contrôle judiciaire, et puisque le demandeur conserve la possibilité de revenir au Canada en application de la LIPR, le point soulevé dans cette demande de contrôle judiciaire n’est pas théorique.

(Norme de contrôle)

[12]           Le demandeur fait valoir, se fondant sur l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que la norme de contrôle applicable ici est celle de la décision raisonnable simpliciter. Le ministre défendeur dit que c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable, eu égard aux quatre facteurs de l’approche pragmatique et fonctionnelle : « la présence ou l’absence dans la loi d’une clause privative ou d’un droit d’appel; l’expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l’objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question – de droit, de fait ou mixte de droit et de fait ». (Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 26).

[13]           Ici, le point de savoir si la norme est celle de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable ne sera pas déterminant pour l’octroi du contrôle judiciaire. Selon la preuve, il semblerait que la décision de soumettre le rapport à la section de l’immigration était raisonnable. Comme l’a indiqué maintes fois la Cour suprême du Canada (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748), la décision raisonnable n’est pas nécessairement celle à laquelle serait arrivée la juridiction de contrôle, mais celle qui est autorisée par les faits constituant la preuve. En décidant de ne pas surseoir à l’expulsion, le juge Rouleau écrivait qu’aucune question sérieuse ne pouvait satisfaire à la première condition de l’octroi du sursis, parce que la décision était raisonnable et que les divers facteurs mentionnés par le demandeur pour la contester ne suffisaient pas à en révéler le caractère déraisonnable.

[14]           J’admets que la décision de renvoyer l’affaire à la section de l’immigration était raisonnable. Elle est fondée sur le rapport lui-même, qui insiste sur la gravité de l’infraction et sur la durée de la peine. Un autre décideur aurait pu s’émouvoir à la lecture des lettres envoyées par la famille et aurait pu décider de ne pas soumettre le rapport à la section de l’immigration. Cependant, il y a certainement des motifs raisonnables pour appuyer la décision en cause. Encore une fois, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, une décision raisonnable ne signifie pas que la juridiction de contrôle serait nécessairement arrivée au même résultat, mais uniquement qu’il existe des motifs suffisants qui justifient la décision. Ainsi, même si l’on accepte la norme proposée par le demandeur, la décision résisterait au critère de la décision raisonnable simpliciter.

[15]           Il ne s’agit pas de savoir si la représentante du ministre a bien appliqué les lignes directrices ou a accordé un poids suffisant aux facteurs pertinents, mais si l’on peut établir que Mme Hill n’a pas tenu compte des bons facteurs.

[16]           Il n’est pas établi que la représentante du ministre ait commis une erreur sujette à révision et que la Cour soit de ce fait fondée à intervenir.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

[1]        Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]        L’avocate du demandeur propose que soit certifiée la question suivante :

« L’exécution d’une mesure de renvoi prive-t-elle d’intérêt pratique le contrôle judiciaire d’une décision de renvoyer un résident permanent à une enquête d’admissibilité? »

[3]        L’avocat du défendeur s’est opposé à cette question, en faisant valoir que l’absence d’intérêt pratique est un point de fait qui doit être décidée au cas par cas, à la lumière des critères fixés par la jurisprudence.

[4]        Je me range à l’avis de l’avocat du défendeur, et je ne crois pas qu’une question grave de portée générale se pose ici. Aucune question ne sera donc certifiée.

« Pierre Blais »

Juge


ANNEXE « A »

LÉGISLATION APPLICABLE

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

321. (1) Le rapport établi sous le régime des articles 20 ou 27 de l'ancienne loi est réputé être le rapport visé au paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

321 (1) A report made under section 20 or 27 of the former Act is a report under subsection 44(1) of the Immigration and Refugee Protection Act.

(2) Pour l'application du paragraphe (1) :

(2) For the purpose of subsection (1)

[…]

e) le fait d'être visé à l'alinéa 27(1)d) de l'ancienne loi est un motif d'interdiction de territoire pour :

(e) inadmissibility on the basis of paragraph 27(1)(d) of the former Act is inadmissibility under the Immigration and Refugee Protection Act on grounds of

(i) grande criminalité en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés si l'intéressé a été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été infligée ou une peine d'emprisonnement de dix ans ou plus aurait pu être infligée,

(i) serious criminality, if the person was convicted of an offence and a term of imprisonment of more than six months has been imposed or a term of imprisonment of 10 years or more could have been imposed, or

[…]

(3) Le rapport transmis à un agent principal sous le régime de l'ancienne loi et au sujet duquel aucune décision n'a été prise à la date d'entrée en vigueur du présent article est réputé être un rapport transmis au ministre.

(3) A report that was forwarded to a senior immigration officer under the former Act and in respect of which a decision has not been made on the coming into force of this section is a report transmitted to the Minister.

(4) Sauf dans le cas où le ministre peut prendre une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le fait pour un agent principal de faire procéder à une enquête sous le régime de l'ancienne loi vaut renvoi de l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête en vertu de ce paragraphe.

 

(4) The causing by a senior immigration officer of an inquiry to be held under the former Act is the referring by the Minister of a report to the Immigration Division under subsection 44(2) of the Immigration and Refugee Protection Act unless that subsection allows the Minister to make a removal order.

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications

Immigration Act, R.S.C. 1985, c.I-2, as amended.

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas:

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who (…)

(d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

(d) has been convicted of an offence under any Act of Parliament, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act, for which a term of imprisonment of more than six months has been, or five years or more may be, imposed;

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27.

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[…]

44. (1) S'il estime que le résident permanent ou l'étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l'agent peut établir un rapport circonstancié, qu'il transmet au ministre.

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.


 

(2) S'il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l'affaire à la Section de l'immigration pour enquête,

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing,

[…]

45. Après avoir procédé à une enquête, la Section de l'immigration rend telle des décisions suivantes :

45. The Immigration Division, at the conclusion of an admissibility hearing, shall make one of the following decisions:

[…]

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre […] le résident permanent sur preuve qu'il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2947-03

 

INTITULÉ :

SHAMEZ POONAWALLA c. MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

edmonton (alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 mars 2004

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS :

le juge blais

DATE DES MOTIFS :

le 22 mars 2004

 

COMPARUTIONS :

Wendy Bouwman

pour le demandeur

 

W. Brad Hardstaff

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Andrew, March

Edmonton (Alberta)

 

pour le demandeur

 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.