Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





Date : 20000719


Dossier : IMM-5077-99


Toronto (Ontario), le mercredi 19 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Reed


ENTRE :

     WING KI AU YEUNG


     demandeur

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur


     ORDONNANCE

     AYANT entendu la demande de contrôle judiciaire à Toronto (Ontario), le lundi 17 juillet 2000;

     ET pour les motifs de l'ordonnance exposés en ce jour,


     LA COUR ORDONNE QUE :

     La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.


                                          « B. Reed »     

                                         Juge



Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.






Date : 20000719


Dossier : IMM-5077-99


ENTRE :


     WING KI AU YEUNG


     demandeur


     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED :




[1]          Les présents motifs font suite à la demande de contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas, datée du 5 octobre 1999, dans laquelle celle-ci rejetait la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur.





[2]          Le demandeur a déclaré qu'il voulait travailler au Canada comme agent de la paix. Il exerce ce métier à Hong Kong depuis 22 ans.



[3]          À l'étape de la sélection administrative, le demandeur s'est vu attribuer 58 points d'appréciation; les candidats à l'immigration ne sont habituellement invités à une entrevue que lorsqu'ils ont obtenu une évaluation de 60 points au vu de leur dossier; après l'entrevue, il s'est vu attribuer 62 points; il faut habituellement 70 points pour que soit délivré un visa.



[4]          En l'espèce, le demandeur s'est vu accorder une entrevue bien qu'il n'ait obtenu que 58 points au vu de son dossier, parce qu'il existait des éléments de preuve indiquant que le demandeur avait postulé un emploi au sein du Service de police de Toronto. Il existait des éléments de preuve indiquant que le Service de police de Toronto recrutait des personnes parlant chinois pour des postes d'agents de police.



[5]          Par conséquent, bien que la demande par profession pour les policiers fût nulle, ce qui habituellement interdirait l'octroi d'un visa à un demandeur (c'est ce qu'exige le paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration), l'agente des visas a estimé que l'équité exigeait que le demandeur soit interviewé de façon à déterminer le statut de sa demande d'emploi et à examiner s'il y avait lieu d'exercer en faveur du demandeur le pouvoir discrétionnaire qu'attribue le paragraphe 11(3) du Règlement d'accorder un visa. Voici les notes CAIPS qui ont été prises à l'étape de la sélection administrative :

     [TRADUCTION]
     Compte tenu de l'ensemble du dossier, je refuserais la demande. L'intéressé a postulé un emploi pour lequel il n'existe aucune demande. Il a présenté une demande d'emploi au Service de police de Toronto, mais le formulaire de demande et les documents à l'appui ne contiennent aucun élément indiquant qu'une lettre de validation soit même une possibilité.
     Par souci d'équité, nous allons néanmoins rencontrer l'intéressé pour lui donner la possibilité de présenter son point de vue. Entrevue pour déterminer si le recours au par. 11(3) est approprié.
     L'intéressé aura peut-être obtenu d'ici là une réponse de la police de Toronto et une demande de lettre de validation sera alors possible.




[6]          Le paragraphe 11(3) du Règlement autorise un agent des visas à accorder un visa d'immigrant qui n'a pas obtenu 70 points d'appréciation s'il est d'avis qu'il existe « de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier... de réussir [son] installation au Canada » .



[7]          Après l'entrevue, l'agente des visas a consigné ses notes CAIPS :

         . . .

     [TRADUCTION]

     DEMANDÉ AU SUJET S'IL AVAIT REÇU UNE RÉPONSE DU SERVICE DE POLICE DE TORONTO AU SUJET DE SA DEMANDE D'EMPLOI. LE SUJET A RÉPONDU QUE OUI ET A PRÉSENTÉ UNE LETTRE. LA LETTRE DU SERVICE DE POLICE DE TORONTO EST DATÉE DU 11 SEPTEMBRE 1998 ET ÉNONCE « ... AVONS CONCLU QUE VOUS NE RÉPONDEZ PAS À L'UNE DES CONDITIONS MINIMALES DU POSTE, À SAVOIR ÊTRE CITOYEN CANADIEN OU RÉSIDENT PERMANENT DU CANADA... » POURSUIT EN MENTIONNANT QUE SI LE SUJET OBTENAIT LE STATUT DE RÉSIDENT PERMANENT OU LA CITOYENNETÉ CANADIENNE, IL POURRAIT CONTACTER LE BUREAU D'EMBAUCHE.
     CETTE LETTRE N'INDIQUE PAS QU'IL SERAIT EMBAUCHÉ S'IL OBTENAIT LE STATUT DE RÉSIDENT PERMANENT. ELLE ÉNONCE SIMPLEMENT QU'IL POURRAIT COMMUNIQUER AVEC LE SERVICE DE L'EMBAUCHE ET PRÉSENTER UNE DEMANDE D'EMPLOI. LA LETTRE N'INDIQUE AUCUNEMENT QU'IL SERAIT EMBAUCHÉ OU QU'IL EST PROBABLE QU'IL LE SOIT.

     . . .








[8]          Voici la lettre en question :


     [TRADUCTION]
     Nous avons examiné votre demande d'emploi pour le poste d'agent de la paix et avons déterminé que vous ne répondez pas à l'une des conditions minimales exigées pour le poste qui est d'être citoyen canadien ou résident permanent du Canada. Cette condition est soulignée en vert à la page deux de la trousse d'information ci-jointe intitulée, Le métier de policier en Ontario - Renseignements à l'intention des candidats et candidates, dans la partie, « Qualités essentielles pour devenir agent de police » .
     Si vous obtenez prochainement le statut de résident permanent au Canada ou la citoyenneté canadienne, n'hésitez pas à communiquer avec l'agent Fernando Ham-chi, numéro de badge 431, qui est chargé du recrutement, en appelant le (416) 808-7163.
     Nous vous remercions de l'intérêt que vous avez manifesté pour le Service de police de Toronto.



[9]          Les notes CAIPS de l'agente des visas indiquent qu'elle a ensuite expliqué au demandeur qu'il n'y avait aucune demande pour les agents de la paix, qu'il n'avait pas d'emploi réservé, et que, par conséquent, elle ne pouvait lui accorder suffisamment de points d'appréciation pour lui délivrer un visa. Les notes CAIPS de l'agente des visas et son affidavit indiquent que le demandeur a alors invité l'agente des visas à exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire que lui attribue le par. 11(3) du Règlement. En réponse à la question que lui posait l'agente des visas sur les motifs pour lesquels le demandeur l'invitait à exercer favorablement son pouvoir discrétionnaire, l'agente des visas a consigné que le demandeur avait déclaré qu'il voulait une nouvelle vie pour sa famille, dans un pays où elle serait en sécurité, et qu'il avait entendu dire que le gouvernement canadien avait besoin d'agents de police parlant chinois pour effectuer des enquêtes criminelles.



[10]              Dans son affidavit, le demandeur décrit les renseignements qu'il a fournis à l'agente des visas concernant la demande existant au Canada pour des agents de police parlant chinois (à Toronto et à York). Il affirme avoir déclaré à l'agente des visas qu'il avait reçu à Hong Kong un appel interurbain de l'agent Fernando du Service de police de Toronto au sujet de sa demande d'emploi. Il affirme avoir été informé par son avocat, M. Mak, que les services de police ne font habituellement pas ce genre d'appel interurbain s'ils ne sont pas très intéressés par un candidat. L'agente des visas nie que le demandeur lui ait parlé d'un appel téléphonique émanant de l'agent Fernando.



[11]              L'agente des visas a rédigé une lettre de refus, dont voici une partie :

[TRADUCTION]
Vous n'avez pas obtenu suffisamment de points d'appréciation pour être admis comme immigrant au Canada. En outre, même si vous aviez obtenu suffisamment de points, il n'existe aucune demande pour les agents de la paix au Canada à l'heure actuelle; votre demande doit également être rejetée parce que la demande pour cette profession est nulle. Vous avez demandé que j'exerce favorablement mon pouvoir discrétionnaire à l'égard de votre demande, mais d'après les documents et les renseignements qu'ils contiennent, il ne semble pas exister de motif pour que j'exerce mon pouvoir discrétionnaire en votre faveur.




[12]              Il n'existe aucun motif de douter de l'affirmation de l'agente des visas selon laquelle il ne lui a été communiqué aucun renseignement concernant ce prétendu appel téléphonique et, de toute façon, même si cela avait été le cas, il semble tout à fait improbable que cela aurait pu l'amener à prendre une autre décision. Si le demandeur voulait se fonder sur un tel appel, il aurait été raisonnable qu'il demande au Service de police de Toronto de confirmer par écrit le fait qu'il était intéressé à retenir ses services.



[13]              L'avocat du demandeur soutient que l'agente des visas a abusé de son pouvoir discrétionnaire en accordant trop d'importance au fait que la demande par profession pour les agents de la paix était nulle et ne donnait donc droit à aucun point pour ce facteur, ainsi qu'au fait que le demandeur n'avait pas reçu une offre ferme d'emploi. Il soutient que le demandeur a été traité inéquitablement parce que l'agente des visas n'a pas tenté de déterminer s'il existait une demande réelle pour des policiers parlant le chinois.



[14]              Je ne suis pas convaincue que la décision de l'agente des visas était déraisonnable. L'importance qu'elle a accordée à la question de savoir si le demandeur avait obtenu une offre d'emploi ferme était raisonnable, compte tenu du par. 11(2) du Règlement. L'obtention par le demandeur d'une offre d'emploi ferme, ce qui aurait constitué « un emploi réservé » , aurait annulé l'effet de l'absence de points pour la demande par profession. En outre, il incombait au demandeur de fournir à l'agente des visas « de bonnes raisons » de croire que cet immigrant et sa famille avaient des chances de réussir à s'établir au Canada, ce que ne reflétaient pas les points d'appréciation qui lui avaient été attribués. Les éléments de preuve présentés au sujet de ses possibilités d'emploi étaient fragmentaires et hypothétiques.



[15]              Lorsque l'on demande l'exercice favorable du pouvoir discrétionnaire, prévu au par. 11(3) du Règlement, pour le motif que les chances de réussir à s'installer au Canada sont plus grandes que ne le reflètent les points d'appréciation, en particulier, pour la raison que les chances d'obtenir un emploi sont supérieures à ce qu'indique l'évaluation, il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce que l'intéressé présente des documents écrits provenant d'éventuels employeurs au Canada venant appuyer cette affirmation. C'est-à-dire qu'en l'espèce, il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce que soient présentés des documents écrits émanant d'un service de police compétent, indiquant que la seule raison pour laquelle le service n'a pas fait une offre ferme au demandeur était que celui-ci n'était pas citoyen canadien ou résident permanent, ou à tout le moins, indiquant que, s'il avait ce statut, il serait probablement embauché. Comme nous l'avons noté, la lettre qu'il a reçue n'est guère plus qu'un accusé de réception et son affirmation selon laquelle il a été joint par téléphone n'est confirmée par aucun document écrit.



[16]              Il incombait au demandeur de faire connaître à l'agente des visas les motifs pour lesquels celle-ci devait exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Les agents des visas ne sont pas tenus de s'enquérir de la situation du marché de l'emploi pour les demandeurs. Comme l'a déclaré le juge Rothstein dans Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-4458-97, 25 août 1998), « le paragraphe 11(3) est une disposition d'exception » . Cela ne veut pas dire que le demandeur est tenu de présenter des éléments de preuve « extraordinaires » , il suffit qu'il existe « de bonnes raisons » , voir Kwong c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-4955-98, 7 septembre 1999).



[17]              L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est toutefois exceptionnelle dans le sens décrit par M. le juge Evans dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-2225-98, 16 avril 1999) et Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-643-98, 16 avril 1999). Il s'agit d'un pouvoir de nature résiduaire qu'il convient d'exercer dans les affaires comportant des faits inhabituels ou lorsque le demandeur a obtenu un score très proche de 70 points d'appréciation.



[18]              Comme il a été noté dans les arrêts Chen et Lu, le système de sélection fondé sur les points d'appréciation vise à circonscrire le risque que les agents des visas prennent des décisions arbitraires et incohérentes. Ce système vise à traiter tous les demandeurs sur un pied d'égalité. Voici le paragraphe 24 de l'arrêt Chen :

L'outil principal permettant de décider de la délivrance de visas aux immigrants indépendants est l'évaluation des facteurs prévus à l'Annexe I, facteurs dont les agents des visas doivent tenir compte en vertu du paragraphe 8(1) du Règlement lorsqu'ils décident si un demandeur peut vraisemblablement réussir son installation au Canada. Un des objectifs de la législation mise en place pour l'évaluation des demandes de visas est de promouvoir la cohérence du processus décisionnel et d'éviter autant que possible l'exercice par les agents des visas d'un pouvoir discrétionnaire peu structuré et potentiellement arbitraire, situation qui se produirait vraisemblablement si ces derniers pouvaient évaluer les chances qu'un demandeur réussisse son installation sans faire référence à un cadre juridique précis.



[19]              Le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 11(3) du Règlement est donc exceptionnel dans le sens qu'il autorise la délivrance d'un visa à une personne qui n'a pas obtenu le nombre de points d'appréciation requis. Le demandeur qui cherche à obtenir l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire a le fardeau de démontrer qu'il existe de bonnes raisons de l'exercer.



[20]              La décision de l'agente des visas selon laquelle le demandeur ne s'est pas acquitté de ce fardeau en l'espèce était une décision raisonnable.



[21]              Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                                     « B. Reed »

    

    

                                 J.C.F.C.


Toronto (Ontario)

Le 19 juillet 2000




Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier



No DU GREFFE :              IMM-5077-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      WING KI AU YEUNG

                     - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :          LE LUNDI 17 JUILLET 2000
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE REED

EN DATE DU :              MERCREDI 19 JUILLET 2000

ONT COMPARU :              David Bruner
                                 pour le demandeur

                     Neeta Logsetty

                                 pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

                     Hope Bruner

                     Avocat

                     25, rue Isabella

                     Toronto (Ontario)

                     M4Y 1M7

                                 pour le demandeur

                     Morris Rosenberg

                     Sous-procureur général du Canada

                                 pour le défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.