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Date : 20010117

Dossier : IMM-4900-99

ENTRE :

                                                                 JAMES LAWSON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), contre une décision rendue le 25 août 1999 par la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'appel), qui a rejeté l'appel interjeté par le demandeur contre la mesure d'expulsion en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi (la décision).

Les faits


[2]         Le demandeur est entré au Canada en novembre 1990 et, à la suite du rejet de sa revendication du statut de réfugié, il a été expulsé vers le Nigéria le 26 octobre 1991. Cette expulsion faisait suite à une mesure d'exclusion qui avait été prise le 13 mars 1991. Le 16 octobre 1991, juste avant son expulsion, le demandeur a été déclaré coupable de fraude d'un montant supérieur à 1000 $ et s'est vu infliger une peine d'une journée de détention (la première condamnation).

[3]         Avant son expulsion, le demandeur a entrepris une relation amoureuse avec Mme Vivian Ariyo. Celle-ci est citoyenne canadienne et elle est infirmière auxiliaire autorisée. En avril 1992, elle a donné naissance au premier enfant du demandeur. Quatre ans plus tard, après que le demandeur est devenu résident permanent au Canada, le couple s'est marié et leur deuxième enfant est né en 1997.

[4]         En février 1992, le demandeur a quitté le Nigéria et est entré au Canada via Vancouver. À cette époque, il a donné une fausse identité et a fait une fausse revendication du statut de réfugié. Il a admis à la section d'appel qu'il avait ensuite renoncé à cette revendication car il n'avait jamais eu l'intention d'y donner suite. Peu après son retour au Canada, il est entré illégalement aux États-Unis et a vécu avec un membre de sa parenté à Chicago jusqu'en juin 1994, date à laquelle il a obtenu le droit d'établissement grâce au parrainage de Mme Ariyo. Toutefois, sa demande de résidence permanente comportait de nombreuses fausses déclarations sur des faits importants, notamment son défaut de mentionner sa condamnation criminelle et son expulsion antérieures. Il a également utilisé un faux nom et a menti au sujet de ses emplois et de ses lieux de résidence antérieurs.

[5]         En décembre 1998, le demandeur manquait d'argent et a utilisé une carte de crédit volée pour en retirer d'un guichet automatique situé dans un casino à Niagara Falls. Il a été déclaré coupable de cette infraction et s'est vu infliger une amende de 700 $ (la deuxième condamnation). Dans le même mois, le demandeur a fait l'objet d'une mesure d'expulsion en raison de la première condamnation et des fausses déclarations qu'il avait faites dans sa demande d'établissement. Le demandeur a été renvoyé du Canada le 30 mars 2000.

La décision

[6]         La section d'appel a qualifié les antécédents professionnels du demandeur de [traduction] « partiels » et a souligné que celui-ci attribuait sa deuxième condamnation à sa mauvaise situation financière. La section d'appel a fait remarquer qu'il devait 28 000 $ à un certain nombre de créanciers et que le paiement de cette dette avait fait l'objet de retards en 1997 et en 1998.

[7]         Du côté positif, la section d'appel a souligné que le demandeur détenait et exploitait la African-American Grocery à Toronto et qu'il avait un employé. Il exploitait également le African-American Video Rental adjacent à l'épicerie. Il était en plus chauffeur de taxi dans cette ville. En outre, le demandeur et son épouse avaient récemment acheté une maison de 216 000 $ à Brampton, que la section d'appel a qualifié d'élément d'actif [traduction] « digne de considération » . Le demandeur a aussi déclaré un placement de 1 700 $ dans des actions.

[8]         La section d'appel a conclu que la preuve démontrait que le demandeur désirait s'établir financièrement au Canada. Elle a toutefois souligné qu'il n'avait aucune expérience établie dans ses entreprises et qu'elle pouvait seulement qualifier son établissement [traduction] « de travail continu dans la bonne direction » . Elle a dit que le demandeur avait [traduction] « fait des progrès » dans son établissement au Canada.

[9]         La section d'appel a souligné que le demandeur était marié à Mme Ariyo depuis août 1996, qu'ils avaient deux enfants à charge et que le demandeur assumait sa part de responsabilités dans l'éducation des enfants. Mme Ariyo a dit à la section d'appel qu'elle devrait quitter son emploi pour prendre soin des enfants si le demandeur était expulsé. La section d'appel a conclu que cette dernière serait capable de se débrouiller sur le plan économique si le demandeur n'était pas présent. Des membres de sa parenté et des amis l'avaient aidé en gardant les enfants la première fois que le demandeur avait été expulsé, et la section d'appel a estimé qu'elle pouvait de nouveau faire appel à l'aide de sa famille s'il était expulsé une deuxième fois.

[10]       La section d'appel a reconnu que Mme Ariyo et les deux enfants subiraient un préjudice financier si le demandeur était expulsé, mais elle a dit que le préjudice ne serait pas [traduction] « indû » puisque Mme Ariyo était le principal soutien de famille. Elle a aussi reconnu qu'il en résulterait également un préjudice émotionnel mais, encore une fois, elle n'a pas considéré celui-ci comme étant « indû » .

[11]       La section d'appel a reconnu que le demandeur était le fondateur et président de la Nigerian Businessmen and Women Association of Canada. Il faisait également partie du conseil d'administration de AfriCanada Emergency Support System. La section d'appel a cependant conclu que rien ne prouvait que son absence causerait un préjudice « indû » à quelque personne ou organisation que ce soit dans la collectivité du demandeur.

[12]       La section d'appel a convenu que le demandeur n'avait pas beaucoup d'antécédents judiciaires et que rien ne laissait soupçonner qu'il ait commis un crime de violence. Elle a cependant critiqué le demandeur pour l'absence de [traduction] « manifestation sincère de remords » de sa part et a dit qu'à l'audience, il avait attribué ses problèmes financiers à l'influence des autres. La section d'appel n'a pas cru que le demandeur s'était réhabilité. Elle a souligné qu'il avait commis sa deuxième infraction en décembre 1998, alors qu'il devait comprendre qu'il mettait en péril son avenir au Canada, et elle a conclu que ses liens avec sa famille, son entreprise et sa collectivité [traduction] « sont manifestement secondaires pour lui » . Elle a aussi conclu qu'il constituait un risque grave en ce qu'il récidiverait probablement s'il se retrouvait de nouveau en manque d'argent.


[13]       La section d'appel a souligné qu'au fil des années, le demandeur avait donné aux fonctionnaires de l'immigration canadiens trois noms différents et deux dates de naissance différentes. Le demandeur a expliqué ses fausses déclarations en disant qu'il s'agissait de tentatives désespérées et innocentes d'être avec son épouse et son enfant. Toutefois, la section d'appel a estimé que ses fausses déclarations n'étaient pas des incidents isolés, mais qu'elles constituaient [traduction] « plusieurs d'une longue série » . Après un examen approfondi des tentatives du demandeur d'entrer au Canada et d'y demeurer, la section d'appel a dit :

[TRADUCTION] Je n'accorde aucune crédibilité aux affirmations de l'appelant selon lesquelles il s'agissait de désespoir total de sa part. Selon moi, il ne s'agit pas du cas où un homme désespéré ne sachant pas ce qu'il fait se contredit à quelques reprises, mais plutôt d'un plan bien élaboré en vue de tromper les fonctionnaires de l'immigration canadiens.

[14]       La section d'appel a jugé que le témoignage du demandeur était [traduction] « inventé, intéressé, non crédible et non digne de foi » , et elle a ajouté qu'elle n'était pas convaincue que celui-ci [traduction] « comprend bien la gravité de ses fausses déclarations et de ses actes criminels ainsi que l'étendue de sa culpabilité » .

[15]       La section d'appel a conclu que le demandeur ne subirait pas un préjudice indû s'il était expulsé vers le Nigéria parce que son dossier montrait qu'il était intrépide et parce qu'il maîtrisait bien l'anglais et avait de l'expérience en affaires.

[16]       Enfin, la section d'appel a jugé que le témoignage rendu par Mme Ariyo au soutien de son mari était [traduction] « généralement crédible, bien qu'intéressé » . La section d'appel a trouvé surprenant le fait que Mme Ariyo connaisse si peu le passé de son mari, qu'elle ait fait remarquer qu'elle ne savait pas que son mari avait utilisé des faux noms et qu'elle n'avait jamais discuté avec lui de son expulsion antérieure, de ses condamnations et des raisons de ses différents voyages au Nigéria.


Les questions en litige

[17]       Le demandeur a soutenu que :

1)          La Section d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'avait manifesté aucun remords sincère et qu'il n'avait pas assumé la responsabilité de ses actes.

2)          La section d'appel a commis une erreur lorsqu'elle a dit que Mme Ariyo n'avait pas discuté du passé du demandeur avec lui.

J'aborde chaque question à tour de rôle.

Question 1

[18]       On m'a renvoyé à plusieurs extraits de la transcription où le demandeur avait admis que sa conduite criminelle avait été une erreur. On m'a cependant aussi montré l'extrait suivant, dans lequel le demandeur décrit sa première infraction de façon désinvolte au cours de son interrogatoire principal :

[TRADUCTION] Donc, lorsque j'ai essayé d'encaisser le chèque, ils ont découvert que je n'en étais pas le bénéficiaire, ils ont appelé la police, j'ai été arrêté et accusé de fraude, et lorsque nous étions devant la Cour, j'ai donné des explications au juge et le juge a dit, bien ce que vous avez fait est mal, bla, bla, bla, okay, une journée de prison et c'est tout.

Sur cette question, la section d'appel a dit :

[TRADUCTION] Je suis troublé par l'absence d'une manifestation sincère de remords de la part de l'appelant pour ses actes criminels. Même si l'appelant a parlé beaucoup, je n'ai pas entendu ni senti des remords sincères ni une prise de responsabilité pour ce qu'il a fait. Au contraire, l'appelant a imputé ses actes à la faute des autres et, en particulier, à ses problèmes financiers.

L'appelant veut que je croie qu'il a maintenant l'intention ferme de tourner la page et de ne plus se livrer à des activités criminelles. Je ne crois pas l'appelant. Je conviens avec l'intimé que le fait que l'appelant ait commis sa deuxième et plus grave infraction tout en sachant fort bien que cela était susceptible de mettre en péril son avenir au Canada est révélateur quant à ses intentions. Sa famille, son entreprise et les nouveaux arrivants au Canada qu'il veut aider et pour lesquels il prétend être un modèle sont manifestement secondaires pour lui.

[19]       Comme cet extrait l'indique, le demandeur n'a pas été cru lorsqu'il a exprimé ses remords. Après examen de la transcription, j'ai conclu qu'il était loisible à la section d'appel de tirer une conclusion défavorable relativement à la crédibilité du demandeur sur la question des remords. Au fil des ans, le demandeur a donné aux fonctionnaires de l'immigration trois noms différents et deux dates de naissance. Il a fait défaut de révéler des faits importants lorsqu'il a fait une demande de résidence permanente, et, ce qui est admis, il a fait une fausse revendication du statut de réfugié quand il est entré au Canada en 1992. De même, il a volé lorsqu'il a eu besoin d'argent en 1988 et il a excusé tout cela en disant qu'il souhaitait être réuni avec son épouse et qu'il devait soutenir sa famille. À la lumière de ces faits, la section d'appel était en droit de conclure, comme elle l'a manifestement fait, que le demandeur dirait ce qu'il faudrait pour atteindre ses objectifs. Elle était donc en droit de douter de la sincérité de ses manifestations de remords.

Question 2

[20]       À mon avis, les motifs de la section d'appel étaient quelque peu contradictoires au sujet de ce que l'épouse du demandeur connaissait sur le passé de celui-ci. À un certain moment, la section d'appel a dit :

[TRADUCTION] Je suis d'accord avec l'intimé que Mme Ariyo a choisi librement de faire des plans familiaux avec l'appelant tout en connaissant son passé criminel ainsi que la possibilité qu'il soit expulsé du Canada et tout en sachant fort bien que son statut d'immigrant au Canada n'était pas déterminé.

[21]       Toutefois, à la page suivante, la décision indique :

[TRADUCTION] Ce qui est le plus surprenant, c'est le manque de connaissance de Mme Ariyo sur le passé de son mari. Par exemple, Mme Ariyo a dit qu'elle ne connaissait pas la propension de l'appelant à utiliser différents noms, qu'elle n'avait jamais discuté avec lui de son expulsion antérieure et de ses activités criminelles et qu'elle ne savait pas avec certitude pourquoi et quand l'appelant avait fait ses différents voyages au Nigéria.

[22]       La transcription confirme que Mme Ariyo ne savait pas que le demandeur avait utilisé des faux noms et qu'elle ne connaissait avec certitude que l'un de ses deux voyages au Nigéria. Il est cependant clair que la section d'appel a commis une erreur relative à son expulsion et à ses condamnations. La transcription montre clairement que Mme Ariyo était au courant de son expulsion antérieure et qu'elle avait discuté de ses condamnations avec lui. L'avocat du défendeur a cependant fait valoir que ces erreurs ne portaient pas sur des faits importants.

[23]       Je ne suis pas convaincue que les erreurs ne portaient que sur des faits sans importance. La section d'appel a dit que la crainte que le demandeur récidive constituait un facteur fondamental dans sa décision de rejeter l'appel. À mon avis, si la section d'appel (qui a jugé que de façon générale Mme Ariyo était un témoin crédible) avait considéré que cette dernière avait discuté avec le demandeur de sa deuxième condamnation, qu'elle avait menacé de le quitter s'il récidivait et qu'elle avait obtenu sa promesse de conduire un taxi (ce qu'il faisait) pour éviter de manquer d'argent à l'avenir, elle aurait pu tirer une conclusion différente sur la probabilité qu'il récidive.


Conclusion

[24]       Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

La question certifiée

[25]       L'avocat du demandeur m'a demandé de certifier la question suivante :

Lorsque le dossier indique que l'appelant paraît satisfaire à une bonne partie des facteurs énoncés dans l'arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.F.), dans le cadre d'un appel interjeté en vertu de l'article 70 de la Loi sur l'immigration, et lorsqu'il ressort en outre que la section d'appel n'a tiré aucune conclusion défavorable relative aux autres facteurs, la section d'appel commet-elle une erreur de droit, dans l'interprétation et l'application de l'arrêt Chieu, en rejetant l'appel?

[26]       J'ai conclu qu'il ne s'agissait pas d'une question grave. Je dis cela parce que lorsque la section d'appel exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l'alinéa 70(1)b) de la Loi, elle ne doit pas se limiter à l'examen des facteurs énoncés dans l'arrêt Chieu. En outre, même si la liste de facteurs énumérés dans Chieu avait été exhaustive, l'exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut pas se résumer à une question de chiffres, comme le laisse entendre la question proposée. De toute manière, étant donné que la demande de contrôle judiciaire a été accueillie, la question est théorique.

« Sandra J. Simpson »

J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 17 janvier 2001.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                                IMM-4900-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 JAMES LAWSON

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 Le 20 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          LE JUGE SIMPSON

EN DATE DU :                                                    17 janvier 2001

ONT COMPARU :

M. Guidy Mamann                                                                         Pour le demandeur

M. Godwin Friday                                                                          Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                                                     Pour le demandeur

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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