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                                                                                                                               Date :    20050620

                                                                                                                  Dossier :    IMM-8380-04

                                                                                                                Référence :    2005 CF 875

Ottawa (Ontario), le 20 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                       KULJIT SINGH GREWAL

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur, Kuljit Singh Grewal, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 septembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention ou celui de personne à protéger.


[2]                Le demandeur prie la Cour d'infirmer la décision et de renvoyer l'affaire à la Commission pour que celle-ci procède à une nouvelle audition devant une autre formation du tribunal.

LES FAITS

[3]                Le demandeur, un citoyen de l'Inde, prétend avoir été arrêté deux fois et torturé par la police qui le soupçonnait d'héberger et de nourrir des terroristes de Jammu-et-Cachemire. Une fois libéré, le demandeur s'est enfui au Canada où il est arrivé le 19 septembre 2003.

[4]                L'audience a eu lieu devant la Commission le 3 septembre 2004 et la demande a été rejetée le 14 septembre 2004.

[5]                L'autorisation d'introduire la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée le 17 janvier 2005.

LA DÉCISION EN CAUSE

[6]                Il a été présenté à la Commission, outre le témoignage du demandeur, son formulaire de renseignements personnels (FRP), son visa, un certificat médical et des documents sur la situation en Inde.

[7]                Quoique l'identité du demandeur n'ait pas été en cause, la Commission a statué que le demandeur n'était pas crédible sur plusieurs points et a en conséquence rejeté sa demande.


[8]                Le premier point sur lequel la Commission a attaqué la crédibilité du demandeur a été son retard à demander la protection du Canada. La Commission a noté que le demandeur avait déclaré s'être enfui de l'Inde parce que sa vie y était en danger, mais qu'il avait attendu un an et demi après son arrivée au Canada pour revendiquer le statut de réfugié. La Commission n'a pas accepté son explication selon laquelle il n'était pas familier avec notre système d'immigration et qu'il craignait d'être également en danger au Canada. La Commission a estimé que cela n'expliquait pas pourquoi le demandeur avait obtenu un visa d'un pays où il pensait qu'il serait en danger.

[9]                La Commission a noté que le demandeur avait reconnu être venu au Canada avec un permis de travail temporaire n'ayant pas encore pris fin au moment de sa revendication du statut de réfugié. La preuve indique que le demandeur a d'abord travaillé dans un restaurant à son arrivée au pays. La Commission n'a pas jugé plausible sa prétention voulant qu'il ne soit plus capable de travailler parce qu'il éprouvait des douleurs dues à la torture subie en Inde. La Commission ne réussissait pas à comprendre pourquoi le demandeur avait mis tant de temps pour remarquer cette douleur, lui qui prétendait avoir été torturé de la pire manière.

[10]            La Commission a également fondé sa décision sur la constatation d'une troisième invraisemblance ayant trait aux soupçons de la police concernant les liens prétendus du demandeur avec les terroristes. La Commission a noté que, selon la preuve documentaire, les terroristes du Cachemire font l'objet d'une répression particulière en raison des tensions entre l'Inde et le Pakistan. La Commission a estimé invraisemblable que la police qui avait saisi le scooter du demandeur auprès des terroristes le relâche après son interrogatoire.


[11]            Enfin, la Commission a jugé invraisemblable que la police relâche le demandeur sans lui prendre son passeport et à la seule condition qu'il se rapporte à eux le 1er mars 2003.

[12]            Vu sa conclusion que le demandeur manquait de crédibilité, la Commission a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), ou une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la même loi. Sa revendication a été rejetée.

QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire, je me propose de traiter des questions suivantes :

1)         Y a-t-il crainte de partialité de la part de la Commission?

2)         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur manquait de crédibilité?

3)         La décision de la Commission est-elle suffisamment motivée?

ANALYSE

1)         Y a-t-il crainte de partialité de la part de la Commission?


[14]            Le demandeur soutient que le commissaire a fait naître une crainte raisonnable de partialité. Il prétend que l'attitude négative de la Commission est manifeste à la lecture de la transcription de l'audience. Il fait valoir que la Commission a fondé ses conclusions sur des hypothèses et des suppositions personnelles quant aux normes de l'Inde applicables aux circonstances du demandeur.

[15]            Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » .

[16]            En l'espèce, il n'y avait pas d'agent de protection des réfugiés à l'audience. Il est tout à fait raisonnable dans de telles circonstances que le tribunal interroge le revendicateur. J'ai examiné attentivement le dossier, notamment la transcription de l'audience, et en particulier les questions qui ont été posées au demandeur par le commissaire. De cet examen, je conclus que la conduite du commissaire ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité. Le demandeur n'a pas réussi à étayer ses prétentions à ce chapitre. En outre, je note que l'avocat du demandeur n'a à aucun moment soulevé de doute sur cette question à l'audience. Il est de jurisprudence constante qu'une crainte de partialité doit être soulevée le plus tôt possible pour permettre au tribunal d'examiner la question et de prendre des mesures correctives si nécessaire. La question de la partialité n'a pas été soulevée à l'audience et, de toute façon, la preuve n'étaye pas cette prétention.


2)         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur manquait de crédibilité?

[17]            On admet généralement qu'une commission est dans une meilleure position pour apprécier la crédibilité d'une demande et tirer les inférences nécessaires. Dans le contexte d'un contrôle judiciaire, les conclusions quant à la crédibilité sont examinées d'après la norme de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL). L'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R. 1985, ch. F-7, mod. par 2002, ch. 8, prévoit que la Cour n'interviendra que si ces conclusions sont fondées sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

[18]            Le demandeur soutient que la décision de la Commission est viciée en ce qu'elle a commis une erreur en n'établissant pas une chronologie exacte de sa présence au Canada. Il affirme ne pas avoir attendu un an et demi, mais six mois, pour revendiquer l'asile. Il prétend avoir déposé sa demande le 12 mars 2004, conformément à la déclaration contenue dans son FRP. Il fait valoir que l'erreur de la Commission a eu une incidence directe et négative sur la conclusion touchant sa crainte de persécution.


[19]            La Commission s'est enquise de la date du dépôt de la demande et on l'a informée que c'était le 12 mars 2004. Il semble que l'erreur de la Commission en soit une de calcul, puisqu'elle disposait déjà de cette information dans la preuve documentaire du demandeur qu'elle voulait faire confirmer à l'audience. Sur ce point, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que l'erreur de la Commission n'est pas décisive puisque l'élément essentiel considéré était le fait que le demandeur avait attendu avant de demander l'asile. La Commission a également rejeté l'explication du demandeur quant à l'important intervalle écoulé entre son arrivée au Canada et le dépôt de sa demande, et notamment l'explication selon laquelle il n'était pas familier avec le système d'immigration du Canada et craignait d'être en danger également au Canada. Je suis d'avis que la Commission pouvait rejeter l'explication du demandeur.

[20]            Le retard dans le dépôt de la demande n'est que l'un des éléments parmi les lacunes constatées dans la preuve par la Commission et qui sapent la crédibilité du demandeur. La décision doit être examinée dans son intégralité et, dans l'ensemble, je suis d'avis que les conclusions de la Commission sont étayées par la preuve. Dans les circonstances, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée : Sylla c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 793 (QL).

[21]            Après avoir examiné toute la preuve, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision dans sa conclusion touchant la crédibilité.

3)          La décision de la Commission est-elle suffisamment motivée?

[22]            L'alinéa 169b) de la LIPR exige que les décisions soient motivées. Je reconnais que pour que cette obligation soit remplie il faut, comme la Cour d'appel fédérale l'a fait remarquer dans Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (QL), que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles de sorte que le demandeur puisse savoir pourquoi sa demande est rejetée et décider s'il y a lieu de demander la permission d'interjeter appel.


[23]            À mon avis, la Cour fédérale d'appel, dans Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL), a bien expliqué l'analyse à laquelle la Cour doit procéder pour évaluer si les motifs sont suffisants.

En effet, le tribunal ne rejette pas catégoriquement le témoignage de l'appelant mais semble douter de la crédibilité de ce dernier. Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.

[24]            En l'espèce, le demandeur prétend qu'il y a manquement à l'équité procédurale en raison de l'insuffisance des motifs. Le demandeur fait valoir que les motifs sont insuffisants parce qu'ils ne traitent pas de la preuve et n'exposent pas le raisonnement à l'appui des conclusions de la Commission. Le demandeur soutient que les motifs de la Commission ne lui permettent pas de vérifier si les faits qu'il a allégués ont été réellement analysés et si les conclusions découlent de la preuve.

[25]            Le défendeur réplique que la Commission a clairement identifié les éléments pertinents qui faisaient douter de la crédibilité du demandeur, soit les invraisemblances et la conduite du demandeur.


[26]            Les motifs de la Commission ne peuvent pas être qualifiées de « génériques » , « vagues » ou « nébuleux » . Dans l'exposé de ses motifs, la Commission a clairement dit que le demandeur n'était pas crédible en raison de son retard à demander l'asile; que son explication quant à sa crainte d'être en danger au Canada n'était pas crédible, ni son histoire selon laquelle il lui avait fallu dix-huit mois pour reconnaître qu'il ne pouvait plus travailler à cause de ses préoccupations de santé dues à la torture qu'il aurait subie en Inde. La Commission a en outre expliqué pourquoi elle ne croyait pas au récit du demandeur à propos de son arrestation, de sa libération et du fait qu'on lui a laissé son passeport. Il ressort également clairement de la décision que la Commission a tenu compte du témoignage du demandeur, de son FRP, de son certificat médical, de son visa et des documents sur la situation existante en Inde. Je suis d'avis que les motifs de la Commission sont suffisants et qu'ils sont suffisamment clairs pour que le demandeur ait a été informé de ce qui a motivé sa décision.

CONCLUSION

[27]            Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la Commission n'a pas, en l'espèce, commis d'erreur susceptible de révision. En conséquence, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[28]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale conformément à l'alinéa 74d) de la LIPR et ne l'ont pas fait. Je n'ai pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                     Juge             

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                                    Avocats inscrits au dossier

Dossier :                                                 IMM-8380-04

INTITULÉ DE LA CAUSE: Kuljit Singh Grewal c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 27 avril 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                          Le 20 juin 2005

COMPARUTIONS :                            

Andrea C. Snizynsky                                                  Pour le demandeur

Suzon Létourneau                                                       Pour le défendeur

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

Andrea C. Snizynsky                                                  Pour le demandeur

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                       Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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