Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990114


Dossier : 98-T-55

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 JANVIER 1999.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE :

     J. BRUCE W. CARSON,

     demandeur,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     VU la demande dans laquelle le demandeur, J. Bruce W. Carson, en application de la Règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), sollicite une ordonnance de prorogation du délai pour déposer, conformément à la Règle 300, un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 juillet 1998 et communiquée au demandeur vers le 3 août 1998 ou à cette date, par laquelle le Conseil de Trésor a rejeté la demande du demandeur sollicitant une allocation de conjoint survivant conformément à la Loi sur la pension de la fonction publique;


     LA COUR ORDONNE :

1.      Que la présente demande soit accueillie.

2.      Que le délai dont dispose le demandeur pour déposer sa demande de contrôle judiciaire soit prorogé. Le demandeur peut signifier et déposer cette demande dans les quinze (15) jours de la date de la présente ordonnance.

                             " Allan Lutfy "
                        
                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


Date : 19990114


Dossier : 98-T-55

ENTRE :

     J. BRUCE W. CARSON,

     demandeur,


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance de proroger le délai de 30 jours applicable au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire tire son origine du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale1:


An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow. [Emphasis added.]

Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder. [Non souligné dans l'original.]


[2]      Il est utile d'examiner la décision de principe sur les critères à appliquer pour exercer ce pouvoir discrétionnaire. Dans Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration2, le demandeur a sollicité la prorogation du délai pour déposer sa demande de contrôle judiciaire environ douze mois après le prononcé de la décision de la Commission d'appel de l'immigration. Le juge en chef Thurlow s'est exprimé de la façon suivante : " Il me semble [...] qu'en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties "3. Il a ajouté que " [...] en dernière analyse, la question de savoir si l'explication donnée justifie la prorogation nécessaire doit dépendre des faits de l'espèce et, à mon avis, nous commettrions une erreur si nous tentions d'énoncer des règles qui auraient l'effet de restreindre un pouvoir discrétionnaire que le Parlement n'a pas jugé bon de restreindre "4.

[3]      Dans ses motifs distincts, le juge Marceau a mis l'accent sur le fait que lorsque la " recherche ultime de la justice " transcende " la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties ", la prorogation du délai doit être accordée. Il a également parlé de la balance des facteurs pertinents :

     L'imposition de délais applicables à la contestation de la validité des décisions judiciaires a naturellement pour but de mettre en oeuvre un principe fondamental de notre pensée juridique selon lequel, dans l'intérêt de la société dans son ensemble (interest reipublicae ut sit finis litium), et les règles générales adoptées par les tribunaux relativement aux demandes de prorogation de ces délais ont été élaborées en tenant compte de ce principe. L'autorisation d'interjeter appel après expiration du délai imparti ne sera accordée que si, considérant les circonstances d'une affaire, la recherche ultime de la justice semble transcender la nécessité de mettre fin à l'incertitude relative aux droits des parties. D'où l'obligation d'étudier différents facteurs, tels la nature du droit visé par les procédures, le redressement sollicité, l'effet du jugement rendu, ce qui a été fait en exécution de ce jugement, le préjudice que subiront les autres parties au litige, le temps écoulé depuis le prononcé du jugement, la façon dont le requérant a réagi à ce jugement, la raison pour laquelle il n'a pas exercé son droit d'appel plus tôt, le sérieux de ses prétentions contre la validité du jugement. Il me semble que, pour apprécier la situation comme il se doit et tirer une conclusion valide, il est essentiel de balancer les différents facteurs impliqués. Par exemple, une explication parfaitement convaincante justifiant le retard peut entraîner une réponse positive même si les arguments appuyant la contestation du jugement paraissent faibles et, de la même façon, une très bonne cause peut contrebalancer une justification du retard moins convaincante.5 [Non souligné dans l'original.]         

[4]      En l'espèce, la preuve présentée par le demandeur montre sans aucun doute l'existence de " motifs soutenables "6 et même d'" une chance raisonnable de succès "7. Pour paraphraser le juge Marceau dans Grewal, je suis convaincu du sérieux des prétentions du demandeur contre la validité de la décision contestée. Le demandeur a présenté une preuve par affidavit claire émanant du médecin décédé, preuve selon laquelle les conjoints vivaient comme mari et femme, et le défendeur a décidé de ne pas divulguer les éléments de preuve documentaire à l'appui de l'opinion contraire.

[5]      La preuve que le demandeur a présentée pour expliquer le retard d'environ trois mois après l'expiration du délai habituel de trente jours pour présenter la demande est plus faible. La décision contestée a été communiquée par lettre en date du 30 juillet 1998 et reçue par le demandeur le 3 août 1998. Une copie de cette lettre a été envoyée à son avocat qui, dans une lettre datant de septembre 1995, a informé les fonctionnaires du gouvernement que leur défaut de divulguer les renseignements contre la réclamation du demandeur serait [TRADUCTION] " considéré injuste et inacceptable s'il y avait contrôle judiciaire " et que [TRADUCTION] " toute décision fondée sur des renseignements secrets pouvait être annulée à l'occasion de procédures judiciaires ultérieures "8.

[6]      Quant à savoir ce que son avocat et lui ont fait lorsqu'ils ont reçu la lettre du 30 juillet 1998 communiquant la décision, la preuve par affidavit du demandeur est plus laconique :

     [TRADUCTION]         
     21. Suivant la réception de la lettre [communiquant la décision], je ne me suis pas rendu compte et je n'étais pas au courant de l'existence d'un délai de 30 jours pour déposer une demande de contrôle judiciaire, malgré mon intention de contester une décision défavorable.         
     22. Le 16 novembre 1998, mon avocat m'a informé qu'un délai de 30 jours était applicable au dépôt d'une demande de contrôle judiciaire. Ce jour-là, je l'ai mandaté de préparer et de déposer une telle demande.         

Le fait que le demandeur n'était pas au courant du délai de trente jours pour déposer la demande de contrôle judiciaire indique soit un manque de communication entre son avocat et lui, soit la possibilité d'un oubli de ce dernier9.

[7]      Il s'agit d'une situation où, dans l'exercice du critère proposé par le juge Marceau dans Grewal, il convient de mettre en balance les arguments apparemment irréfutables du demandeur contre la décision et la justification moins satisfaisante du retard. Le fait que l'absence de justification du contrôle judiciaire ne ressorte pas du dossier résulte peut-être du refus de divulguer les [TRADUCTION] " renseignements contre "10 la réclamation du demandeur. Ce vide de renseignements l'emporte d'une manière significative sur ma préoccupation concernant le retard de trois mois.


[8]      Par conséquent, la Cour accueille la demande du demandeur sollicitant la prorogation du délai pour déposer l'avis de demande.

                                 " Allan Lutfy "
                                
                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 janvier 1999.

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              98-T-55
INTITULÉ DE LA CAUSE :      J. Bruce W. Carson c. Le procureur général
                     du Canada

REQUÊTE TRAITÉE SUR DOCUMENTS SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LUTFY

EN DATE DU :              14 janvier 1999

REPRÉSENTATIONS ÉCRITES :

M. Gordon F. Gregory, c.r.      pour le demandeur
M. John J. Ashley              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Athey, Gregory & Dickson

Avocats

Frédéricton (Nouveau-Brunswick)      pour le demandeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)              pour le défendeur
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. F-7.

     2      [1985] 2 C.F. 263 (C.A.).     

     3      Ibid., à la p. 272.

     4      Ibid., aux pp. 277 et 278.

     5      Ibid., à la p. 282. Ces facteurs ont été énoncés dans des termes à peu près semblables à ceux utilisés au paragraphe 4 dans l'arrêt Nelson c. Edmonton Institution (1996), 206 N.R. 180 (C.A.F.) : " la volonté, exprimée en temps voulu, d'engager la procédure; l'existence d'un dossier défendable; la cause et la longueur réelle du retard; et la question de savoir si le retard a été cause de préjudice ".

     6      Ibid., à la p. 277.

     7      Le critère de la " chance raisonnable de succès " a été utilisé par le juge MacKay dans LeBlanc c. Banque Nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81, à la p. 94.

     8      Dossier de la demande, aux pp. 68 à 73.     

     9      Je partage l'opinion du juge MacKay dans LeBlanc , précité, note 7, p. 93, selon laquelle les " faux-pas [de l'avocate] " ne devraient pas empêcher la Cour de proroger le délai " [...] dans la mesure où le requérant établirait les éléments lui permettant de conclure, dans l'intérêt de la justice entre les parties, que la demande de contrôle judiciaire a une chance raisonnable de succès ".

     10      Dossier de la demande, à la p. 68.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.