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                                         T-1376-95

                         

ENTRE :     

     GILLES DÉGARIE,

     Requérant,

                 - ET -

     SA MAJESTÉ LA REINE (aux droits du Canada),

     et SERVICE CORRECTIONNEL CANADA,

     Intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE RICHARD

     Le requérant purge présentement et ce, depuis 1980, une peine de 17 ans, 10 mois et 4 jours pour des infractions de vol qualifié, négligence criminelle dans la conduite d'un véhicule, fraude, usage de faux, vol, menaces de mort et prise d'otage, le tout tel qu'il appert du rapport sur le profil criminel.

     Le requérant est incarcéré à l'Établissement Port-Cartier, depuis le 19 février 1992, un établissement à sécurité maximale.

     Le ou vers le 16 juin 1994, suite à un isolement préventif involontaire de deux jours pour avoir dit qu'il s'attaquerait à un membre du personnel de l'Établissement, le requérant fit mention de son désir de demeurer en isolement. En date du 20 juin 1994, le requérant confirma formellement sa demande d'être placé en isolement préventif. Il fut accédé à la demande d'isolement volontaire du requérant.

     Lors de rencontres subséquentes, soit pour les mois de juillet, août et septembre 1994, le requérant a maintenu son désir de demeurer en isolement. Durant toute cette période d'isolement volontaire, le requérant occupait une cellule dans le secteur d'isolement du Pavillon "L".

     Il existe, à l'Établissement, deux secteurs d'isolement, soit celui du Pavillon "L", où se trouvait le requérant, et celui du Pavillon "S" (également qualifié "S.L.T.", ségrégation à long terme), où se trouve présentement le requérant. D'après l'affidavit du directeur de l'Établissement Port-Cartier, ces deux secteurs d'isolement offrent les mêmes services. Les conditions de détention ainsi que les droits et privilèges des détenus placés en isolement préventif sont les mêmes dans les deux secteurs d'isolement. La seule différence qui existe entre ces deux secteurs d'isolement est au niveau de l'emplacement physique et de la structure des pavillons. Ainsi, au Pavillon "L", il y a, en plus du secteur d'isolement, un secteur de population régulière. Tel n'est pas le cas au Pavillon "S".

     En date du 29 septembre 1994, alors que le requérant était en isolement volontaire, il fut décidé de le transférer du secteur d'isolement du Pavillon "L" au secteur d'isolement du Pavillon "S" puisque plusieurs faits portaient à croire que le requérant avait soulevé plusieurs détenus du secteur "L" et puisque qu'il avait été identifié comme ayant exploité certains résidents, notamment en leur soutirant de l'argent.

     Il fut donc demandé au requérant, en date du 29 septembre 1994, de changer de secteur puisque l'emplacement du secteur "S" fait en sorte que les contacts avec la population régulière sont très restreints. Devant le refus du requérant de changer de secteur, il lui a été ordonné de coopérer mais le requérant a maintenu son refus.

     Le requérant a finalement obtempéré et aucun usage de la force n'a été nécessaire pour transférer le requérant du Pavillon "L" au Pavillon "S". Vu le refus du requérant d'être placé dans le secteur d'isolement du Pavillon "S", l'isolement préventif du requérant devenait, à compter du 29 septembre 1994, involontaire.

     Le requérant ne conteste nullement son placement en isolement. Dans sa requête pour l'émission d'un bref de certiorari, il déclare:

         Selon la volonté du présent requérant, il n'est nullement contesté le placement en ségrégation long terme du requérant, mais uniquement les raisons employées par l'administration de l'établissement Port-Cartier, raisons et/ou motifs et/ou accusations demeurés "Stationnaire administré" qui donnent lieu à de nombreuses décisions, et à l'empile de documents négatifs dans le dossier carcéral du présent requérant, donnant lieu à une montagne de préjudices causés à celui-ci.                 

     Le requérant ne conteste pas non plus la légalité de sa détention.

         Cette présente requête ne comporte aucune conclusion et/ou demande en vertu d'une détention illégale, quoiqu'il puisse malgré tout y avoir apparence d'une détention illégale, ce recours ne fera pas l'objet de contestation comme telle.                 

     Le requérant conteste les motifs à la base du déplacement pavillonnaire forcé, c'est-à-dire son déplacement du secteur d'isolement du Pavillon "L" à celui du Pavillon "S". Ce que le requérant qualifie d'accusations sont plutôt les motifs qui ont donné lieu au déplacement pavillonnaire.

     La seule décision qui fait l'objet de cette requête en contrôle judiciaire est la décision du 29 septembre 1994 de transférer le requérant du secteur d'isolement du Pavillon "L" au secteur d'isolement du Pavillon "S".

     Le requérant prétend que l'on a refusé de l'informer de la nature exacte de ce que lui est reproché. Il conteste la suffisance des motifs qui, à son avis, lui sont préjudiciables.

     Lorsque le requérant fut placé en isolement préventif involontaire au Pavillon "S" le 29 septembre 1994, il fut informé des motifs de ladite décision et de son droit à un avocat. Les motifs sont les suivants:

         Étant en isolement volontaire dans le secteur détention, plusieurs faits nous portent à croire que vous avez profité de votre situation afin de soulever plusieurs détenus de ce secteur. De plus, vous êtes identifié pour avoir exploité certain résidants. Votre présence dans ce secteur n'est plus acceptable pour l'instant.                 

     En date du 5 octobre 1994, le Comité d'isolement préventif a rencontré le requérant. Au cours de cette rencontre, le requérant fut de nouveau informé des motifs de la décision et eut l'occasion de présenter sa position. Le requérant a présenté ses arguments lorsque le Comité d'isolement préventif l'a rencontré et également dans diverses requêtes ou plaintes. Depuis le placement involontaire du requérant au Pavillon "S", il a adressé plusieurs griefs et plaintes à l'administration pénitentiaire qui ont atteint le troisième palier et dont il n'a pas encore été disposé.

    

     À cet égard, je réfère à l'affaire Camphaug1 où il fut également question de la suffisance de l'information donnée.

         [...] that a decision to transfer is not like a conviction for an offence: what is required on the part of the decision-maker is a reasonable belief that the prisoner should be moved for the sake of the orderly and proper administration of the institution. This implies that fairness in the making of such a decision does not require that the inmate be given all of the particulars of all alleged wrongdoings; it is sufficient if he can make representations to demonstrate that the recommendation that he be moved is an unreasonable one.                 

     Le requérant a été adéquatement informé des motifs de la décision et il était conséquemment en mesure d'y répliquer ou de s'opposer à ladite décision. Il n'y a pas, en l'espèce, violation des règles d'équité procédurale ou des principes de justice fondamentale.

     Il s'agit de l'exercice légal du pouvoir discrétionnaire accordé au directeur de l'Établissement qui ne peut être contesté en l'absence de preuve qu'il a été imposé de façon inéquitable. Cette décision fut prise afin d'assurer la sécurité de codétenus et le bon fonctionnement de l'Établissement, conformément à l'article 31(3) de la Loi sur les services correctionnels et la mise en liberté sous condition.

     À la lumière de la preuve, le placement du requérant en isolement préventif involontaire n'a pas été imposé inéquitablement.

     Le requérant demande une réparation en vertu de l'article 24(1) de la Charte.

     L'intimé soutient que le déplacement d'un détenu dans un pavillon plutôt que dans un autre pavillon de l'Établissement, lorsque les conditions de détention, les droits et les privilèges sont les mêmes, relève de la gestion et de l'administration d'un pénitencier. En l'espèce, le secteur d'isolement du Pavillon "L" offrant les mêmes services, conditions, droits et privilèges que le secteur d'isolement du Pavillon "S", le déplacement du requérant dans un pavillon donné de l'Établissement ne peut faire l'objet d'une réparation en vertu de l'article 24(1) de la Charte. La décision du 29 septembre 1994 ne porte pas atteinte aux droits constitutionnels du requérant.

     Je n'ai pas à me prononcer sur les neuf griefs qui sont présentement suspendus. L'article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les articles 74 à 82 du Règlement et la directive du Commissaire No. 81 prévoient une procédure de règlement des griefs des détenus. Or, en l'espèce, le requérant n'a pas épuisé ces recours.     

     Dans les circonstances, la demande de contrôle judiciaire du requérant est rejetée.

     __________________________

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 26 juin 1997


__________________

1      Camphaug c. Canada (1990), 34 F.T.R. 165 à la p. 167.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-1376-95

INTITULE : Gilles Dégarie

c. Sa Majesté La Reine et al.

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa, Ontario

DATE DE L'AUDIENCE : le 25 juin 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE RICHARD EN DATE DU: le 26 juin 1997

COMPARUTIONS

M. Gilles Dégarie LE REQUERANT

qui se represente lui-même

Me Rosemarie Millar POUR LES INTIMES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

George Thomson POUR LES INTIMES Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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