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Date : 20040730

Dossier : T-859-04

Référence : 2004 CF 1051

ENTRE :

                                                                  ROY HARRIS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                   LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE,

                     LA VILLE DE VANCOUVER (SPV), BERT RAINEY ET AUTRES,

                                                              et GARY SNARCH

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Par cette action, M. Harris demande divers redressements à l'encontre de plusieurs personnes, notamment M. Gary Snarch, un avocat qui exerce sa profession à Vancouver. M. Snarch représentait une défenderesse dans une action engagée en 1988 par M. Harris, action qui fut rejetée en 1989 à l'endroit de la cliente de M. Snarch. La réclamation actuelle de M. Harris contre M. Snarch, réclamation qui remonte à cette action de 1988, est la suivante :

3. Le défendeur, GARY STEVEN SNARCH (ci-après appelé « SNARCH » ) est responsable du vol de droits d'auteur et de droits de propriété intellectuelle appartenant au demandeur HARRIS, et responsable de fraude ainsi que de diffamations verbales et écrites contre le demandeur dans la présente action, et le DÉFENDEUR GARY STEVEN SNARCH a déposé une réclamation auprès du Fonds d'assurance juridique de la Colombie-Britannique, dossier n ° 02-231, en raison de sa négligence commise contre le demandeur HARRIS.


Au paragraphe 4 de la déclaration dont il s'agit ici, il est question de M. Snarch, mais non dans le contexte d'une réclamation à son encontre.

[2]                L'avocat de M. Snarch voudrait que soit radiée la réclamation déposée contre son client et il invoque plusieurs moyens en ce sens. La réclamation déposée contre M. Snarch est radiée et rejetée, sans autorisation de la modifier. J'examinerai maintenant la question plus en détail, en commençant par certains faits pertinents.

LES FAITS

[3]                En 1988, M. Harris et deux de ses entreprises engageaient une action contre Forstar Trading Inc., Pocock Industries Ltd., Larry Pocock et Y.C. Trading Corporation. L'élément central de cette action engagée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique était une proposition commerciale, qui avait semble-t-il été faite à Forstar Trading Inc. et à Pocock Industries Ltd., et qui concernait la coupe à façon et la vente de faux cyprès de Nootka, ce qui fut en partie accompli. L'action engagée en 1988 demandait le versement de dommages-intérêts ainsi qu'une injonction visant à empêcher les défendeurs de « continuer de s'approprier les atouts de l'entreprise » . M. Snarch représentait Forstar Trading Inc., et M. Harris comparaissait en son propre nom et au nom de ses entreprises.


[4]                Le 29 juin 1989, le juge Catliff, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, rejetait la réclamation déposée contre la cliente de M. Snarch. Ce qui est à l'origine de la présente action, c'est cette défense opposée avec succès par M. Snarch au nom de sa cliente Forstar Trading Inc., ainsi que les conseils que, d'après M. Harris, M. Snarch aurait donnés à Forstar Trading Inc.

ANALYSE

[5]                L'avocat de M. Snarch voudrait que soit radiée la réclamation déposée contre son client, et il invoque les moyens suivants :

1.         la déclaration ne renferme pas les détails exigés par l'article 174 des Règles;

2.         la déclaration n'indique pas une cause d'action valable à l'encontre de M. Snarch;

3.         la déclaration est scandaleuse, futile et vexatoire et elle constitue un abus de la procédure;

4.         la Cour fédérale n'a pas compétence pour juger l'action; et

5.         la réclamation est prescrite en application de l'article 3 de la Limitation Act de la Colombie-Britannique.

Quelques principaux généraux



[6]                Je commencerai par faire plusieurs observations générales sur les moyens invoqués au soutien de la radiation d'une partie de la déclaration. D'abord, un acte de procédure qui ne renferme pas suffisamment de faits à l'appui, c'est-à-dire qui n'est pas assez détaillé, est fondamentalement vexatoire et ne conduira à aucun résultat concret : voir par exemple le jugement Pellikaan c. La Reine [2002] 4 C.F. 169, aux paragraphes 15 et 35. Deuxièmement, pour juger de l'absence d'une cause d'action raisonnable, je dois accepter les éléments exposés dans la déclaration comme s'ils étaient prouvés, puis les radier uniquement s'il est manifeste, évident et hors de doute que la réclamation échouera, selon les critères énoncés dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc. [1990] 2 R.C.S. 959, l'arrêt Operation Dismantle Inc. c. La Reine [1985] 1 R.C.S. 441 et l'arrêt Canada c. Inuit Tapirisat of Canada [1980] 2 R.C.S. 735. Troisièmement, la norme à appliquer pour radier un acte de procédure scandaleux, futile ou vexatoire est au moins aussi rigoureuse que la norme applicable à la radiation pour absence d'une cause d'action valable, comme on a pu le voir dans l'affaire Waterside Ocean Navigation Co. Inc. c. International Navigation Ltd. [1977] 2 C.F. 257, et cette même norme s'applique dans le cas d'un abus de la procédure. Quatrièmement, l'opposition à un acte de procédure par voie d'exception d'incompétence peut être faite soit en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles, à savoir l'absence d'une cause d'action valable, soit en vertu des pouvoirs propres de la Cour, mais, contrairement au cas d'absence d'une cause d'action valable, telle objection peut trouver appui dans une preuve par affidavit, comme ce fut le cas dans l'arrêt MIL Davie Inc. c. Société d'exploitation et de développement d'Hibernia Ltée (1998) 26 N.R. 369 (C.A.F.), et il n'est même pas nécessaire d'invoquer l'article 208 des Règles, qui traite des exceptions préliminaires d'incompétence, car l'article 208 prévoit simplement qu'une partie ne sera pas présumée avoir reconnu la compétence de la Cour. Cinquièmement, selon la jurisprudence, un acte de procédure ne doit pas être radié pour cause de prescription, car une telle prescription constitue une défense, qui sera présentée en tant qu'exposé de cause ou au procès, et ici je me réfère au jugement BMG Music Canada Inc. c. Vogiatzakis (1996) 67 C.P.R. (3d) 27, aux pages 33 et suivantes, ainsi qu'à l'arrêt Watt c. Canada, une décision non publiée de la Cour d'appel fédérale du 21 janvier 1998, n ° du greffe A-448-97, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée (1998) 231 N.R. 396.

[7]                Il y a aussi deux points préliminaires, l'un qui concerne le fait que M. Snarch a déposé une défense, et l'autre le fait que certaines preuves par affidavit produites par M. Snarch, bien qu'utiles, sont peut-être irrecevables sur le plan technique. S'agissant du premier point, une fois qu'un acte de procédure a lui-même été plaidé, en l'occurrence une défense à l'encontre d'une déclaration, il n'est pas possible d'en demander la radiation, sauf pour incompétence ou pour absence d'une cause d'action valable, et sauf le cas d'une réserve, par exemple lorsque la défense soulève le même moyen que la requête en radiation, et ici je me référerais à l'affaire Olmstead c. Canada (1998) 156 F.T.R. 111. En l'espèce, la défense de M. Snarch mentionne non seulement que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable et que la Cour n'a pas compétence pour en disposer, mais également que la déclaration est scandaleuse, futile et vexatoire et qu'elle constitue un abus de la procédure. La défense ne fait donc pas obstacle à la présente requête.


[8]                Le deuxième point concerne les paragraphes 10, 11 et 12 de l'affidavit au soutien de la requête, ainsi que les pièces annexes. Ces documents sont pertinents, puisqu'ils concernent la plainte déposée par M. Harris contre M. Snarch (M. Harris n'était pas un client de M. Snarch) auprès de la Société du Barreau entre 1998 et 2001, une plainte qui concernait semble-t-il l'action introduite en 1988 devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le paragraphe 87(2) de la Legal Profession Act, Lois de la Colombie-Britannique 1998, chapitre 9, prévoit ce qui suit :

[traduction] Si une personne a déposé une plainte auprès de la Société [du Barreau] à l'égard d'un avocat, ni la Société ni le plaignant ne peuvent être tenus de divulguer ou de produire la plainte, et la plainte n'est pas recevable dans une instance quelconque, sauf avec le consentement écrit du plaignant.

Je me suis demandé si, en soulevant dans la présente requête la question du rejet des plaintes qu'il avait déposées devant la Société du Barreau à propos de M. Snarch, M. Harris a pu renoncer au droit de non-divulgation et à l'irrecevabilité dont fait état le paragraphe 87(2) de la Legal Profession Act. Cependant, je n'ai pas à décider ce point, car, bien que les documents ne soient certainement d'aucune utilité pour M. Harris dans la présente instance, je peux statuer sur la requête sans qu'il me soit nécessaire d'examiner les documents, à savoir la correspondance échangée entre M. Harris et la Société du Barreau, documents auxquels le paragraphe 87(2) de la Legal Profession Act confère un privilège.

Absence de détails

[9]                L'article 174 des Règles de la Cour fédérale prévoit ce qui suit :


Exposé des faits

174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.

Material facts

174. Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.



Cette notion selon laquelle un acte de procédure doit renfermer des faits substantiels est fondamentale. Un fait substantiel est l'équivalent d'un fait essentiel. Il est essentiel en effet qu'un plaideur qui dépose une réclamation ne se limite pas à la simple affirmation d'un droit ou d'une obligation, mais expose clairement les faits qui donnent lieu à ce droit ou à cette obligation. Je me référerais ici au jugement Guetta c. La Reine (1975) 17 C.P.R. (2d) 31 (C.F. 1re inst.), à la page 33 :

Selon les principes fondamentaux régissant les plaidoiries, il est nécessaire d'alléguer ce qui constitue sa cause d'action; il ne suffit pas d'alléguer l'existence d'un droit ou d'une obligation, sans dévoiler les faits sur lesquels reposent ce droit ou cette obligation, et un défendeur a le droit de s'attendre à ce que la cause du demandeur soit présentée d'une façon intelligible.

Contrairement aux circonstances de l'espèce Guetta, un cas où la déclaration contenait non seulement des renseignements inadéquats, mais également des renseignements tout à fait hors de propos, la déclaration dont il s'agit ici, et qui concerne M. Snarch, est si avare de faits substantiels qu'un défendeur aurait du mal à comprendre la démarche de M. Harris et qu'un tribunal qui voudrait diriger l'affaire durant le procès s'attaquerait à une tâche presque impossible. Comme je l'ai indiqué, une absence de faits substantiels, aspect sur lequel les tribunaux ont adopté une attitude très stricte, met le défendeur dans une position désavantageuse. C'est là une notion de longue date, et ici je me référerais à l'arrêt Bruce v. Odhams Press Ltd. [1936] 1 K.B. 697, à la page 712, dans lequel la Cour d'appel anglaise appliquait une disposition semblable à l'article 174 des Règles de la Cour fédérale :

[traduction] Selon la disposition importante figurant à l'article 4 des Règles, la déclaration doit énoncer les faits substantiels. Le mot « substantiel » s'entend de faits nécessaires aux fins de l'énoncé d'une cause d'action complète; si un fait « substantiel » est omis, la déclaration n'est pas valable; elle est « opposable » comme on le disait autrefois et, comme on le dit maintenant, elle risque d'être « radiée » ...


Ces propos tenus dans l'arrêt Bruce ne datent pas d'hier, mais le temps n'amoindrit en rien la règle selon laquelle on ne doit pas ignorer les subtilités des actes de procédure en négligeant de les détailler suffisamment. Ce fut d'ailleurs la position adoptée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire Homalco Indian Band c. Colombie-Britannique (1999) 25 C.P.C. (4th) 107, où l'avocat de la demanderesse faisait valoir que, si des faits substantiels suffisants figurent dans la déclaration considérée globalement, alors il n'est pas nécessaire de rédiger la déclaration selon la manière conventionnelle. Ce à quoi la Cour suprême de la Colombie-Britannique a répondu :

[traduction] Une déclaration doit indiquer les causes d'action de la manière traditionnelle, afin que le défendeur puisse savoir quels arguments leur opposer et afin que les questions de fait et les questions de droit soient clairement présentées au tribunal.

[Paragraphe 9]

Dans l'affaire Homalco, la déclaration était très longue. Le juge avait pu y trouver suffisamment de renseignements pour dire que, après modifications de nature à la rendre plaidable, la déclaration pouvait être récupérée. Ici en revanche, même si M. Harris dit que tous les renseignements figurant dans la déclaration sont interdépendants, la déclaration ne renferme pas suffisamment de détails révélateurs d'une cause d'action pour donner à penser qu'une modification pourrait être utile.


[10]            En l'espèce, la situation se rapproche de celle à laquelle avait affaire la Cour d'appel dans l'affaire Vojic c. Canada (1987) 41 D.T.C. 5384. Dans cette affaire, la Cour d'appel s'était référée à une partie de la déclaration, qu'elle avait qualifiée de « purement outrageante » , à des allégations de vol et de fraude et au fait que, selon elle, M. Vojic était incapable de comprendre que de simples affirmations, insuffisamment étayées par des faits substantiels, se soldaient par une action en justice qui devait être radiée : tout cela est très à propos pour ce qui est du paragraphe 3 de la déclaration de M. Harris, dans lequel il expose son grief contre M. Snarch.

[11]            M. Harris tente de renforcer ses arguments à l'encontre de M. Snarch en affirmant que tous les éléments de la déclaration étaient interdépendants, y compris les fausses affirmations qu'aurait faites à son sujet M. Snarch au Service de police de Vancouver et à la Gendarmerie royale du Canada, les nombreux attentats contre lui, dont l'entaille faite aux canalisations de freins de sa mini-fourgonnette et, incident malheureux, « le décès suspect de la mère du demandeur en Afrique du Sud en 1995 » : rien de tout cela n'est le moindrement générateur des détails qui pourraient aider M. Snarch à opposer une défense ou qui pourraient conférer à M. Harris un fondement l'autorisant à modifier la déclaration. Ce que nous avons ici, c'est en fait une déclaration avare de détails, à telle enseigne que M. Snarch serait dans l'incapacité de l'étudier et dans l'incapacité d'y répondre, et elle devrait donc être radiée parce que fondamentalement vexatoire : voir par exemple le jugement Pellikaan c. Canada [2002] 4 C.F. 169, à la page 182.


[12]            En résumé, le paragraphe 3 de la déclaration doit être radié et la réclamation faite contre M. Snarch doit être rejetée, car la déclaration est si vide de détails qu'elle est fondamentalement vexatoire. Il est manifeste, évident et hors de doute que le paragraphe 3 ne donnera aucun résultat concret. Mais il y a d'autres raisons pour lesquelles la déclaration doit être radiée et qui doivent être maintenant examinées. Je vais donc me demander s'il existe une cause d'action valable à l'encontre de M. Snarch.

Cause d'action valable

[13]            Si je prends tel quel le paragraphe 3, ainsi que je dois le faire, c'est-à-dire comme si son contenu était prouvé, je constate qu'il commence par une affirmation selon laquelle il y a eu vol de droits d'auteur et de droits de propriété intellectuelle. Il ne s'agit pas là d'une accusation de contrefaçon de droits d'auteur, et la déclaration ne dit nulle part que M. Snarch a contrefait ou utilisé à mauvais escient un droit d'auteur ou un droit de propriété intellectuelle revendiqué par M. Harris. Il ne s'agit pas non plus, au vu de l'acte de procédure, d'un détournement, c'est-à-dire d'une ingérence délibérée et injustifiée dans les biens de M. Harris, ni d'une dépossession de M. Harris : il n'est pas question de cela dans la déclaration. Quant à l'allégation de vol elle-même, cela n'a jamais été une cause d'action civile ni même un crime de common law, sauf peut-être en Écosse. Évidemment, au Canada, c'est un acte criminel qui est puni par le Code criminel. Ce n'est pas quelque chose sur quoi puisse reposer une cause d'action entre des parties à un procès civil. La portion du paragraphe 3 qui allègue le vol de droits d'auteur et de droits de propriété intellectuelle ne constitue pas une cause d'action. Il est manifeste, évident et hors de doute que l'allégation figurant dans le paragraphe 3 échouera et qu'elle doit être radiée.

[14]            L'accusation de fraude et de diffamation verbale et écrite est si incomplète et si avare de détails qu'elle ne saurait constituer une cause d'action valable. Là encore, il est manifeste, évident et hors de doute que cette allégation ne peut réussir.

[15]            Puis M. Harris évoque dans sa déclaration une réclamation qui, selon lui, a été déposée par M. Snarch auprès du Fonds d'assurance juridique de la Colombie-Britannique, n ° 02-231, en rapport avec une faute dont aurait été victime M. Harris. Les documents propres à réfuter ne sont pas sujets au privilège prévu par la Legal Profession Act car ils échappent aux procédures de la Société du Barreau. D'après les documents que j'ai devant moi, il semble qu'il s'agit d'une réclamation présentée par M. Harris au Fonds d'assurance qui assure les avocats de la Colombie-Britannique, et postérieure au rejet d'une réclamation semblable présentée à la Société du Barreau. Dans une lettre du 27 mai 2002 adressée au Fonds d'assurance de la Société du Barreau de la Colombie-Britannique, M. Harris affirme qu'on lui a escroqué plus de 30 millions de dollars. M. Harris parle aussi d'un vol contraire au Code criminel, affirmant qu'il s'agit là d'une infraction criminelle donnant lieu à un emprisonnement maximal de dix ans. Là encore, cette affirmation ne conduit à aucune cause d'action valable de quelque nature que ce soit.

[16]            En bref, le paragraphe 3 de la déclaration est radié pour absence d'une cause d'action valable, car il est manifeste, évident et hors de doute que les affirmations qu'il renferme ne mèneront nulle part.


Procédure futile et vexatoire

[17]            J'ai déjà fait observer que le paragraphe 3 de la déclaration est fondamentalement vexatoire pour cause d'absence de détails. Cependant, il est sans doute non seulement vexatoire, mais également futile, par lui-même, entraînant du même coup la radiation de la réclamation.

[18]            L'affaire Larden c. Canada (1998) 145 F.T.R. 140, à la page 150, rattache la notion de futilité et celle de vexation. Une réclamation futile et vexatoire est une réclamation qui est à l'évidence irrecevable et si manifestement mal fondée qu'elle ne requiert aucun débat véritable pour convaincre un tribunal qu'elle ne conduira à aucune issue concrète et qu'elle devrait être radiée. Pour arriver à cette conclusion, je peux, par opposition au processus consistant à chercher une cause d'action valable, examiner les affidavits. Cette approche produit une situation semblable à celle qui est à l'origine du passage suivant du jugement Larden, précité, à la page 150 :

Par une plaidoirie futile, on entend celle qui est si manifestement mal fondée qu'aucun débat véritable n'est nécessaire pour convaincre la Cour; en fait, c'est une plaidoirie qui dénote de la mauvaise foi. Une action futile et vexatoire s'entend notamment d'une procédure engagée ou maintenue par une partie demanderesse qui n'agit pas de bonne foi : c'est une procédure qui ne mènera à aucun résultat pratique. Les termes « futile » et « vexatoire » définissent une demande qui est manifestement insoutenable : Attorney General of the Duchy of Lancaster v. London and North Western Railway Company, [1892] 3 Ch. 274, à la page 277 (C.A.). L'expression futile et vexatoire s'applique entre autres à une instance qui constitue un abus des procédures : Ashmore v. British Coal Corporation [1990] 2 Q.B. 338, à la page 347 (C.A.). Une action est abusive lorsqu'elle constitue un usage à mauvais escient ou détourné de la procédure de la Cour. On la définit comme une action qui ne peut donner aucun résultat valable, une action dans laquelle les parties défenderesses seront entraînées dans un litige long et coûteux qui ne peut donner aucun résultat positif : voir l'opinion du lord juge Bowen dans Willis v. Earl Beauchamp (1886), 11 P.D. 59, à la page 63 (C.A.)

[19]            Ce passage fait intervenir les notions de mauvaise foi, d'utilisation à mauvais escient et de perversion du système judiciaire, sans compter le fait d'entraîner un défendeur dans un litige coûteux qui ne donnera aucun résultat. Dans la présente affaire, il est clair que le paragraphe 3 de la déclaration n'est pas le produit d'un demandeur agissant de bonne foi, mais constitue plutôt une procédure nimbée de mauvaise foi. Cela est d'autant plus vrai si l'on considère le caractère calomnieux, vulgaire et malveillant des documents produits par M. Harris et figurant à la fois dans les pièces annexées à l'affidavit de M. Snarch, dans les conclusions écrites présentées par M. Harris et dans les documents évoqués par M. Harris dans ses conclusions, notamment l'affidavit de M. Harris déposé le 29 avril 2004 dans une action parallèle engagée devant la Cour fédérale, Harris c. Procureur général du Canada, n ° du greffe T-483-04. Ce dernier document n'est pas déterminant, mais je peux en tenir compte, même s'il a été utilisé dans une procédure interlocutoire antérieure se rapportant à une autre affaire, et cela sur la base d'un jugement rendu par le juge Rothstein (son titre à l'époque), James c. Ministre du Revenu national (1996) 115 F.T.R. 277.

[20]            Parce qu'il est futile, vexatoire et abusif, le paragraphe 3 de la déclaration est une conclusion qui manifestement, évidemment et sans aucun doute est irrecevable et ne conduira à aucun résultat concret. Il emploie à mauvais escient et fausse le cours de la justice dans la mesure où il ne peut conduire à aucun avantage possible. Tout cela constitue aussi un moyen qui justifie la radiation du paragraphe 3 de la déclaration.


Compétence

[21]            Je passe maintenant à la section finale de la présente analyse, l'argument de l'avocat de M. Snarch selon lequel la conclusion exposée au paragraphe 3 de la déclaration échappe à la compétence de la Cour fédérale.

[22]            Le paragraphe 3 de la déclaration débute par l'accusation de vol de droits d'auteur et ici je relève, à la lecture de l'affidavit, que la relation entre M. Snarch et M. Harris n'était pas une relation entre avocat et client. Au lieu de cela, M. Snarch était un avocat représentant une partie qui avait eu gain de cause contre M. Harris dans un litige commencé en 1988 et liquidé en 1989. La mention du vol de droits d'auteur et de droits de propriété intellectuelle présente toutes les marques d'une tentative de M. Harris de déguiser la procédure en une question de droits d'auteur. Cette tentative ne peut pas réussir car la Cour fédérale ne connaît pas des procès pour vol de droits d'auteur. Qui plus est, la Cour fédérale n'a pas compétence pour juger les litiges privés, lorsque la cause d'action est censée être, comme c'est le cas ici, la diffamation verbale ou écrite, la fraude et la négligence.

[23]            Plus exactement, la Cour fédérale est une juridiction d'origine législative. Dans l'arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, la Cour suprême du Canada avait énoncé un critère en trois volets permettant de déterminer la compétence de la Cour fédérale :


L'étendue générale de la compétence de la Cour fédérale a été examinée à maintes reprises par les tribunaux ces dernières années. Dans l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, et dans l'arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654, on a établi les conditions essentielles pour pouvoir conclure à la compétence de la Cour fédérale. Ces conditions sont les suivantes :

1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2. Il doit existe un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3. La loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Ces trois conditions doivent être remplies avant que la Cour fédérale ne puisse se déclarer compétente.


[24]            En l'espèce, il ne m'est pas nécessaire d'aller plus loin que le premier volet du critère Miida Electronics. Je n'ai connaissance d'aucune attribution légale de compétence sur des litiges entre particuliers, que ce soit dans la Loi sur les Cours fédérales ou ailleurs. Il existe sur ce point, dans la décision Kane c. Hooper (1996) 68 C.P.R. (3d) 267, une analyse qui est ici à propos. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si l'action concernait principalement un litige en matière de droit d'auteur ou si elle concernait principalement des clauses contractuelles et un contrat de société. Ce précédent est donc analogue à la présente affaire, où le paragraphe 3 de la déclaration, tout en faisant allusion au droit d'auteur, est en réalité une réclamation fondée sur la diffamation écrite ou verbale, la fraude et la négligence. Dans l'affaire Kane c. Hooper, le point de départ était le jugement Titan Linkabit Corp. c. S.E.E. See Electronic Engineering Inc. (1992) 44 C.P.R. (3d) 469, un jugement du juge en chef adjoint Jerome. Après avoir évoqué le critère Miida Electronics, le juge en chef adjoint Jerome avait écrit ce qui suit :

En conséquence, il ne fait pas de doute que, dans la mesure où une action se rapporte à la contrefaçon d'un brevet, d'une marque de commerce et à l'atteinte d'un droit d'auteur, la législation fédérale, que représentent la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, chapitre P-4; la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chapitre C-42; la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, chapitre T-13, et la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, chapitre F-7, attribue compétence à cette Cour. Il est également clair que la Cour n'a pas compétence pour juger un litige qui repose uniquement sur un contrat liant des particuliers.

Les litiges en matière de propriété intellectuelle qui comprennent des différends contractuels ne sont pas inhabituels. La compétence de la Cour n'est pas pour autant écartée, pourvu que l'objet de l'action porte principalement sur un brevet, une marque de commerce ou un droit d'auteur.

         [Page 472]

Le juge en chef adjoint Jerome s'exprimait dans le contexte d'une affaire contractuelle qui s'ajoutait à une action en violation de droit d'auteur, mais le même principe est applicable lorsqu'il s'agit de quasi-délits tels que la diffamation orale ou écrite, la fraude ou la négligence. Dans l'affaire Titan Linkabit, l'aspect contractuel n'était qu'une question accessoire. En revanche, dans la présente action engagée par M. Harris, la conclusion du paragraphe 3 ne renferme en réalité, s'agissant d'une action pour atteinte au droit d'auteur, pas la moindre apparence de bonne foi qui soit susceptible de faire relever l'action de l'article 20 de la Loi sur les Cours fédérales.

[25]            En résumé, la Cour fédérale n'a aucune compétence légale pour juger les litiges de droit privé résultant de délits ou quasi-délits. En tant que juridiction d'origine législative, la Cour fédérale doit, avant de se déclarer compétente, s'appuyer sur une disposition attributive de compétence. L'action est donc radiée pour incompétence.


DISPOSITIF

[26]            La réclamation exposée contre M. Snarch dans la déclaration déposée par M. Harris le 3 mai 2004 est radiée dans la mesure des affirmations qu'elle renferme, ou des redressements qu'elle sollicite, à l'encontre de Gary Steven Snarch. Il est manifeste, évident et hors de doute que cette réclamation ne peut réussir. Le paragraphe 3 de la déclaration ne renferme pas non plus le moindre indice d'une cause d'action qui puisse, par modification, donner naissance à une réclamation viable. La procédure tout entière introduite par M. Harris contre M. Snarch est d'ailleurs nimbée de mauvaise foi. Cela influera sur les dépens. La situation est aggravée par le fait que, avant l'audition de cette requête, M. Harris s'est vu refuser la jonction d'un grand nombre de défendeurs, dont plusieurs étaient des avocats, qui avaient représenté quelqu'un d'autre et qui n'étaient susceptibles d'être ajoutés comme parties que parce qu'ils avaient représenté avec succès leurs clients contre M. Harris. L'action contre M. Snarch n'aurait jamais dû être engagée. Cette requête n'aurait jamais dû être nécessaire.

[27]            Les dépens sont calculés, pour cette requête, sur la base du tarif B, colonne V, selon la somme forfaitaire de 1 500 $, payable sur-le-champ.

                                                                           _ John A. Hargrave _              

                                                                                         Protonotaire                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-859-04

INTITULÉ :               ROY HARRIS c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 26 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 30 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

Roy Harris                                                         en son propre nom

Vince Critchley                                                  pour le défendeur, Gary S. Snarch

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Quinlan, Abroux                                                pour le défendeur, Gary S. Snarch

Vancouver (Colombie-Britannique)


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