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Date : 19980420


Dossier : IMM-3580-97

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 20 AVRIL 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :


WILLY LEMA,


demandeur,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut de réfugié est annulée et l"affaire est renvoyée devant la Commission de l"immigration et du statut de réfugié pour être entendue et tranchée à nouveau par une formation autrement constituée.

                     " Frederic E. Gibson "

                             Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.



Date : 19980420


Dossier : IMM-3580-97

ENTRE :


WILLY LEMA,


demandeur,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs procèdent d"une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SSR a conclu que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention selon la manière dont ce terme est défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration1. La décision de la SSR porte la date du 24 juillet 1997.

[2]      Le demandeur est citoyen de la nouvelle République du Congo, l"ancien Zaïre. Au mois de décembre 1994, il a rejoint le Mouvement national congolais Lumumba (le MNCL). Il prétend avoir participé activement à la diffusion de renseignements concernant le MNCL aux jeunes adhérents et avoir également pris part à certaines réunions organisées par le MNCL. Vers la fin du moins de juillet 1995, il s"est rendu à une grande réunion de protestation organisée par un autre parti politique, lui aussi " lumumbiste ". Il a été arrêté, avec de nombreuses autres personnes participant à cette réunion. Le demandeur prétend avoir été détenu, interrogé et torturé sur une période de 15 mois. Il prétend avoir été relâché à la mi-octobre 1996 après avoir versé un pot-de-vin, affirmant en outre que, lors de sa libération, il s"est fait dire qu"il ferait mieux de quitter le pays. Il a quitté le Zaïre peu de temps après, arrivant au Canada le 29 octobre 1996.

[3]      La demande de statut présentée par le demandeur a été entendue par la SSR le 18 juin 1997. Un mois plus tôt, presque exactement, un rassemblement d"opposants mené par Laurent Kabila arrivait au pouvoir au Zaïre, déposant par là même le régime Mobutu.

[4]      La SSR s"est exprimée en ces termes :

         Le tribunal a jugé que le changement de circonstances politiques à la RDC-Zaïre et le bien-fondé de la crainte de persécution du revendicateur, considérant que l"Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila est au pouvoir depuis mai 1997, sont les principales questions à examiner dans cette revendication. La crédibilité sera également discutée.         

[5]      La SSR a tenu pour crédible la plupart des déclarations faites par le demandeur mais elle n"en a pas cru certaines parties. Elle a conclu que le demandeur avait exagéré son rôle au sein du MNCL et qu"il n"était en fait qu"un simple adhérent de ce parti politique. Elle n"a pas mis en doute sa participation à la manifestation de la fin juillet 1995. Elle n"a pas non plus mis en doute le fait qu"avec beaucoup d"autres, le demandeur avait été arrêté lors de cette manifestation. Elle a, cependant, mis en doute la durée de sa détention et le traitement qu"on lui aurait fait subir. Elle a conclu que, en tant que simple adhérent du MNCL, il aurait été, comme beaucoup de ceux qui ont été arrêtés à la manifestation, relâché quelques jours plus tard.

[6]      Tenant compte du profil qu"elle prêtait au demandeur, la SSR a ensuite considéré l"effet que pourraient avoir sur sa demande de statut les changements intervenus au Congo en raison du changement de régime. La SSR s"est exprimée en ces termes :

         Néanmoins, le tribunal a jugé que le bien-fondé de la crainte de persécution, vu le changement de circonstances à la RDC-Zaïre, est la question centrale dans cette revendication.         

[7]      La SSR a ensuite cité l"arrêt Yusuf c. Le ministre de l"Emploi et de l"Immigration2 :

         [...] la question du " changement de situation " risque, semble-t-il, d"être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu"elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d"origine du demandeur n"est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s"il y a, au moment de l"audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l"éventualité de son retour au pays. Il s"agit donc d"établir les faits, et il n"existe aucun " critère " juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L"emploi de termes comme " important ", " réel " et " durable " n"est utile que si l"on garde bien à l"esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l"art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d"être persécuté?         

[8]      Puis, la SSR a conclu en ces termes :

         En arrivant à notre conclusion que la crainte du revendicateur n"est pas bien fondée, le tribunal a pris en considération le profil du revendicateur, un adhérent à un parti politique. Le tribunal est d"avis, suite au changement de circonstances politiques dans le pays de nationalité du revendicateur, qu"il est invraisemblable que le revendicateur, en raison de son appui au parti MNCL, attire l"attention du gouvernement de Kabila.         
         Le tribunal constate aussi que, malgré le fait que le gouvernement de Kabila ne reconnaît [sic] pas les partis d"opposition, il a, malgré tout, inclus des membres de certains partis dans son gouvernement, comme individu. La preuve documentaire démontre qu"il a l"appui d"une grande partie de la population de la RDC-Zaïre. De plus, le tribunal est d"avis qu"il n"a pas de preuve suffisante qui indique que l"AFDL, sous les ordres de M. Kabila, a l"intention de persécuter les membres des partis politiques pour l"unique raison de leur adhésion à un parti politique.         

[9]      L"avocat du demandeur fait valoir que la décision de la SSR contient six erreurs justiciables du contrôle judiciaire, relevant notamment que la SSR s"est fondée sur des considérations dénuées de pertinence lorsqu"elle a pris en compte le fait que Laurent Kabila avait compris dans son gouvernement, à titre individuel, des membres de certains partis politiques autres que le sien, et que son gouvernement avait l"appui d"une grande partie de la population. Je conviens qu"il s"agit là de considérations n"ayant aucune pertinence en l"espèce. Je conclus, cependant, que la décision de la SSR ne repose pas sur ces considérations.

[10]      Dans le cadre des présents motifs, j"évoquerai uniquement un autre des arguments invoqués au nom du demandeur. J"estime que cet argument permet à lui seul de trancher la présente demande.

[11]      Pour décider que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention en raison du changement de circonstances intervenu dans le pays en question, la SSR s"est uniquement intéressée à l"adhésion du demandeur à un parti politique, en l"occurrence le MNCL. Or, ce n"était pas du tout sur cela que le demandeur se basait pour revendiquer le statut de réfugié. Plus exactement, sa demande était fondée sur son militantisme politique antérieur ainsi que sur la résolution qu"il avait prise de renouer avec ce militantisme s"il retournait au Congo. Voici l"échange de propos qui a eu lieu entre le demandeur et son avocat lors de la déposition du demandeur devant la SSR :

     [Avocat] De quoi as-tu peur si tu retournerais [sic] au Zaïre aujourd"hui?         
     [Demandeur] Je suis premièrement un membre d"un parti politique et je suis activiste . Kabila est dictateur. Si aujourd"hui j"entrais [sic ] là-bas, tout d"abord le dossier que j"ai laissé là quand j"ai fuis [sic ] la prison, c"est toujours là-bas. Dès mon retour et s"il me voyait en tant que activiste, il va continuer à me persécuter. [Non souligné dans l"original]         

[12]      L"avocat du demandeur a soutenu devant la SSR :

     Donc le requérant ne pourrait pas exprimer ses opinions au Zaïre aujourd"hui si le gouvernement ne peut pas être -- tenir compte de la (inaudible).         
         Pour avoir la possibilité de retourner à son pays en sécurité, ce n"est pas nécessaire en droit qu"il abandonne ses principes politiques. Il devrait avoir la possibilité d"être actif sans peur de persécution.         

Si la SSR n"a pas accepté le niveau d"activité politique auquel le demandeur prétendait s"être livré, elle a tout de même reconnu qu"il avait milité dans un parti politique. Il n"était pas simple adhérent d"un parti politique. Il avait participé aux réunions organisées par ce parti et avait pris part à une grande manifestation. La SSR a donc reconnu que le demandeur était un militant quoi que d"assez faible envergure. En ne tenant pas compte de ce " profil " de militant, en contraste avec le " profil " de simple adhérent à un parti politique, la SSR s"est méprise sur le fondement de la revendication du demandeur et s"est donc trompée dans son analyse de la question de savoir si le demandeur risquait d"être persécuté au cas où il retournerait au Congo, compte tenu du changement de circonstances intervenu dans ce pays.

[13]      En d"autres circonstances, la distinction entre l"adhésion à un parti politique et un certain militantisme politique pourrait ne pas prêter à conséquence. J"estime cependant qu"en l"espèce cette différence est fondamentale. Le gouvernement Kabila n"était au pouvoir que depuis un mois lorsque l"audience devant la SSR a eu lieu. Selon la preuve documentaire produite devant la SSR, le gouvernement avait interdit les partis politiques d"opposition. En matière de droits de la personne, les forces de Kabila ne s"étaient guère illustrées au cours de la période menant à la prise de pouvoir. Au vu de pareilles circonstances, je conclus que le fait de ne pas avoir correctement apprécié le fondement de la revendication du demandeur ou examiné, à la lumière de ce fondement, l"effet qu"avait pu avoir le changement de circonstances intervenu dans ce pays, constitue une erreur justiciable du contrôle judiciaire.

[14]      Pour l"ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est annulée et l"affaire est renvoyée devant la Commission de l"immigration et du statut de réfugié afin d"être entendue et tranchée à nouveau par une formation autrement constituée.

[15]      L"avocat d"aucune partie n"a recommandé la certification d"une question. Aucune question ne sera certifiée en l"espèce.

                     " Frederic E. Gibson "

                             Juge

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Date : 19980420


Dossier : IMM-3580-97

Entre :

WILLY LEMA,


demandeur,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats inscrits au dossier

No DU DOSSIER :IMM-3580-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :          WILLY LEMA

- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
DATE DE L"AUDIENCE :      LE 15 AVRIL 1998

LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE :          LE JUGE GIBSON

DATE :LE 20 AVRIL 1998

ONT COMPARU :

Me Michel CranePour le demandeur
Me David Tyndale Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                  Pour le demandeur

Barrister & Solicitor

Suite 200

166 Pearl Street

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

George Thomson                  Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2

2      (1995), 179 N.R. 11 (C.A.F.).

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