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     Date : 19980923

     Dossier : T-310-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT une annulation de citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, et de l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, modifiée;         
     ET une demande de renvoi devant la Cour fédérale en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée;         
     ET un renvoi devant la Cour en vertu de la règle 920 des Règles de la Cour fédérale.         

ENTRE :

     LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demanderesse,

     - et -

     PETERIS (PETER) ARVIDS VITOLS,

     défendeur.

     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE MCKEOWN

[1]      Le défendeur, M. Vitols, a fait partie d'un bataillon de police et de la Waffen SS en Lettonie sous l'occupation allemande de la Lettonie durant la Seconde Guerre mondiale. Il a été fait prisonnier par les Alliés occidentaux à la fin de la guerre et a été détenu dans un camp de prisonniers de guerre pendant environ un an. Après sa libération de ce camp, il a été envoyé dans un camp de personnes déplacées. Bien qu'il ait divulgué tous les renseignements le concernant à son arrivée au camp de personnes déplacées, il a omis, un an plus tard, de divulguer sa participation au sein des forces lettones durant la Seconde Guerre mondiale sur le formulaire fourni par l'Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction (UNRRA), le prédécesseur de l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Il a rempli ce formulaire durant son séjour dans un premier camp de personnes déplacées et a dissimulé ces renseignements sur le conseil du commandant du camp. M. Vitols a demandé à entrer au Canada comme réfugié en 1950. Il est arrivé au Canada plus tard cette année-là et a obtenu la citoyenneté canadienne en 1956.

[2]      Lorsque M. Vitols a demandé à entrer au Canada, le Canada ne permettait pas aux personnes ayant collaboré avec l'ennemi d'obtenir la résidence permanente. Le 18 décembre 1996, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (la ministre) a avisé le défendeur qu'elle avait l'intention de demander au gouverneur en conseil d'annuler sa citoyenneté pour les motifs suivants :

     [traduction] [...] vous avez été admis au Canada et vous avez obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels puisque vous avez dissimulé ou omis de divulguer aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada votre collaboration avec les forces d'occupation allemandes en votre qualité de membre de la police de district de Madona sous l'occupation allemande de la Lettonie durant la Seconde Guerre mondiale, votre appartenance au 281e bataillon de la Schutzmannshaft ou Schuma 281 et votre service dans celui-ci durant cette période, votre appartenance à la Waffen SS et votre service dans celle-ci durant la Seconde Guerre mondiale, et votre association avec des organisations qui ont activement commis des atrocités contre la population civile.         

[3]      Conformément à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, le défendeur a demandé à la ministre de renvoyer l'affaire devant la Cour en vue d'une audience. La ministre a renvoyé l'affaire devant la Cour le 25 février 1997.

[4]      La ministre demanderesse n'a pas cherché à prouver la participation personnelle de M. Vitols à des crimes de guerre, mais a déclaré que celui-ci avait fait partie de certaines forces policières et armées lettones qui avaient été impliquées dans des activités criminelles durant la Seconde Guerre mondiale.

[5]      Le défendeur nie avoir fait de fausses déclarations aux autorités canadiennes. Le formulaire d'immigration en usage à l'époque ne contenait pas de questions sur les activités en temps de guerre. On a demandé au défendeur s'il avait servi dans l'armée, et il a reconnu avoir été un officier letton durant la guerre. On ne lui a pas demandé s'il avait servi dans des unités de police.

[6]      Je dois décider si M. Vitols a obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Les questions litigieuses consistent à savoir si M. Vitols a été un collaborateur au sens où l'entendaient les autorités responsables du contrôle sécuritaire à ce moment-là, et s'il a menti sur des faits essentiels dans sa demande de statut d'immigrant reçu et de citoyenneté. Le défendeur a reconnu avoir appartenu à trois organisations militaires : la police de district allemande, les 281e et 277e bataillons de police allemands et l'armée lettone ou Waffen SS. Ce dernier point n'est donc pas litigieux.

LES FAITS

I.      L'histoire de la Lettonie avant la guerre

[7]      La Lettonie est devenue une république indépendante en 1918 après avoir été occupée au cours des siècles par de grandes puissances, en particulier l'Allemagne et la Russie. De 1918 à 1934, la Lettonie a été une démocratie parlementaire. Puis, à la suite d'un coup d'État, la constitution a été suspendue par le général Karlis Ulmanis qui a instauré une dictature. Selon le témoin expert du défendeur, le professeur Ezergailis, ce régime s'apparentait à certains égards à celui de Mussolini, sauf que le général Ulmanis provenait du centre politique et représentait les classes stables, comme les fermiers.

[8]      La Lettonie a perdu son indépendance en 1939 à cause d'un protocole secret annexé au pacte germano-soviétique de 1939. Hitler a collaboré à l'occupation de la Lettonie et d'autres pays Baltes par les Soviétiques afin de maintenir la paix sur le front de l'Est au début de la guerre. Ce pacte a également provoqué la fuite des Allemands baltes en Allemagne. En juin 1940, les chars d'assaut soviétiques sont entrés en Lettonie et les occupants ont mis en place le régime stalinien. Pendant un an, la société et l'État lettons ont été soviétisés dans une large mesure. Les antagonismes entre les classes se sont renforcés, surtout en milieu rural. Les fermiers qui possédaient plus de trente hectares ont été dépossédés, et les terres confisquées ont été distribuées aux ouvriers agricoles sans terre. Plus de 33 000 Lettons ont été déportés en Sibérie, dont 15 000 en un jour, le 14 juin 1941. Beaucoup d'entre eux sont morts. Les déportés étaient principalement des membres des classes stables, de grands propriétaires terriens, des ruraux, des dirigeants politiques, des policiers, des aizsargi (membres de la garde territoriale) et des intellectuels.

[9]      En 1941, les Allemands ont lancé l'opération Barberousse qui visait à détruire l'Union soviétique, à conquérir de nouveaux espaces à l'est, à éliminer les dirigeants bolchevistes juifs et, enfin, à mettre en oeuvre le programme de la solution finale, c'est-à-dire l'extermination des Juifs. La campagne militaire a commencé le 22 juin 1941. Les Allemands ont rapidement conquis la Lettonie, qu'ils ont occupée dès le mois de juillet 1941. Ainsi qu'il vient d'être mentionné, les rangs des citoyens lettons les plus en vue avaient été décimés juste avant l'arrivée des nazis. Beaucoup de Lettons ont accueilli les Allemands comme des libérateurs même si, sur le plan historique, les Allemands avaient éliminé des Lettons. De nombreux Lettons partageaient l'illusion que Hitler leur donnerait l'indépendance et que la Lettonie deviendrait libre à la fin de la guerre, comme elle l'avait été à la fin de la Première Guerre mondiale.

II.      M. Vitols - Les premières années

[10]      Peter Vitols est né le 26 février 1915 à Aiviekste, en Lettonie. Son père était un employé de chemin de fer. M. Vitols vivait dans les environs de Speegane. Il a commencé l'école à l'âge de sept ans et est allé à plusieurs écoles. Il a fait ses études secondaires à Plyavinas, en Lettonie, en quatre ans et, chaque été pendant cette période, il a travaillé sur une ferme parce qu'il devait gagner de l'argent pour payer ses études. Il voulait étudier l'électronique à l'université, mais comme sa famille n'était pas assez riche pour payer ses études, il est parti travailler pour les chemins de fer comme vendeur de billets dans la capitale lettone, Riga. Il a commencé son service militaire obligatoire à l'automne 1936 et a servi jusqu'à l'automne 1937. C'est à ce moment-là qu'il a passé ses examens à l'académie militaire de Riga où étaient formés les officiers militaires lettons. Il a reçu son diplôme de l'académie le 1er septembre 1939. Il s'est enrôlé dans une division d'infanterie et, en l'espace de trois mois, il est devenu un officier subalterne. M. Vitols pouvait ensuite devenir chef de peloton. Il s'est marié le 17 février 1940. Le 17 juin 1940, l'armée soviétique est entrée en Lettonie et a occupé le territoire.

III.      M. Vitols - L'occupation soviétique

[11]      M. Vitols est demeuré dans l'armée lettone même si, selon lui, les Lettons auraient dû résister à l'invasion soviétique. Il a continué d'être payé lorsque les Soviétiques ont pris le contrôle de l'armée. De nombreux militaires ont été arrêtés et fusillés ou déportés en Russie. M. Vitols a toutefois poursuivi son service dans l'armée. En décembre 1940, sa première fille est née. Sa femme dépendait financièrement de lui depuis le début de leur mariage. Il estimait qu'il ne pouvait pas se permettre de quitter l'armée.

[12]      En septembre 1940, les Russes ont rebaptisé l'armée lettone Armée populaire et ont affecté des commissaires politiques à chaque compagnie de peloton et à chaque régiment. En 1941, M. Vitols a été transféré à Cesis, où sa femme et sa fille l'ont accompagné. Les autres officiers avaient été transférés dans une ville appelée Gulbene, mais M. Vitols est demeuré à Cesis.

[13]      Dans la soirée du 13 juin 1941, M. Vitols était de service comme commandant de la caserne située à côté des voies ferrées. Vers 22 h, il a remarqué qu'il se passait quelque chose à la gare : des enfants pleuraient et des camions faisaient le va-et-vient. Il a tenté de traverser la cour, mais la patrouille russe l'en a empêché. Il est retourné à son bureau et a communiqué avec le chef du régiment qui est venu sur place en compagnie d'un commissaire. Celui-ci leur a conseillé de garder le silence puisqu'il n'y avait rien à faire. Ils ont vu des groupes de personnes monter dans des wagons; leur destination était inconnue. Par la suite, M. Vitols a appris que ces personnes étaient des habitants de la commune et que des événements similaires s'étaient produits partout en Lettonie. Des éléments de preuve historique appuient les dires de M. Vitols au sujet des événements du 13 juin 1941. Dans l'ensemble, la relation des activités de M. Vitols durant l'occupation soviétique de la Lettonie me paraît digne de foi.

[14]      Plus tard le même mois, l'armée allemande est entrée en Lettonie et s'est emparée de Riga le 2 juillet 1941. M. Vitols était encore à Cesis avec le gros de son régiment. Les Allemands ont réuni tous les officiers et leur ont demandé s'ils avaient été congédiés ou démobilisés, ou s'ils se considéraient comme des déserteurs de l'armée russe. M. Vitols a répondu qu'il avait été démobilisé. Les Allemands les ont ensuite tous laissés partir. L'armée lettone n'existait plus lorsque les Allemands ont occupé la Lettonie. M. Vitols est donc retourné chez lui à Cesis auprès de sa femme et de sa fille, et a tenté de trouver du travail. Pendant l'été, il a aidé son beau-père à faire ses travaux agricoles dans un village situé près de Plyavinas.

[15]      En septembre 1941, le frère de M. Vitols, Janis, qui travaillait au premier poste de police de Madona, a suggéré à M. Vitols de chercher un emploi au sein de l'appareil policier. M. Vitols a rencontré le chef de la police de district, M. Reineke, qui était responsable de trois postes de police. M. Reineke était un Letton et avait été capitaine dans l'armée pendant la Première Guerre mondiale. Il s'est intéressé à la carrière militaire de M. Vitols, et celui-ci a déclaré qu'il a été embauché comme agent chargé du traitement des cas dans un bureau où il traduisait des documents, faisait des copies et effectuait du travail de bureau de nature générale. Selon des documents allemands, les policiers dans les territoires occupés devaient être recrutés parmi ceux qui avaient servi dans l'armée nationale.

[16]      Je conclus qu'en septembre 1941, M. Vitols a volontairement commencé à travailler au premier poste de police de la police de district de Madona comme sous-lieutenant dans le cadre d'un contrat de six mois. Sa famille s'est installée avec lui à Madona et, en décembre 1941, sa deuxième fille est née. La police a été militarisée le 27 septembre 1941. Au début, les policiers n'avaient pas d'uniforme, mais portaient leurs propres vêtements. M. Vitols a déclaré qu'il a porté son ancien uniforme militaire dont il avait enlevé les insignes, comme l'ont fait beaucoup d'autres policiers. Dans un document allemand daté de décembre 1941, le nom de M. Vitols est mentionné comme commandant de peloton dans la compagnie de réserve de la police de district de Madona; il n'existe toutefois aucun autre élément de preuve attestant l'existence d'une telle compagnie de réserve.

III.      L'administration allemande de la Lettonie

[17]      L'organisation de l'administration allemande en Lettonie fournit l'éclairage nécessaire pour comprendre le rôle joué par le défendeur au sein des organisations auxquelles il a appartenu. Au début, la Lettonie était gouvernée par des administrations militaires qui ont été remplacées progressivement par un gouvernement civil. La Lettonie a été intégrée au Reichskommissariat (également appelé le Reichs Commissariat) de l'Ostland. Il y avait une autre administration similaire au sud, soit le Reichskommissariat de l'Ukraine.

[18]      J'ai été grandement aidé par les témoins experts, dont les dépositions ont été instructives à différents égards. Le témoin expert de la demanderesse, le professeur Kwiet, possède une vaste expérience universitaire dans le domaine de l'histoire allemande contemporaine, en particulier les événements qui se sont produits durant la Seconde Guerre mondiale et la période nazie. Il peut lire des documents originaux allemands dans le texte et a fourni à la Cour des éléments de preuve importants concernant :

     [traduction] l'évolution et l'essor du régime nazi en Allemagne, les buts et les objectifs des campagnes d'occupation nazies durant la Seconde Guerre mondiale, la mise en oeuvre et les objectifs de la politique d'occupation allemande dans les territoires occupés, et les rôles, responsabilités et activités des divers organismes allemands et sous contrôle allemand en vue de la réalisation des buts et des objectifs de l'Allemagne à l'époque nazie.         

[19]      Quant au professeur Ezergailis, c'est un spécialiste de l'histoire contemporaine de la Lettonie et, en particulier :

     [traduction] de l'holocauste en Lettonie, des occupations soviétique et allemande de la Lettonie durant la Seconde Guerre mondiale, de l'antisémitisme, de la propagande nazie, de la propagande soviétique, y compris le mauvais usage de l'holocauste à des fins propagandistes, de la Légion lettone, des activités du Service de sécurité (SD) en Lettonie et de ses rapports avec la police auxiliaire, des idéologies du XXe siècle, dont le marxisme.         

Le professeur Ezergailis lit et parle le letton, mais ne maîtrise pas l'allemand et a dû demander l'aide de sa femme pour la traduction de documents rédigés en allemand. Les deux hommes enseignent actuellement en anglais en Australie et aux États-Unis respectivement.

[20]      Dans leur condamnation de l'holocauste, les témoins étaient partagés sur la façon d'attribuer une culpabilité à l'égard des événements qui se sont produits en Lettonie durant la Seconde Guerre mondiale. J'ai trouvé que les deux experts étaient généralement crédibles, mais j'ai accordé à leurs dépositions un poids qui variait en fonction de leurs forces et de leurs faiblesses particulières. Le professeur Kwiet m'a aidé à comprendre l'organisation du pouvoir nazi, mais il connaissait moins bien le fonctionnement concret de cette organisation en Lettonie. Il a donc été enclin à rejeter la responsabilité sur un groupe étendu et hétéroclite de personnes en Lettonie. Le professeur Ezergailis, qui est plus au fait des complexités inhérentes à la mise en oeuvre de la politique nazie en Lettonie, semblait mieux placé pour rejeter la responsabilité sur des groupes bien précis. Le professeur Kwiet a été porté à minimiser les effets de l'occupation soviétique de la Lettonie au début de la Seconde Guerre mondiale et après la guerre. Par contre, le professeur Ezergailis a eu tendance à envisager quelques-unes des activités menées en Lettonie sous l'angle des opinions antisoviétiques pleines d'amertume des Lettons, de sorte qu'il a minimisé l'aide que les Lettons ont fournie à l'occupant allemand. Il est parfois ressorti du contre-interrogatoire du professeur Ezergailis qu'il n'avait pas examiné des documents à l'appui, si bien qu'il a été forcé d'admettre que ces documents ne concordaient pas avec sa conclusion. J'ai toutefois jugé son témoignage généralement digne de foi.

L'administration civile

[21]      Voici comment le professeur Kwiet a défini le terme Reichskommissariat : " Reich " désigne l'empire central allemand et " Kommissariat " est un terme administratif. Mis ensemble, ces mots désignaient un régime civil d'occupation doté d'une structure de domination bien précise mise en place par les Allemands. En ce qui concerne la nouvelle administration civile de l'Ostland, le Reichskommissariat était une chaîne de commandement directe. Au sommet, il y avait le Führer et chancelier du Reich, Adolf Hitler. Il y avait le nouveau ministre du Reich pour les territoires occupés de l'Est, Alfred Rosenberg, qui était l'idéologue en chef du régime nazi. Rosenberg représentait le plus haut échelon ministériel responsable à la fois du Reichskommissariat pour l'Ostland et du deuxième Reichskommissariat au sud.

[22]      Le poste suivant de la chaîne de commandement concerne uniquement le Reichskommissariat pour l'Ostland. Il était occupé par le plus haut représentant civil du régime, un commissaire du Reich appelé Hinrich Lohse. L'Ostland même se subdivisait ensuite en plusieurs commissariats généraux par pays, comme le Commissariat général pour la Lettonie et le Commissariat général pour la Lituanie. Chaque commissariat général était dirigé par un commissaire général. En Lettonie, ce poste était occupé par le Dr Drechsler, qui était l'administrateur civil le plus haut placé. Chaque commissariat général, y compris celui de la Lettonie, se subdivisait ensuite en six commissariats de district, chacun étant dirigé par un commissaire de district (Gebiets Kommissar). Le commissariat de district était l'organe civil allemand le moins élevé en Lettonie occupée. C'est sous le commissariat de district que l'administration autonome lettone de plus bas niveau entrait dans l'organisation.

[23]      Toutes les grandes directives politiques étaient apportées aux deux Reichskommissariats des territoires occupés de l'Est. Le ministre du Reich, A. Rosenberg, était au sommet de la chaîne de commandement et les directives qu'il formulait visaient les deux Reichskommissariats. Ces directives étaient ensuite communiquées au commissaire général qui les transmettait à son tour au commissaire de district. De même que des ordres étaient donnés, de même des rapports devaient être produits, et ces rapports remontaient ensuite la filière jusqu'aux organismes centraux. Par conséquent, la communication s'effectuait directement au moyen de la chaîne de commandement, qui n'était jamais brisée entre le Reich allemand et le Reichskommissariat pour l'Ostland.

L'appareil policier

[24]      Je vais maintenant examiner l'appareil policier et SS, de manière à situer et à comprendre le rôle de la police de district de Madona dont M. Vitols faisait partie. Au sommet de l'appareil policier, il y avait le Führer et chancelier du Reich, Adolf Hitler. Directement sous celui-ci, il y avait le chef suprême de la SS (Reichsführer SS) et chef de la police allemande, Heinrich Himmler. Ce dernier était responsable de toutes les branches et troupes policières en plus d'être le chef de la police allemande. Sous Himmler, il y avait deux branches policières. L'une était la police du maintien de l'ordre (Ordnungspolizei) et l'autre était ce que les Allemands appelaient la police de sûreté et le service de sécurité ou SD. La police du maintien de l'ordre dirigeait la police lettone, surveillait la population et supervisait l'occupation et l'annexion de la Lettonie. La police de sûreté et le SD, qui étaient dirigés par le général Reinhard Heydrich, sont devenus connus sous le nom de Bureau central de la sécurité du Reich. Ce bureau était constitué de six directions de police qui s'occupaient des questions politiques. Par souci de clarté, j'ai joint en annexe l'organigramme de l'appareil policier et SS préparé par le professeur Kwiet. Je préfère le témoignage du professeur Kwiet à celui du professeur Ezergailis sur la question générale de l'appareil policier et SS, mais je tirerai des conclusions individuelles sur la question plus délicate de la circulation et de l'exécution des ordres nazis au sein de cet appareil.

[25]      En 1941, les Allemands ont créé des forces de police auxiliaire ou de district qui étaient placées sous leur contrôle et dont ils avaient choisi les commandants, vu la disparition des services de police en Lettonie. Cette mesure a accentué la germanisation de la Lettonie; par la suite, la police urbaine, provinciale ou de district lettone n'a plus eu d'ossature lettone. Les Lettons relevaient des commandants allemands locaux du SD ou de la police du maintien de l'ordre et obéissaient à leurs ordres. Tout comme l'administration civile lettone, la police lettone n'avait pas le droit d'établir des liens verticaux ou horizontaux avec ses homologues d'autres villes ou régions. Les traditions et le professionnalisme de la police d'avant-guerre se sont affaiblis.

[26]      Les Allemands ont donné à la police auxiliaire ou de district lettone le nom de Schutzmannschaft (littéralement " sociétés de gardes "). La Schutzmannschaft était une organisation très grande et très lourde. Elle regroupait les policiers des petites et grandes villes, de Riga et des provinces. Il y avait des unités qui formaient une armée sans en avoir le titre, comme les bataillons de police qui ont combattu sur le front de Leningrad et contre les partisans en Biélorussie, de même que la police urbaine dans les villes et la gendarmerie en milieu rural. Deux branches incompatibles, l'une militaire et l'autre policière, ont été regroupées en un seul réseau organisationnel.

[27]      Le nom Schutzmannschaft faisait ressortir la nature auxiliaire de la police lettone. De leur côté, les Allemands appelaient les unités lettones Hilfspolizei, ce qui veut dire police auxiliaire. Selon le professeur Ezergailis, ces appellations ont contribué à créer la confusion qui existe encore de nos jours au sujet de la police lettone, des soldats, de la SS et du SD. Toutefois, les Lettons eux-mêmes n'aimaient pas l'appellation Schutzmannschaft et ne l'employaient que dans la correspondance officielle avec les Allemands. Les Lettons employaient le terme Kartibas policija, qui est une traduction littérale de l'Ordnungspolizei (police du maintien de l'ordre) allemand.

[28]      Je conviens avec le professeur Ezergailis que la distinction, en allemand, entre l'Ordnungspolizei allemand et la Schutzmannschaft était justifiée puisque ces organes n'exerçaient pas les mêmes fonctions. Ainsi qu'il a été mentionné, la police du maintien de l'ordre dirigeait la police lettone, surveillait la population et supervisait l'occupation et l'annexion de la Lettonie. La Schutzmannschaft accomplissait des tâches dans le grand public ou exécutait des missions militaires dans les territoires occupés par l'Allemagne. La question de la participation de la Schutzmannschaft à l'élimination des Juifs s'est révélée plus controversée. De l'avis du professeur Ezergailis, alors que l'Ordnungspolizei opérait comme la première réserve du SD dans les massacres, la participation de la Schutzmannschaft était épisodique et locale, et la plupart de ses membres n'ont pas commis d'atrocités. Comparativement aux commandos Arajs, par exemple, la Schutzmannschaft a joué un rôle secondaire, et on ne saurait mettre ces différents éléments dans le même sac.

[29]      Par contre, le professeur Kwiet a déclaré que des sections importantes de la Schutzmannschaft avaient participé à la perpétration de crimes haineux. Les fonctions de la police ont été abondamment documentées par les Allemands. La demanderesse s'appuie sur un ordre en date du 25 juillet 1941 signé par Himmler, dans lequel sont énoncées les fonctions de la police dans les territoires occupés de l'Est :

     [traduction] Les fonctions de la police dans les territoires occupés de l'Est ne peuvent pas être exercées uniquement par les policiers et les SS qui ont été déployés et qui le seront. Il est donc nécessaire de mettre sur pied sans délai d'autres formations de protection [Schutzformationen] parmi les segments de société des territoires conquis que nous jugions acceptables, comme les Einsatzgruppen de la Sicherheitspolizei l'ont déjà fait dans certains cas.         

Ces ordres montrent que la police de sûreté et la police du maintien de l'ordre devaient suivre les troupes militaires qui progressaient vers l'Est et devaient aussi, dans les faits, éliminer toutes les personnes considérées comme des ennemis de l'Allemagne. Les Juifs et les communistes devaient être exécutés, et il s'agissait ensuite de maintenir l'ordre public dans ces pays. Bien que cette directive de Himmler expose le rôle que les autorités nazies entendaient confier aux Schutzformationen, elle ne précise pas comment ni quand ces plans ont été mis à exécution sur le terrain.

[30]      Un ordre allemand daté du 27 septembre 1941 du commandant Flick de la police du maintien de l'ordre dicte pareillement le rôle des policiers en tant qu'agents d'exécution des ordres de leurs supérieurs allemands. À titre d'exemple, voici quelles étaient les fonctions particulières de la Schutzmannschaft à Riga, telles qu'elles sont exposées dans une note en date du 21 août 1941 émanant du chef supérieur de la SS et de la police. Il s'agissait notamment d'assurer la sécurité et l'ordre, d'arrêter les bolchevistes et les Juifs, de surveiller les black-out, de fournir des gardes pour les installations militaires et les dépôts de butin, d'accomplir les tâches incombant à la police portuaire et à la police des chemins de fer, et d'exécuter les règlements généraux et les ordres du commandant de la zone militaire arrière nord. Les membres de la Schutzmannshaft étaient également appelés à exécuter des criminels communistes et politiques. La note fait également référence à Madona et signale les points forts et les fonctions de la Schutzmannschaft à Madona. À Riga, il y avait [traduction] " 99 officiers et soldats " et [traduction ] " des pistolets et des fusils ". À Madona, c'était [traduction ] " comme au point 1 ". Par conséquent, la Schutzmannschaft à Madona devait également, entre autres choses, " arrêter des bolchevistes et des Juifs ". La demanderesse invoque le paragraphe 2 en ce qui concerne M. Vitols.

[31]      Le défendeur prétend que la liste des déploiements et des fonctions comprend également des éléments qui peuvent bien être particuliers à Riga, comme l'exécution de tâches incombant à la police portuaire. Madona est toutefois une ville sans accès à la mer. Le défendeur soutient donc qu'on ne doit pas prendre la remarque [traduction] " fonctions et déploiements comme au point 1 " au pied de la lettre en ce qui concerne Madona. Il s'agit d'une simple directive générale. Mais en dehors de cette distinction topographique, il n'y a pas de raison de douter de l'applicabilité des fonctions énumérées au point " 1 " à Madona.

[32]      Les professeurs Kwiet et Ezergailis ne s'entendaient toutefois pas sur la question de savoir si les fonctions mentionnées dans le document daté du 21 août 1941 ont bel et bien été exécutées. Selon le professeur Kwiet, des sections importantes de la Schutzmannschaft ont pris part à la perpétration de crimes haineux, mais le professeur Ezergailis a dit que rien ne permettait de conclure qu'il en avait été ainsi. En contre-interrogatoire, le professeur Ezergailis a affirmé que les ordres émanant des autorités SS centrales en Lettonie ne pouvaient pas être considérés comme représentatifs des activités réelles menées sur le terrain et que, d'après ses recherches, il n'attribuerait pas de telles activités à la police de district de Madona. Je préfère la preuve du professeur Ezergailis sur ce point. Toutefois, le rôle joué par la police de Madona est embrouillé par le fait que le chef de police Reineke, qui était le supérieur de M. Vitols, relevait directement d'un chef régional allemand de la police et de la SS. Ce lien est à l'origine des opinions divergentes des experts.

[33]      Dans un rapport de la police de sûreté allemande intitulé " Event Report USSR No. 156 " daté du 16 janvier 1942 et diffusé par le chef de la police de sûreté et du SD, il est question d'arrestations et d'exécutions sous la rubrique principale " Status of Security Police Work ". S'appuyant sur cette rubrique, les deux historiens ont convenu que c'est la police de sûreté qui se chargeait des exécutions. Sous la rubrique " Executions ", il est mentionné que [traduction ] " [d]urant la période visée par le rapport, les personnes suivantes ont été exécutées sommairement en vertu du droit martial ". Parmi les personnes énumérées, il y a vingt-huit communistes.

[34]      Dans son rapport, le professeur Kwiet tente de découvrir l'identité de ces vingt-huit communistes. Il a retrouvé leur trace dans un document qui fait état du transfert de prisonniers politiques de Gulbene au camp de concentration de Madona. Selon un document non daté, le chef du deuxième poste de police (situé à Gulbene) de la police de district de Madona, Briedis, a, le 1er octobre 1941, agi conformément au mandat no 170 du 19 septembre 1941 émanant du chef de l'Administration des camps de concentration. Briedis a remis à Karklins, un homme du SD et le chef du camp de concentration de Madona, tous les prisonniers politiques qui étaient gardés à Gulbene, ainsi que des documents, de l'argent et d'autres effets. Les deux experts se sont entendus sur ce point.

[35]      Dans son rapport, le professeur Kwiet fait également état d'une déclaration non datée concernant le transfert de prisonniers dans laquelle il est précisé que les quatre-vingt-six prisonniers politiques gardés à Gulbene ont été transférés à Madona. Le professeur Kwiet paraît ensuite donner à entendre que les vingt-huit communistes étaient des membres de la garde rouge (organisation communiste paramilitaire) et qu'ils étaient sous arrêt depuis le 6 juillet, c'est-à-dire depuis le tout début de l'occupation allemande. C'était bien avant que M. Vitols ne devienne policier à Madona, et non à Gulbene. M. Vitols n'est pas entré dans la police avant le mois de septembre.

[36]      Par conséquent, si M. Vitols est associé à ce transfert de prisonniers, c'est uniquement dans la mesure où il était à Madona lorsque les prisonniers ont été transférés dans cette ville. Les prisonniers ont été transférés au camp de concentration. Ce camp ne relevait pas de la compétence de la police de district de Madona; il relevait de la compétence de l'homme du SD, Karklins. Les deux experts se sont également entendus sur ce point.

[37]      Cela étant, le défendeur soutient qu'il n'a donc visiblement rien eu à voir avec les prisonniers transférés, étant donné que les deux experts conviennent que ces prisonniers ont été exécutés par la police de sûreté.

[38]      Les Juifs de Lettonie ont été exterminés dans une large mesure à l'été 1941 à la faveur de l'entrée des Allemands dans ce pays. Le professeur Kwiet a témoigné qu'il n'emploierait pas le terme Schutzmannschaft pour cette première phase parce qu'à ce moment-là, les recrues de la police auxiliaire provenaient de la police de sûreté, des bataillons de police ou de l'armée. Ces recrues ont pris part aux premières exécutions, qui visaient principalement des Juifs et des communistes. Le professeur Kwiet a appelé ces premières recrues [traduction] " des anti-partisans, des déserteurs ou [des hommes] qui avaient mis sur pied des groupes d'auto-défense dans toute la Lettonie et le premier groupe qui, de concert avec les Allemands ou parfois même sans la présence des Allemands, a procédé à ce premier ratissage ". Néanmoins, ces événements se sont produits avant que M. Vitols n'entre dans la police de Madona en septembre 1941.

[39]      Dans son exposé final, la demanderesse a mentionné le fait qu'il restait un Juif à Madona après l'été 1941. Le défendeur soutient que la demanderesse devait faire référence au rapport de la police de sûreté allemande du mois de janvier 1942. Toutefois, le Juif mentionné dans ce rapport se trouvait à Libau, localité éloignée de Madona. Libau est une ville côtière située à l'extrémité ouest du pays; c'est peut-être la localité la plus éloignée de Madona sans sortir de la Lettonie. La demanderesse invoque également un document identifié comme le message téléphonique no 20 (18 février 1942) adressé au chef de la police de district de Madona. Dans ce document, on fait état de l'arrestation de deux cent vingt-quatre Juifs. La demanderesse affirme que c'est la preuve qu'il y avait encore des Juifs à Madona après que M. Vitols est devenu policier, mais le défendeur, soutenu par le professeur Ezergailis, affirme qu'il s'agissait d'un chiffre cumulatif, de sorte que Madona était en réalité " judenfrei " au moment où M. Vitols est entré dans la police en septembre 1941. Vu l'ambiguïté de ce document et l'absence d'autres éléments de preuve, je ne puis conclure qu'il y avait encore des Juifs à Madona au moment où M. Vitols est devenu policier. En définitive, cette question est sans importance étant donné que la demanderesse nie avoir besoin de cette statistique puisqu'elle affirme que les actes reprochés à M. Vitols ne se limitent pas à sa participation à des activités contre les Juifs.

[40]      Malgré tout, la demanderesse soutient que le fait d'entrer volontairement dans une organisation policière en sachant qu'elle a été souillée par ces premières exécutions suffit à faire de M. Vitols un collaborateur. L'espèce se rapporte toutefois à la question de savoir si M. Vitols a obtenu la citoyenneté par fraude, ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Il s'agit donc de savoir si les activités de M. Vitols en temps de guerre, si elles avaient été divulguées, l'auraient empêché d'être admis au Canada en 1950. La Cour ne s'intéresse donc pas à des conceptions contemporaines de la " collaboration ", mais au point de vue adopté par les responsables canadiens de l'immigration et de la sécurité à l'époque pertinente. Cette question sera examinée un peu plus loin.

[41]      L'efficacité malfaisante de l'Allemagne nazie est visible dans de nombreux autres documents contenant des ordres militaires. Le " décret juridictionnel " pris par le Führer Adolf Hitler lui-même interdisait le recours aux cours martiales pour toutes les questions touchant la population civile. Les cours martiales ne devaient être saisies que des questions juridiques intéressant l'armée; par conséquent, la mort d'un civil ne relevait pas de la compétence des cours martiales. Cette interdiction était une façon claire de sanctionner les crimes commis, étant donné que leurs auteurs n'étaient pas jugés par des cours martiales. De même, l'ordre militaire des commissaires en date du 6 juin 1941, également destiné à l'armée, précisait que l'armée était autorisée à liquider les officiers politiques ou les fonctionnaires soviétiques qui servaient dans l'Armée rouge. L'ordre militaire visait également tous les autres ennemis jugés hostiles au régime sur la scène militaire. Dans les faits, il s'agissait d'un ordre qui donnait à l'armée le pouvoir de tuer les commissaires politiques sans procès; c'est un autre exemple des violations très flagrantes du droit international commises par le régime nazi. Je remarque toutefois que cet ordre s'appliquait à l'armée et non à la police auxiliaire ou de district.

Les unités mobiles d'exécution

[42]      Les Einsatzgruppen ou formations opérationnelles étaient composées de personnel et d'officiers provenant de tous les principaux organismes policiers et de la SS. Dans le langage courant, on les appelle normalement unités mobiles d'exécution. Ces unités semblent avoir eu pour objectif, entre autres choses, la mise en oeuvre de la politique raciale nazie contre les Juifs, les communistes, les tziganes et d'autres ennemis de l'Allemagne. Les Einsatzgruppen suivaient habituellement l'envahisseur allemand. Les bataillons de police progressaient à leurs côtés. Ces bataillons étaient les branches ou les groupes placés sous le commandement de la police du maintien de l'ordre.

[43]      Le commandant allemand de la police de sûreté et du service de sécurité, Stahlecker, relate dans son premier rapport, qui n'est pas daté, les activités des Einsatzgruppen jusqu'au 15 octobre 1941. Stahlecker a rédigé un deuxième rapport dans lequel il relate les événements qui se sont passés du 16 octobre 1941 au 31 janvier 1942. Il relate par le menu le déploiement, les opérations et les activités de ses unités, et il traite plus ou moins de toutes les régions qui relevaient de sa compétence sur le territoire assigné à l'Einsatzgruppe A. Les fonctions des Einsatzgruppen comprenaient l'exécution des communistes, des responsables politiques et des Juifs occupant des postes officiels. Cette tâche était désignée par l'euphémisme " autonettoyage ". Dans les faits, l'autonettoyage voulait dire que les Einsatzgruppen pénétraient dans un territoire et encourageaient ensuite la population locale, que ce soit en Lituanie ou en Lettonie, à commencer à tuer les ennemis nazis (communistes et Juifs) de son propre chef. Les deux professeurs conviennent que par autonettoyage, Stahlecker voulait dire liquidation. Les hommes de Stahlecker se chargeaient des exécutions. Dans son rapport, Stahlecker déclare qu'il était beaucoup plus difficile de mettre en place des opérations de nettoyage et des pogroms similaires en Lettonie. Le professeur Ezergailis a déclaré qu'il n'avait pas réussi à mettre la main sur un document indiquant que des opérations d'autonettoyage avaient eu lieu en Lettonie.

[44]      Comme l'autonettoyage a été un échec, les Allemands ont commencé à organiser la population locale en formations d'exécution spéciales placées sous leur contrôle. Ces formations étaient considérées comme des unités de la police de sûreté ou du SD. Dans la mesure où les pogroms ont échoué, il n'y a pas eu d'exécutions durant la première étape ou la première semaine de l'occupation allemande; elles ont dû être retardées jusqu'à la mise en place de la structure organisationnelle. Il a fallu attendre trois ou quatre semaines. Des unités du SD ont été créées à Riga, Jelgava, Madona et Valmiera.

[45]      La formation Arajs, qui était constituée principalement de Lettons dirigés par Viktors Arajs (un Letton dont la mère était une Allemande balte), est l'unité d'exécution la plus importante et celle qui a existé le plus longtemps. Les commandos Arajs ont été mis sur pied dès le 2 juillet 1941, soit le deuxième jour de l'occupation; ils relevaient de Stahlecker et sont devenus actifs à Riga. À cet égard, Stahlecker a ajouté dans son rapport :

     [traduction] [i]l a été possible de déclencher un pogrom contre les Juifs à Riga bien après qu'on eut exercé une influence suffisante sur la Hilfspolizei lettone. Des synagogues ont été détruites et environ 400 Juifs ont été tués.         

Les commandos Arajs ont procédé aux arrestations et ont brûlé les synagogues. Selon le professeur Ezergailis, deux témoins oculaires ont nié que des gens se trouvaient dans les synagogues lorsqu'on y a mis le feu.

[46]      Les Allemands ont cherché à dissimuler leur rôle dans ces massacres; par exemple, il était interdit aux commandos Arajs, au début, de porter un uniforme. Les Allemands voulaient avant tout donner l'impression que ces incidents étaient des pogroms ou des actes spontanés de la part de la population civile. Dans les faits, toutefois, bon nombre des commandos Arajs étaient liés à l'armée.

[47]      Le professeur Ezergailis estime qu'au moins 20 000 des quelque 85 000 civils qui ont péri en Lettonie sous l'occupation nazie ont été tués directement par les hommes d'Arajs, et que 15 000 des 21 000 Juifs tués dans de petites villes l'ont été directement par des hommes d'Arajs. Selon le professeur Ezergailis, le commando Arajs aurait facilement participé, directement ou indirectement, à 60 000 exécutions.

La politique allemande en Lettonie

[48]      Dès le début, les Allemands ont eu comme politique claire de ne pas permettre le rétablissement de la souveraineté lettone; ils n'ont jamais eu l'intention, comme beaucoup de Lettons l'avaient espéré, de redonner son indépendance à la Lettonie. Les Allemands avaient l'intention de peupler la Lettonie d'Allemands. Les nazis ont par la suite pris des mesures pour interdire toutes les expressions de l'identité nationale; ainsi, tous les symboles de la fierté lettone ou de la nation lettone, comme les drapeaux ou une armée lettone, ont été interdits. En gros, ces mesures visaient à affaiblir la culture lettone. Toutefois, le professeur Ezergailis exagère l'objectif des nazis lorsqu'il affirme que ceux-ci avaient un plan visant [traduction] " à faire disparaître la Lettonie et à éliminer la langue et la culture lettones ". Le professeur Ezergailis a cependant reconnu que cette liquidation n'était pas comparable à celle des Juifs. Sur la question générale des objectifs poursuivis par les Allemands en Lettonie, je préfère le témoignage du professeur Kwiet, mais ses opinions ne me semblent pas différer sensiblement de celles du professeur Ezergailis.

[49]      En résumé, les Allemands ont tenté d'atteindre deux objectifs en Lettonie, vu qu'il s'agissait d'un pays faisant partie du Reichskommissariat pour l'Ostland : la [traduction] " germanisation de tous les éléments acceptables d'un point de vue racial " et la colonisation par des peuples germaniques grâce à l'évacuation des éléments désirables. En d'autres termes, la Lettonie devait en définitive être annexée par l'Allemagne, de manière à devenir partie intégrante du grand empire allemand, et son territoire était utilisé à ce moment-là comme un lieu de germanisation.

[50]      L'administration autonome du territoire était un moyen de faire faussement croire aux Lettons qu'ils avaient quelque chose qui ressemblait à l'autonomie gouvernementale. Le général Valvmanis était directement responsable de l'administration autonome du territoire. Le désenchantement général des Lettons vis-à-vis des Allemands a commencé à l'automne 1941. À titre d'exemple, en juillet 1941, de nombreux volontaires lettons voulaient faire partie des bataillons de police ou des unités militaires afin de se battre contre les communistes. Toutefois, au début de 1942, les Allemands ont voulu mettre sur pied quelques bataillons de police, mais le recrutement a été difficile.

[51]      Le décret sur le travail de Rosenberg a été pris en décembre 1941. Il imposait le travail obligatoire à la population lettone, après inscription. C'est en 1943 seulement qu'ont été ordonnés les travaux forcés, qui entraînaient une déportation en Allemagne. Conformément au décret sur le travail de Rosenberg, il fallait s'inscrire pour travailler. Le registre d'inscription était ensuite utilisé pour enrôler et mobiliser la main-d'oeuvre lettone. Les gens ne pouvaient pas être sans emploi et ils pouvaient être forcés de contribuer à l'effort de guerre allemand. Seules les personnes auxquelles les autorités allemandes avaient délivré un " certificat de personne indispensable " attestant que son titulaire était un civil dont l'emploi contribuait à l'effort de guerre étaient en mesure de se soustraire à un enrôlement de force. Des sanctions étaient prévues en cas de manquement; de fait, il était précisé à l'article quatre d'un décret antérieur de Rosenberg, daté du 5 août 1941 :

     [traduction] [q]uiconque contrevient à la présente ordonnance et à ses règlements d'application est passible d'emprisonnement.         

Selon le professeur Kwiet, toutefois, un policier n'aurait pas été emprisonné ou exécuté en application du décret Rosenberg s'il avait voulu être démobilisé; le professeur Kwiet n'a relevé aucun cas d'exécution parce qu'une personne aurait refusé d'obéir au décret ou y aurait dérogé.

[52]      Un autre avis de mobilisation a été donné le 17 novembre 1943. Il visait tous les officiers et tous les instructeurs de l'ancienne armée lettone, ainsi que tous les hommes nés au cours des années 1915 à 1924. Le professeur Kwiet a déclaré que cet avis de mobilisation ne s'appliquait qu'aux hommes qui étaient sans emploi ou qui ne servaient pas à d'autres titres, comme dans un bataillon de police. À mon avis, toutefois, il est clair que toutes les personnes appartenant aux catégories susmentionnées devaient faire partie de la police ou de l'armée allemande le 17 novembre 1943. Selon le professeur Ezergailis, toutefois, cette date aurait été beaucoup plus rapprochée.

[53]      À cet égard, il convient d'attirer l'attention sur une lettre datée du mois de février 1948 du major Wright, qui était le chef de la sécurité de la GRC en Europe à ce moment-là. Celui-ci déclare que [traduction] " la méthode de recrutement des Allemands consistait à s'efforcer d'amener les Baltes et d'autres non-Allemands à servir dans leurs rangs "; le seul autre choix était [traduction ] " un camp de concentration ou pire ".

[54]      Dans une lettre en date du 15 janvier 1948, R. N. Munroe, superviseur de district de l'Immigration, déclare :

     [traduction] Veuillez prendre note que les règles du Canada en matière d'immigration concernant les personnes qui ont servi sous l'ennemi durant la Seconde Guerre mondiale ont été modifiées récemment, et il est maintenant possible d'approuver l'admission de ces personnes au Canada s'il est démontré de façon concluante qu'elles ont servi dans l'armée allemande sous la contrainte physique.         

Ce commentaire faisait suite à une lettre dans laquelle un citoyen canadien demandait l'admission au Canada d'un proche parent qui était un prisonnier de guerre en Angleterre. D'après cette lettre, il semblait incomber à l'immigrant éventuel de prouver qu'il avait été physiquement contraint de servir dans l'armée allemande. D'ailleurs, la norme de contrainte semblait élevée, selon le major Wright. Dans une lettre en date du 3 février 1948, celui-ci semble adopter le point de vue que la contrainte devait avoir été très grande pour qu'il reconnaisse qu'une personne avait servi sous la contrainte. Il ajoute ensuite :

     [traduction] [c]omme vous le savez, des centaines de milliers de personnes ont refusé de servir dans l'armée allemande et ont été soit déportées pour effectuer des travaux forcés soit envoyées dans des camps de concentration, ou sont mortes pour les principes auxquels elles adhéraient.         

[55]      Je fais également remarquer que le commentaire du professeur Ezergailis selon lequel peut-être le tiers des personnes mobilisées dans les forces armées allemandes se sont soustraites à la conscription visait justement à faire ressortir le fait qu'il s'agissait d'un enrôlement de force et non de service volontaire. Toutefois, ce commentaire montre également qu'un nombre considérable de personnes conscrites ont été en mesure de se soustraire à la conscription. C'est un fait qui soulève des doutes quant à savoir si la conscription avait réellement un caractère coercitif. Mais, en fin de compte, je doute encore qu'on puisse dire que les personnes qui ont servi dans les forces armées allemandes après le 1er septembre 1942 étaient réellement des volontaires, étant donné les circonstances. Selon le décret sur le travail de Rosenberg de décembre 1941, le travail était obligatoire.

La présence de M. Vitols au sein de l'administration allemande de la Lettonie

Les premières années de la guerre

[56]      Le défendeur a admis qu'il a accepté un premier contrat de six mois au sein de la police de Madona parce qu'il voulait travailler. Le défendeur n'admet pas que dès septembre 1941, il savait qu'il entrait dans une organisation paramilitaire ou de style militaire. La situation a évolué au cours des dix-huit mois suivants. Le défendeur n'a produit aucune preuve indiquant qu'il avait déjà tenté de quitter la police à un moment donné, alors que d'autres l'ont fait et d'autres encore ont pris le chemin plus risqué de la désertion.

[57]      Le défendeur a prouvé que les Juifs de Madona avaient tous été éliminés avant le 1er septembre 1941, mais la ministre a exprimé l'avis que ce n'était pas important. La ministre a affirmé que des crimes avaient été commis contre des civils dont certains étaient considérés comme des " communistes " ou des " bolchevistes " et d'autres étaient soupçonnés d'être des partisans, et dont certains étaient des Juifs. Selon la thèse de la ministre, M. Vitols n'était pas un employé de bureau et il a effectivement tenté de minimiser le rôle qu'il a joué. Comme il travaillait pour le chef de police, il est probable qu'il a pris part à des activités policières, et il devait forcément être au courant de ces activités, même s'il n'a pas été personnellement impliqué dans ces rafles bien précises.

[58]      Toutefois, mise à part une note précisant que M. Vitols a été un instructeur dans le cadre de certaines activités de formation policière, la preuve qui m'a été soumise ne me permet pas de conclure qu'il a fait autre chose que du travail de bureau jusqu'au printemps 1942, date de son transfert au 2e poste de police à Gulbene à titre d'inspecteur des prix. M. Vitols a reconnu qu'il avait montré à d'autres policiers comment manier des armes à feu à une ou deux occasions, et que c'est une tâche qui lui avait été confiée à cause de ses antécédents dans l'armée lettone. Il a travaillé notamment comme inspecteur des prix au cours des six derniers mois de 1942.

[59]      M. Vitols a été renvoyé à Madona à l'automne 1942. Il a été chargé de diriger et d'organiser une réserve de police auxiliaire, appelée Groupe C, mise en place par la police du maintien de l'ordre allemande du district de Madona. Je n'accepte pas la preuve de M. Vitols selon laquelle il a simplement fait du travail de bureau et de la gestion du personnel après le printemps 1942.

[60]      Par la suite, en février et en mars 1943, le défendeur et d'autres membres de la police de district de Madona ont été incorporés dans le 281e bataillon de la Schutzmannschaft (le bataillon de police auxiliaire letton), puis ont participé à une vaste opération anti-partisans appelée Winterzauber (" Winter Magic ") menée dans le district situé à la frontière de la Lettonie et de la Biélorussie. M. Vitols a déclaré dans son témoignage qu'à l'instar d'autres membres du district de police de Madona, il n'avait pu qu'accepter le transfert. Il ne savait pas exactement ce qui lui arriverait s'il refusait, mais la rumeur voulait qu'un refus soit sanctionné. Dans le 281e bataillon de police, le défendeur était un sous-lieutenant et un commandant de peloton.

[61]      L'opération Winterzauber était une vaste opération allemande impliquant 4 000 hommes et 700 véhicules. Les combats proprement dits ont commencé le 15 ou le 16 février 1943 et se sont poursuivis jusqu'à la fin de mars 1943. Le professeur Kwiet a déclaré aux pages 121 et 122 :

     [traduction] L'opération Winter Magic est l'une des nombreuses campagnes similaires qui ont été menées à cette époque-là, mais c'était l'une des plus importantes, qui a eu des conséquences tragiques, et elle a nécessité le déploiement de plusieurs forces policières et de la SS, de même que de certaines unités de l'armée régulière; c'est une campagne qui visait à débarrasser un secteur bien précis [... un corridor de quarante kilomètres à la frontière séparant la Lettonie et la Biélorussie...] des partisans et à protéger plus ou moins cette région frontalière contre la menace ou l'infiltration de partisans provenant de la Biélorussie voisine.         

[62]      L'objectif général de l'opération était de laisser derrière des zones mortes. Des villages qui servaient de base aux partisans ont été rasés. Dans un document daté du 2 avril 1943, on mentionne que la tactique de la terre brûlée avait porté fruit; la majeure partie du territoire est devenue une zone morte ou à l'abandon. La population civile a été soit exécutée sur place soit déportée pour effectuer des travaux forcés. Les enfants ont été séparés de leurs familles, mis dans des orphelinats ou confiés à des familles lettones. Le professeur a ajouté, à la page 122, que [traduction] " ce fut l'un des actes criminels les plus horribles jamais commis dans l'histoire de la Lettonie " et que la première attaque menée par les troupes dans le cadre de l'opération Winterzauber avait contrevenu à toutes les règles de droit international et moral. Toutefois, ce sont des membres de la police de sûreté ou du SD, et non les troupes, qui ont été les principaux responsables de ces violations.

[63]      Le chef supérieur de la SS et de la police pour l'Ostland, Friedrich Jeckeln, qui était en mesure, du fait du poste qu'il occupait, de commander à la fois les troupes de la police de sûreté et les troupes de la police du maintien de l'ordre, a créé deux groupes de combat. Le premier était dirigé par le chef de la SS et de la police de la Lettonie, Schroder, et était constitué de trois bataillons de police auxiliaire, dont le 281e bataillon de police auquel M. Vitols appartenait. En outre, il y avait des compagnies de police ukrainiennes et lituaniennes. Le deuxième groupe, dirigé par Knecht, commandant de la police du maintien de l'ordre, était constitué de quatre bataillons de police lettons. Une formation de la police de sûreté avait été assignée à chacun des deux groupes de combat. Celui qui était rattaché au groupe de Schroder s'appelait le commando de reconnaissance B (Erkundigungskommando B).

[64]      La 2e compagnie du 281e bataillon était dirigée par le chef de police de Madona, Reineke. Elle était surtout formée de policiers de la police de district de Madona et d'anciens membres de la défunte armée lettone.

[65]      Le professeur Kwiet a invoqué des rapports qui avaient été renvoyés en conformité avec la chaîne de commandement allemande. Les messages, transmis par télex ou par radio, décrivaient presque quotidiennement non seulement l'opération, mais le résultat des actions menées par les deux groupes de combat. Les ordres et les instructions pour l'opération Winterzauber consistaient en la destruction de chaque village situé dans la zone d'opération à la frontière lettone-biélorusse qui pouvait servir de base à des partisans, et en l'exécution de tous les partisans et de toutes les personnes soupçonnées de les appuyer. Ces ordres et ces instructions autorisaient la prise de mesures extraordinaires, soit l'exécution de tous les hommes âgés de 16 à 50 ans et la déportation des femmes dans des camps de concentration et aux travaux forcés. Des documents font état de l'exécution d'un nombre élevé de personnes handicapées et de personnes âgées.

[66]      Une fois que les troupes avaient occupé le village, elles fouillaient le bois jusque dans les marais ou d'autres régions. Ceux qui étaient capturés - les partisans et leurs adeptes - étaient détenus jusqu'à l'arrivée de la police de sûreté. Ils subissaient ensuite un interrogatoire, puis étaient abattus sur-le-champ. C'était ensuite au tour des personnes blessées ou handicapées, par exemple, ou des personnes jugées inaptes au travail d'être abattues sur-le-champ. Les femmes et les hommes qui restaient étaient déportés, évacués, relocalisés ou expulsés de la région, et se retrouvaient dans des camps de travaux forcés habituellement situés en Allemagne. Les enfants étaient séparés de leurs familles. Les mères auxquelles on avait enlevé leurs enfants étaient envoyées dans des camps de concentration en Allemagne. Environ un millier d'enfants sont restés derrière et ont été confiés à des orphelinats ou à des familles lettones.

[67]      Je conteste la remarque du professeur Ezergailis selon laquelle l'accompagnement des enfants derrière la zone de conflit au cours de l'opération Winterzauber constituait un geste de clémence. Si les hommes chargés d'escorter les enfants connaissaient le sort ultime de ces enfants, ils participaient à la perpétration d'un crime grave. Je ne suis pas d'accord avec la demanderesse pour dire que les partisans étaient des civils. Je reconnais toutefois que certains civils ont été visés par l'opération Winterzauber.

[68]      La preuve ne permet pas de définir le pourcentage exact de villages qui ont été brûlés par chaque camp. Les Russes ont brûlé un nombre considérable de villages, mais moins de la moitié des villages. Seuls les commandants de compagnies et leurs supérieurs étaient autorisés à donner l'ordre de brûler une ville ou un village en dehors du cadre d'un combat. Dans des situations de combat, toutefois, les troupes étaient autorisées à brûler villes et villages. Le professeur Kwiet a reconnu qu'une partie des incendies attribués aux Allemands avait été le fait des Russes. Il a également reconnu que lorsque les bataillons de police allemands se retiraient, ils étaient souvent poursuivis par des partisans. Selon lui, c'était encore une situation de combat.

[69]      Au début de l'opération Winterzauber, le chef supérieur de la SS et de la police a donné une directive générale à la police de sûreté ou au SD, de même qu'aux deux groupes de combat. Les ordres ont ensuite été acheminés jusqu'aux unités qui participaient à l'opération. Après qu'un ordre était donné, en règle générale, les troupes de combat intervenaient, attaquaient le village ou passaient la région qui leur était attribuée au peigne fin et tuaient tous ceux qui prenaient part aux combats.

[70]      Beaucoup d'ordres étaient donnés par écrit, mais, selon le professeur Kwiet, ceux qui descendaient jusqu'aux chefs de peloton n'étaient pas donnés par écrit. Le professeur Kwiet a examiné quelques-uns des ordres opérationnels donnés par le chef supérieur de la SS et de la police, Jeckeln, et a reconnu en contre-interrogatoire qu'aucun des bataillons inscrits sur la liste de distribution ne comprenait le 281e bataillon auquel M. Vitols appartenait. Des documents indiquent que le commandant du groupe de Knecht recevait les ordres, mais n'indiquent pas que le commandant du groupe de Schroder les recevait. Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, le 281e bataillon faisait partie du groupe de Schroder. Toutefois, deux documents allemands contenant des ordres opérationnels révèlent que les groupes de Schroder et de Knecht devaient débarrasser complètement certains territoires des bandits (partisans). Bien que la police de sûreté et le SD fussent responsables au premier chef de l'élimination de la population, les troupes constituant les bataillons étaient chargées de leur prêter main-forte.

[71]      M. Vitols a nié avoir participé à des atrocités. Il a déclaré qu'il avait commandé un peloton de trente-cinq hommes dans le cadre de l'opération Winterzauber. Le bataillon comptait trois compagnies et chaque compagnie était formée de trois pelotons. Il y avait aussi un peloton d'approvisionnement. Durant l'opération Winterzauber, M. Vitols et son peloton recevaient un ordre quotidien du commandant de la compagnie : passer la forêt au peigne fin et chercher des partisans. Ces ordres étaient exécutés.

[72]      Ils sont tombés sur des partisans à plusieurs reprises. Les partisans ne commençaient jamais une attaque. S'ils étaient entourés, ils se battaient jusqu'à ce que mort s'ensuive. S'ils avaient la possibilité de s'enfuir, ils tentaient de le faire. M. Vitols a déclaré que son peloton n'avait jamais eu affaire à des civils et n'avait pas reçu d'ordres à leur sujet. En tant que soldats, ils étaient censés vaincre l'ennemi, pas des civils. M. Vitols a déclaré que son peloton n'avait tué aucun partisan, mais il savait que certains partisans avaient été tués. Selon moi, il est peu vraisemblable que le peloton de M. Vitols n'ait jamais tué aucun des partisans contre lesquels ils s'étaient battus durant les combats.

[73]      On a interrogé M. Vitols au sujet des commentaires du professeur Kwiet. M. Vitols a déclaré qu'il avait entendu parler des atrocités commises contre les civils et des villages qui avaient été brûlés, mais qu'il n'avait jamais été témoin de ces événements. Il a déclaré que ces événements devaient s'être produits après la dissolution de son bataillon. Il a également entendu dire que certaines unités de la zone arrière avaient déporté des personnes en Allemagne pour effectuer des travaux forcés. M. Vitols a indiqué qu'il n'avait jamais eu de contact avec ces unités; il a entendu dire qu'il s'agissait d'unités du SD.

[74]      À mon avis, il n'existe aucun élément de preuve appuyant le témoignage de M. Vitols selon lequel les atrocités ont été commises après la dissolution de son bataillon. Il est peu vraisemblable qu'il n'ait jamais vu de fumée s'élever des villages qui étaient brûlés.

[75]      Je conclus que M. Vitols est crédible lorsqu'il affirme qu'il n'a pas participé à ces atrocités. Selon moi, son rôle s'est limité à se battre contre des partisans et à tuer des partisans dans des situations de combat, en tant que membre du 281e bataillon. M. Vitols, comme la plupart des Lettons à l'époque, considérait la Russie, pas l'Allemagne, comme le véritable ennemi de la Lettonie.

[76]      À la page 489, ligne 23, le professeur Kwiet déclare que [traduction] " l'opération Winterzauber a plus ou moins échoué ". Cette remarque est digne de mention parce que, comme le prétend le défendeur, la demanderesse affirme, sur la foi de documents allemands, que cette opération a été un succès. Toutefois, selon le professeur Kwiet, l'opération Winterzauber a d'abord été un succès pour les Allemands, mais les partisans sont revenus peu de temps après. Cette incohérence est une autre raison pour laquelle les documents nazis ne peuvent pas toujours être pris au pied de la lettre.

M. Vitols - Les dernières années de la guerre (1943-1946)

[77]      Après l'opération Winterzauber, le 281e bataillon s'est dispersé à Riga; ses membres sont retournés à Gulbene dans le district de Madona. M. Vitols a déclaré qu'il a été transféré et a continué à servir dans le 277e bataillon de mai à septembre 1943. Son témoignage sur ce point est appuyé par deux éléments de preuve documentaire. Je remarque que le nom de M. Vitols est biffé sur le document qui contient les noms des membres du 281e bataillon qui devaient retourner à Gulbene; de toute évidence, M. Vitols n'est pas retourné dans le district de Madona à ce moment-là. De plus, le service effectué par M. Vitols dans le 277e bataillon est mentionné dans la demande de pension allemande qu'il a présentée en 1986, pension qu'il reçoit maintenant pour son service en temps de guerre.

[78]      M. Vitols a déclaré que le 277e bataillon faisait partie de la police frontalière ou de la garde frontalière responsable des actions anti-partisans de moindre envergure à l'est de Madona, dans la région de Lubana et à Lake Lubana. Cette affirmation est compatible avec le document en date du 2 avril 1943 dans lequel il est mentionné qu'il n'était pas inconcevable que les partisans ayant fui vers le nord et l'est durant les opérations seraient bientôt en mesure de mener des attaques sur le territoire letton.

[79]      M. Vitols a ensuite déclaré qu'il avait été renvoyé dans la région de Madona par le chef de police Reineke, pour superviser tous les hommes du groupe C. Ce groupe était formé de fermiers qui avaient servi dans l'armée et qui savaient comment manier les armes. Il était chargé d'agir comme " commando d'alarme " responsable des patrouilles de nuit devant fouiller chaque district pour trouver des partisans. Les partisans poursuivaient souvent des activités dans les environs du district de Lubana. Sur réception d'informations concernant les activités de partisans ou des vols, une unité spéciale du groupe C était formée pour faire enquête. Ces opérations de ratissage anti-partisans étaient beaucoup moins importantes que l'opération Winterzauber . M. Vitols a déclaré que son unité avait été formée en décembre 1943, mais que d'autres unités avaient été formées avant cela. M. Vitols a soutenu qu'il avait fait du travail de bureau de septembre à décembre 1943. En décembre 1943, il est devenu lieutenant et a occupé ce poste jusqu'à la fin de la guerre.

[80]      M. Vitols a reçu une décoration allemande le 20 avril 1944 - une croix de guerre deuxième classe - relativement à ses activités au cours d'un affrontement avec un groupe de partisans dans le district du Lake Lubana et dans la forêt de Lubana à l'hiver 1944. Un certificat en date du 28 mai 1945 a été délivré. M. Vitols a déclaré que son unité n'avait pas subi de pertes, mais qu'il y avait eu trois morts dans l'unité allemande. M. Vitols et son unité sont retournés sur le terrain pour ramasser les Allemands morts au combat et les ramener à Madona. Comme les partisans mettaient des mines sous les corps des soldats allemands, récupérer ces corps était une opération dangereuse.

[81]      En juillet 1944, l'armée russe régulière est arrivée à Lubana. M. Vitols est retourné à Madona et a accepté un poste au sein de la 19e division sur la route qui relie Cesvaine à Madona. Il y a ensuite eu une bataille qui a duré trois jours. M. Vitols a reçu un insigne d'assaut argent des forces allemandes pour sa participation aux combats contre les Russes en Poméranie. Il a déclaré qu'il est encore fier des décorations de guerre qu'il a reçues. Le groupe C a été rappelé à Riga en septembre et a été réparti en nouvelles unités. M. Vitols a reçu des ordres de rassemblement à certains endroits à Riga et a été affecté à l'unité d'affectation spéciale du capitaine Meyer.

[82]      Cette unité n'était formée que de Lettons et appartenait à la 15e division de la légion lettone. Le bataillon comptait trois compagnies. M. Vitols était le commandant en chef d'une compagnie formée d'environ cent cinquante hommes. Sa compagnie a creusé des obstacles antichar et des fossés stratégiques spéciaux en Allemagne.

[83]      M. Vitols est entré dans la légion lettone ou Waffen SS en septembre 1944. La légion était dirigée par des Lettons, mais recevait ses ordres supérieurs des Allemands, puisqu'elle faisait partie de l'appareil allemand. Les professeurs Kwiet et Ezergailis ont reconnu que rien ne permettait de conclure que la légion lettone ou Waffen SS avait commis des atrocités en tant qu'unité.

[84]      À mon avis, bien que M. Vitols n'ait jamais été enrôlé de force, il a été obligé d'accepter ce transfert dans la légion lettone. C'est probablement ce qu'ont pensé les responsables canadiens du contrôle sécuritaire au moment d'admettre M. Vitols au Canada. Le défendeur a admis que la légion lettone ou Waffen SS avait été reconnue comme une organisation criminelle par le tribunal militaire de Nuremberg, mais que des exemptions avaient été accordées dans certains cas, notamment à l'égard des personnes qui avaient été enrôlées de force et qui n'étaient pas coupables de crimes de guerre.

[85]      M. Vitols est parti en Allemagne le 10 octobre 1944. Il a travaillé à la construction d'obstacles antichar et de fortifications au sein d'une compagnie d'intervention d'urgence. Lorsque l'armée russe est entrée en Allemagne en 1945, la 15e division s'est retirée aussi loin qu'elle l'a pu. L'armée soviétique a ensuite attaqué. M. Vitols et son groupe se sont retirés à l'ouest et ont envisagé de se rendre aux Alliés, soit les forces armées anglaises et américaines. Selon M. Vitols, les membres de la division ne voulaient pas se rendre à l'armée soviétique parce qu'ils seraient exécutés ou envoyés en Sibérie. Le 2 mai 1945, M. Vitols s'est constitué prisonnier à Schwerin, en Allemagne, ville qui fait actuellement partie de la Pologne. Il était alors muni de pièces d'identité.

[86]      M. Vitols a ensuite été détenu dans trois camps de prisonniers de guerre. Dans le troisième camp, situé en Belgique, où il a été transféré en septembre 1945, il y avait plus de 10 000 autres soldats lettons. C'est l'armée britannique qui dirigeait ce camp.

[87]      D'après une fiche de renseignements personnels qui a été remplie au camp de prisonniers de guerre le 22 août 1945, M. Vitols appartenait à la 1re division lettone du régiment d'infanterie cinq. Selon la preuve du professeur Ezergailis et le rapport du professeur Kwiet, la 15e division de la Waffen SS s'appelait également la 1re division lettone. Le mot " armée " est également mentionné. Par conséquent, il semblerait que les autorités du camp n'ont pas été induites en erreur puisqu'elles savaient à quelle division M. Vitols appartenait.

[88]      M. Vitols a déclaré qu'on ne l'avait pas questionné au sujet de son service en temps de guerre. Lorsqu'il s'est constitué prisonnier en mai 1945, il portait un uniforme; sur la manche de son uniforme, il y avait un emblème indiquant qu'il faisait partie de la légion lettone. De plus, il était en compagnie d'une unité de la légion lettone. Le défendeur a déclaré que, d'après la preuve, il est clair que les autorités alliées savaient qui il était, et je conclus qu'elles savaient qu'il appartenait à la légion lettone.

IV.      L'après-guerre

[89]      M. Vitols est demeuré un prisonnier de guerre en Belgique jusqu'en mars 1946.

[90]      À sa libération le 27 mars 1946, M. Vitols a reçu un certificat de licenciement daté du même jour. Ce document proposait plusieurs options pour décrire les antécédents militaires d'un prisonnier de guerre, notamment la Waffen SS. Toutefois, le certificat de M. Vitols précise qu'il a été licencié de l'" armée ". Il semble donc que les administrateurs du camp ont décidé de désigner les membres de la légion lettone comme des membres de l'" armée ", malgré leur appartenance à la Waffen SS . À mon avis, c'est de propos délibéré que les autorités militaires britanniques ont décidé de désigner les membres de la légion lettone ou Waffen SS comme des membres de l'" armée " ou de la " Wehrmacht ". De plus, je conclus que les autorités qui, à cette époque-là, étaient les armées américaine et britannique, l'ont fait de propos délibéré dans l'intérêt des membres licenciés de la légion lettone. Cela correspond à la perception américaine, après la Seconde Guerre mondiale, selon laquelle les ennemis véritables étaient les Soviétiques.

[91]      Cette attitude transparaît dans The Handbook Governing Policy and Procedure for The Military Occupation of Germany que le Commandement suprême du corps expéditionnaire allié a publié en avril 1945. À ce moment-là, la guerre n'était pas terminée; par conséquent, ce document ne fait que prévoir des événements à venir. Toutefois, il laisse prévoir la clémence des forces alliées envers les collaborateurs non-allemands qui se sont battus contre les occupants soviétiques et qui risquaient d'être rapatriés en Union soviétique. Sous la rubrique " Non-German nationals who have served or collaborated with the enemy " (Ressortissants non-allemands qui ont servi sous l'ennemi ou collaboré avec lui), au numéro 402, paragraphe b), il est mentionné :

     [traduction]         
     Traitement après la défaite ou la capitulation :         
     (1) les personnes ayant été licenciées ou libérées par les autorités responsables de la démobilisation seront traitées comme des personnes déplacées suivant leur nationalité.         

J'accepte la preuve du professeur Ezergailis qui a déclaré, à la page 2065 de la transcription, que les gens ont été traités comme des personnes déplacées suivant leur nationalité.

[92]      Les documents américains de cette époque laissent voir une approche similaire. Dans un message classifié sortant en date du 9 mars 1946 du Centre de messages classifiés du département américain de la Guerre, il est mentionné au paragraphe 1 :

     [traduction]         
     Tous les ressortissants polonais et baltes capturés pendant qu'ils servaient dans la Wehrmacht devraient cesser d'avoir le statut de prisonnier de guerre et obtenir le statut de personne déplacée, sauf :         
         a)      les personnes qui, selon une preuve satisfaisante, sont des criminels de guerre;         
         b)      [s'applique uniquement aux citoyens polonais]; et         
         c)      les ressortissants des pays Baltes qui, selon une preuve convaincante, paraissent de leur plein gré s'être portés volontaires pour servir dans l'armée allemande.         
     Par conséquent, ces personnes devraient être traitées de la même manière que d'autres prisonniers de guerre allemands.         

C'est justement en mars 1946 que M. Vitols a été libéré du camp de prisonniers de guerre. En ce qui concerne les autorités militaires américaines, il semblerait que M. Vitols était clairement visé par la règle générale énoncée au paragraphe 1, ce qui lui permettait de cesser d'avoir le statut de prisonnier de guerre et d'obtenir celui de personne déplacée à sa libération.

[93]      Il est mentionné à la page 106, paragraphe 10, du Manual for Eligibility Officers de l'OIR, qui n'a pas été utilisé avant 1948, que les membres de la Waffen SS ne relevaient pas du mandat de l'OIR, à l'exception des membres des unités SS étrangères qui étaient en mesure de prouver de manière vraisemblable qu'ils avaient été enrôlés de force. Il est en outre mentionné à la page 57, paragraphe 21, que d'autres groupes comme les régiments de police SS, le service de sécurité, les Einsatzgruppen et la Schutzmannschaft ne relevaient pas, à première vue, du mandat de l'OIR vu sa constitution; toutefois, dans le cas de la Schutzmannschaft, le requérant pouvait combattre cette présomption s'il était en mesure de produire des preuves attestant qu'il avait été enrôlé de force et s'il était vraisemblable qu'il n'avait pas commis d'atrocités ou persécuté des populations civiles. M. Thomas a toutefois déclaré que le but poursuivi par l'UNRRA durant la période antérieure au mois de janvier 1948 était moins circonscrit puisqu'il s'agissait pour cet organisme de chercher à écarter les criminels de guerre, les traîtres et les collaborateurs.

[94]      Par la suite, l'administration des camps a dû paraître plus ferme, parce que l'Union soviétique exigeait le retour de tous ses ressortissants, même ceux des pays occupés illégalement. Je fais remarquer que le pays indépendant qu'était la Lettonie avait été occupé illégalement par l'Union soviétique en 1940, en vertu du tristement célèbre protocole secret du pacte germano-soviétique de 1939. Les alliés occidentaux, sauf les Néerlandais, n'ont pas reconnu l'occupation de la Lettonie par l'Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale. M. Thomas, qui est un expert de l'OIR, a témoigné que la constitution de l'OIR contenait plus de restrictions que celle de l'UNRRA. La constitution du Commandement suprême du corps expéditionnaire allié semble encore plus clémente, puisqu'il est question de traiter les collaborateurs et les membres des forces ennemies comme des personnes déplacées.

[95]      M. Thomas a déclaré en contre-interrogatoire que l'Union soviétique a refusé d'adhérer à l'OIR lorsque cet organisme a été mis sur pied, parce que leurs mandats généraux respectifs étaient incompatibles. La mission principale de l'OIR était la réinstallation, alors que l'Union soviétique cherchait à rapatrier ses citoyens, y compris les ressortissants des pays qu'elle avait occupés juste avant le déclenchement des hostilités avec l'Allemagne.

[96]      Selon la politique officielle, les Russes n'étaient pas autorisés à entrer dans les camps de personnes déplacées. Ils y sont toutefois entrés de force au lieu d'obtenir une permission. Ils ont finalement obtenu la permission d'y entrer.

[97]      M. Thomas a également déclaré que des officiers de l'armée américaine se sont chargés d'une partie de la sélection dans les camps, mais il n'a pas été en mesure de préciser pendant combien de temps il en avait été ainsi.

[98]      Le défendeur a déclaré que les Baltes inspiraient beaucoup de compassion. De plus, les forces d'occupation américaines n'ont jamais considéré les Lettons comme des citoyens de l'Union soviétique. Le traitement brutal que l'Union soviétique réservait à ceux qui étaient rapatriés contre leur gré en vertu de l'accord de Yalta suscitait également beaucoup de répulsion. Le professeur Ezergailis a déclaré que de nombreuses personnes se sont suicidées lorsqu'elles ont appris qu'elles seraient rapatriées. Du point de vue des Soviétiques, les personnes qui s'étaient battues contre l'Union soviétique étaient des criminels de guerre.

[99]      Les parties ont reconnu que :

     [traduction] [a]près la Seconde Guerre mondiale, différents groupes de Lettons et d'Estoniens ont exercé de nombreuses pressions et élevé de nombreuses protestations auprès du gouvernement militaire américain dans la zone américaine en Allemagne. Ces efforts visaient à faire inclure les membres des légions baltes dans les groupes de personnes acceptées dans les camps de personnes déplacées, malgré le fait qu'on les considérait comme des " Waffen SS " et des " volontaires ".         

Les camps de personnes déplacées - La sélection à Fulda et le formulaire de l'OIR

[100]      Après avoir été libéré du camp de prisonniers de guerre le 26 mars 1946, M. Vitols a vécu dans des camps de personnes déplacées à Fulda et à Tuttlingen, en Allemagne, pendant près de quatre ans. M. Vitols est entré au camp de Fulda, qui était alors dirigé par l'armée américaine, grâce au certificat de licenciement délivré par le camp de prisonniers de guerre. Ce certificat précisait que M. Vitols avait servi dans l'armée lettone. M. Vitols a déclaré qu'on ne l'avait pas interrogé au sujet de ses activités en temps de guerre, ce qui l'a amené à croire que le camp ne s'opposait pas à la présence de soldats.

[101]      Tous les documents qui ont été préparés pendant la guerre, après la guerre en Europe et à l'arrivée de M. Vitols au Canada indiquent invariablement le nom exact, la nationalité exacte et la date de naissance exacte de M. Vitols.

[102]      M. Vitols a témoigné qu'il avait été sélectionné à Fulda un an après son arrivée. C'est l'armée américaine qui l'a fait. Elle a appliqué les lignes directrices de l'UNRRA. M. Vitols a en outre témoigné que le commandant du camp savait que son camp accueillait de nombreux soldats provenant des pays occupés par les nazis, mais leur conseillait de nier leur participation au sein des forces armées dirigées par les nazis. Le défendeur a révélé qu'il avait été un lieutenant de carrière, mais qu'il avait menti aux Américains au sujet de ses activités pendant la guerre, puisque le commandant du camp lui avait dit que sa demande serait rejetée s'il disait la vérité sur ce qu'il avait réellement fait durant la guerre.

[103]      Le frère du défendeur, Robert Vitols, se trouvait également à Fulda. Ses antécédents étaient semblables à ceux du défendeur, puisqu'il avait d'abord fait partie d'un régiment de police à Riga et, ensuite, de la même division de la Waffen SS (la légion lettone) que Peter Vitols. La divulgation de ces renseignements à l'armée américaine à Fulda avait entraîné le rejet de sa demande, et il a finalement été envoyé dans la zone française. Le défendeur a quitté le camp de personnes déplacées de Fulda pour aller rejoindre son frère le 1er mars 1948. Le 3 mars 1948, il s'est inscrit comme personne déplacée à Tuttlingen, dans la zone française, où il a obtenu du travail. Le défendeur et son frère avaient tous deux des emplois rémunérés au sein de la Gendarmerie d'auxiliaires étrangers qui a gardé les prisonniers de guerre allemands jusqu'au 24 mai 1948. Par la suite, le défendeur a travaillé comme bûcheron dans les forêts allemandes du 2 juin 1948 au 30 juin 1949 dans le cadre des efforts de réparation allemands vis-à-vis de la France.

[104]      M. Vitols a présenté une demande de statut de personne déplacée à l'OIR dans la zone française le 8 avril 1948, même s'il ne vivait pas dans un camp de personnes déplacées. Il ne se souvient pas avoir subi une entrevue. L'OIR a sans doute rempli le formulaire de demande, appelé CM-1, pour M. Vitols. Le formulaire CM-1 qui se trouve dans le dossier d'immigration de M. Vitols est en français, mais le formulaire original CM-1 devait être en anglais.

[105]      M. Thomas, qui est un expert en ce qui a trait à la politique de l'OIR, a déclaré que la constitution de l'OIR était en place le 1er décembre 1946, mais que l'organisation n'avait pas commencé ses travaux avant le 1er juillet 1947. Au cours des six mois suivants, elle s'est appelée la Commission préparatoire de l'OIR. La constitution de l'OIR, qui était contenue dans le Manual for Eligibility Officers de l'OIR, prévoyait que ceux qui avaient volontairement aidé les forces ennemies depuis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale n'avaient droit à aucune aide. Selon M. Thomas, il n'y avait pas de doute que l'appartenance du défendeur aux bataillons de police, à la police auxiliaire, aux bataillons de la Schutzmannschaft et à la Waffen SS aurait constitué un motif d'exclusion. Selon M.Thomas, les membres de la police auxiliaire, qui se sont bornés à effectuer du travail de bureau, ont été considérés comme des personnes ayant volontairement aidé l'ennemi. Toutefois, rien ne permettait de conclure que le Canada ou les États-Unis avaient jamais déclaré la guerre à la Lettonie. Compte tenu des conclusions que je tire un peu plus loin sur les pouvoirs discrétionnaires des contrôleurs des visas et compte tenu du fait que ces contrôleurs croyaient qu'appartenir à l'" armée lettone " voulait dire appartenir à la Waffen SS , la question de savoir si la Lettonie était du côté de l'ennemi est dénuée de pertinence.

[106]      M. Thomas a déclaré qu'une personne qui serait entrée dans la police dans les circonstances où l'avait fait M. Vitols n'aurait pas été admissible à l'aide de l'OIR, et qu'il n'aurait pas considéré ces circonstances comme la simple continuation de fonctions pacifiques ordinaires.

[107]      La demanderesse soutient que le défendeur, à cause des fausses déclarations qu'il a faites, n'a jamais donné à l'UNRRA, puis à l'OIR, la possibilité de décider s'il était véritablement admissible. Par conséquent, c'est entièrement grâce aux remarques trompeuses qu'il a reconnu avoir faites qu'il a, dans les faits, pu demeurer dans les camps et obtenir de l'aide.

[108]      M. Vitols estime que la plupart des renseignements inscrits sur le formulaire CM-1 en français de l'OIR, qui est daté du 8 avril 1948, sont ceux qu'il a fournis à l'entrevue menée à Fulda. On ne sait pas très bien dans quelle langue l'entrevue s'est déroulée. M. Vitols a témoigné qu'il ne parlait pas le français lorsqu'il a signé le formulaire CM-1 en français. Mais il reconnaît clairement que c'est sa signature qui figure sur ce formulaire.

[109]      Le formulaire renferme de toute évidence des renseignements inexacts. Il y a eu un contre-interrogatoire assez long à propos du fait que certains renseignements inscrits sur le formulaire ont dû être ajoutés à Tuttlingen, c'est-à-dire après l'entrevue menée à Fulga et, par conséquent, en l'absence de M. Vitols. Le formulaire contient des renseignements qui concernent uniquement Tuttlingen. Selon le témoignage de M. Vitols, ces renseignements ont pu être ajoutés par des personnes qui ont mené l'entrevue dans la zone française. M. Vitols croyait que les fausses déclarations contenues dans ce document remontaient à l'entrevue initiale menée à Fulda en 1947. Un numéro d'identification l'a suivi de Fulda et a été incorporé dans ce document.

[110]      À mon avis, M. Vitols a signé le formulaire CM-1 original à Fulda. D'autres renseignements ont été ajoutés à Tuttlingen; ces renseignements n'apparaissaient pas sur le formulaire signé par M. Vitols à Fulda. Toutefois, ainsi que l'a reconnu M. Vitols, lorsqu'il a signé le formulaire à Fulda, celui-ci contenait les fausses déclarations qui sont examinées en l'espèce. Malgré tout, il affirme qu'il aurait corrigé les fausses déclarations contenues dans ce formulaire s'il avait subi une entrevue à Tuttlingen et s'il avait été interrogé au sujet de la véracité du document préparé à Fulda.

Le formulaire de l'OIR (CM-1)

[111]      Le défendeur a soutenu que le document CM-1 ne peut être considéré pertinent qu'à l'égard de la question de savoir s'il contenait des allégations mensongères au moment où M. Vitols a présenté une demande d'immigration au Canada pour deux motifs :

     1) M. Vitols a adopté le formulaire. Toutefois, rien ne permet de conclure que les responsables canadiens de la sécurité ou de l'immigration ont jamais demandé à des immigrants d'adopter de tels documents; et
     2) le responsable canadien de la sélection avait en sa possession le document CM-1 au moment de l'entrevue et il s'en est servi pour vérifier que l'information fournie par M. Vitols était exacte. Toutefois, le défendeur ne savait pas si ce document a effectivement été utilisé à l'entrevue puisqu'il n'a pas vu les documents que la personne qui l'a interrogé avait en sa possession.

[112]      Dans la même veine qu'au point 2 ci-dessus, le défendeur a soulevé la question fondamentale de savoir quels sont les documents faisant partie de la demande que M. Vitols a présentée à l'OIR que les autorités canadiennes peuvent avoir utilisés pour décider de l'admettre au Canada et, en particulier, si le formulaire CM-1 faisait partie de ces documents. Pour trancher cette question, il faut examiner des traces écrites complexes.

[113]      La demande d'aide de M. Vitols, soit le formulaire CM-1, est datée du 8 avril 1948. Elle contient trois fiches individuelles qui portent toutes le numéro 88288. En ce qui concerne la troisième fiche, le numéro 172.044 est également inscrit juste sous le numéro 88288. Ce dernier numéro apparaît également sur la demande CM-1, sous le numéro d'identification 556472 attribué à Fulda. Par conséquent, il semble qu'un nouveau numéro d'identification a été attribué au défendeur dans la zone française, sans perdre l'identification attribuée à Fulda. Le numéro d'identification 172.044 figure également sur la première page du formulaire CM-1 en français. Il a également été inscrit, à la main, au recto de la première et de la troisième fiches, à l'encre plutôt qu'à la machine à écrire. Toutefois, le numéro d'identification 172.044 n'apparaît pas au recto de la deuxième fiche, mais au verso. Ce numéro est donc inscrit sur les trois fiches, au recto de la première et de la troisième fiches, et au verso de la deuxième et de la troisième fiches. Le numéro d'identification attribué à Fulda, 556472, apparaît au verso de toutes les fiches.

[114]      Une liste, en date du 30 avril 1948, des personnes vivant au camp de Tuttlingen mentionne le nom, la date de naissance et la nationalité exacts de M. Vitols, de même que le numéro CM-1 172.044. De même, une liste alphabétique en date du 1er mars 1949 provenant de Tuttlingen porte le même numéro juste à côté du numéro 88288. Enfin, il existe un document de l'OIR sur lequel figurent les noms des personnes qui ont quitté le centre de réinstallation de Ludwigsburg, le 7 avril 1950, à destination du Canada via Brême. Le nom de M. Vitols y est correctement inscrit. Y sont également mentionnés son état civil (marié), sa date de naissance, sa nationalité, son pays de citoyenneté et ainsi de suite. Il est précisé que M. Vitols est un travailleur de la betterave à sucre. Le bureau local est situé dans la zone de Butzbach. Ce document porte toutefois un numéro d'identification différent de celui qui figure sur le formulaire CM-1. Il s'agit du numéro 561207 et non du numéro 172.044.

[115]      Les fonctionnaires de la demanderesse qui ont recueilli des éléments de preuve aux fins du présent renvoi ont utilisé le service de dépistage international qui a estampillé ces documents. Leurs recherches les ont amenés au numéro CM-1 561207. Ce numéro ne semble pas se rapporter au numéro d'identification attribué à Fulda, ni aux documents préparés à Tuttlingen.

[116]      Un numéro de formulaire CM-1 apparaît sur une fiche individuelle non datée. Ce numéro, inscrit dans la partie supérieure, est CM-1 561207. Par conséquent, il semble évident que le numéro 561207 est le numéro CM-1 qui a été attribué à M. Vitols en 1950 en tant que travailleur de la betterave à sucre. Dans le coin supérieur gauche de la fiche, il y a le numéro d'identification 556472 qui lui a été attribué à Fulda. Un timbre apposé sur ce document contient les mots " record destroyed ". Au numéro 8 de la fiche " Destination or Reception Center ", le premier mot semble commencer par la lettre " H " ou " W ", puis on semble dire " by army ". Ensuite, on semble dire " all cleared 1948 " ou " see cleared 1948 ". Au verso de la fiche individuelle, sous la rubrique " Remarks ", un timbre indique " destroyed on June 8th 1951 ". Sous ces mots, également à l'intérieur du timbre, il y a de nombreuses abréviations. La première abréviation est " CM-1 ". On pourrait donc en déduire qu'un formulaire CM-1 a été détruit le 8 juin 1951.

[117]      Sous le numéro 9 sur la fiche, on remarque certaines abréviations manuscrites. L'une de ces abréviations est CM-1. On fait ensuite référence à quelque chose envoyé à CP Fulda le 10 février 1949. Puis on mentionne ce qui pourrait être A-S-S-I-G (peut-être " assigned "). La date semble être le 10 avril 1950, et on précise voir la liste de réception. Le 10 avril 1950 se rapporte à la liste de personnes qui ont quitté le centre de réinstallation. Le 10 avril 1950, c'est seulement trois jours après la date mentionnée sur la liste, soit le 7 avril 1950.

[118]      Ainsi qu'il est indiqué plus haut, le défendeur a soulevé la question des documents, dont le formulaire CM-1, s'il en est, que les autorités de l'Immigration canadienne devaient avoir en leur possession lorsque M. Vitols a été interrogé, en particulier à la lumière de la preuve documentaire susmentionnée. Lorsqu'on a montré à M. Vitols la liste de noms de l'OIR lors de l'interrogatoire principal, il a déclaré qu'il était inscrit à Butzbach, mais qu'il n'avait pas fait l'objet d'un contrôle à Butzbach. Il n'existe aucune preuve d'un contrôle ultérieur à Butzbach, mais il existe une preuve d'un formulaire CM-1 apparemment nouveau. Je remarque que la fiche individuelle est le document précisant qu'un CM-1 a été détruit le 8 juin 1951. Il est possible que le CM-1 qui existait en 1950 ait été détruit le 8 juin 1951. De même, le formulaire CM-1 en français n'a pas été détruit, pour une raison ou pour une autre, alors que le formulaire CM-1 apparemment nouveau établi en 1950 a été détruit. Le formulaire original CM-1 devait être en anglais.

[119]      Pour suivre les traces écrites de ces numéros, le titre de voyage que l'OIR a délivré à M. Vitols, soit un certificat d'identité à des fins d'immigration au Canada, en date du 16 mars 1950, lui attribue un numéro d'identification de personne déplacée, soit 556472. Ce numéro n'est pas le même que celui qui figure sur le formulaire CM-1 en français, soit 172.044. Le défendeur soutient que les Français semblaient avoir leur propre système et ne suivaient pas d'autres systèmes; ils attribuaient plutôt un nouveau numéro d'identification. Le défendeur déclare que la documentation montre au moins que le formulaire de demande français CM-1 n'était pas un document que l'OIR utilisait au moment où elle a constitué le dossier de M. Vitols, parce que le certificat d'identité ne porte pas le numéro d'identification 172.044. Il contient plutôt le numéro 556472 qui ne figure pas sur la première page du formulaire CM-1 en français, mais sur la troisième page, sous la rubrique 17 intitulée " Documents ".

[120]      Il ne semble pas y avoir d'explication au sujet de l'historique du formulaire CM-1. M. Thomas a déclaré que les gens étaient rarement transférés d'un camp à un autre. On procédait à un transfert pour permettre à des membres d'une famille vivant dans d'autres camps de venir retrouver les leurs. Des documents étaient requis pour effectuer un transfert. Le réfugié se voyait remettre un formulaire de transfert qu'il devait remplir. Selon le témoignage de M. Thomas, dans quelques cas, on remettait au réfugié le formulaire CM-1 pour qu'il l'apporte au nouveau camp; toutefois, cette façon de faire était désapprouvée et était contraire au règlement. Normalement, le formulaire CM-1 était remis à un messager qui l'apportait au commandant du camp, de manière à garantir que le formulaire n'était pas falsifié. Selon M. Thomas, le formulaire original CM-1 en anglais était versé au dossier du réfugié. Une personne avait besoin d'un formulaire CM-1 pour entrer dans un nouveau camp. M. Thomas ne pouvait pas comprendre pourquoi on faisait une copie d'un formulaire CM-1 existant. Il a également déclaré qu'on semblait attribuer un numéro à chaque type de document, suivant la teneur du document.

[121]      Sur le formulaire Canada Government Return (CGR) de M. Vitols, dans la catégorie numéro 6, il y a quatre choix en ce qui concerne l'état civil : célibataire, marié, veuf ou divorcé. La réponse donnée est " M ", et il semble que le " D " a été biffé et remplacé par le " M ". D'après la preuve de MM. Barron et Gunn, qui ont témoigné au sujet de l'arrivée du défendeur au point d'entrée, il est clair que M. Vitols s'est présenté à la fois comme un homme marié et comme un travailleur de la betterave à sucre dans le cadre du programme de travail collectif. Sur le formulaire CM-1 de M. Vitols, l'état civil indiqué était aussi marié. Le défendeur affirme que le fait d'être marié ne constituait peut-être pas une interdiction absolue dans le cas des travailleurs de la betterave à sucre. Néanmoins, le défendeur soutient que si, comme la demanderesse l'a affirmé, le mariage constituait un empêchement à la venue au Canada comme travailleur de la betterave à sucre et que M. Vitols avait menti en disant qu'il était célibataire, alors les autorités de l'Immigration canadienne ne se sont pas appuyées sur le formulaire CM-1 qui a été soumis à la Cour, ni sur aucun formulaire CM-1 qui aurait pu être soit copié soit traduit en français.

[122]      Le frère de M. Vitols, Robert, a accompagné M. Vitols au Canada. Son nom figure sur le même formulaire CGR, bien qu'il soit ombré. Quand on regarde vers la droite du formulaire, on constate que la zone ombrée est plus petite et que la bande s'élargit. Sous le numéro 21, le formulaire demande des renseignements au sujet du nom, du lien de parenté et de l'adresse du plus proche parent de l'immigrant. Dans le cas du défendeur, c'est le nom de sa femme, Ruta, qui est mentionné. Sur la ligne juste en dessous, on mentionne " s/law ", soit sister-in-law (belle-soeur). Puis on mentionne " as above " (tel que mentionné ci-dessus), c'est-à-dire Ruta, la femme de Peter Vitols. Nous savons que la demande de Robert Vitols avait été rejetée antérieurement à Fulda. Le défendeur affirme que si les autorités canadiennes responsables de la sélection à Butzbach, ou à Ludwigsburg, se sont fondées sur le formulaire CM-1 de Peter Vitols, elles se sont vraisemblablement également fondées sur le CM-1 de son frère. Robert Vitols avait aussi servi dans la Waffen SS , dans la même division que Peter Vitols. Il est donc probable que si les autorités canadiennes responsables de la sélection se sont fondées sur les formulaires CM-1 des requérants, et ont rejeté les demandes des membres de la Waffen SS, elles auraient refusé d'admettre Robert Vitols, qui avait été jugé non admissible à Fulda en raison de la divulgation d'activités en temps de guerre qui figuraient déjà sur son formulaire CM-1. Invoquant l'expérience de son frère, le défendeur déclare qu'il existe des vices de raisonnement dans la preuve indirecte de la ministre et que, par conséquent, il n'a pas été prouvé que le formulaire CM-1 en français soumis à la Cour avait été utilisé pour effectuer la sélection canadienne.

[123]      M. Thomas, qui est un expert en ce qui concerne la politique de l'OIR, a parlé d'une liste noire de l'OIR qui a été utilisée en 1948. Son but était de renseigner tous les camps de personnes déplacées au sujet des personnes dont la demande avait été rejetée, de sorte que ces personnes ne puissent pas présenter une deuxième demande. La demande du frère de M. Vitols a été rejetée par l'OIR à Fulda en 1947; la liste noire a été établie en 1948; et Robert Vitols est entré au Canada avec Peter Vitols en 1950, en provenance de Ludwigsburg. Le défendeur soutient que si cette liste noire existait, alors le camp à Ludwigsburg n'a pas remonté la filière jusqu'à Fulda, ou bien il était sans importance que la demande de Robert Vitols ait été rejetée en 1947; subsidiairement, le défendeur soutient que la liste noire n'était pas un système parfait. Il est clair, toutefois, que Robert Vitols est entré au Canada sous sa véritable identité. Robert Vitols a voyagé en utilisant son nom et son lieu de naissance véritables. La demanderesse réplique qu'il est clair que la liste noire n'était pas utilisée en 1947. Comme Robert Vitols est décédé peu après le début de l'audience, la Cour n'a pu l'entendre.

[124]      La Cour a entendu le témoignage de M. St. Vincent, un ancien fonctionnaire de l'Immigration canadienne qui a mené des entrevues en vue de la sélection de réfugiés en Europe de 1948 à 1951. Il a déclaré que le certificat d'identité que l'OIR délivrait à un réfugié était préparé par l'OIR. L'OIR présentait la personne choisie en vertu du régime pour lequel elle soumettait une demande. Le défendeur a déclaré que c'est la raison pour laquelle les documents précisaient que le métier que le défendeur entendait exercer une fois rendu au Canada était celui de travailleur de la betterave à sucre, et non qu'il était un travailleur de la betterave à sucre de son métier.

[125]      Le défendeur soutient que le témoignage de M. St. Vincent est également important pour ce qui est de savoir si un formulaire CM-1 se trouvait dans le dossier de la personne lorsque Immigration Canada procédait à la sélection. Le défendeur soutient que M. St. Vincent est la personne dont le témoignage est le plus pertinent sur ce point parce que, parmi tous les témoins qui ont comparu dans la présente affaire, M. St. Vincent est celui qui était présent en Europe durant la période pertinente, c'est-à-dire lorsque M. Vitols a demandé à venir au Canada. M. St. Vincent s'est rendu à Karlsruhe en juin 1948 puis dans un camp situé à l'extérieur de Munich pour y recevoir une formation, et a ensuite travaillé dans des centres de traitement dans toutes les zones alliées des Britanniques et des Français, et dans les zones américaines situées en Allemagne et en Autriche. En revanche, tous les autres anciens membres de la GRC qui ont témoigné au sujet des contrôles sécuritaires se sont trouvés en Europe après l'arrivée de M. Vitols au Canada.

[126]      En contre-interrogatoire, M. St. Vincent a déclaré que le dossier d'une personne déplacée était constitué du certificat d'identité, ou document de voyage délivré par l'OIR. Il y avait également un formulaire de demande contenant des renseignements semblables à ceux que contenait le formulaire 55, soit le formulaire de demande pour personnes déplacées parrainées par des personnes vivant au Canada. Le dossier contenait également le document médical de l'OIR. Un formulaire d'avis médical (le formulaire portant le numéro 1565) rempli par un médecin s'y trouvait également. Selon M. St. Vincent, le dossier ne contenait pas d'autres documents.

[127]      M. Keelan, qui a travaillé comme contrôleur des visas en Allemagne pendant onze mois (1950-1951), a également fait une déposition au sujet du contenu des dossiers qui lui ont été soumis dans le cadre des contrôles sécuritaires qu'il a effectués. M. Keelan a précisé qu'on lui remettait le même dossier qu'à l'OIR. Il a déclaré qu'il y avait un document sur les antécédents de travail, qui ressemblait à la demande d'aide, c'est-à-dire le formulaire CM-1. M. Keelan a précisé que le dossier que l'OIR lui remettait contenait un minimum de renseignements. Il a ajouté qu'à un moment donné, il s'est rendu compte que l'OIR ne lui remettait pas le dossier complet; il a donc insisté pour que l'OIR lui remette tout le dossier. Le défendeur a déclaré que M. Keelan a reconnu que lorsqu'il a commencé à travailler comme contrôleur des visas, il n'avait pas toujours la chance de consulter tout le dossier de l'OIR. À mesure que M. Keelan a pris de l'expérience, il a insisté pour qu'on lui remette tout le dossier. Toutefois, à ce moment-là, M. Vitols vivait au Canada. M. Keelan a déclaré que même après avoir commencé à demander tout le dossier, il arrivait parfois, surtout dans le cas des groupes de travail collectif, que les dossiers de l'OIR ne contiennent pas tous les antécédents.

[128]      En ce qui a trait à la question de savoir si le formulaire CM-1 se trouvait dans le dossier lorsque M. Vitols a été interrogé par Immigration Canada, les renseignements suivants sont pertinents : le frère de M. Vitols est venu d'outre-mer au même moment, il était originaire du même endroit, et il faisait partie du même programme de travail collectif; la demande de son frère avait été rejetée à cause de la divulgation de ses activités en temps de guerre. Si le document relatif à Robert Vitols fait à Fulda était disponible durant l'entrevue menée par Immigration Canada et a été utilisé pour contrôler la cohérence des réponses données par Robert Vitols à cette entrevue, alors on doit en déduire que, pour le Canada, le rejet de la demande de Robert Vitols à cause de ses activités en temps de guerre n'importait pas. Toutefois, si le dossier n'a pas suivi le frère, il est possible que le frère ait menti aux fonctionnaires canadiens au sujet de ses activités en temps de guerre, ou qu'il n'ait pas été interrogé à ce sujet. Cela voudrait également dire, toutefois, que le dossier de Peter Vitols n'a pas quitté Fulda non plus, ni aucune partie de la sélection canadienne à ce moment-là.

[129]      Pour examiner la conduite des fonctionnaires canadiens responsables du contrôle sécuritaire des immigrants au moment où Peter et Robert Vitols ont été interrogés, il est important de tenir compte du contexte politique. En 1950, des pressions étaient exercées sur l'OIR pour qu'elle vide les camps de personnes déplacées. En outre, le Canada avait besoin de plus de travailleurs. Selon le rapport préparé par M. d'Ombrain, un expert en matière de politique gouvernementale canadienne, la politique d'immigration du Canada à ce moment-là était [traduction] " discrétionnaire et discriminatoire "; c'est particulièrement évident dans le célèbre discours prononcé en 1947 par le premier ministre MacKenzie King, dans lequel une nouvelle politique en matière d'immigration était mise en place. Le défendeur a déclaré que les nationalités les plus demandées parmi les personnes déplacées vivant dans des camps étaient les Lettons et les Estoniens. La demanderesse reconnaît que les Estoniens et les Lettons étaient considérés comme les personnes susceptibles de bien s'intégrer dans la société canadienne, et le défendeur accepte cette rectification.

[130]      L'Encyclopédie du Canada précise qu'en 1945, 110 000 Lettons qui se sont réfugiés en Europe de l'Ouest pour fuir l'armée soviétique ont été considérés comme des personnes déplacées. Parmi ceux-ci, 14 9211 ont immigré au Canada.

[131]      Les Lettons ont peut-être aussi été considérés sous un jour favorable parce que beaucoup d'entre eux avaient combattu avec les Allemands contre les Russes. Au début de la guerre froide, l'Union soviétique était considérée comme l'ennemi du Canada.

Les entrevues qu'Immigration Canada a fait subir à M. Vitols en Europe

[132]      Lorsqu'il était encore en Europe, en 1950, M. Vitols a été interrogé par des fonctionnaires de l'Immigration canadienne. La demanderesse reconnaît que le formulaire d'immigration qui était en usage à l'époque ne contenait pas de questions sur les activités en temps de guerre. Je vais maintenant examiner les dépositions faites par les membres de la GRC et les agents d'immigration concernant la procédure suivie au cours des entrevues de sélection des immigrants à ce moment-là.

[133]      M. St. Vincent qui se trouvait, ainsi qu'il vient d'être mentionné, en Europe et sur le terrain à l'époque pertinente, a déclaré qu'il y avait un formulaire de l'Immigration canadienne qui était rempli par l'agent de réinstallation de l'OIR pour la section canadienne. Il y avait un formulaire pour les célibataires et un formulaire pour les familles. Il contenait des renseignements de base comme le nom, la date et le lieu de naissance, la situation de famille, le sexe et l'emploi exercé. Des espaces étaient également prévus pour inscrire le nom des membres de la famille qui accompagnaient le requérant au Canada. On ne demandait pratiquement rien d'autre sur ce formulaire. Fait important, on ne demandait rien au sujet des antécédents du requérant, comme le métier exercé durant la guerre ou les adresses antérieures. Par conséquent, les fonctionnaires de l'Immigration canadienne posaient uniquement ces questions limitées durant l'entrevue et remplissaient le verso du formulaire de la manière prescrite.

[134]      À la page 1065, M. St. Vincent a déclaré que le formulaire 55 était utilisé uniquement par les personnes qui demandaient à être admises au Canada comme personnes parrainées. Les personnes qui se trouvaient dans des camps de personnes déplacées utilisaient un formulaire qui contenait des renseignements semblables à ceux que contenait le formulaire 55. Une des lignes du formulaire 55 commence par les mots " my occupation is " (j'exerce le métier de); ces mots sont suivis d'une ligne pointillée qui ne permet vraisemblablement pas d'indiquer autre chose que le métier courant. En d'autres termes, on ne demandait aucune précision sur les emplois antérieurs. On demandait ensuite sur le formulaire si l'immigrant était un fermier ou un commerçant et, dans l'affirmative, des précisions étaient demandées. Après cela, on demandait si l'immigrant était un employé; dans l'affirmative, il fallait préciser les périodes d'emploi, les noms et les dates des employeurs, la nature et la permanence de l'emploi, et le revenu courant sur les trois lignes prévues à cette fin. Au verso du formulaire, une ligne était prévue pour inscrire des renseignements sur [traduction ] " le métier dans notre pays ". Un nouveau formulaire, appelé OS-8, a été utilisé à la fin de l'année 1950. Au moment où M. Vitols a subi son entrevue, le formulaire utilisé ne posait tout simplement pas de questions précises. M. St. Vincent a déclaré qu'il avait l'habitude de demander d'autres renseignements que ceux prévus dans le formulaire.

[135]      Selon la preuve claire fournie par tous les membres du personnel responsables de l'immigration et du contrôle des visas, chaque personne déplacée qui arrivait au Canada en provenance d'un camp de personnes déplacées devait se soumettre à une procédure de contrôle sécuritaire des immigrants en trois étapes. Il y avait trois entrevues : l'examen médical, l'entrevue de l'immigration et le contrôle sécuritaire. Cette dernière entrevue était parfois désignée comme l'" étape B ".

[136]      La Cour a été saisie d'éléments de preuve selon lesquels certains bureaux locaux secondaires ne menaient que deux entrevues. Comme M. Vitols n'a pas subi ses entrevues dans un bureau local secondaire, la preuve recueillie sur ce point n'est pas pertinente en l'espèce.

[137]      Le contrôle sécuritaire effectué par le Canada consistait en des vérifications effectuées par les contrôleurs des visas de la GRC au moyen de diverses sources de renseignements officielles et d'une entrevue avec l'immigrant éventuel. Les renseignements fournis par l'immigrant éventuel dans sa demande d'immigration étaient utilisés pour effectuer des contrôles sécuritaires. Durant l'entrevue, les contrôleurs des visas posaient des questions autres que celles qui étaient posées dans la demande, par exemple des questions sur les antécédents du requérant, sur son lieu de résidence, sur son travail, sur son appartenance à différentes organisations et sur son service militaire durant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement de l'époque avait prévu des lignes directrices régissant l'admissibilité des immigrants européens, y compris des critères de rejet des demandes pour des raisons de sécurité. Ces critères, qui précisaient les catégories de personnes devant être refusées comme immigrants pour des raisons de sécurité, avaient été communiqués aux contrôleurs des visas de la GRC qui travaillaient sur le terrain.

[138]      MM. Cliffe et Kelly, qui étaient tous deux des contrôleurs des visas durant la période pertinente, ont parlé des sources de renseignements qui étaient utilisées. Ainsi, M. Cliffe a déclaré que des rapports provenant de sources de renseignement britanniques ou de sources de contre-espionnage américaines permettaient généralement de savoir si une personne avait été un prisonnier de guerre des Alliés à la fin de la guerre en 1945. Dans ce rapport, on commençait par déclarer que la personne visée par le rapport avait été un prisonnier de guerre dans un camp donné, par exemple un camp britannique, et avait ensuite été capturée à un endroit précis, par l'armée britannique. Le rapport résumait ensuite les antécédents personnels et le passé militaire, c.-à-d. l'unité à laquelle la personne appartenait. Dans la mesure où une personne indiquait son nom exact ainsi que son lieu et sa date de naissance exacts, il était possible de suivre sa trace. Ces contrôles de sécurité étaient effectués avant l'entrevue. La demanderesse soutient que la preuve révèle que les agents avaient l'habitude d'utiliser les sources de renseignement du mieux qu'ils le pouvaient, avant le début du contrôle en personne.

[139]      M. Cliffe a également déclaré qu'une nouvelle procédure comportant l'utilisation d'un formulaire vert avait été mise en place durant sa période d'affection. Toutefois, M. Kelly a indiqué qu'on avait commencé à utiliser ce formulaire vert peu de temps après son arrivée au bureau de Londres, en 1951, à titre de superviseur de tous les contrôleurs des visas. Avant cela, les contrôleurs des visas avaient recours à une procédure de sélection ou à des sources de renseignement, ce qui ne semblait pas satisfaire M. Kelly. Ce dernier a également déclaré qu'avant l'implantation du formulaire vert, il y avait beaucoup d'arriérés du fait de l'utilisation des sources de renseignement.

[140]      Le défendeur a été admis au Canada avant la date à laquelle la nouvelle procédure de contrôle au moyen du formulaire vert a été mise en place.

[141]      La demanderesse souscrit à l'affirmation du défendeur selon laquelle le contenu de l'entrevue n'était pas normalisé étant donné que les questions posées étaient laissées à la discrétion de l'agent qui procédait au contrôle. La demanderesse fait toutefois deux réserves. Premièrement, elle soutient que, comme l'ont déclaré MM. Cliffe, St. Vincent et Keelan, les trois phases de la procédure d'entrevue étaient les mêmes pour toutes les personnes déplacées qui vivaient dans les camps. Deuxièmement, la demanderesse soutient que le but de l'entrevue relative au contrôle sécuritaire était entièrement normalisé pour arriver à la décision qu'un immigrant éventuel n'appartenait à aucune des catégories de personnes devant être refusées en application des lignes directrices relatives au contrôle sécuritaire.

[142]      Des lettres et des documents du Cabinet portant sur le contrôle sécuritaire, ainsi que le rapport de M. d'Ombrain, montrent que dès 1948 et 1949, les personnes qui avaient collaboré avec l'ennemi à quelque titre que ce soit étaient jugées non admissibles au Canada, sans même que soient appliquées les lignes directrices en matière de contrôle. Dans une lettre en date du 23 mai 1951 que Laval Fortier a adressée au secrétaire du Conseil de sécurité du Conseil privé, les collaborateurs faisaient encore l'objet d'un refus général. Le témoignage de M. Kelly confirme ce fait. La demanderesse soutient en outre que pour avoir des chances d'entrer au Canada, il aurait fallu que M. Vitols prouve à la satisfaction des autorités qu'il avait été enrôlé de force par les Allemands. Ce n'était pas le cas lorsqu'il est entré dans la police en 1941. En septembre 1942, toutefois, vu le décret sur le travail de Rosenberg et le grand besoin de personnel militaire des Allemands, je suis d'avis que M. Vitols n'aurait pas pu quitter le bataillon de police de son plein gré sans être puni.

[143]      M. Vitols a déclaré que l'entrevue que les autorités canadiennes lui ont fait subir en 1950 avait duré de cinq à sept minutes. On lui a demandé quel était son métier. Il a répondu qu'il avait servi comme officier dans l'armée lettone. On lui a ensuite demandé s'il avait pris part à la Seconde Guerre mondiale et il a répondu par l'affirmative. On lui a ensuite demandé si son groupe sanguin était tatoué sous son bras et il a répondu que non. On lui a en outre posé des questions au sujet de son travail sur le terrain; il a répondu qu'il avait été élevé sur une ferme et qu'il connaissait la plupart des travaux agricoles. Selon M. Vitols, telles ont été la nature et l'étendue des questions. On ne l'a pas interrogé au sujet de son service dans les unités de police.

[144]      Il semble que M. Vitols ait été vu par un groupe normal de trois personnes. Il a été vu par un médecin, ainsi que l'atteste un timbre sanitaire. Le nom du médecin serait MacDougall. M. Vitols a vu un agent d'immigration qui se serait appelé Fred Gertson. J'accepte l'affirmation de la demanderesse que la seule personne qui aurait posé une question au sujet du tatouage du groupe sanguin aurait été le responsable du contrôle sécuritaire; les agents d'immigration n'avaient pas été saisis des lignes directrices en matière de contrôle sécuritaire et ne s'intéressaient pas à ces tatouages. Il est toutefois permis de douter que M. Vitols a vu un responsable du contrôle sécuritaire, puisque la preuve ne mentionne aucun nom à cet égard.

[145]      Les noms de tous les bûcherons dont la demande a été rejetée par le Canada pour des raisons de sécurité figurent dans un rapport en date du 5 août 1947. Ce rapport a été transmis par l'inspecteur responsable de l'équipe d'inspection de l'Immigration. Plusieurs personnes étaient identifiées comme des membres de l'" armée lettone ". De toute évidence, donc, les autorités canadiennes responsables de la sécurité ont refusé de permettre à certains membres des forces lettones et à certains policiers lettons d'entrer au Canada. Cette preuve démontre que les autorités canadiennes, comme les autorités militaires du camp de prisonniers de guerre, étaient d'avis que l'" armée lettone " désignait la " Waffen SS ".

[146]      Pour cette raison, le défendeur soutient que le fait d'avoir indiqué qu'une personne avait fait partie de l'" armée lettone " n'avait pas trompé les fonctionnaires de l'Immigration canadienne responsables du contrôle sécuritaire. Les Lettons employaient assez couramment le terme armée lettone, même si l'armée lettone était communément appelée légion lettone ou Waffen SS lettone volontaire.

La définition du terme collaborateur et les politiques relatives aux collaborateurs

[147]      La " collaboration " n'était pas définie dans les lignes directrices de l'Immigration canadienne au moment où M. Vitols a demandé son admission au Canada. Jusqu'en 1951, il n'existait pas de lignes directrices précises à l'égard des personnes susceptibles d'avoir collaboré avec l'ennemi dans les territoires occupés et qui ne résidaient plus dans ces territoires. Peu après la guerre, le contrôle sécuritaire visait principalement à empêcher les communistes d'entrer au Canada; on s'intéressait moins aux personnes qui avaient collaboré avec les Allemands durant la guerre. C'est ce que confirme la preuve de MM. Cliffe, Keelan et d'Ombrain.

[148]      On définit ainsi le verbe " collaborer " dans l'addenda du Shorter Oxford English Dictionary , vol. 2, 3e éd. (Oxford: Clarendon Press, 1973), à la page 2613 :

     [traduction] Collaborer, v. [verbe], Collaboration, collaborateur. Spécialt [spécialement] Appliqué à une coopération déloyale avec l'ennemi - 1940. Aussi collaborationniste.         

L'année 1940 indique l'origine de la connotation de ce mot. Selon la preuve, la guerre sur le front de l'Est n'a pas commencé avant 1941. Par conséquent, ce terme semble désigner la collaboration qui existait dans des pays comme la France et les Pays-Bas, p. ex. Luitjens.

[149]      Dans le Shorter Oxford English Dictionary même, on définit en ces termes le mot " traître " employé par déduction dans le terme " collaborer " :

     [traduction] Personne qui ne respecte pas son allégeance à son souverain ou au gouvernement de son pays; personne reconnue coupable de trahison ou d'un crime considéré comme tel.         

S'agissant de la Lettonie, envers qui une personne ayant collaboré avec les Allemands aurait-elle été traître? La Lettonie avait déjà perdu son indépendance et été occupée par l'Union soviétique pendant un an, soit jusqu'en juin 1941. Suivant la définition du terme " collaboration ", il n'y avait aucun pays à trahir quand on collaborait avec les Allemands. Pour parler simplement, la Lettonie ne pouvait pas être trahie puisqu'elle n'existait plus; personne ne pouvait être traître à la Lettonie.

[150]      Le rapport de M. d'Ombrain (à la page 40) fait référence à une note du secrétaire du Conseil de sécurité intitulée " Immigration Security Policy " Nazis, Fascists and Collaborators " qui est datée du 30 avril 1952. Au bas de la page 40, M. d'Ombrain déclare qu'il était précisé dans la note que la GRC n'appuyait pas le resserrement de l'interdiction frappant les collaborateurs et qu'elle croyait qu'une personne qui avait été déloyale envers son pays de naissance pouvait aussi, le cas échéant, être déloyale envers un pays d'adoption. L'affirmation du défendeur selon laquelle les responsables du contrôle sécuritaire de la GRC auraient du mal à soutenir qu'un Letton avait été déloyal envers son pays de naissance vu l'occupation de la Lettonie d'abord par l'Union soviétique puis par l'Allemagne n'est pas dénuée de fondement. Il n'y a aucune idée de traîtrise ou de déloyauté envers son pays de naissance dans un tel cas.

[151]      Des éléments de preuve considérables ont été produits à propos du fait que M. Vitols était un patriote letton et s'est donc montré critique envers l'occupant soviétique et l'occupant allemand. Le journal qu'a tenu M. Vitols entre le mois de février et le 3 mai 1945 a été présenté comme preuve pour démontrer son état d'esprit en 1945. Ce journal était dédié à sa famille. Il écrit qu'il pense à sa famille et se demande ce qu'elle fait. Il dit que [traduction] " en ce moment, la seule chose que nous avons tous c'est la foi et encore la foi, ainsi que la volonté de traverser ces moments avec dignité, de sortir de cette mer de feu qui nous engloutit ". À la page 12, il écrit [traduction ] " [c]e ne sont pas seulement les soldats pris individuellement qui souffrent, mais toute la nation lettone, parce qu'elle perd ses meilleurs fils dans ces combats absurdes ". Il ajoute un peu plus loin [traduction ] " [s]i seulement nous pouvions libérer notre pays, notre territoire, du monstre rouge ".

[152]      Aux pages 15 et 16, il déclare qu'[traduction]" [a]ucun d'entre nous ne songe à se dérober à son devoir "; à la page 18, [traduction ] " [l]es Allemands sont à l'origine du problème "; à la page 39, [traduction ] " [j]e ne sais rien de ma famille, rien de l'endroit où elle se trouve "; aux pages 45 à 47, [traduction ] " nous sommes anéantis d'abord à cause de cette infamie allemande et, ensuite, à cause de ceux qui mourront inutilement à cause de cette trahison des Allemands "; à la page 88, [traduction ] " [a]ctuellement, les Allemands expient toutes les injustices qu'ils ont commises. C'est terrible que de jeunes enfants innocents souffrent et soient détruits avec les adultes "; à la page 107, [traduction ] " les Lettons qui ont succombé à l'arrogance allemande. Ils ne peuvent tout simplement pas comprendre que ce chaos et ces souffrances étaient de leur faute ".

[153]      Aux pages 196 et 197 de son journal, M. Vitols mentionne qu'il a reçu tout d'un coup cinq ou six lettres de sa première famille; la dernière est datée du 24 février 1945. Il précise qu'il sait que les 25 et 26 février les Russes ont fait une percée en Poméranie, qu'ils ont isolée de Konitz à Koslin. Il écrit : [traduction] " Je ne peux pas comprendre cela. Papa est vivant mais vous êtes restés avec votre pire ennemi, celui contre lequel Papa s'est battu avec son coeur et son âme afin de vous protéger. Tout cela a été vain. Tous ces sacrifices n'ont servi à rien. "

[154]      À mon avis, ce qui importe vraiment en l'espèce, c'est ce que les autorités canadiennes responsables de la sélection entendaient par collaboration. La définition de ce terme doit demeurer le point de départ de la présente analyse. Voici comment le Black's Law Dictionary, 6e éd. (Minnesota; West Publishing, 1990), définit la " collaboration " à la page 261 :

     [traduction] action de collaborer à la réalisation d'un projet commun; généralement employé relativement à des efforts de coopération avec l'ennemi qui relèvent de la trahison.         

[155]      On trouve d'autres conseils dans un document intitulé " Screening of Applicants for Admission to Canada " daté du 20 novembre 1948. Ce document énumère les critères que devaient appliquer les responsables du contrôle sécuritaire pour décider si une personne était [traduction ] " non admissible ". C'est ce document qu'utilisaient les contrôleurs sur le terrain. Il prévoyait ceci :

     [traduction]         
     L'intéressé devient non admissible si un ou plusieurs des facteurs suivants ressortent de l'interrogatoire ou de l'enquête :         
     a) Un communiste, un agitateur communiste connu ou une personne fortement soupçonnée d'être un agitateur communiste, ou une personne soupçonnée d'être un agent communiste.         
     b) Un membre de la SS ou de la Wehrmacht allemande portant la marque d'un groupe sanguin SS (non-Allemands).         
     c) Un membre du parti nazi.         
     d) Un criminel (connu ou soupçonné).         
     e) Un joueur professionnel.         
     f) Une personne qui se prostitue.         
     g) Un profiteur du marché noir.         
     h) Une personne qui est évasive ou qui ment lorsqu'on l'interroge.         
     i) Le défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables quant à la date d'entrée et à la résidence en Allemagne.         
     j) Une fausse présentation; l'emploi d'un nom faux ou fictif.         
     k) Des collaborateurs qui résident actuellement dans un territoire ayant déjà été occupé.         
     l) Un membre du parti fasciste italien ou de la mafia.         
     m) Un trotskiste ou un membre d'une autre organisation révolutionnaire.         

Il convient de faire remarquer que, dans ces lignes directrices, l'une des catégories de personnes exclues est celle des " collaborateurs qui résident actuellement dans un territoire ayant déjà été occupé ", soit l'alinéa k). En contre-interrogatoire, à la page 671 de la transcription, M. d'Ombrain a parlé de la catégorie k) en particulier. Il a déclaré qu'il ne voyait pas du tout ce que cette catégorie voulait dire. Il a reconnu que cette catégorie ne semblait pas s'appliquer à une personne déplacée en Allemagne, parce qu'on ne pouvait pas considérer ce pays comme un territoire ayant déjà été occupé. M. d'Ombrain a déclaré qu'à son avis, cette catégorie était représentative du libellé très vague employé par la GRC pour dire quelque chose de très simple : les collaborateurs n'étaient pas autorisés à venir au Canada. Toutefois, comme le révèle la catégorie k), cela n'était pas dit clairement.

[156]      La question fondamentale est de savoir comment l'expression " vide de sens " employée dans la catégorie k) des critères de contrôle a été interprétée et appliquée sur le terrain par les contrôleurs des visas canadiens. À cet égard, la preuve des contrôleurs des visas relative à l'après-guerre est importante puisqu'on ignore le nom du contrôleur des visas qui s'est occupé de M. Vitols. Trois contrôleurs des visas ont fait une déposition : MM. Keelan, Cliffe et Kelly. Le témoignage de M. Kelly au sujet de la catégorie k) est particulièrement pertinent, même si MM. Cliffe et Kelly ne sont pas d'accord avec lui.

[157]      M. Keelan a déclaré (à la page 981) que lorsqu'il faisait subir une entrevue à un requérant, il faisait délibérément abstraction de la catégorie k), soit les " collaborateurs qui résident actuellement dans un territoire ayant déjà été occupé ". C'était devenu une habitude. Lorsque la demanderesse lui a demandé si la catégorie k) était un motif de rejet, il a répondu que les personnes déplacées ne pouvaient pas résider dans un territoire ayant déjà été occupé lorsqu'il les interrogeait en Allemagne. M. Keelan a précisé que la catégorie k) était laissée à sa discrétion. Il a affirmé que s'il était tombé sur l'une de ces personnes, ce qui n'a pas été le cas, il l'aurait traitée comme il l'aurait jugé bon. Il a déclaré qu'à ce moment-là, un collaborateur était une personne qui avait prêté main-forte aux Allemands ou qui avait aidé les Allemands à diriger le gouvernement d'un pays.

[158]      L'affirmation de M. Keelan selon laquelle [traduction] " si j'étais tombé sur l'une de ces personnes, ce qui n'a pas été le cas " semble confirmer que M. Keelan n'était pas vraiment à la recherche de personnes appartenant à la catégorie k). Il n'est jamais tombé sur un collaborateur. De fait, selon sa compréhension de la catégorie k), point n'était besoin de se renseigner sur d'éventuelles activités de collaboration menées par des requérants qui se trouvaient alors en territoire allemand. Le défendeur soutient que l'affirmation de M. Keelan selon laquelle l'immigration/admission était laissée à sa discrétion n'est pas aussi bizarre qu'on pourrait le croire. J'attire l'attention sur la note en date du 30 avril 1952 que le secrétaire du Conseil de sécurité, M. Dwyer, a envoyée au Conseil de sécurité et dans laquelle il affirme dans la dernière phrase, au paragraphe 10, que [traduction ] " [l]'actuelle politique de sécurité en matière d'immigration interdit l'immigration des collaborateurs, mais les cas ont jusqu'à maintenant été examinés en fonction de leurs avantages et de leurs inconvénients individuels ". M. Keelan était sur le terrain en 1950 et en 1951. Ce document appuie son témoignage au sujet du pouvoir discrétionnaire qui était laissé aux contrôleurs à ce moment-là.

[159]      Le défendeur soutient que dans la mesure où il y a eu ne fût-ce qu'un fonctionnaire sur le terrain qui a interprété cette expression comme l'a fait M. Keelan, alors la preuve indirecte de la demanderesse est nettement moins concluante. La demanderesse affirme qu'il est évident que M. Keelan ne se porte pas bien, de sorte qu'on ne devrait pas accorder beaucoup d'importance à son témoignage. Je conclus que le témoignage de M. Keelan au sujet de la catégorie k) est plausible. Je fais remarquer qu'il est le seul témoin qui était sur le terrain en 1950, soit l'année où M. Vitols a demandé à venir au Canada (M. Keelan est arrivé en Allemagne à la fin de 1950; M. Vitols a été interrogé par les autorités canadiennes en Allemagne en février ou en mars 1950). Peu importe son grand âge et son état de santé, on peut penser que même s'il confond les choses actuellement, il se souviendrait d'avoir rejeté la demande d'un requérant au motif qu'il s'agissait d'un collaborateur. En outre, je fais remarquer que le témoignage de M. Keelan est compatible avec celui de MM. Cliffe et Kelly sur tous les autres points ayant trait au contrôle sécuritaire à l'époque pertinente.

[160]      M. Cliffe a témoigné qu'il avait appliqué les critères relatifs aux collaborateurs à quiconque avait collaboré avec des ennemis du Canada, indépendamment du fait que l'immigrant éventuel résidait en Allemagne ou en Italie au moment de l'entrevue. Bien que sa déposition appuie la thèse de la ministre, elle ne tient pas compte du libellé véritable de la catégorie k).

[161]      La demanderesse soutient toutefois que le sens de la catégorie k) a toujours été clair et l'est encore : il s'agit de tout pays qui a été occupé à un moment donné par l'un des deux camps durant la guerre. La demanderesse affirme que cette interprétation est compatible avec l'instruction no 1 de la Direction de l'immigration du ministère des Mines et des Ressources intitulée " Procedure in Handling Alien Immigration ", datée du 29 mars 1947, et avec le procès-verbal de la réunion des fonctionnaires de l'immigration et des affaires extérieures de la GRC intitulé " Security Screening ", en date du 2 octobre 1947, dans lesquels l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie (territoire occupé allié) sont désignés comme des territoires occupés dans le contexte du contrôle sécuritaire. Toutefois, rien ne permet de conclure que les contrôleurs des visas sur le terrain ont jamais vu l'un ou l'autre de ces documents, ou qu'ils étaient au courant de l'existence d'une telle politique ou d'une telle interprétation.

[162]      M. Kelly s'est montré assez cinglant envers le témoignage de M. Keelan. Il a mentionné que M. Keelan avait d'abord travaillé comme contrôleur des visas à Karlsruhe, en Allemagne. On a demandé à M. Kelly si M. Keelan, en tant que contrôleur des visas en Allemagne, aurait été chargé d'appliquer les critères de refus tels que M. Kelly les a décrits à la Cour. Il a répondu que M. Keelan avait reçu la même formation que tous les contrôleurs débutants. Toutefois, M. Keelan est allé en Europe avant M. Kelly. Ce dernier est arrivé en juillet 1951, alors que M. Keelan est arrivé à la fin de 1950. Par conséquent, M. Kelly ne parlait certainement pas de première main de l'expérience de M. Keelan. M. Kelly a reconnu que les catégories b) (" Un membre de la SS ou de la Wehrmacht allemande portant la marque d'un groupe sanguin SS (non-Allemands) ") et k) des critères de refus figurant sur la liste de sécurité étaient certainement maladroitement formulées.

[163]      M. Kelly était également fier d'avoir amélioré le système de contrôle sécuritaire. En effet, en 1952, il s'était plaint au chef de la direction européenne d'Immigration Canada, M. Robillard. M. Kelly ne se souvenait pas exactement des motifs qui l'avaient incité à porter plainte, mais il a reconnu que sa plainte concernait des personnes dont le contrôle sécuritaire avait été fait par des agents d'immigration plutôt que par la GRC. Un incident a amené M. Kelly à porter plainte auprès de M. Robillard au sujet de contrôles sécuritaires insuffisants. M. Kelly a ajouté qu'il avait l'impression que M. Robillard n'était pas satisfait d'être responsable de l'immigration et qu'il voulait aussi être responsable de la GRC, ce qui ne contribuait pas à maintenir des relations harmonieuses. Le défendeur soutient que le système de contrôle sécuritaire n'était pas aussi uniforme que la demanderesse le prétendait.

[164]      Le témoignage de M. Kelly confirme qu'avant son arrivée en Europe en 1951, les responsables de la sécurité jouissaient d'un pouvoir discrétionnaire plus étendu, et son témoignage est important puisqu'il confirme que l'entrevue subie par M. Vitols s'est probablement passée comme il l'a dit. Le système de contrôle en Europe est devenu plus uniforme un an après l'arrivée de M. Vitols au Canada.

[165]      M. Kelly a témoigné qu'un collaborateur était une personne qui avait soutenu l'effort de guerre des autorités allemandes. Il a déclaré que parmi les organisations considérées comme des organisations collaborationnistes, il y avait les travailleurs des camps de concentration, la police auxiliaire, les personnes qui rassemblaient les personnes destinées à être envoyées dans des camps et les hauts fonctionnaires municipaux qui avaient été choisis et mis en place parce qu'ils pouvaient exécuter les désirs de l'occupant. M. Kelly a témoigné que les responsables de la sécurité étaient peu disposés à lire quelque chose qui était favorable à l'intéressé si, effectivement, cette personne avait été un collaborateur ou un membre de la SS. Les responsables de la sécurité ne cherchaient pas des façons de donner des autorisations à des gens.

[166]      Durant son contre-interrogatoire sur le rôle de la police auxiliaire, à la page 1236, M. Kelly a dû répondre à des questions au sujet des personnes qui avaient servi dans les forces de police auxiliaire sous l'occupation allemande. On lui a demandé s'il avait bien l'impression que les collaborateurs devaient être rejetés. Il a répondu par l'affirmative. À ses yeux, le rejet des collaborateurs dépendait du rang qu'ils occupaient; un homme occupant un rang qui permettait de croire que les Allemands lui faisaient confiance pour exécuter leurs ordres agissait contre les intérêts de son pays, et certainement contre l'effort de guerre des Alliés. Il a mentionné les postes d'inspecteur de police, de surveillant et de chef à titre d'exemples. M. Kelly a déclaré qu'à son avis, plus une personne occupait un rang élevé, plus elle risquait d'être considérée comme [traduction] " un fervent nazi ou un partisan des forces allemandes ".

[167]      La définition de collaborateur donnée par M. Kelly ne s'applique pas à M. Vitols, qui n'a jamais occupé un poste aussi élevé dans la police que celui d'inspecteur, de surveillant ou de chef. En outre, on ne saurait affirmer qu'il a trahi son pays étant donné que la Lettonie indépendante n'existait plus.

[168]      La demanderesse soutient que lorsque le défendeur a présenté sa demande d'admission au Canada, les personnes qui avaient travaillé pour l'ennemi à quelque titre que ce soit, y compris les collaborateurs provenant d'un territoire ayant déjà été occupé et les membres de la SS, dont la Waffen SS, n'étaient pas admissibles au Canada pour des motifs de sécurité. La demanderesse soutient que si le défendeur avait divulgué tous ses antécédents aux autorités canadiennes, c'est-à-dire le fait qu'il avait collaboré avec les forces d'occupation allemandes en servant comme officier à différents moments au sein d'une unité de police auxiliaire, le fait qu'il avait appartenu à un bataillon de la Schutzmannschaft et le fait qu'il avait été un officier de la Waffen SS, il n'aurait pas été admis au Canada en raison de sa non-admissibilité à cause de son service dans la SS et de son statut de collaborateur.

[169]      MM. Cliffe, Kelly et Keelan ont témoigné que les personnes ayant servi dans les forces d'occupation allemandes, notamment les bataillons de police, la police auxiliaire ou la Waffen SS, étaient parmi celles qu'ils cherchaient à exclure à l'époque pertinente. La demanderesse soutient que, comme les professeurs Kwiet et Ezergailis l'ont expliqué, ces forces faisaient partie de l'organisation militaire allemande dans des pays comme la Lettonie durant l'occupation allemande. Selon elle, c'est ce fait qui fournit une assise très réelle et logique à la conviction que les personnes ayant servi dans ces forces ont aidé l'ennemi pour la seule raison qu'elles ont fait partie de ces unités ou y ont exercé un emploi.

[170]      Selon MM. Cliffe et Kelly, les lignes directrices contenues dans la liste de critères de sécurité en date du 20 novembre 1948 intitulée " Screening of Applicants for Admission to Canada " n'ont pas été modifiées avant 1951. La demanderesse soutient que puisque les contrôleurs des visas qui ont témoigné ont catégoriquement affirmé que leur formation faisait en sorte qu'ils cherchaient en pratique à exclure les personnes qui avaient servi dans les forces d'occupation allemandes, et qu'ils croyaient savoir que leurs collègues faisaient la même chose, il ne saurait y avoir de doute que si le défendeur avait divulgué tous les emplois qu'il avait exercés et toutes les activités qu'il avait menées durant la guerre, il n'aurait pas franchi l'étape du contrôle sécuritaire. Toutefois, ainsi que le témoignage de M. Keelan le montre, le libellé de l'alinéa k) empêchait une telle uniformité dans la façon de procéder des contrôleurs des visas sur le terrain. Aucune interprétation de l'alinéa k) ne leur avait été fournie avant que M. Vitols ne fasse l'objet d'un contrôle.

[171]      La demanderesse soutient que le défendeur a continué de mentir et d'affirmer ce qui figurait sur le formulaire CM-1 de l'OIR parce qu'autrement, il aurait perdu toute crédibilité; si la vérité avait été connue, il n'aurait pu franchir les étapes du processus de sélection. La demanderesse soutient en outre qu'il est exagéré d'affirmer que M. Vitols a délibérément tenté de dissimuler son appartenance à la Waffen SS à l'UNRRA ou à l'OIR, mais a divulgué ces renseignements aux autorités canadiennes à des fins d'immigration.

[172]      La demanderesse affirme que le défendeur a contredit les assertions selon lesquelles il voulait dire " Waffen SS " lorsqu'il parlait de l'" armée lettone ". La demanderesse affirme que le défendeur a déclaré, aux pages 1744, 1561 à 1564 et 1709, qu'il n'a jamais voulu dire que l'" armée lettone " avait le sens de " Waffen SS ". Ainsi qu'il a été mentionné, toutefois, les contrôleurs des visas connaissaient le sens de l'expression " armée lettone ".

[173]      La question du pouvoir discrétionnaire des responsables du contrôle a été soulevée au cours du contre-interrogatoire de M. d'Ombrain. Après qu'on eut montré à M. d'Ombrain la note du secrétaire du Conseil de sécurité intitulée " Immigration Security Policy " Nazis, Fascists and Collaborators " en date du 30 avril 1952, on lui a dit qu'il n'existait pas d'interdiction générale visant les collaborateurs, mais que les décisions étaient prises au cas par cas. On lui a lu la dernière phrase, soit " [l]'actuelle politique de sécurité en matière d'immigration interdit l'immigration des collaborateurs, mais les cas ont jusqu'à maintenant été examinés en fonction de leurs avantages et de leurs inconvénients individuels ". On lui a dit que les agents d'immigration pouvaient exercer un pouvoir discrétionnaire.

[174]      M. d'Ombrain a répondu qu'il y avait deux anomalies dans le débat qui a eu lieu en 1952. Premièrement, il y avait le fait qu'on présumait que l'armée lettone était la Waffen SS. Deuxièmement, tous les documents acheminés à l'appareil décisionnel du gouvernement central jusqu'en 1952 ne se bornaient pas à supposer l'existence d'interdictions générales; ces interdictions étaient bien précises. Après 1950, des tentatives ont été faites à un échelon élevé pour modifier l'interdiction générale frappant ces catégories, de manière à la remplacer par une interdiction mieux adaptée, mieux définie et plus spécifique. On voulait notamment faire en sorte que les personnes qui n'avaient pas été des collaborateurs importants ne soient pas exclues. Le terme " collaborateur " n'a pas été défini à l'intention des fonctionnaires sur le terrain avant 1952. Le document signé par M. Dwyer, qui est fondé sur des renseignements provenant de la GRC, a été porté à l'attention du Conseil de sécurité en avril 1952.

[175]      M. d'Ombrain a déclaré que [traduction] " [c]'était la première fois aux échelons supérieurs de l'appareil décisionnel qu'on se référait à quelque chose d'autre qu'une interdiction générale frappant les membres d'organisations nazies et les collaborateurs ". Selon lui, ce document a suscité un débat qui a entraîné un changement d'orientation.

[176]      M. d'Ombrain a ajouté qu'on a défini de manière exhaustive ce que le terme collaboration voudrait dire dans l'avenir; cette définition faisait intervenir le concept de turpitude morale. À la page 701, M. d'Ombrain a déclaré que c'est le document en date du 30 avril 1952 qui a été [traduction] " utilisé pour amorcer la discussion qui a abouti à l'élaboration d'une nouvelle politique par le Conseil de sécurité, laquelle a ensuite été adoptée par les autorités de l'Immigration et la GRC, puis transmise aux fonctionnaires sur le terrain ". On lui a demandé si ces événements lui donnaient à penser que les politiques adoptées par les décideurs avaient fait l'objet d'une application irrégulière. Il a répondu que [traduction ] " des changements ont peut-être été apportés à la politique [canadienne], mais si ce fut le cas, ils n'ont pas été soumis et approuvés ".

[177]      Lorsque le Canada a commencé à définir le terme " collaboration " en 1952, l'idée que la collaboration impliquait un élément de crime ou de turpitude morale s'est imposée. Dans son rapport, M. d'Ombrain a déclaré :

     [traduction] En ce qui concerne les collaborateurs, la note demandait qu'on accorde plus de flexibilité. Le Conseil de sécurité a été invité à envisager la limitation de l'interdiction frappant les collaborateurs aux cas suivants :         
         a)      les personnes reconnues coupables de s'être battues contre les forces alliées ou d'avoir mené des activités préjudiciables à la sécurité et au bien-être des forces alliées;         
         b)      les personnes reconnues coupables d'avoir été impliquées dans des assassinats ou d'avoir participé à des activités ayant un lien avec des camps de travaux forcés ou des camps de concentration;         
         c)      les personnes qui ont travaillé pour des organisations de police ou de sécurité allemandes et qui ont dénoncé des citoyens loyaux et des groupes de résistance;         
         d)      les personnes accusées et reconnues coupables de trahison.         

De l'avis du défendeur, tous ces critères contiennent le concept de crime. C'est le cas des deux premiers critères, soit a) et b). Le concept de déloyauté est évident dans le critère c) et, en particulier, dans le critère d), puisqu'on fait référence à la trahison.

[178]      On mentionne en outre dans le rapport d'Ombrain (à la page 41) que le Conseil de sécurité a examiné ce qui précède et convenu d'exclure

     [traduction]         
         g)      les anciens collaborateurs qui devraient être exclus pour des motifs fondés sur la turpitude morale, sauf les petits collaborateurs qui ont agi sous la contrainte.         

Ce qui devient de plus en plus clair, donc, c'est que la définition canadienne du terme " collaborateur ", qui a commencé à apparaître en 1952, était conforme aux définitions des dictionnaires puisqu'elle comportait un élément de déloyauté, de turpitude morale, de condamnation criminelle ou de trahison.

[179]      Les experts en histoire ont débattu la question de la " collaboration " en Lettonie. Pour le professeur Ezergailis, la collaboration suppose un élément de turpitude morale et, en particulier, la participation à la mise en oeuvre de l'holocauste. Dans son affidavit (au paragraphe 24), il situe cet élément dans [traduction ] " l'organisation de la population locale en groupes d'extermination spéciaux sous contrôle allemand ". Dans son témoignage, il a parlé des collaborateurs et a semblé avoir la même définition que M. Kelly de ce terme, soit un haut fonctionnaire. Par contre, le professeur Kwiet a eu tendance à donner une définition très large du terme collaborateur, de sorte que tous ceux qui relevaient des Allemands, peu importe leur rang dans la chaîne, étaient des collaborateurs. Il considérait même les forces de réserve formées de fermiers, auxquelles on faisait appel pour protéger la collectivité locale, comme des collaborateurs.

[180]      M. Vitols a été vu par un agent d'immigration appelé Gertson et par un médecin dont le nom serait MacDougall. Nous avons le témoignage d'un agent d'immigration, M. Barron, qui a reconnu la signature de l'agent au point d'entrée à Halifax qui a admis M. Vitols. Il s'agit de M. Forbes. Par contre, personne ne connaît l'identité du contrôleur des visas qui faisait équipe avec M. Gertson.

[181]      Compte tenu de tous les éléments de preuve qui précèdent, comme je ne sais pas qui est le contrôleur des visas qui s'est occupé de M. Vitols, si le terme " collaborateur " avait plusieurs sens et si un fonctionnaire comme M. Keelan considérait qu'il avait des pouvoirs discrétionnaires, alors la demanderesse n'a pas prouvé que le concept de collaborateur était compris de la même façon par tous. Dans les cas où la preuve de la demanderesse est purement indirecte, sa thèse s'appuie sur l'uniformité du système. À mon avis, il y a trop de déductions à faire, à partir d'éléments de preuve insuffisants, pour que je puisse conclure, sur la base de la preuve indirecte, que M. Vitols, contrairement à ce qu'il a déclaré dans son témoignage, a été interrogé au sujet de son service dans la police sur la question de savoir s'il était un collaborateur. Par ailleurs, avant de pouvoir conclure que le contrôleur des visas qui a vu M. Vitols l'aurait écarté à cause de son statut de collaborateur, il reste à décider si ce contrôleur, en supposant qu'il ait même appliqué la catégorie k) en territoire allemand, aurait considéré un policier subalterne comme un collaborateur.

[182]      Quand le terme collaborateur a finalement été défini, on a vu qu'il comportait un élément de turpitude morale; en d'autres termes, il fallait qu'une personne ait fait quelque chose de mal. La définition faisait ensuite intervenir la notion de " petits collaborateurs qui ont agi sous la contrainte ". Il est fort possible que, si M. Vitols avait demandé à être admis en 1952, il aurait été exempté vu la définition d'un collaborateur figurant au point g), à la page 41 du rapport d'Ombrain. Un certain nombre de facteurs donnent à penser qu'une décision similaire aurait peut-être été prise en ce qui concerne M. Vitols en 1950 : dès 1948, les Baltes se sont efforcés d'obtenir qu'on leur accorde un traitement spécial compte tenu de la situation durant l'occupation allemande. C'est ce qui ressort du document en date du 30 avril 1952 du Conseil de sécurité dans lequel P. M. Dwyer mentionnait que la [traduction ] " l'actuelle politique " permettait aux [traduction ] " non-Allemands qui sont entrés dans la Waffen S.S. après le 1er janvier 1943 [...] de convaincre l'agent de sécurité qu'ils avaient été conscrits et ne s'étaient pas enrôlés volontairement "; du pouvoir discrétionnaire accordé à des fonctionnaires comme M. Keelan, ainsi que le laisse voir le rapport de M. Dwyer précisant qu'en dépit de l'interdiction générale frappant les collaborateurs, " les cas ont été examinés en fonction de leurs avantages et de leurs inconvénients individuels "; et du climat de la guerre froide qui faisait passer l'exclusion des communistes avant d'autres préoccupations, et qui a suscité un mouvement de sympathie envers les Baltes, qui avaient été sous l'emprise de l'Union soviétique et l'étaient encore.

La sélection des personnes déplacées - Les dépositions des témoins

[183]      En ce qui concerne la question du contrôle sécuritaire auquel les autorités canadiennes en Allemagne ont soumis M. Vitols, il est utile d'examiner les dépositions des témoins de moralité que sont les ressortissants lettons qui ont franchi les étapes de la demande et de l'entrevue dans le but d'immigrer au Canada après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, M. Vitols a déclaré qu'il avait été interrogé par une seule personne qu'il a prise pour un agent d'immigration canadien. M. Vitols et un bon nombre des autres témoins lettons ont employé le mot " consul " pour désigner les agents d'immigration. Selon M. St. Vincent, un agent d'immigration, les immigrants employaient le mot " consul " pour désigner les agents d'immigration, mais ceux-ci leur précisaient qu'ils n'étaient pas des consuls.

[184]      M. St. Vincent a déclaré que les entrevues menées par les responsables du contrôle sécuritaire n'avaient pas toutes la même durée. Il a ajouté qu'il n'avait pas besoin d'attendre longtemps. Selon lui, il n'avait jamais attendu plus de quinze ou vingt minutes. Il a dit qu'une entrevue normale durait de cinq à dix minutes. Cela correspond à ce que M. Vitols a déclaré au sujet de la seule entrevue qu'il a subie, laquelle aurait duré sept minutes. C'est une durée qui est de l'ordre de ce que M. St. Vincent a connu.

[185]      M. St. Vincent a ajouté que les gens étaient toujours contrôlés. Un responsable de la sécurité indiquait toujours sur le dossier que l'étape B avait été franchie. Toutefois, un autre agent d'immigration, M. Gunn, a déclaré que dans les camps de personnes déplacées et les bureaux où tous les services étaient offerts, l'équipe se chargeait du processus complet, mais dans d'autres bureaux qui n'offraient pas toute la gamme de services, comme Liverpool par où sont passés au moins deux témoins lettons, il n'y avait pas de contrôleur des visas ou de responsable de la sécurité.

[186]      Tout dépendait de la question de savoir s'il s'agissait ou non d'un bureau offrant tous les services; s'il ne s'agissait pas d'un bureau offrant tous les services, l'agent d'immigration pouvait se charger du contrôle sécuritaire. Dans les cas douteux, le dossier était renvoyé au service central de sécurité pour l'Europe de la GRC. Les dépositions de MM. Grigors et Zalamans, qui sont des témoins de moralité qui sont passés par Liverpool et qui se souvenaient d'une seule entrevue, seraient donc compatibles avec celle de M. Gunn. M. Ozols, un autre témoin de moralité qui est passé par Londres, s'est souvenu que deux personnes l'ont interrogé. M. Gunn a dit que Londres était un bureau où tous les services étaient offerts. Il a ajouté que c'était la même chose à Paris. Toutefois, M. Plume, un ancien membre de la Légion étrangère française qui a fait la guerre d'Indochine et a eu une vie assez mouvementée, a bien précisé qu'il y avait seulement un fonctionnaire à Paris. M. Plume s'en souvenait très bien parce qu'il avait passé beaucoup de temps avec lui; le fonctionnaire en poste à Paris s'intéressait à la vie fascinante de M. Plume.

[187]      Les témoins les plus importants sont ceux qui sont entrés au Canada en provenance des camps de personnes déplacées parce que les personnes qui sont passées par des endroits comme Liverpool n'ont pas été vues par deux agents, soit un agent d'immigration et un contrôleur des visas; ils ont simplement été vus par un agent d'immigration. La Cour a entendu le témoignage de plusieurs Lettons qui sont venus des camps.

[188]      Robert Pavlovs était à Butzbach, soit le camp où M. Vitols a vécu un peu plus tard. M. Pavlovs a été l'un des premiers immigrants; il est arrivé au Canada en 1948. Il a été vu par un médecin de l'OIR dans le camp, par un médecin canadien, puis par le consul canadien. Sa femme, Velta Pavlovs, un autre témoin de moralité dont il a fait la connaissance au Canada seulement (ils n'étaient pas mariés au moment du contrôle), est également arrivée en 1948. Elle était encline à appuyer le point de vue de la demanderesse. Elle a déclaré qu'elle pensait avoir vu un seul médecin. Elle a également été interrogée par une personne relativement à l'immigration au Canada. Elle ne se souvient guère de l'entrevue. Elle a déclaré qu'elle pensait avoir vu plus d'une personne.

[189]      Mme Udris, un témoin de moralité, est arrivée au Canada en 1948 vers l'âge de 24 ans. Quand on lui a demandé ce dont elle se souvenait à propos du processus d'acceptation par les autorités de l'Immigration canadienne en Allemagne, elle a déclaré qu'on lui avait demandé sa date et son lieu de naissance et posé d'autres questions générales. C'est à peu près tout ce qu'on lui avait demandé. Un traducteur était présent. Elle se rappelle avoir vu seulement un fonctionnaire canadien. Elle se souvient très bien de l'entrevue parce qu'on lui a demandé si elle savait comment faire cuire une tarte aux pommes et ça lui est resté. Elle était une adolescente durant la guerre et on ne lui a sans doute pas posé les mêmes questions qu'à un adulte de sexe masculin.

[190]      Mme Milda Vitols, un témoin de moralité, a parlé d'un consul très amical. Une Estonienne a servi d'interprète. Mme Vitols avait été avisée que les enfants d'une personne désirant immigrer comme travailleuse domestique devaient avoir au moins huit ans, ce qui n'était pas le cas de sa fille. Le consul s'est montré très accueillant; il aimait bien sa fille. Il lui a donné de l'argent canadien, a fait une entorse au règlement et a souhaité à Mme Vitols bonne chance et une vie heureuse au Canada. Le souvenir que garde Mme Vitols de cet entretien est très clair parce qu'elle craignait que sa fille ne satisfasse pas au règlement.

[191]      M. Pludons, un autre témoin de moralité, était le président international de Daugavas Vanagi, un organisme qui a notamment oeuvré pour l'indépendance de la Lettonie. Il faisait partie de l'un des programmes de travail collectif. Après avoir dit qu'il se souvenait d'avoir été interrogé au sujet des mines de potasse en Saskatchewan, il a déclaré qu'il se souvenait vaguement de l'entrevue avec les autorités de l'Immigration canadienne. On lui a demandé de lire à voix haute un passage d'un livre letton. Cette demande lui a paru très curieuse parce qu'il doutait que le fonctionnaire parle le letton. Autant qu'il s'en souvienne, M. Pludons a été interrogé par un seul fonctionnaire canadien.

[192]      Un autre témoin de moralité, le vétérinaire Vanags, est le seul témoin qui a déclaré avoir été interrogé au sujet de ses activités pendant une dizaine d'années. Il a subi son entrevue dans un camp de personnes déplacées situé en Allemagne en 1949. C'est en 1948 ou en 1949 qu'il a présenté sa demande, et il est entré au Canada en février 1949 en provenance d'un camp. Il a déclaré qu'on lui avait demandé sa date et son lieu de naissance et ce qu'il avait fait chaque année. Il a mentionné qu'il avait rempli un questionnaire et avait été interrogé par un agent d'immigration. Il savait que M. Vitols avait été dans l'armée et s'était battu contre les partisans russes. Il savait aussi que M. Vitols avait travaillé comme policier ou Schutzmann.

[193]      Dans son rapport, M. d'Ombrain cite le secrétaire du Conseil de sécurité, Norman Robertson, qui aurait dit que le but du contrôle sécuritaire était de s'assurer que les gens étaient en mesure de s'adapter au mode de vie canadien. J'en déduis qu'à l'instar de M. Vanags (qui a remarqué que l'agent avait écrit [traduction] " fait bonne impression " sur son formulaire), M. Vitols aurait aussi fait bonne impression. M. Vitols s'est adapté au mode de vie canadien.

Le point d'entrée

[194]      La demanderesse soutient que le point d'entrée est une autre moment où le défendeur a fait de fausses déclarations et dissimulé des faits importants. Je vais maintenant examiner la preuve qui se rapporte aux procédures générales au point d'entrée, aux questions qui ont été posées et aux documents qui ont été utilisés, ainsi que la preuve particulière concernant M. Vitols.

[195]      M. Gunn a déclaré que, en tant qu'agent d'immigration au point d'entrée en 1946, il avait cru comprendre que le processus de sélection des personnes déplacées vivant à l'étranger visait à s'assurer que les personnes concernées jouissaient d'une bonne réputation, ne présentaient pas de risques pour la sécurité et étaient aptes à s'établir au Canada. La responsabilité de M. Gunn, tel qu'il la comprenait, consistait notamment à examiner le visa délivré à l'étranger et à s'assurer que la personne qui se trouvait devant lui était bien le titulaire des documents. Il posait les questions habituelles au sujet des renseignements contenus dans le document de voyage délivré par l'OIR, qui était autre chose que le CM-1, afin de confirmer les timbres attestant la tenue d'un examen médical et la délivrance d'un visa.

[196]      M. Gunn a confirmé que de 1947 à 1950, le formulaire d'immigration que devaient remplir les immigrants qui n'étaient pas parrainés contenait une section où l'immigrant pouvait indiquer ses lieux de résidence et les emplois qu'il avait exercés au cours des dix années précédentes. M. St. Vincent a confirmé cette preuve en disant qu'il retournait le formulaire et inscrivait l'information s'y rapportant au verso relativement à toute portion qui n'avait pas déjà été placée dans la fente.

[197]      M. Barron a également témoigné qu'il avait travaillé comme agent au point d'entrée à Halifax dès juillet 1950, soit quelques semaines après l'arrivée au Canada du défendeur, et qu'il avait interrogé des personnes déplacées qui arrivaient par bateau. Il utilisait le manifeste du navire ou le formulaire CGR. M. Barron a déclaré qu'il interrogeait les gens sur la base des renseignements contenus dans le document de voyage, le CGR et le visa.

[198]      Comme M. Gunn, M. Barron a déclaré qu'il se fiait au contrôle sécuritaire effectué à l'étranger concernant les activités en temps de guerre et ne posait pas de questions à ce sujet à moins d'avoir un motif d'avoir des soupçons.

[199]      Ainsi qu'il a été mentionné, la preuve révèle l'identité de l'agent d'immigration, M. Gertson, et du médecin, le Dr MacDougall, qui ont respectivement interrogé et examiné M. Vitols en Europe. Toutefois, l'identité de l'agent de la GRC, également appelé responsable du contrôle sécuritaire ou contrôleur des visas, demeure inconnue. La Cour n'a été saisie d'aucun élément de preuve selon lequel M. Gertson (Immigration) ou le Dr MacDougall a travaillé au sein d'une équipe en Europe. On peut juste en déduire qu'ils faisaient partie une équipe. Il n'y a certainement aucune preuve indiquant qu'ils ont travaillé avec un contrôleur des visas.

[200]      Le défendeur a été accepté dans le cadre du programme de travail collectif comme travailleur de la betterave à sucre en 1950. Des corrections ont été apportées sur la partie dactylographiée du formulaire CGR de M. Vitols. Il ressort de la preuve que ces corrections ont été apportées par un commissaire de bord ou un autre officier du navire. Ainsi qu'il a été mentionné, l'une des corrections a consisté à remplacer la lettre " D " pour divorcé par la lettre " M " pour marié. L'emploi a également été modifié, le mot " worker " (travailleur) ayant été remplacé par " farm worker " (travailleur agricole). Dans la colonne 21, le formulaire précise que le requérant doit [traduction ] " indiquer le nom et l'adresse de votre plus proche parent dans le pays dont vous êtes originaire, et votre lien de parenté avec cette personne. Si une femme ou des enfants doivent vous rejoindre plus tard au Canada, indiquer leur noms et leurs âges ". La réponse " none " (aucun) a été dactylographiée vis-à-vis des questions concernant la femme, les enfants et le frère. Comme il vient d'être mentionné, ces réponses ont été corrigées à l'encre par le commissaire de bord ou un officier du navire; pour la femme, on mentionne " Ruta "; pour la mention Robert Vitols plus loin, on indique " sister-in-law " (belle-soeur), et ensuite " as above " (tel que mentionné ci-dessus). On a également inscrit à l'encre " Latvia " (Lettonie).

[201]      Ainsi qu'il a été mentionné, l'agent au point d'entrée à Halifax était M. Forbes. Aux pages 1083 et 1084, M. Barron précise que M. Forbes était très compétent. Selon M. Barron, M. Forbes, après avoir examiné le formulaire CGR, a volontairement modifié la section relative à l'état civil sur le formulaire en remplaçant célibataire par marié. Sans doute qu'il l'a fait uniquement parce que M. Vitols a divulgué son état civil. La preuve révèle que dans le cadre de ce programme de travail collectif, un requérant immigrant était censé être célibataire. Néanmoins, M. Forbes, qui était sans doute au courant des politiques gouvernementales en vigueur, a fait une entorse au règlement au point d'entrée, tout comme on avait fait une entorse au règlement pour la femme qui est par la suite devenue la deuxième femme de M. Vitols et sa fille de cinq ans. Il est clair que M. Forbes a admis M. Vitols au Canada en dépit du fait que celui-ci était de toute évidence marié. M. Vitols avait donc entièrement divulgué son état civil avant d'obtenir le droit d'établissement au Canada.

[202]      M. Thomas a déclaré dans son témoignage que ce que l'OIR a accompli après la guerre était l'une des plus grandes réalisations humanitaires du siècle, et que le Canada avait joué un rôle très honorable à ce chapitre. En 1947, après le célèbre discours prononcé par MacKenzie King devant la Chambre des communes, la politique d'immigration du Canada, jusque-là étroite et restrictive, a changé radicalement et est devenue plus ouverte et plus large.

[203]      M. Thomas a également fait des commentaires intéressants d'un point de vue plus général. Il a dit que certaines personnes étaient si effrayées que ses fonctionnaires devaient faire des efforts pour découvrir la vérité; certaines personnes qui étaient admissibles ont pu mentir simplement parce qu'elle ne savaient pas qu'elles étaient admissibles. Ainsi, M. Keelan a relaté le cas d'un homme qui avait coupé tout le bois qui se trouvait dans le camp pour que ses mains ressemblent à celles d'un ouvrier, parce qu'il savait que le Canada voulait des ouvriers, pas des professionnels. On présumait généralement à ce moment-là que les gens mentaient même quand ils n'avaient pas besoin de le faire. Je fais remarquer que c'était juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale et du chaos en Europe; les gens luttaient pour survivre. De fait, M. Vitols a témoigné, relativement au contrôle à Fulda, qu'il avait dû mentir pour survivre. À mon avis, toutefois, cette affirmation ne me permet pas de faire abstraction d'une fausse déclaration importante faite aux autorités de l'Immigration canadienne ou dans une demande de citoyenneté.

[204]      M. Zalamans, un témoin de moralité, a offert une preuve qui montre les problèmes que présentait le système à l'époque. Sa femme et lui sont arrivés au Canada en provenance de l'Angleterre munis de passeports lettons. Les deux passeports lettons et la carte d'identité aux fins de l'Immigration canadienne portent le timbre " Canadien de retour au pays ", en dépit du fait qu'ils étaient des immigrants à ce moment-là. M. Zalamans a obtenu sa citoyenneté à une date ultérieure.

[205]      Après son entrevue, M. Vitols a obtenu un visa l'autorisant à immigrer au Canada. Il a quitté Bremerhaven, en Allemagne, le 19 mai 1950 par bateau et est arrivé au Canada le 28 mai 1950 à Halifax. Il est entré au Canada comme personne déplacée dont la traversée avait été payée par l'OIR.

[206]      Le visa numéro L.M. 1858 a été délivré à M. Vitols à Ludwigsburg, en Allemagne, le 21 mars 1950 ou vers cette date, et le défendeur a voyagé avec un certificat d'identité délivré par l'OIR à Ludwigsburg le 16 mars 1950. Le défendeur est entré au Canada en tant que travailleur de la betterave à sucre en Ontario dans le cadre d'un programme de travail collectif autorisé par le décret du Conseil privé 2180.

[207]      À leur arrivée au Canada, le défendeur et son frère ont tous deux travaillé sur une ferme où l'on cultivait la betterave à sucre à Glencoe, en Ontario, mais ont été mis à pied deux mois plus tard, une fois que le sarclage a été terminé.

Le lieu où se trouvait la première femme de M. Vitols à l'époque pertinente

[208]      Le défendeur a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 21 mars 1956 et a obtenu la citoyenneté le 28 septembre 1956 (certificat de citoyenneté 075620).

[209]      Dans la demande de citoyenneté qu'il a présentée en 1956, le défendeur fait référence à sa femme, Ruta Kugenicks, qu'il a épousée en 1940. Il y déclare faussement qu'elle a été emmenée en Sibérie par les Russes quatorze ans auparavant (en 1942) et déclare également faussement que leurs deux enfants ont été emmenés en Sibérie en 1942. Le défendeur a reconnu que c'était faux. La demanderesse soutient que la seule question en litige est de savoir si le défendeur a donné ces faux renseignements de propos délibéré. À mon avis, bien que ces fausses déclarations se rapportent à la crédibilité du défendeur, la question consiste également à savoir si ces renseignements se rapportaient à son admissibilité en ce qui a trait à sa demande de citoyenneté.

[210]      D'après un registre allemand d'allocations familiales versées à Prague par le Service SS race et peuplement concernant le volontaire SS Peteris Vitols, sous-lieutenant, le 8 janvier 1945, les deux enfants du défendeur sont mentionnés comme des personnes à charge pour la période allant jusqu'au 28 février 1945. D'autres documents d'après-guerre révèlent qu'il était marié et père de deux enfants, sans plus, et un document en date de septembre 1945 concernant les prisonniers de guerre donne une adresse à Kulmbach, en Allemagne, pour sa femme. Dans la demande d'aide qu'il a soumise à l'OIR en 1948, le défendeur précise toutefois que sa femme a disparu en 1944; aucune personne à charge n'est mentionnée. La demanderesse soutient que les faits allégués ci-dessus appuient le manque de crédibilité du défendeur puisqu'ils font ressortir son incohérence concernant des renseignements qui étaient fondamentaux et qu'il connaissait bien.

[211]      En contre-interrogatoire, aux pages 1703 à 1705, le défendeur a reconnu avoir vu sa femme le 1er janvier 1945 en Poméranie. Il avait reçu une lettre de sa famille datée de février 1945 qui confirmait que sa femme et ses filles étaient vivantes et se trouvaient en Poméranie la veille du jour où les Russes ont pris le contrôle de ce territoire. Le défendeur avait cru comprendre qu'elles avaient été capturées derrière les lignes russes. Dans sa fiche de renseignements personnels, datée du 22 août 1945, dans son formulaire de renseignements personnels, daté du 15 septembre 1945, et dans le formulaire du bureau de renseignements des prisonniers de guerre no 2 (non daté), le défendeur a menti aux autorités alliées après s'être constitué prisonnier en mai 1945 en déclarant que sa femme se trouvait dans un camp situé à Kulmbach, en Allemagne. Le défendeur a reconnu qu'il a fourni les renseignements contenus dans ces documents pendant que son cas était étudié au camp de prisonniers de guerre. Il soutient qu'il craignait d'être envoyé derrière les lignes russes pour être réuni avec sa famille, et a donc menti au sujet de l'endroit où celle-ci se trouvait. De fait, ainsi qu'il a été mentionné, le professeur Ezergailis a témoigné que de nombreuses personnes se sont suicidées en apprenant qu'elles seraient déportées en Union soviétique. Ce contexte est un facteur qui doit entrer en ligne de compte dans toute conclusion négative concernant la crédibilité de M. Vitols sur la question de l'endroit où se trouvait sa famille lorsqu'il était une personne déplacée.

[212]      La famille du défendeur s'est enfuie de la Lettonie en 1944. C'est à l'occasion du congé de Noël de 1944 que le défendeur a pu lui rendre visite pour la dernière fois. Il a vu sa femme et ses filles pour la dernière fois le 1er janvier 1945. Le défendeur a tenté à maintes reprises de les retrouver lorsqu'il était dans les camps de personnes déplacées. Par la suite, une fois rendu au Canada, il a demandé l'aide de la Croix-Rouge internationale.

[213]      Le défendeur affirme que son anglais n'a jamais été assez bon pour qu'il puisse déclarer : [traduction] " Je n'ai jamais entendu parler d'eux depuis 1942 lorsqu'ils ont été emmenés en Sibérie. " Sa belle-fille a affirmé avoir traduit pour lui des lettres destinées à sa famille. M. Vitols n'avait aucune raison de mentir dans le formulaire de demande de citoyenneté qu'il a rempli en 1956 au sujet du lieu où ses enfants et sa femme pouvaient se trouver, en Sibérie ou en Pologne, et le fait qu'il les avait vus pour la dernière fois en 1942, à la fin de 1944 ou le premier jour de 1945 n'avait tout simplement pas d'importance. Il se peut que la date ait été mal comprise par le dactylo à l'endroit où M. Vitols a présenté sa demande; quoi qu'il en soit, la date est sans importance.

[214]      La demanderesse a concédé que l'année où M. Vitols a vu sa famille pour la dernière fois n'était pas importante pour décider son admissibilité à la citoyenneté canadienne; malgré tout, elle invoque de fausses déclarations en ce qui a trait à la crédibilité.

[215]      En 1956, il y avait au moins sept ans que le défendeur n'avait pas eu de nouvelles de sa femme, malgré tous les efforts qu'il avait faits pour la retrouver, et il a présumé qu'elle était morte. Après avoir obtenu la citoyenneté canadienne, il a épousé une veuve dont le premier mari avait perdu la vie pendant qu'il se battait en tant que membre de la légion lettone en 1944. Cette femme s'était enfuie de la Lettonie avec sa fille qui venait de naître. Le défendeur s'est consacré à sa nouvelle famille et ce, pendant plus de quarante ans. Milda Vitols a connu M. Vitols dans le camp de personnes déplacées où elle vivait, durant la période où celui-ci cherchait sa famille.

[216]      En 1957, la Croix-Rouge a enfin retrouvé la première famille du défendeur en Pologne et lui a donné l'adresse de M. Vitols.

[217]      Sa fille aînée lui a écrit et il lui a répondu. Malheureusement, elle s'est noyée avant de recevoir sa lettre. Sa première femme lui a écrit la mauvaise nouvelle. Ils se sont ensuite écrits à plusieurs reprises et M. Vitols a envoyé de l'argent, mais il a été incapable de se rendre derrière le rideau de fer. M. Vitols n'a pu aller voir sa première femme, sa fille et son petit-fils derrière le rideau de fer, mais il leur a payé un voyage au Canada en 1977.

[218]      Aucun des témoins ne connaissait M. Vitols au moment de la guerre. Le frère de M. Vitols, qui devait témoigner devant la Cour, est décédé l'an dernier.

La bonne réputation au moment de la présentation de la demande de citoyenneté

[219]      La demanderesse soutient qu'au moment de présenter sa demande de citoyenneté, le défendeur s'est présenté aux autorités canadiennes comme une personne jouissant d'une bonne réputation, en dépit du fait qu'il avait servi au sein de la police auxiliaire lettone collaborationniste à Madona, dans le Schuma 281 et dans la Waffen SS, et en dépit du fait qu'il n'avait pas divulgué les détails de ses activités en temps de guerre. La demande de citoyenneté, qui est datée du 21 mars 1956, exigeait que M. Vitols se présente comme une personne ayant bonne réputation; une déclaration contenue dans la demande, qu'il devait signer sous la foi du serment, mentionnait qu'il était une personne apte à recevoir un certificat de citoyenneté.

[220]      En réponse, le défendeur a soutenu qu'il avait été légalement admis au Canada en 1950 et qu'il avait acquis un domicile canadien. La condition la plus importante pour obtenir la citoyenneté était qu'il jouisse d'une bonne réputation. Le défendeur soutient qu'il a toujours eu bonne réputation et qu'il a toujours été considéré comme tel par ceux qui le connaissent. Le défendeur affirme qu'on ne lui a pas posé de questions au sujet de ses activités en temps de guerre lorsqu'il a demandé la citoyenneté. Il avait divulgué son appartenance à l'armée lettone durant la guerre aux autorités canadiennes de l'Immigration en Europe lorsqu'il a demandé à être admis au Canada.

Ses responsabilités comme citoyen canadien

[221]      Le défendeur a assumé ses responsabilités de citoyen avec sérieux. Il a été un employé apprécié de General Motors jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de la retraite en 1980. Il a travaillé inlassablement comme bénévole. Le gouvernement de l'Ontario a reconnu son engagement envers le bénévolat en 1990 en lui remettant un certificat signé par le ministre ontarien de la Citoyenneté et par le ministre ontarien de la Culture et des Communications. La lutte en faveur de l'indépendance de la Lettonie est toujours demeurée la principale préoccupation de M. Vitols, mais celui-ci se tenait au courant des affaires canadiennes et appuyait des organismes de bienfaisance canadiens.

La pension allemande

[222]      En 1986, le défendeur a appris que le gouvernement allemand versait une pension aux non-Allemands qui avaient combattu aux côtés des Allemands durant la guerre. Les journaux parlaient de la question des crimes de guerre à ce moment-là, vu le rôle de la Commission Deschênes; néanmoins, le défendeur estimait qu'il n'avait rien à cacher. Il a donc présenté une demande de pension datée du 30 mai 1986. M. Vitols touche actuellement une pension.

Les témoins de moralité

[223]      Un certain nombre de témoins de moralité, qui étaient pour la plupart d'origine lettone, ont déposé au sujet de la bonne réputation de M. Vitols.

[224]      Sa deuxième femme, Milda Vitols, a déclaré qu'à son avis, M. Vitols est une meilleure personne qu'elle. Sa belle-fille l'a connu à peu près au même moment que sa mère; il est le seul père qu'elle a jamais eu. Elle a déclaré :[traduction] " Je peux vous dire beaucoup de choses sur son tempérament. Je peux vous dire que c'est un homme très bon. C'est un homme charitable. C'est un homme sociable. C'est un bon citoyen... "

[225]      Milija Zuejuieks a connu M. Vitols au début des années 50. Elle a déclaré que M. Vitols s'était proposé pour aider son mari à construire leur maison. Il a envoyé des colis en Lettonie à l'intention de personnes dans le besoin.

[226]      Le lieutenant-colonel Anderson connaît M. Vitols depuis 1952. Il était au courant du passé militaire de M. Vitols avant la guerre, mais pas de ses activités en temps de guerre. Les deux hommes en ont discuté à plusieurs reprises parce qu'ils avaient tous deux été des cadets. Le témoin a déclaré :

     [traduction] [e]t il y a une chose qu'il a mentionnée [...] Il a dit qu'il ne faut jamais donner un ordre auquel on n'est pas prêt à obéir soi-même ou qu'on n'est pas prêt à exécuter soi-même. Quelques semaines plus tard, alors que j'étais un cadet de la première phase à Borden, mon sergent, mon sergent-instructeur, a dit exactement la même chose aux jeunes hommes que nous étions.         

M. Vitols était un bon voisin, et il a organisé une fête pour célébrer la nomination du témoin à titre d'officier. Le lieutenant-colonel Anderson a déclaré que M. Vitols était un homme très franc et qu'il avait une excellente réputation. Il était un leader au sein de la collectivité.

[227]      Mme Udris a fait la connaissance de M. Vitols durant les années 50. Elle le respectait assez pour lui demander d'être le parrain de son enfant unique. M. Vitols jouissait d'une très bonne réputation au sein de la collectivité lettone. Son fils, Imants Udris, connaît M. Vitols depuis sa naissance. Il le décrit comme un homme attentionné, doux et fier de l'héritage letton, et comme un leader respecté au sein de la collectivité.

[228]      Richard Grigors a également fait la connaissance de M. Vitols durant les années 50. Il travaille actuellement au centre communautaire letton où un brunch a lieu tous les dimanches durant les mois d'hiver, et M. Vitols offre son aide pour couper les légumes. Il affirme que M. Vitols est l'un des hommes les plus honnêtes qu'il a jamais rencontrés.

[229]      M. Pavlovs et sa femme ont rencontré M. Vitols en 1953 comme voisins. M. Pavlovs affirme que M. Vitols a toujours été aimable et sincère. Mme Pavlovs affirme qu'il a une excellente réputation en tant que personne intègre et qu'il est leur ami.

[230]      Mme Ligers affirme qu'elle a rencontré M. Vitols en 1956 et qu'il est très gentil et serviable.

[231]      M. Zalamans affirme qu'il a rencontré M. Vitols en 1960 et que c'est un honnête homme.

[232]      Le président international de Daugavas Vanagi, qui a rencontré M. Vitols au début des années 70, décrit M. Vitols comme un vrai Letton, qui a à coeur d'aider les autres.

[233]      Le professeur Dreifelds, qui connaît M. Vitols depuis qu'il est devenu professeur à l'Université Brock de St. Catharines en 1974, a dit de M. Vitols :

     [traduction] Je pense que l'une des choses qui me frappent tout particulièrement, c'est que, premièrement, il a assurément des qualités de leader. Mais d'une façon discrète, et c'est également un médiateur.         
     Vous constaterez, je pense, qu'il y a eu, au sein de la société lettone comme dans tout groupe restreint de personnes, des polarisations sur des questions particulières, et Peter a toujours été celui qui tentait de concilier les divergences de vues. C'est là, selon moi, l'une de ses principales caractéristiques. Il est très décontracté et amical.         
     J'aimerais faire une autre remarque. Je ne l'ai jamais vu en colère, vous savez, il est toujours calme, discret et désireux de réconcilier les gens, et je trouve cela admirable, vous savez, parce que j'ai moi-même parfois des sautes d'humeur. Donc si je vois ces qualités chez d'autres personnes, je trouve cela tout à fait admirable.         

[234]      Le professeur Dreifelds a témoigné au sujet de la réputation du défendeur au sein de la collectivité lettone :

     [traduction] En fait, je pense à sa réélection, et même après son déménagement à Toronto, la société lettone de St. Catharines voulait qu'il s'occupe de la tenue de livres et exerce un leadership dans certains domaines.         
     Donc, vous savez, on le tient en haute estime, parce que c'est un médiateur hors pair, parce que je pense que les gens font énormément confiance à Peter Vitols.         

[235]      Le président canadien de Daugavas Vanagi, M. Ozols, a fait la connaissance de M. Vitols vers la fin des années 70. Il a dit que c'était un homme remarquable et il a constaté qu'il tenait très bien les livres.

[236]      M. Kristbergs, qui est pasteur d'une congrégation lettone à Toronto, a fait la connaissance de M. Vitols en 1984. Il a déclaré que M. Vitols est un homme très fiable et très franc.

[237]      M. Vitols a connu Vija Cushing en 1986. Le fils de Mme Cushing a connu le fils de la belle-fille de M. Vitols à la garderie. M. Vitols est devenu le gardien à temps partiel de son fils ainsi qu'une figure de grand-père pour lui. Elle tient M. Vitols en haute estime.

[238]      Nan Brogden connaît M. Vitols depuis vingt-cinq ans. Elle le décrit comme un homme marié très dévoué, comme un hôte agréable et comme une personne très amicale et chaleureuse. Elle n'a pas fait sa connaissance par l'entremise de la société lettone.

[239]      Tous les témoins de moralité du défendeur ignoraient que M. Vitols avait menti lorsqu'il se trouvait dans le camp de personnes déplacées au sujet de son appartenance aux trois organisations policières et militaires lettones mentionnées par le gouvernement dans l'avis de renvoi. Plusieurs ignoraient qu'il avait participé à la Seconde Guerre mondiale. Le défunt frère de M. Vitols, Robert, le connaissait durant la guerre, mais il est décédé peu de temps avant l'audience.

[240]      Je fais également remarquer que les deux agents de la GRC qui se sont rendus chez M. Vitols en 1994, les agents Deneault et Robineau, ont déclaré que M. Vitols avait tout le temps été très poli et s'était montré coopératif.

Les publications soviétiques portant sur Daugavas Vanagi

[241]      Mécontente du lobbying fructueux effectué par Daugavas Vanagi et d'autres organisations baltes similaires au Canada et aux États-Unis, l'Union soviétique a cherché à discréditer ces organisations et leurs dirigeants. M. Vitols, en sa qualité de membre exécutif de Daugavas Vanagi au Canada, est donc devenu une cible. M. Vitols a déclaré qu'en 1962 il a reçu par courrier un livre en letton écrit par Paulis Ducmanis et intitulé Kas Ir Daugavas Vanagi? La demanderesse a reconnu ce fait. La version anglaise de ce livre, Who Are They? (Riga: Latvian Publishing House, 1963), a paru un an plus tard. Dans ce livre, on accusait M. Vitols et d'autres membres de Daugavas Vanagi d'avoir commis des crimes de guerre.

[242]      La demanderesse ne reconnaît pas que ce livre s'inscrivait dans une opération de désinformation soviétique. À mon avis, ce livre faisait partie d'une campagne de désinformation du KGB soviétique. Comme le professeur Ezergailis l'a souligné, le KGB avait l'habitude d'espionner des groupes d'émigrés anti-communistes et de tenter de les discréditer. Le professeur Kwiet a reconnu que le professeur Ezergailis avait marqué [traduction] " quelques très bons points " sur cette question. Des exemplaires de ce livre ont été envoyés aux médias, mais la presse canadienne n'en a pas parlé.

[243]      Un deuxième livre écrit par M. Birznieks et intitulé From SS and SD to... (Riga, 1979) a été publié. Il contient des allégations similaires. Il a été envoyé au défendeur en 1979.

[244]      Ces efforts n'ont pas dissuadé M. Vitols de cesser son militantisme antisoviétique.

Les entrevues menées par la GRC

[245]      Je vais maintenant examiner les entrevues menées par la GRC qui ont abouti à la déclaration que M. Vitols a signée le 12 décembre 1994. Le défendeur soutient que ces entrevues ont été inéquitables sur le plan de la procédure et, partant, que la Cour ne devrait pas accorder beaucoup d'importance à cette déclaration. Il convient de noter, toutefois, que cette déclaration ne modifie pas de façon importante les conclusions que je tire.

[246]      Deux agents de la GRC se sont rendus à la résidence de M. Vitols à Toronto le 12 décembre 1994 en compagnie d'un interprète letton, dans le but de poser des questions à M. Vitols. Celui-ci se trouvait chez lui avec sa femme. Les agents de la GRC ont proposé à M. Vitols d'enregistrer l'entrevue, mais celui-ci a refusé. Ils ne l'ont toutefois pas avisé que cet enregistrement pourrait lui être utile. L'interprète était là pour aider M. Vitols au cas où il aurait voulu que les questions ou l'une de ses réponses soient traduites. M. Vitols a répondu à beaucoup de questions en anglais. Le caporal Robineau posait les questions et le gendarme Deneault prenait des notes détaillées. À la fin de l'entrevue, le caporal Robineau a lu à M. Vitols les actes qui lui étaient reprochés. Mme Vitols a ensuite servi des biscuits au groupe.

[247]      Une déclaration a ensuite été rédigée et le caporal Deneault a apporté cette déclaration à M. Vitols le 26 janvier 1995. Des corrections ont été apportées à la déclaration en letton à ce moment-là. La belle-fille de M. Vitols était présente et elle a été en mesure de l'aider parce qu'elle parle et lit le letton. Une fois de plus, M. Vitols s'est montré très coopératif. La déclaration a été signée par M. Vitols, par le caporal Deneault, par la belle-fille de M. Vitols et par le traducteur. Lors de la deuxième entrevue, M. Vitols a remis à la GRC un certain nombre de documents. Parmi ceux-ci, il y avait une demande d'assistance en français en date du 8 avril 1948; il s'agissait du formulaire CM-1 de l'OIR rempli à Fulda, qui précisait que de 1941 à 1944, M. Vitols avait travaillé comme employé de chemin de fer. M. Vitols a dit qu'il ne savait pas pourquoi il avait déclaré qu'il avait travaillé comme employé de chemin de fer. Son père avait été un employé de chemin de fer et [traduction] " il n'avait pas peur de leur dire ce qu'[i]l avai[t] fait durant la guerre ". M. Vitols a reconnu qu'il s'était trompé et qu'il avait travaillé pour la police de Madona ces années-là.

[248]      M. Vitols n'a pas été avisé qu'il s'agissait d'une enquête criminelle, en dépit du fait que l'enquête proprement dite avait été ouverte. Le caporal Robineau croyait qu'il ne s'agissait plus d'une enquête criminelle au moment de l'entrevue. M. Vitols n'a pas été avisé qu'il avait droit à l'assistance d'un avocat. Le caporal Robineau a reconnu qu'un aveu fait par M. Vitols ne serait pas admissible dans le cadre d'une poursuite criminelle.

[249]      Le caporal Robineau a été incapable de se rappeler s'il avait posé des questions à M. Vitols au sujet de la demande d'assistance soumise à l'OIR en avril 1948, qui comportait une section au sujet des emplois exercés par M. Vitols au cours des dix années précédentes. Au début de cette section, qui visait les années 1937 à aujourd'hui [avril 1948], on peut lire [traduction] " officier de carrière, lieutenant ". Les agents de la GRC ont confirmé que M. Vitols avait indiqué que nonobstant le plan de formation de la police de district de Madona pour le mois de février, daté du 2 février 1948, où M. Vitols est inscrit comme formateur, il n'a jamais formé qui que ce soit; il a affirmé qu'il n'avait fait que du travail de bureau durant cette période. Les agents n'ont trouvé aucune preuve incriminante au sujet de la participation de M. Vitols à des atrocités. En outre, tous les documents que le caporal Robineau possédait au sujet de M. Vitols contenaient la date de naissance, le nom et la nationalité exacts de M. Vitols.

[250]      La demanderesse invoque la déclaration manuscrite faite par M. Vitols, qui est datée du 12 décembre 1994 et qui a été produite durant l'entrevue menée par la GRC, dans laquelle M. Vitols affirme que tous savaient que des massacres étaient commis, mais qu'on ne lui avait jamais demandé d'y participer et qu'il n'y avait jamais participé.

[251]      La demanderesse affirme en outre que M. Vitols a reconnu ce qui suit dans sa déclaration : il a servi comme officier dans l'armée lettone avant l'invasion soviétique; après l'invasion allemande, il est entré dans la police de Madona; il a participé à l'opération Winterzauber; il a été lieutenant en 1943 au sein du 281e bataillon; il a par la suite été rappelé à Madona; il a été lieutenant au sein du groupe " C "; son unité a mené des opérations dans le district de Lake Lubana en 1944; la décoration qu'il a reçue en avril 1944 se rapportait à des événements qui se sont produits dans la région de Lake Lubana; il a fait partie de la légion lettone et il était considéré comme un membre de la SS; il n'a pas travaillé comme employé de chemin de fer de 1941 à 1944 ainsi qu'il est indiqué sur la demande d'assistance qu'il a présentée à l'OIR; les exécutions qui ont eu lieu dans le district de Madona en 1941 étaient bien connues, mais il n'y a pas pris part et on ne lui a jamais demandé d'y participer; et il s'est constitué prisonnier en mai 1945 et est demeuré un prisonnier jusqu'à sa libération en mars 1946.

[252]      Il convient toutefois de faire remarquer que la déclaration préparée par la GRC et signée par M. Vitols ne contient aucune référence précise à des exécutions effectuées dans le district de Madona en 1941; au contraire, ainsi qu'il a été mentionné, lorsqu'on lui a donné lecture des actes qui lui étaient reprochés, M. Vitols a fait remarquer que [traduction] " [t]ous étaient au courant des massacres. On ne m'a jamais demandé d'y prendre part et je ne l'ai jamais fait ".

[253]      La demanderesse prétend que le défendeur a également reconnu que lorsqu'il a demandé à immigrer au Canada en 1950 comme travailleur de la betterave à sucre, il a déclaré aux fonctionnaires canadiens qu'il avait servi dans l'armée lettone (par opposition à la police auxiliaire lettone, à la Schuma 281, à la Waffen SS ou même à l'armée allemande). Il a fourni aux agents de la GRC des exemplaires de documents d'identité lettons en temps de guerre. Il convient de faire remarquer, en ce qui concerne cette prétention, que M. Vitols a reconnu, dans la déclaration préparée par la GRC, qu'il avait informé les fonctionnaires canadiens du fait qu'il avait servi dans l'armée lettone; toutefois, dans sa déclaration, il n'a pas fait de commentaires sur l'importance de l'emploi de cette terminologie, par opposition à " police auxiliaire lettone ", à " Schuma 281 ", à " Waffen SS " ou à " armée allemande ".

[254]      Cette déclaration a été préparée par les agents de la GRC après leur première visite. Le défendeur en a pris connaissance en présence de son avocat puis l'a signée.

[255]      M. Vitols a déclaré qu'il avait été surpris de voir les agents de la GRC à sa porte en décembre 1994. Il a collaboré avec eux, mais s'est emmêlé dans certains détails après tant d'années. Selon la preuve des deux policiers, l'un d'eux a lu à haute voix ce qu'il a appelé les accusations au cours de l'entrevue menée avec le défendeur en décembre 1994. Il y avait six allégations. D'après l'aveu 105 de la demanderesse, que le défendeur accepte, l'un des agents de la GRC a lu à voix haute ce qu'il a appelé les allégations durant l'entrevue avec le défendeur en décembre 1994, et six allégations ont été lues à voix haute.

[256]      Selon moi, les six allégations proviennent du livre du KGB, même si la demanderesse ne reconnaît pas que ce livre en était la source. M. Vitols a nié les allégations. Il a parlé de son alibi, soit qu'il n'était pas entré dans la police avant le mois de septembre 1941, en réponse à l'allégation principale relative au mois d'août 1941. Il a affirmé qu'il connaissait l'accusation Smecere à cause du livre du KGB et que [traduction] " ici, nous considérons tous ces livres comme de la propagande communiste ". La GRC est retournée voir le défendeur le mois suivant et celui-ci a corrigé quelques-unes des erreurs contenues dans la déclaration qui avait été mise par écrit. Il existe d'autres preuves émanant de M. Vitols sur ce point et sur la divulgation de l'alibi (aux pages 1781 à 1783 et 1796 à 1799). Il existe une preuve émanant de la belle-fille, Ive Viksne, au sujet de la deuxième entrevue. Il existe également une preuve émanant de Mme Vitols.

[257]      Contrairement à l'accusation relative à Lake Lubana, l'aveu numéro 27 de la demanderesse précisait que le 281e bataillon de police n'avait jamais été envoyé dans la région de Lake Lubana.

[258]      Le défendeur a soutenu que la façon dont la GRC a décidé de traiter la question a consisté à garder les six allégations, au sujet desquelles les agents voulaient interroger le défendeur, pour le tout dernier document qu'ils lui ont présenté. Ils ont commencé avec deux documents qui, comme ils le savaient, l'impliquaient dans des mensonges, le premier étant son certificat de mariage qui précisait qu'en 1956 il était un célibataire par opposition à un veuf ou un divorcé. Le deuxième document qu'ils lui ont présenté était le formulaire français CM-1 en date du 8 avril 1948, qui contenait également des mensonges connus. La stratégie de la police, selon le défendeur, a consisté à le déstabiliser et à l'embrouiller, puis à lui soumettre les six allégations principales. Le caporal Robineau a concédé qu'après avoir effectué deux voyages en Lettonie en compagnie d'un avocat - voyages qui ont duré au total environ un mois et demi - au cours desquels il a interrogé des témoins, il a dû admettre devant la Cour qu'il n'y avait aucune preuve de complicité individuelle ou de criminalité de la part de Peter Vitols.

[259]      Les agents de la GRC ont montré à M. Vitols le certificat de mariage portant la mention " célibataire ". Même s'ils affirment que M. Vitols comprenait bien l'anglais et qu'ils n'ont pas eu besoin de l'interprète tout le temps, le caporal Robineau a admis que le document avait déconcerté M. Vitols parce qu'il croyait qu'il s'agissait d'un formulaire d'immigration dans lequel il avait faussement déclaré qu'il était célibataire afin d'être admis au Canada. Le défendeur soutient que les policiers n'ont jamais tenté de corriger cette méprise. En contre-interrogatoire, le caporal Robineau a déclaré qu'il avait tenté de le faire, mais que cette tentative n'a pas été traduite à l'intention de M. Vitols. De toute évidence, M. Vitols était mêlé, que ce soit à cause de son âge, de la peur ou d'une mauvaise compréhension de l'anglais. Le défendeur prétend que les policiers ont agi de propos délibéré. Je ne suis pas d'accord avec lui.

[260]      Le deuxième document que les policiers ont montré à M. Vitols se rapporte effectivement aux événements en question ou, du moins, à la période au cours de laquelle ces événements se sont produits. Il s'agit de la demande d'assistance soumise à l'OIR et rédigée en français. À la page 3 de la déclaration que la GRC a fait signer à M. Vitols, celui-ci mentionne erronément que ce document a été rempli en français au camp belge. Il est clair que cette méprise ne met pas en cause la GRC cette fois-ci; la GRC savait que le document ne provenait pas du camp belge, parce qu'elle l'avait étudié.

[261]      Contrairement à ce qui se fait en temps normal, les agents de la GRC n'ont pas mis leurs questions par écrit. Ils ont toutefois noté des parties des réponses. Mais comme l'affirme Fred Kaufman dans son ouvrage intitulé The Admissibility of Confessions, 2e éd. (Toronto: Carswell, 1974), à la page 88, [traduction] " [i]l est important de noter toutes les questions et toutes les réponses, et d'éviter la propension à ne consigner que la partie d'une déclaration qui est manifestement inculpatoire ". Malheureusement, ce n'est pas ce que les agents de la GRC ont fait.

[262]      Un avocat du ministère de la Justice avait expliqué aux agents de la GRC que si la personne s'incriminait, ils allaient devoir l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat. Comme M. Vitols ne s'est pas incriminé, ils n'ont pas eu besoin d'aller jusque-là. Les policiers ont proposé d'enregistrer l'entrevue. Il est tout simplement malheureux que M. Vitols ne se soit pas rendu compte que cet enregistrement aurait été le meilleur compte rendu de ce qui s'est effectivement dit au cours de la conversation à l'origine de la déclaration.

[263]      M. Vitols a reçu un avis juridique par la suite, c'est-à-dire lorsqu'il a signé la déclaration et qu'il y a apporté des corrections, mais à ce moment-là, le mal était fait. Selon le défendeur, la police l'a dupé et a abusé d'un vieil homme qui ne s'est pas montré assez prudent. Comme M. Vitols l'a également déclaré, son souvenir est nettement meilleur maintenant qu'il ne l'était alors, pour la simple raison qu'il a eu tout le temps voulu pour se préparer en vue de l'audition en l'espèce, qu'il a évidemment repensé aux événements et qu'il n'est plus mêlé et déstabilisé à l'idée terrifiante de voir des policiers arriver chez lui soudainement pour lui faire part d'allégations relatives à des événements qui remontaient à plus de trente ans à ce moment-là. À mon avis, cette entrevue était sérieusement dépourvue de garanties procédurales. Toutefois, bien que j'accorde peu d'importance à la déclaration, de toute façon, la déclaration n'ajoute rien d'important à la preuve qui m'a été soumise.

Résumé des allégations : Historique des procédures judiciaires

[264]      La demanderesse soutient qu'en dissimulant son passé dans le cadre des démarches qu'il a faites en vue d'immigrer, le défendeur a privé les autorités canadiennes des renseignements nécessaires pour prendre une décision valide et légale quant à l'opportunité de délivrer un visa d'immigrant au défendeur et de lui accorder la permission de s'établir au Canada.

[265]      En décembre 1995, le défendeur s'est vu signifier un avis, daté du 28 décembre 1995, visant à annuler sa citoyenneté. L'avant-dernière page est identique à l'avis soumis à la Cour, sauf pour deux changements cruciaux. L'allégation la plus grave était que le défendeur n'avait pas divulgué sa participation aux atrocités qui ont été commises contre la population civile. Dans des lettres en date du 24 janvier 1996, du 17 décembre 1996 et du 21 janvier 1997 qui ont été rédigées au nom du défendeur, on expliquait que cette allégation reposait sur la désinformation du KGB, et des arguments étaient invoqués au soutien des raisons pour lesquelles cette allégation ne pouvait pas être fondée. En décembre 1996, un nouvel avis a été signifié; l'allégation de complicité personnelle relativement à la perpétration des atrocités n'y figurait plus. C'est cet avis qui a été soumis à la Cour. L'expression [traduction] " haut fonctionnaire " avait été supprimée dans l'avis soumis à la Cour. L'expression [traduction ] " et votre participation à la perpétration des atrocités commises contre la population civile " avait également été supprimée. Les démarches de la demanderesse ne visent maintenant que l'appartenance de M. Vitols à des organisations criminelles.

Analyse

[266]      Le droit applicable à l'annulation de citoyenneté en l'espèce est régi par les dispositions de la Loi sur la citoyenneté qui étaient en vigueur au moment de l'introduction de la présente poursuite, c'est-à-dire le 25 février 1997. J'ai examiné les dispositions législatives et la jurisprudence pertinentes à cet égard, telles qu'elles sont exposées dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1997), 136 F.T.R. 40, (1997) 41 Imm. L.R. (2d) 147 (Bogutin). J'adopte le cadre juridique exposé dans cette décision.

[267]      La norme de preuve applicable en matière d'annulation de citoyenneté est la norme civile, c'est-à-dire la prépondérance des probabilités. Je dois décider si M. Vitols a été légalement admis au Canada pour y obtenir la résidence permanente par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, et si cette admission lui a par la suite permis d'obtenir la citoyenneté. Ainsi que je l'ai déclaré dans l'affaire Bogutin, précitée, vu la gravité des allégations dans des affaires impliquant une complicité dans la perpétration de crimes contre l'humanité, il faut examiner la preuve avec beaucoup de prudence.

[268]      Il existe une distinction importante entre l'espèce et l'affaire Bogutin en ce qui touche la thèse de la demanderesse. En l'espèce, la ministre ne cherche pas à prouver que M. Vitols a pris part à la perpétration d'atrocités contre la population civile. La thèse de la ministre repose sur l'appartenance de M. Vitols à des organisations criminelles. Malgré cette concession, l'avocate de la ministre a parfois cherché à me faire tirer d'autres conclusions.

[269]      Je tire les conclusions suivantes après avoir examiné la preuve pertinente en l'espèce. En examinant cette preuve, j'ai tenu compte du fait que les témoins étaient généralement âgés et ont déposé au sujet d'événements qui se sont produits il y a au moins quarante ou cinquante ans.

[270]      La preuve de M. Vitols m'a paru crédible en général. J'ai examiné la partie essentielle de sa preuve que je n'ai pas trouvée crédible. Pour évaluer la crédibilité de M. Vitols, j'ai pris note du nombre de témoins de moralité, principalement d'origine lettone, qui ont témoigné de son honnêteté depuis qu'il vit au Canada.

[271]      Je conclus que M. Vitols a travaillé comme employé de bureau pour la police auxiliaire de Madona, après s'être porté volontaire pour une période de six mois en septembre 1941. Il a signé un deuxième contrat de six mois en 1942 et est devenu un inspecteur des prix. Je conclus qu'à l'automne 1942, il était responsable du groupe de réserve de la police auxiliaire, connu sous le nom de groupe C, mis sur pied par la police du maintien de l'ordre allemande dans le district de Madona. À mon avis, dans les circonstances, toutefois, il n'était pas un volontaire le 1er septembre 1942.

[272]      Au début de 1943, il est entré dans le 281e bataillon de la Schutzmannschaft (bataillon de police auxiliaire letton) et a ensuite fait partie du 277e bataillon de police en avril 1943.

[273]      À l'automne 1944, il est entré dans la légion lettone ou Waffen SS. Le 2 mai 1945, M. Vitols s'est rendu aux Britanniques et a été un prisonnier de guerre jusqu'au 27 mars 1946. Il a ensuite passé la majeure partie des quatre années suivantes dans des camps de personnes déplacées.

[274]      Je conclus que le Canada avait des formalités d'immigration normales qui ont été mises en application dans les camps de personnes déplacées situés en Europe au cours de la période pertinente où M. Vitols a demandé à l'OIR d'être réinstallé au Canada. Ces formalités comprenaient la présentation d'un formulaire de demande d'immigration au Canada, un contrôle sécuritaire par un contrôleur des visas à l'emploi de la GRC, un examen médical et des entrevues avec le contrôleur des visas et un agent d'immigration. L'objet principal de ces formalités, en particulier le contrôle sécuritaire, était de déterminer si la personne déplacée appartenait à l'une des catégories de personnes exclues, comme les " collaborateurs qui résident actuellement dans un territoire ayant déjà été occupé ". Les personnes appartenant à ces catégories n'étaient pas admises au Canada.

[275]      Je conclus que M. Vitols a franchi ces étapes. Il se peut qu'il n'ait pas été interrogé par un contrôleur des visas, bien que le fait qu'il se souvienne d'avoir été interrogé au sujet du tatouage du groupe sanguin SS permette de croire qu'il l'a été. Si c'est le cas, je trouve curieux que la preuve révèle les noms de l'agent d'immigration et du médecin qui ont vu M. Vitols, mais ne précise pas l'identité du contrôleur des visas.

[276]      La thèse de la demanderesse repose sur la supposition que la divulgation de l'appartenance de M. Vitols à l'armée lettone ou Waffen SS aurait empêché celui-ci d'entrer au Canada; en d'autres termes, comme le système excluait uniformément les gens ayant les mêmes antécédents en temps de guerre que M. Vitols, son admission au Canada a été obtenue par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Un certain nombre de facteurs m'empêchent de tirer cette conclusion. Tous les contrôleurs des visas interprétaient l'appartenance à l'armée lettone comme l'appartenance à la Waffen SS. M. Keelan, et peut-être d'autres contrôleurs des visas ou agents de la GRC qui se trouvaient sur le terrain à l'époque pertinente, a interprété la catégorie k) des critères de contrôle sécuritaire comme dispensant des formalités de contrôle les collaborateurs éventuels qui résidaient en Allemagne au moment de leur entrevue. Ainsi que la demanderesse l'a reconnu au numéro 74 de sa réponse à l'Avis demandant d'admettre des faits du défendeur, [traduction] " le formulaire d'immigration en usage au moment où le défendeur a été interrogé par l'Immigration canadienne ne contenait aucune question sur les activités en temps de guerre ". Comme il n'y avait pas de procédure uniforme en ce qui a trait au rejet des collaborateurs, il est donc vraisemblable que la divulgation par M. Vitols de son appartenance à l'armée lettone n'aurait pas entraîné son exclusion du Canada.

[277]      D'une manière plus générale, il existe également des éléments de preuve selon lesquels l'avènement de la guerre froide a fait en sorte que les membres de la GRC se sont souciés davantage d'arrêter des communistes que d'arrêter des personnes ayant peut-être collaboré avec l'ennemi durant la guerre. Au moment où M. Vitols a demandé à entrer au Canada, c'est l'Union soviétique, pas l'Allemagne, qui était l'ennemi du Canada; or M. Vitols, en tant que nationaliste letton, avait combattu avec les Allemands contre les anciens occupants soviétiques de la Lettonie. Sans doute qu'on se serait montré indulgent envers un nationaliste letton qui s'était battu contre les occupants soviétiques de son pays et qui craignait un " rapatriement ". Dans ce contexte, on ne saurait affirmer que la divulgation de l'appartenance d'une personne à l'armée lettone ou Waffen SS aurait nécessité l'exclusion de cette personne du Canada.

[278]      Il existe également des éléments de preuve selon lesquels la politique canadienne en matière d'immigration s'est considérablement assouplie en 1947 parce que le pays avait besoin d'un plus grand nombre de travailleurs. La demanderesse admet que les Estoniens et les Lettons étaient considérés comme des immigrants qui avaient de fortes chances de s'intégrer harmonieusement à la société canadienne.

[279]      Ces facteurs ressortent de documents de l'époque portant sur la sécurité du Canada. En particulier, ainsi qu'il a été mentionné, dans une note en date du 30 avril 1952 que le secrétaire du Conseil de sécurité, M. Dwyer, a envoyée au Conseil de sécurité, il est précisé dans la dernière phrase du paragraphe 10 que " [l]'actuelle politique de sécurité en matière d'immigration interdit l'immigration des collaborateurs, mais les cas ont jusqu'à maintenant été examinés en fonction de leurs avantages et de leurs inconvénients individuels ". On précisait également que [traduction ] " [l]a politique en vigueur en ce qui concerne les anciens membres de la Waffen SS prévoit que les membres non-Allemands [...] qui y sont entrés après le 1er janvier 1943 devaient convaincre le responsable de la sécurité qu'ils avaient été conscrits et ne s'étaient pas enrôlés volontairement ". Par conséquent, avant 1952, année où le terme " collaborateur " a été officiellement défini et restreint par la GRC, les membres individuels exerçaient leur pouvoir discrétionnaire d'examiner les circonstances particulières des officiers non-allemands de la Waffen SS . Il est vraisemblable que les responsables canadiens du contrôle de sécurité ont adopté le point de vue que M. Vitols a été obligé d'entrer dans la Waffen SS vu le décret de conscription du 17 novembre 1943.

[280]      Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait conclure qu'un système uniforme était en place, dans les faits, de sorte que la personne qui aurait divulgué son appartenance à l'armée lettone ou Waffen SS aurait été dans l'impossibilité d'entrer au Canada. Par conséquent, on ne saurait déduire de l'entrée de M. Vitols au Canada qu'il a été admis par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[281]      Outre le défaut fondamental de la demanderesse de s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait, je conclus que M. Vitols était digne de foi lorsqu'il a dit qu'il avait divulgué son appartenance à l'armée lettone aux autorités canadiennes. En dépit du fait que la politique officielle du Canada empêchait l'entrée de telles personnes au Canada, la preuve montre que, en pratique, l'admission de ces personnes au Canada était laissée à la discrétion des contrôleurs des visas. Selon la preuve, il semblerait que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé en faveur de M. Vitols.

[282]      M. Vitols n'a jamais menti au sujet de son nom et de sa date ou de son lieu de naissance. C'est un point capital, étant donné que, selon MM. Cliffe et Kelly, ces renseignements permettaient à des sources de renseignement britanniques et à des sources de contre-espionnage américaines d'effectuer des contrôles sécuritaires au sujet des personnes qui se trouvaient dans des camps de personnes déplacées avant l'entrevue de sélection menée par le Canada. Il est douteux que M. Vitols ait régulièrement fourni des renseignements essentiels qui permettaient à des sources de renseignement de découvrir ses antécédents, mais ait dissimulé aux autorités canadiennes son appartenance à l'armée lettone. Le seul moment important où il a nié avoir appartenu à la Waffen SS, c'est lors de son entrevue au camp de personnes déplacées à Fulda.

[283]      Je ne suis pas convaincu que le formulaire CM-1 que l'OIR a rempli pour M. Vitols a été soumis au contrôleur des visas. Les renseignements inexacts ou trompeurs qui figurent sur ce formulaire concernant M. Vitols n'ont donc pas pu avoir joué un rôle dans la décision de l'admettre au Canada. Même si le formulaire avait été soumis au contrôleur des visas, il est difficile de comprendre comment le frère de M. Vitols, qui a été expulsé du camp de personnes déplacées, aurait pu être admis au Canada en même temps que M. Vitols, étant donné que le formulaire de ce frère aurait mentionné qu'il avait été expulsé du camp de personnes déplacées parce qu'il avait appartenu à la Waffen SS.

[284]      Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que la ministre n'a pas prouvé que M. Vitols a menti sur des faits essentiels lorsqu'il est entré au Canada. Compte tenu de la preuve relative à la façon dont les contrôleurs des visas procédaient à l'époque, il n'y a pas lieu de croire qu'on a posé des questions à M. Vitols au sujet de ses activités antérieures comme membre de la force de police de l'occupant allemand durant la guerre.

[285]      En ce qui concerne cette dernière conclusion, et puisque j'ai conclu que le contrôleur des visas aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire d'une manière favorable à M. Vitols suivant l'interprétation du terme collaborateur, je conclus que M. Vitols n'a pas été admis au Canada en vue d'y obtenir la résidence permanente par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels contrairement à la Loi sur la citoyenneté.

[286]      S'agissant du présent renvoi, je conclus que M. Vitols n'a pas obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[287]      Étant donné ma conclusion, il est inutile de décider s'il a été un collaborateur dans un autre sens que celui qui est prévu à la catégorie k) des critères en matière de contrôle sécuritaire. Par conséquent, je ne me prononce pas sur cette question.


[288]      Les parties peuvent s'adresser à moi au sujet des dépens, si nécessaire.

                                 (S) " William P. McKeown "                                          Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 23 septembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Annexe

     APPAREIL POLICIER/SS

Reich allemand

     Führer et chancelier du Reich

     Adolf Hitler

     Chef suprême de la SS et chef de la police allemande

     Heinrich Himmler

     Police du maintien de l'ordre                  Police de sûreté et SD
     Bureau central SS                      Bureau central SS de la sécurité du Reich
     (Ordnungspolizei)                      (RSHA)
     Daluege                          Heydrich

                 Direction #1      Direction #2      Direction #3      Direction #4      Direction #5      Direction #6

                                     Service des      Gestapo          Police          Service des

                                     renseignements                  criminelle      renseignements

                                     intérieurs                              étrangers

                                     SD-intérieur                          SD-extérieur

Commissariat du Reich

     Chef supérieur de la SS et de la police (HSSPF)

     Prützmann/Jeckeln

     Commandant général de la                                  Commandant général de la police de sûreté

     police du maintien de l'ordre                                  et du service de sécurité (BdS)

     (BdO)                                          Stahlecker/Jost

     Jedicke                                          (même répartition de directions)

Commissariat général

Lettonie

     Chef de la SS et de la police (SSPF)

     Schroeder

     Commandant de la police du                                  Commandant de la police de sûreté et

     maintien de l'ordre (KdO)                                  du service de sécurité (KdS)

     Flick/Knecht                                      Lange

                                             (même répartition de directions)

Bataillons de police          Commandant de la police          Commandant de la                      Police de sûreté

lettons              de protection (municipal)          gendarmerie (rural)                      auxiliaire lettone                      (KdSchupo)                  KdGen Rehberg                      (Commandement Arajs)

                                             Antennes de police de sûreté

Commissariat de district

         Chef de district                  Chef de district de la SS

         de la Gendarmerie                  et de la police

                 titulaires des postes

             Ried (Valmiera) et ses successeurs

         DISTRICT DE MADONA              CHEF DE LA POLICE DE DISTRICT

                     Reineke

     1. Poste de police          2.      Poste de police          3. Poste de police

         Madona              Gulbene

         Sprogis                  Briedis

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-310-97

INTITULÉ :                          MCI

                             c.

                             Peteris (Peter) Arvids Vitols

MOTIFS DE LA DÉCISION DU JUGE MCKEOWN

en date du 23 septembre 1998

COMPARUTIONS :

     Roslyn Levine, c.r., et                      au nom de la demanderesse

     Diane Dagenais

     Min. de la Justice

     2 First Canadian Place

     Suite 3400, Exchange Tower, Box 36

     Toronto (Ontario)

     M5X 1K6

     Donald Powell et                          au nom du défendeur

     Harold Otto

     Avocats

     Suite 1509

     180 Dundas Street West

     Toronto (Ontario)

     M5G 1Z8

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Morris Rosenberg                          au nom de la demanderesse

     Sous-procureur général

     du Canada

     Donald Powell et                          au nom du défendeur

     Harold Otto

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