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Date : 20000127

Dossier : IMM-1868-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 27 JANVIER 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CULLEN

ENTRE :

LASLONE LINTNER

(alias Irina Kalachnikova)

                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                                 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                défendeur

                                                                                                           

ORDONNANCE

SUITE à une demande de contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas attachée à l'ambassade du Canada à Bucarest (Roumanie) rejetant la demande de visa de la demanderesse à titre de visiteuse;

LA COUR STATUE : la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

B. Cullen               

J.C.F.C                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 20000127

Dossier : IMM-1868-99

ENTRE :

LASLONE LINTNER

(alias Irina Kalachnikova)

                                                                                                                              demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                             défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CULLEN

Introduction

[1]         La demanderesse réclame le contrôle judiciaire de la décision d'une agente des visas attachée à l'ambassade du Canada à Bucarest (Roumanie), rejetant sa demande de visa à titre de visiteuse. Elle demande à la Cour d'annuler par voie d'ordonnance la décision de l'agente des visas et d'instruire la Section des visas de l'ambassade d'approuver sa demande de visa à titre de visiteuse pour elle et sa fille.


Les faits

[2]         La demanderesse, citoyenne de la République de Moldova, a passé une entrevue avec une agente des visas au sujet de sa demande de visa à titre de visiteuse. L'agente a conclu que la demanderesse ne l'a pas convaincue qu'elle souhaitait se rendre temporairement au Canada et qu'elle en repartirait à la fin de son séjour. Dans la lettre formulaire de refus datée du 10 décembre 1998, les cases correspondant aux raisons suivantes ont été cochées comme justification du rejet de la demande :

            [TRADUCTION]

Vous n'avez pas convaincu l'agente des visas que les liens que vous avez avec votre pays de résidence suffisent à garantir que vous y retournerez.

Vous n'avez pas convaincu l'agente des visas que vous seriez disposée et prête à retourner dans votre pays de résidence après votre visite au Canada..

Vous êtes actuellement sans emploi.

Vous n'avez pas fourni une raison crédible ou convaincante qui justifie votre visite au Canada.

[3]         La demanderesse a indiqué dans sa demande qu'elle souhaitait se rendre au Canada [TRADUCTION] « pour voir mon ami et mon frère à [Noël] » [1].    Son frère, établi au Canada, demeure à Ottawa. L'ami à qui elle voulait rendre visite habite Terre-Neuve. Elle a également déclaré dans sa demande qu'elle était déjà venue au Canada et avait reçu l'ordre de partir. L'entrevue a révélé qu'en 1992 elle avait présenté une demande pour obtenir le statut de réfugiée. Cette demande a été rejetée et une mesure de renvoi conditionnel a été automatiquement prise à son endroit. (Elle a déclaré plus tard qu'elle a quitté le Canada de son propre gré et n'a pas été expulsée.)


[4]       Interrogée au sujet sa relation avec son ami de Terre-Neuve, M. Murphy, elle a déclaré l'avoir rencontré au Canada en 1994 et en être tombée amoureuse. L'agente des visas lui ayant demandé pourquoi elle n'avait pas demandé un visa d'immigration catégorie famille pour rejoindre son ami, elle a répondu qu'elle ne l'a pas fait parce que celui-ci était encore marié. Elle ne savait pas de façon certaine s'il avait divorcé ou non.

[5]         L'entrevue a également révélé que le père de l'enfant mineur de la demanderesse vit au Canada.

Questions en litige

[6]         La demanderesse prétend que l'agente des visas a commis une erreur de fait ou de droit:

en interprétant les faits arbitrairement ou sans égard aux documents qui lui ont été soumis pour conclure que la relation qu'elle avait avec M. Murphy était celle de deux fiancés et qu'elle ne retournerait pas en Moldova;

en ne respectant pas les règles de justice naturelle lorsqu'elle a conclu arbitrairement que les raisons invoquées par la demanderesse pour rendre visite à son frère et à son ami n'étaient [TRADUCTION] « ni crédibles ni convaincantes » ;

en tenant compte de facteurs qui n'étaient pas pertinents dans le contexte de la décision (Aucune preuve ne s'y rapportait.);

en ne tenant pas compte de la raison crédible et convaincante qu'avait la demanderesse de visiter le Canada. (Cette question est soulevée dans le Dossier supplémentaire de la demanderesse.)

Analyse


[7]         En vertu de l'article 8 de la Loi sur l'immigration[2] et du Règlement, il incombe à quiconque veut obtenir un visa de visiteur de prouver que son admission ne contrevient pas à la Loi ni au Règlement et qu'il n'est pas un immigrant. Les dispositions les plus pertinentes de la Loi sont les suivantes :

"Visitor" means a person who is lawfully in Canada, or seeks to come into Canada, for a temporary purpose, other than a person who is

(a) a Canadian citizen,

(b) a permanent resident,

(c) a person in possession of a permit, or

(d) an immigrant authorized to come into Canada pursuant to paragraph 14(2)(b), 23(1)(b) or 32(3)(b).

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.

(2) Every person seeking to come into Canada shall be presumed to be an immigrant until that person satisfies the immigration officer examining him or the adjudicator presiding at his inquiry that he is not an immigrant.

14(3) Where an immigration officer is satisfied that it would not be contrary to this act or the regulations to grant entry to a visitor whom the officer may grant entry to that visitor and impose terms and conditions of a prescribed nature.

« Visiteur » Personne qui, à titre temporaire, se trouve légalement au Canada ou cherche à y entrer, à l'exclusion :

(a) des citoyens canadiens;

(b) des résidents permanents;

(c) des titulaires de permis;

(d) des immigrants visés aux alinéas 14(2)b), 23(1)b) ou 32(3)b).

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

(2) Quiconque cherche à entrer au Canada est présumé être immigrant tant qu'il n'a pas convaincu du contraire l'agent d'immigration qui l'interroge ou l'arbitre qui mène l'enquête.

14(3) L'agent d'immigration qui est convaincu, après interrogatoire d'un visiteur, que l'octroi de l'autorisation de séjour ne conviendrait pas, dans son cas, à la présente loi ni à ses règlements peut la lui accorder en l'assortissant éventuellement de conditions réglementaires.


Du Règlement sur l'immigration, 1978[3] :

13. (1) A visitor who is a person referred to in Schedule II is not required to make an application for and obtain a visa before he appears at a port of entry.

(2) A visa officer may issue a visitor's visa to any person who meets the requirements of the Act and these Regulations if that person establishes to the satisfaction of the visa officer that he will be able

(a) to return to the country from which he seeks to come to Canada; or

(b) to go from Canada to some other country.

(3) A diplomatic or consular officer of Canada may, while he is outside Canada, issue a visa to any person who in Canada may be granted privileges or immunities in accordance with the law of Canada as a representative or official of a foreign government or international organization.

(4) Every visitor who is required to obtain a visa, student authorization or employment authorization before he appears at a port of entry shall be in possession of a valid visa, student authorization or employment authorization, as the case may be, when he appears at a port of entry.

13. (1) Un visiteur visé à l'annexe II n'est pas tenu de présenter une demande de visa ou d'obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

(2) L'agent des visas peut délivrer un visa de visiteur à toute personne qui satisfait aux exigences de la Loi et du présent règlement, si cette personne prouve, d'une façon jugée satisfaisante par l'agent des visas, qu'elle pourra

(a) retourner dans le pays d'où elle sollicite l'admission au Canada; ou

(b) se rendre dans un autre pays.

(3) Un agent diplomatique ou un fonctionnaire consulaire du Canada peut, pendant qu'il se trouve à l'extérieur du Canada, délivrer un visa à toute personne qui, au Canada, peut se voir accorder les privilèges et immunités conformément à la loi du Canada à titre de représentant ou de fonctionnaire d'un gouvernement étranger ou d'une organisation internationale.

(4) Tout visiteur qui est tenu d'obtenir un visa, une autorisation d'étude ou une autorisation d'emploi avant de se présenter à un point d'entrée doit être en possession, lorsqu'il s'y présente, d'un visa, d'une autorisation d'étude ou d'une autorisation d'emploi valides, selon le cas.

Norme de contrôle


[8]         À mon avis, les points en litige portent principalement sur des questions de fait et sur des questions mixtes de fait et de droit. Étant donné que le paragraphe 13(2) du Règlement sur l'immigration prévoit que l'agent des visas peut délivrer un visa de visiteur dans certaines circonstances, sa décision est discrétionnaire. Suite aux jugements rendus dans Baker[4]et Pushpanathan[5], la norme de contrôle de telles décisions discrétionnaires est celle de la décision raisonnable. Pour de simples conclusions de fait, la même norme s'applique à mon avis[6].

[9]         La demanderesse allègue que l'agente des visas a commis une erreur en se livrant arbitrairement à des conclusions de fait qui ne sont pas étayées par les documents présentés et en tirant aussi des conclusions sur la nature des relations qui l'unissent à M. Murphy. L'agente des visas a déclaré dans son affidavit et au cours du contre-interrogatoire y afférent, que son refus de délivrer le visa était motivé par le fait que les liens de la demanderesse avec son pays de résidence étaient insuffisants, qu'elle n'entretenait pas de relations étroites avec ses parents et qu'elle n'avait pas d'emploi. L'intéressée a répliqué qu'elle était tombée amoureuse de M. Murphy alors qu'elle se trouvait au Canada et réclamait le statut de réfugiée. L'état actuel de ses relations sentimentales avec M. Murphy n'a fait l'objet d'aucune mention ou question. Elle prétend que l'agente des visas a conclu qu'elle et M. Murphy étaient fiancés, mais rien dans le dossier ne vient corroborer cette allégation. À mon avis, les éléments de preuve fournis à la décisionnaire suffisent à conforter ses conclusions. Une lecture attentive des observations ne révèle aucun élément d'irrationalité sous-jacent ni prise en compte d'une preuve non pertinente. L'état des relations entre la demanderesse et M. Murphy est pertinent quant au devoir de l'agente des visas de s'assurer que la demanderesse a l'intention de quitter le Canada à la fin de son séjour. Ses relations avec sa famille, sa précédente tentative d'immigrer et son statut professionnel sont probants quant aux liens qui l'unissent à son pays de résidence, ce qui est également pertinent quant aux intentions de la demanderesse de quitter le Canada à l'expiration de son visa, s'il lui était accordé.


[10]        La demanderesse soutient en outre que l'agente des visas a enfreint les principes de justice naturelle en concluant de façon arbitraire que les raisons invoquées pour justifier sa visite au Canada n'étaient [TRADUCTION] « ni crédibles ni convaincantes » . Dans la lettre formulaire qu'elle a reçue on avait coché la raison suivante : [TRADUCTION] « Vous n'avez pas fourni une raison crédible ou convaincante qui justifie votre visite au Canada. » La demanderesse soutient qu'il suffit, pour satisfaire à cette exigence, d'invoquer une raison qui soit ou crédible ou convaincante. Autrement dit, la case jouxtant cette raison n'aurait pas dû être cochée. L'agente des visas a admis que les raisons invoquées étaient crédibles, mais non convaincantes. Le défendeur répond que la case a été cochée par l'agente des visas qui a conclu de bonne foi qu'il fallait le faire si la raison invoquée n'était pas convaincante ou n'était pas crédible. Néanmoins, allègue-t-il, l'agente des visas avait déjà conclu qu'il était peu probable que la requérante quitte le Canada au terme de sa visite et une erreur sur ce point dans le formulaire n'aurait pas modifié la décision. À mon avis, le défendeur a raison et une interprétation fautive de cette phrase ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

[11]       Lors de l'argumentation, la demanderesse a présenté des observations sur la pertinence de sa situation en fait d'emploi quant à la décision de lui accorder ou non un visa. Prétendre que cet examen exclurait du même coup les touristes à la retraite ou les étudiants est absurde, à mon avis. Que la demanderesse ait un emploi ou non n'est qu'un facteur parmi beaucoup d'autres. Son statut professionnel constitue un élément de preuve dans la réponse à l'importante question de savoir si elle a l'intention de quitter le Canada à l'expiration de son visa. Elle a également soutenu que d'autres facteurs pris en compte par l'agente des visas étaient hors de propos et, partant, ont entaché la décision. Les relations de l'intéressée avec ses parents et avec M. Murphy, au Canada, sont clairement pertinentes pour le même motif. Que la demanderesse n'ait aucune raison de retourner dans son pays de résidence (emploi ou famille, par exemple) ou qu'elle soit tentée de rester au Canada pour poursuivre une relation, sont des éléments qui entrent évidemment en ligne de compte.


Conclusion

[12]       À mon avis, les éléments de preuve au dossier justifient amplement la décision de l'agente des visas. On ne saurait dire que cette décision est irrationnelle ou non fondée sur les faits dont l'agente était saisie. La délivrance d'un visa de visiteur est laissée à la discrétion de l'agent des visas dont la décision doit être raisonnable, ce qui, à mon avis, était bien le cas en l'occurrence.

Décision

[13]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Ottawa (Ontario)                                                                                               B. Cullen         

27 janvier 2000                                                                                                                                    

J.C.F.C                   

Traduction certifiée conforme.

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                   IMM-1868-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                LASLONE LINTNER c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                                    12 JANVIER 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                            le juge Cullen

EN DATE DU :                                                                       27 janvier 2000

ONT COMPARU

M. Emilio Binavince                                                              pour la demanderesse

M. Greg Moore                                                                      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Binavince Smith                                                                    pour la demanderesse

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]            Page 7 du dossier du défendeur.

[2]            L.R.C. (1985), ch. I-2.

[3]            DORS/78-172.

[4]            Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no. 39; (1999) 174 D.L.R (4th) 193.

[5]            Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[6]            La demanderesse cite la cause Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 69 F.T.R. 142 (1re inst.) et conclut que la norme applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable.

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