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Date : 20210803


Dossier : T‑938‑19

Référence : 2021 CF 812

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 août 2021

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

4431472 CANADA INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, 4431472 Canada Inc. [443 Inc.], demande le contrôle judiciaire de la décision du 7 mai 2019 par laquelle le ministre du Revenu national [le ministre] a confirmé sa décision de ne pas procéder au traitement des déclarations de revenus modifiées produites par 443 Inc. relativement à ses années d’imposition 2008 à 2011 [la décision contestée].

[2] En bref, j’estime que la décision contestée manque de clarté et qu’elle se prête à deux interprétations diamétralement opposées en ce qui concerne la question fondamentale qui oppose les parties. Il s’ensuit que la décision est inintelligible et doit être annulée au motif qu’elle est déraisonnable. En conséquence, je fais droit à la présente demande.

II. Les faits

[3] Irving Ludmer est le directeur et l’unique actionnaire de 443 Inc., une société de portefeuille n’ayant aucune entreprise en exploitation. 443 Inc. est l’une des bénéficiaires de la fiducie Thames, une fiducie discrétionnaire constituée en 2007 sous le régime des lois de l’Alberta [la fiducie Thames]. Depuis sa création, la fiducie Thames a reçu des versements importants de GAM Ltd, une société établie aux Bermudes, puis a procédé à la distribution des biens de la fiducie, entre autres à 443 Inc.

[4] Depuis au moins 2009, M. Ludmer et des entités qui lui sont liées ont un différend avec l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] concernant les obligations fiscales de M. Ludmer au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [la LIR]. Ce conflit a donné lieu à des litiges devant la Cour canadienne de l’impôt [la CCI] et devant notre Cour. La situation est devenue si ardue et frustrante pour M. Ludmer que, le 5 mars 2013, M. Ludmer, 443 Inc. et plusieurs autres sociétés (détenues et contrôlées par lui ou par des membres de sa famille immédiate) ont intenté devant la Cour supérieure du Québec une action en dommages‑intérêts contre l’ARC et le ministre, au motif que l’ARC s’était livrée à des pratiques de vérification abusives et avait appliqué des régimes fiscaux inventés aux placements des demandeurs dans une entité liée, dans le but de leur imposer une obligation fiscale et des pénalités [l’action en dommages-intérêts]. Au final, les demandeurs, y compris M. Ludmer et 443 Inc., se sont vu accorder plus de 4,8 millions de dollars en dommages‑intérêts, plus les intérêts et les dépens (Ludmer v Attorney General of Canada, 2018 QCCS 3381; appel rejeté, Ludmer v Attorney General of Canada, 2020 QCCA 697; autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, Irving Ludmer, et al. c Procureur général du Canada, et al., 2021 CanLII 15593 (CSC)).

[5] La présente demande de contrôle judiciaire s’inscrit dans le contexte des vérifications effectuées par l’ARC et des nouvelles cotisations que cette dernière a établies à l’égard de plusieurs contribuables ayant des liens entre eux, dont M. Ludmer, 443 Inc. et la fiducie Thames, relativement à des versements provenant d’entités étrangères, dont GAM Ltd et Sandringham Limited, une société constituée en vertu des lois des Bermudes et contrôlée, entre autres, par M. Ludmer par l’entremise d’une société de portefeuille étrangère et d’une fiducie étrangère [Sandringham Ltd]. Pour faciliter la compréhension, j’inclus ci‑dessous un diagramme représentant les liens entre les différents contribuables :

[6] De 2007 à 2015, la fiducie Thames a reçu des versements réguliers de GAM Ltd totalisant 23 008 238 $ [les versements reçus par la fiducie Thames] et, de 2008 à 2011 ainsi qu’en 2014 et 2015, elle a fait des distributions à ses bénéficiaires, dont 443 Inc., totalisant 17 629 808 $ [les distributions].

[7] Pour les années d’imposition 2008 à 2011, 443 Inc. a produit des déclarations de revenus T2 dans lesquelles elle a déclaré comme revenu imposable les distributions qu’elle avait reçues. Le ministre a établi la cotisation de 443 Inc. conformément à la position adoptée par celle-ci au moment de la production de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition en cause. 443 Inc. ne s’est jamais opposée aux cotisations initiales en vertu du paragraphe 165(1) de la LIR. Toutefois, 443 Inc. affirme qu’elle a découvert en novembre 2010 que les distributions avaient été mal qualifiées et qu’elles auraient dû être traitées comme des versements volontaires non imposables, ce qui a une incidence sur l’assujettissement des distributions à l’impôt.

[8] Par conséquent, en avril 2011, 443 Inc. a déposé des demandes de remboursement ainsi que des déclarations de revenus T2 modifiées pour les années d’imposition 2008 à 2010, faisant valoir que les versements reçus par la fiducie Thames ne constituaient pas un revenu tiré d’une source au sens de la LIR. Les déclarations modifiées ne faisaient état d’aucun revenu imposable découlant des distributions reçues par 443 Inc. au cours de cette période.

[9] En ce qui concerne l’année d’imposition 2011, comme 443 Inc. n’avait pas reçu de réponse du ministre au sujet de ses déclarations modifiées pour les années d’imposition 2008 à 2010, elle a – par excès de prudence selon elle – déclaré comme revenu imposable les distributions reçues en 2011 et, en juin 2012, elle a déposé une demande de remboursement accompagnée d’une déclaration de revenus modifiée.

[10] J’emploierai le terme « déclarations modifiées » pour désigner l’ensemble des déclarations modifiées pour les années d’imposition 2008 à 2011. Les remboursements demandés par 443 Inc. au moyen des déclarations modifiées, à l’exclusion des intérêts, totalisent 2 788 035 $.

[11] En 2012, le ministre a entamé une vérification de Sandringham Ltd [la vérification de Sandringham] relativement à des versements similaires qu’elle avait reçus de GAM Ltd [les versements reçus par Sandringham] jusqu’en 2007. Après cette date, la structure a été « canadianisée », grâce à la création de la fiducie Thames, qui a reçu les versements provenant de GAM Ltd à partir de 2008; 443 Inc. a continué à recevoir des distributions – initialement par l’entremise de Sandringham Ltd, puis, à partir de 2008, par l’entremise de la fiducie Thames. Dans le contexte de cette vérification, le ministre a examiné la question de savoir si les versements reçus par Sandringham constituaient un revenu qui pouvait être attribué à une fiducie non-résidente ou s’ils étaient assujettis à l’impôt au Canada.

[12] Je comprends que les années d’imposition 2012 et 2013 ne sont pas en cause. Pour les années d’imposition 2014 et 2015, 443 Inc. a produit ses déclarations de revenus en tenant pour acquis que les distributions ne constituaient pas un revenu tiré d’une source et qu’elles n’étaient par conséquent pas imposables. Le ministre a plus tard établi une nouvelle cotisation à l’égard de 443 Inc. pour ces deux années d’imposition, au motif que les distributions constituaient un revenu imposable. 443 Inc. a produit des avis d’opposition. À la date de l’audience, 443 Inc. n’avait pas interjeté appel devant la CCI.

[13] De toute évidence, la vérification de Sandringham et celle de M. Ludmer, ainsi que les affaires en cours concernant la fiducie Thames et 443 Inc., sont interreliées. La question commune est de savoir si les versements reçus par Sandringham et les versements reçus par la fiducie Thames constituent un revenu et, le cas échéant, s’ils sont imposables entre les mains de 443 Inc. ou de M. Ludmer [la question commune].

[14] S’agissant de M. Ludmer, après avoir fait l’objet de nouvelles cotisations, établies le 31 août 2018, pour avoir omis d’inclure les versements provenant de GAM Ltd dans son revenu pour les années d’imposition 1995 à 2015 (sur le fondement de ce qu’on a appelé la « thèse de l’imposition entre les mains du directeur »), il a interjeté appel devant la CCI. Je comprends que le résultat de cet appel devrait contribuer à déterminer la validité de la position fiscale adoptée par l’ARC dans le cadre de la vérification de Sandringham ainsi que les autres questions concernant les contribuables liés, y compris 443 Inc.

[15] Ainsi, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce porte essentiellement sur la façon dont le ministre a traité les déclarations modifiées pour les années d’imposition 2008 à 2011.

[16] De 2012 à 2014, 443 Inc. a effectué un suivi régulier auprès du ministre relativement à ses demandes de remboursement pour les années d’imposition 2008 à 2011, et elle est allée jusqu’à soumettre une opinion d’un ancien juge en chef de la CCI portant que les versements reçus par la fiducie Thames constituaient des rentrées de capital (versements volontaires) non imposables, qu’ils n’étaient pas considérés comme un revenu tiré d’une source et qu’il n’avaient donc pas la [traduction] « qualité de revenu ». Sachant que l’examen des déclarations modifiées nécessitait que la question de l’assujettissement à l’impôt des versements reçus par la fiducie Thames et la vérification connexe et en cours de Sandringham soient analysées, je me contenterai de dire que le ministre n’a pas répondu de façon directe et opportune aux demandes de remboursement de 443 Inc. et n’a pas non plus établi d’avis de nouvelle cotisation à l’égard de 443 Inc. pour les années d’imposition 2008 à 2011. Entre-temps, soit en mars 2013, l’action en dommages-intérêts a été intentée.

[17] Le 16 mai 2014, l’ARC a envoyé une lettre de proposition à M. Ludmer dans laquelle elle a affirmé que les versements reçus par Sandringham, et par la suite les versements reçus par la fiducie Thames, devaient être considérés comme un revenu tiré d’une source au sens de l’alinéa 3a) de la LIR et comme un revenu tiré d’un bien ou d’une entreprise au sens du paragraphe 9(1) de la LIR, et qu’ils étaient, par conséquent, assujettis à l’impôt au Canada. D’autres échanges sur cette question ont eu lieu entre les parties, mais l’ARC a confirmé sa position dans des lettres datées du 1er décembre 2014 et du 22 juin 2016.

[18] Le 6 juillet 2017, l’ARC a envoyé à l’avocat fiscaliste de 443 Inc. et des autres contribuables liés (y compris M. Ludmer) une lettre de proposition dans laquelle elle a répété que les versements reçus par Sandringham et les versements reçus par la fiducie Thames constituaient des rentrées de fonds imposables qui sont assujetties à l’impôt au Canada. L’ARC se proposait donc de refuser les déductions demandées par la fiducie Thames pour l’année d’imposition 2011 et les années d’imposition subséquentes. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la proposition de l’ARC aurait des répercussions sur le traitement des déclarations modifiées en ce qui a trait aux distributions reçues par 443 Inc.

[19] Plus particulièrement, et c’est pertinent dans le contexte de la présente demande, la lettre de proposition du 6 juillet 2017 indiquait également que, en ce qui concerne les demandes de remboursement de 443 Inc. et le traitement des déclarations modifiées, l’ARC ne prendrait pas de décision [traduction] « tant qu’une décision définitive et non susceptible d’appel n’aura[it] pas été rendue sur la question de l’assujettissement à l’impôt » des versements reçus par la fiducie Thames au cours de l’année d’imposition 2011 et des années d’imposition subséquentes. Par [traduction] « décision définitive et non susceptible d’appel », je présume que l’ARC faisait référence à l’instance devant la CCI.

[20] En outre, le fait que l’ARC a conclu sa lettre de proposition comme suit revêt une certaine importance :

[traduction]

Veuillez noter que les paragraphes 9(1) et 56(2) sont invoqués à titre subsidiaire aux fins de l’établissement de la cotisation. Dans des situations comme celle-ci, l’ARC ne renoncera à aucune position tant que les parties en cause ne se seront pas mises d’accord sur l’applicabilité des dispositions ou que la question de l’applicabilité n’aura pas été tranchée dans le cadre de la procédure d’opposition ou d’appel.

[21] Par application du paragraphe 9(1) de la LIR, 443 Inc. serait assujettie à l’impôt sur les sommes reçues de la fiducie Thames, car les distributions sont allées directement à 443 Inc. [la thèse de l’imposition entre les mains de la demanderesse]. En revanche, par application du paragraphe 56(2) de la LIR, les versements reçus par Sandringham et les versements reçus par la fiducie Thames auraient été faits suivant les instructions ou avec l’accord de M. Ludmer à son profit ou à titre d’avantage qu’il désirait voir accorder au bénéficiaire [la thèse de l’imposition entre les mains du directeur], auquel cas M. Ludmer serait personnellement assujetti à l’impôt sur les versements reçus par Sandringham et les versements reçus par la fiducie Thames, car ceux‑ci constitueraient alors pour lui un revenu personnel.

[22] Bref, bien que ces positions soient en définitive incompatibles, l’ARC invoquait des positions subsidiaires aux fins de l’établissement de la cotisation et n’entendait pas considérer ces deux positions fiscales comme étant mutuellement exclusives tant que la question de l’assujettissement à l’impôt des versements provenant de GAM Ltd n’avait pas été résolue. 443 Inc. reconnaît que l’ARC avait le droit d’adopter des positions subsidiaires aux fins de l’établissement de la cotisation, mais seulement jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue à l’égard d’une de ces positions.

[23] 443 Inc. fait valoir devant moi que, maintenant que le ministre a rendu sa décision de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. – décision qui relève sans doute maintenant, comme il est mentionné ci-dessous, de la chose jugée, sous réserve uniquement d’un éventuel décret de remise –, une « décision définitive » quant au traitement des années d’imposition 2008 à 2011 a bel et bien été rendue quant à la perception de l’impôt payable sur les distributions faites par 443 Inc. L’ARC devrait donc renoncer à établir de nouvelles cotisations à l’égard de M. Ludmer relativement à la période de 2008 à 2011, se rallier à la position qu’il défend en appel à l’égard de cette période et [traduction] « ne pas imposer les mêmes sommes deux fois ».

[24] Quoi qu’il en soit, un peu plus d’un an plus tard, le 31 juillet 2018, la Cour supérieure du Québec a rendu sa décision dans l’action en dommages-intérêts. Bien que la Cour ait critiqué la façon dont l’ARC avait traité 443 Inc., entre autres, pendant la vérification de Sandringham et lors de la procédure fondée sur la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1, elle a refusé d’accorder à 443 Inc. les remboursements qu’elle demandait de façon accessoire. La Cour s’est exprimée en ces termes :

[traduction]

[818] En ce qui concerne les remboursements d’impôt demandés par 4431472 et 4431481, la Cour s’abstient pour le moment d’intervenir et d’ordonner qu’ils soient versés.

[819] Premièrement, la question de savoir si les remboursements sont exigibles n’a pas encore été tranchée par un tribunal. Il s’agit essentiellement de la même question que la question plus vaste concernant Sandringham, et l’ARC semble attendre que la question concernant Sandringham soit résolue avant de se pencher sur celle du remboursement. Les déclarations modifiées pour les années d’imposition 2008 à 2010 ont été produites le 27 avril 2011, et la déclaration modifiée pour l’année d’imposition 2011 a été produites le 7 juin 2012. La Cour est préoccupée par la possibilité que l’ARC reporte indéfiniment l’examen de la question de savoir si les remboursements sont exigibles. Il semble que l’ARC devrait au moins rejeter les demandes de remboursement afin de permettre à [443 Inc.] d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Là encore, il pourrait être utile de procéder par voie de mandamus, mais cet argument n’a pas été formulé. Par conséquent, il ne serait pas opportun que la Cour rende une ordonnance à cet égard.

[Non souligné dans l’original.]

[25] À la suite de la décision rendue par la Cour supérieure dans l’action en dommages-intérêts et des discussions subséquentes entre les avocats, l’ARC a établi de nouvelles cotisations relativement aux versements de GAM Ltd à Sandringham Ltd et aux entités canadiennes. Plus particulièrement, comme je l’ai mentionné ci-dessus, le 31 août 2018, le ministre a établi à l’égard de M. Ludmer des avis de nouvelle cotisation fondés sur le paragraphe 56(2) de la LIR, au motif que M. Ludmer avait omis d’inclure ces versements dans son revenu pour les années d’imposition 1995 à 2015. M. Ludmer a déposé des avis d’opposition et interjeté appel à la CCI.

[26] En ce qui concerne les déclarations modifiées, le 13 novembre 2018, l’ARC a écrit à l’avocat fiscaliste de 443 Inc. pour l’informer, une fois de plus, que la décision concernant le traitement des déclarations modifiées et des demandes de remboursement serait reportée jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue, supposément par la CCI ou par suite d’une entente entre les parties, quant à la question de savoir si les versements provenant de GAM Ltd. étaient imposables et, le cas échéant, qui devait payer l’impôt s’y rapportant.

[27] La position de l’ARC consistant à reporter le traitement des déclarations modifiées était inacceptable aux yeux de 443 Inc. Finalement, ce que 443 Inc. réclamait avec insistance, c’était que l’ARC traite les déclarations modifiées et émette des avis de nouvelle cotisation, afin que la question du traitement de ses déclarations modifiées puisse être tranchée dans un forum judiciaire. Le 20 février 2019, craignant de se retrouver dans une impasse, 443 Inc. a déposé auprès de notre Cour une demande en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus (T‑338‑19) pour obliger le ministre à se prononcer sur son obligation fiscale pour les années d’imposition 2008 à 2011 sur le fondement des déclarations modifiées et à verser les remboursements demandés.

III. La décision du 7 mai 2019 du ministre

[28] Il semble que la demande d’ordonnance de mandamus ait rappelé au ministre la nécessité de prendre une décision quant au traitement des déclarations modifiées, car, le 7 mai 2019, l’ARC a rendu la décision contestée, qui prévoit de façon générale ce qui suit (je paraphrase) :

(i) À la suite de la vérification de 443 Inc., entre autres, le ministre a jugé que la position initiale adoptée par 443 Inc. lors de la production de ses déclarations, c’est‑à‑dire que les rentrées de fonds provenant de la fiducie Thames constituaient un revenu, était bien fondée en droit. Comme le ministre l’avait établi dans une lettre antérieure, étant donné que ces rentrées de fonds étaient imposables par application de l’alinéa 3a) et du paragraphe 9(1) de la LIR, elles ont été correctement déclarées comme un revenu dans les déclarations initiales de 443 Inc. pour la période pertinente.

(ii) Par conséquent, l’ARC n’a pas l’obligation de traiter les déclarations modifiées, comme on le lui demande maintenant, et d’exclure ces rentrées de fonds du calcul du revenu de 443 Inc. pour la période concernée.

(iii) Étant donné le différend en cours, l’ARC avait d’abord convenu, à l’avantage de 443 Inc., de reporter sa décision définitive sur la question des déclarations modifiées jusqu’à ce que toutes les questions fiscales connexes aient été résolues de manière définitive, mais compte tenu de la demande d’ordonnance de mandamus, l’ARC a décidé de prendre une décision définitive relativement aux déclarations modifiées, c’est‑à‑dire de ne pas établir de nouvelles cotisations pour 443 Inc. En conséquence, l’ARC n’acceptera pas les déclarations modifiées, et les cotisations initiales de 443 Inc. ne seront pas modifiées.

[Non souligné dans l’original.]

[29] 443 Inc. reconnaît que l’ARC n’est pas obligée de traiter les déclarations modifiées, mais soutient qu’elle devrait néanmoins le faire, conformément à la procédure interne énoncée dans sa circulaire d’information IC75‑7R3, datée du 9 juillet 1984, qui commande l’établissement d’une nouvelle cotisation si un contribuable en fait la demande par écrit. 443 Inc. soutient en outre que l’ARC ne peut pas simplement faire abstraction des déclarations modifiées comme elle le fait.

[30] En réponse, le ministre fait valoir que l’ARC était parfaitement en droit de ne pas traiter les déclarations modifiées. En somme, le ministre soutient que, lorsqu’il n’est pas convaincu que la position qu’il a initialement adoptée pour établir la cotisation d’un contribuable était inexacte, comme c’est le cas en l’espèce pour 443 Inc., la politique régissant l’établissement d’une nouvelle cotisation ne s’applique pas (voir l’alinéa 4b) de la circulaire IC75‑7R3). Ainsi, le ministre n’avait pas l’obligation d’établir des avis de nouvelle cotisation à l’égard de 443 Inc. J’en déduis que le ministre n’a pas été influencé par la préférence exprimée par le juge de la Cour supérieure dans le cadre de l’action en dommages-intérêts, voulant que l’ARC émette des avis de nouvelle cotisation afin d’enclencher le processus qui permettrait éventuellement à 443 Inc. de faire trancher la question par un tribunal judiciaire.

[31] En bref, le ministre affirme que le fait que 443 Inc. a produit ses déclarations initiales en tenant pour acquis que les distributions constituaient un revenu imposable et qu’elle a par la suite changé d’avis à cet égard, alors que les circonstances n’avaient pas changé, n’est pas convaincant. Il soutient que les arguments avancés par 443 Inc. portant qu’une [traduction] « erreur » s’était glissée dans ses déclarations initiales et que les distributions ne constituaient pas véritablement un revenu et étaient, de ce fait, non imposables, ne sont pas en soi suffisants pour justifier que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire et établisse de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc.

[32] De plus, la raison pour laquelle l’ARC affirme dans sa décision que sa proposition antérieure de reporter son examen des déclarations modifiées était [traduction] « à l’avantage de 443 Inc. » est expliquée dans l’affidavit du 29 septembre 2020 de M. Jeffery Zucker, chef d’équipe, Direction nationale de la planification fiscale abusive, Direction générale du secteur international, des grandes entreprises et des enquêtes, qui a été produit à l’appui de la position du ministre. Au paragraphe 30, M. Zucker affirme ce qui suit :

[traduction]

L’ARC a décidé de ne pas confirmer d’emblée sa position protectrice vis‑à‑vis les cotisations (imposition des versements provenant de GAM entre les mains de [443 Inc.]) le temps que la vérification soit menée, car, si la Cour canadienne de l’impôt avait éventuellement rejeté la position [du ministre] à l’égard des années d’imposition 2014 et 2015, l’ARC n’aurait pas pu, compte tenu du délai de prescription, revenir en arrière et rajuster les années d’imposition 2008 à 2011 de [443 Inc.] en conséquence.

[33] En bref, le ministre soutient que, maintenant que sa décision de ne pas traiter les déclarations modifiées a été prise de façon définitive et portée à la connaissance de la demanderesse dans la décision contestée, la question de l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. relève de la chose jugée (Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63 (CanLII), [2003] 3 RCS 77 au para 23) et que, sauf si j’ordonne l’annulation de la décision contestée ou qu’un décret de remise est rendu en vertu de l’article 23 de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11, le ministre est maintenant dessaisi. Il n’a plus la possibilité de procéder au traitement des déclarations modifiées et de verser à 443 Inc. le remboursement qu’elle demande dans l’éventualité où la question commune finirait par se résoudre en faveur des contribuables et où l’opposition de 443 Inc. aux nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2014 et 2015 serait accueillie (Chandler c Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 RCS 848 aux pages 861 à 863).

[34] 443 Inc. soutient avec force que nous sommes en présence d’une ARC insolente qui n’a pas suivi sa propre pratique antérieure, qui consistait à établir de nouvelles cotisations dans des circonstances semblables, simplement parce que la demande a été faite par M. Ludmer; que l’attitude paternaliste de l’ARC est déplacée, et qu’elle, 443 Inc., devrait pouvoir exercer ses droits comme elle l’entend plutôt que de se faire dire d’attendre et de [traduction] « faire confiance à l’ARC ». 443 Inc. ajoute que le véritable objectif du ministre, lorsqu’il a refusé d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc., était de conserver la totalité de la somme de 2 788 035 $ que 443 Inc. avait versée avec ses déclarations initiales plutôt que d’avoir à remettre la moitié de cette somme – ce qu’elle sera contrainte de faire si 443 Inc. produit des avis d’opposition aux nouvelles cotisations éventuelles – en attendant que la procédure d’opposition suive son cours dans les affaires fiscales parallèles. Selon 443 Inc., cela équivaut à une saisie avant jugement.

[35] Je ne comprends pas cet argument. Il me semble que si l’ARC avait voulu [traduction] « punir » M. Ludmer, elle aurait confirmé il y a plusieurs années qu’elle n’avait aucunement l’intention d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de 413 Inc. sur la base des déclarations modifiées. L’ARC n’avait certainement pas besoin d’une demande de mandamus pour le faire, si c’était véritablement là son intention. Le fait que la décision ait été reportée jusqu’à ce qu’une ordonnance de mandamus oblige le ministre à se prononcer semble plutôt appuyer la position du ministre, c’est‑à‑dire que s’il avait adopté une position définitive quant à la question de savoir s’il y avait lieu d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc., comme elle l’a maintenant fait en rendant la décision contestée, l’ARC n’aurait tout simplement pas pu remettre les compteurs à zéro et éventuellement traiter les déclarations modifiées et les demandes de remboursement en conformité avec la décision quant à la question commune.

[36] Autrement dit, et comme je l’ai mentionné ci-dessus, ce que souhaite 443 Inc. au final, c’est que la question du traitement de ses déclarations modifiées soit tranchée dans un forum judiciaire. Elle soutient que, tant que l’ARC persiste à refuser d’agir de façon raisonnable ou à reporter la prise de mesures raisonnables, c’est‑à‑dire émettre des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2008 à 2011, 443 Inc. demeure prisonnière de l’« erreur » commise dans ses déclarations de revenus initiales. 443 Inc. se trouve ainsi privée de toute possibilité de produire des avis d’opposition et, éventuellement, d’interjeter appel à la CCI, alors même que les sommes lui appartenant demeurent en la possession de l’ARC.

[37] En tout état de cause, c’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Avec le consentement des parties, le 6 juin 2019, la Cour a suspendu la demande d’ordonnance de mandamus déposée dans le dossier T‑338‑19 en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

IV. Les questions en litige

[38] Telle qu’elle a été déposée, la présente demande vise à obtenir non seulement une ordonnance annulant la décision contestée, mais également une ordonnance de mandamus pour obliger le ministre à prendre une décision au titre de l’article 164 de la LIR relativement aux déclarations modifiées, conformément à sa pratique administrative concernant le paragraphe 56(2) de la LIR. Toutefois, comme je n’ai pas moi‑même été saisi de la demande d’ordonnance de mandamus, la seule question à trancher en l’espèce est de savoir s’il y a lieu d’annuler la décision contestée et de la renvoyer au ministre pour nouvel examen.

V. Le cadre juridique

[39] Le cadre juridique applicable aux nouvelles cotisations se trouve, entre autres, aux paragraphes 152(4) et (8) de la LIR :

Cotisation et nouvelle cotisation

 

Assessment and reassessment

(4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

 

(4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

 

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

 

(a) the taxpayer or person filing the return

 

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

 

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

 

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année;

 

(ii) has filed with the Minister a waiver in prescribed form within the normal reassessment period for the taxpayer in respect of the year;

 

[…]

[…]

 

Présomption de validité de la cotisation

Assessment deemed valid and binding

 

(8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

 

(8) An assessment shall, subject to being varied or vacated on an objection or appeal under this Part and subject to a reassessment, be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding under this Act relating thereto.

 

VI. La norme de contrôle judiciaire

[40] Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord. Il n’y a aucune raison de s’écarter de la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable établie par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

VII. Analyse

A. La question préliminaire

[41] À l’instar de 443 Inc., je souscris à l’observation du ministre selon laquelle le procureur général est le défendeur légitime dans la présente procédure, conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. L’ordonnance sera délivrée en conséquence.

B. La décision contestée est‑elle raisonnable?

[42] 443 Inc. présente deux arguments à l’appui de sa thèse voulant que la décision contestée soit déraisonnable.

[43] Premièrement, 443 Inc. fait valoir que même si la décision contestée laisse entendre que la position de l’ARC de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. est définitive, dans les faits, elle ne l’est pas, et que l’ARC a toujours l’intention de traiter les déclarations modifiées en conformité avec la décision que rendra la CCI à l’égard du traitement fiscal des versements reçus par Sandringham et des versements reçus par la fiducie Thames, ainsi que des distributions à 443 Inc. et à M. Ludmer.

[44] Le ministre soutient que la décision contestée était bel et bien définitive et affirme que toute indication à l’effet contraire est rapportée hors contexte.

[45] Deuxièmement, 443 Inc. soutient que, si la décision de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. est véritablement une [traduction] « décision définitive », celle‑ci a été prise sur la base d’un raisonnement erroné et s’écarte de la pratique interne ayant cours à l’ARC, qui consiste à ne pas imposer deux fois le même revenu, c’est‑à‑dire entre les mains de 443 Inc., d’une part, et entre les mains de M. Ludmer, par le biais des avis de nouvelle cotisation, d’autre part. Selon 443 Inc., cela va également à l’encontre du principe selon lequel l’ARC ne peut pas adopter des positions différentes d’un contribuable à l’autre.

[46] La politique énoncée dans le bulletin d’interprétation IT‑335R2 prévoit ce qui suit :

13. Une somme à laquelle le paragraphe 56(2) s’applique pourrait être incluse tant dans le revenu du contribuable que dans celui de la personne qui reçoit le paiement ou le bien. Toutefois, la pratique habituelle de l’Agence du revenu du Canada (ARC) consiste à ne pas établir deux fois une cotisation à l’égard d’un même revenu.

[Non souligné dans l’original.]

[47] Le ministre soutient que l’établissement de cotisations incohérentes ne prouve pas qu’une cotisation donnée est incorrecte, et qu’il est en droit d’établir une cotisation subsidiaire (ou protectrice) en attendant que la question de l’assujettissement des versements à l’impôt soit résolue de façon définitive (Hawkes c R, 1996 CanLII 3936; CarswellNat 2206 aux para 7-10, 14 (CAF); McAdams c Canada, 2014 CAF 99 au para 5; Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 aux para 77-79; Ludmer c Canada, [1995] 1 CF 3 aux para 8-9 (CAF)).

[48] 443 Inc. ajoute que le ministre est d’avis que, puisqu’il a rendu sa décision (une décision définitive de ne pas établir de nouvelles cotisations), il ne pourra pas réexaminer son traitement des déclarations modifiées dans l’éventualité où la question commune serait tranchée en faveur de 443 Inc. 443 Inc. soutient que, pour cette raison, le ministre a une obligation accrue de tenir compte des répercussions des mesures prises par l’ARC, non seulement en ce qui concerne son application de la politique prévoyant que M. Ludmer et 443 Inc. ne peuvent tous deux faire l’objet d’une cotisation établie à l’égard du même revenu, mais également en ce qui concerne les politiques et lignes directrices générales, et les objectifs de la LIR.

[49] 443 Inc. souligne que lorsque l’ARC s’écarte de la politique établie, elle doit expliquer les raisons pour lesquelles elle le fait (Vavilov, au para 131). En l’espèce, elle ne l’a pas fait. Le ministre a dérogé à une politique accessible au public, non seulement en établissant deux fois une cotisation à l’égard du même revenu, mais également en percevant l’impôt auprès de 443 Inc. tout en délivrant des avis de nouvelle cotisation à M. Ludmer et en exigeant un paiement de celui-ci. En fait, 443 Inc. soutient qu’il ressort clairement du contre‑interrogatoire de M. Zucker que l’ARC n’a même pas tenu compte de la politique lorsqu’elle a pris sa décision et que, lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi il n’avait pas suivi le bulletin d’interprétation IT‑335R2, M. Zucker a répondu : [traduction] « l’information contenue dans le bulletin d’interprétation n’a pas force de loi; elle existe sans plus et je n’en ai pas tenu compte ».

[50] Le ministre fait valoir que l’ARC n’a pas à tenir compte de la politique parce qu’elle ne s’applique tout simplement pas en l’espèce. Par conséquent, il n’y a rien à expliquer.

[51] Compte tenu de ma décision concernant le premier argument de 443 Inc., il n’est pas nécessaire que je me penche directement sur le deuxième argument.

(1) La décision contestée devrait‑elle être considérée comme définitive?

[52] Il me semble que la question de savoir si la décision contestée est définitive ou non en ce qui a trait à l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. détourne en quelque sorte l’attention de l’objectif ultime de 443 Inc., qui est de faire avancer le dossier. Que la décision contestée soit définitive ou non, à moins que des avis de nouvelle cotisation pour les années d’imposition 2008 à 2011 ne soient établis à l’égard de 443 Inc., celle‑ci ne peut pas faire avancer le dossier et demander à la CCI de se prononcer sur son obligation fiscale éventuelle à l’égard des distributions.

[53] Autrement dit, que la décision contestée soit une décision définitive de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. ou une décision définitive de « reporter » l’établissement de nouvelles cotisations jusqu’à ce que la CCI ait statué sur la question commune dans les affaires connexes ne change rien pour 443 Inc.

[54] Cela dit, j’estime qu’il est néanmoins important que je me penche sur cette première question, car celle‑ci pourrait bien avoir une incidence non seulement sur la question de savoir si l’ARC pourra revoir sa position à l’égard des déclarations modifiées une fois que la question commune aura été résolue, mais également sur la façon dont je dois traiter les autres questions soulevées par 443 Inc. dans la présente demande, le cas échéant.

[55] On pourrait considérer que la décision contestée est une décision définitive prise par le ministre de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. Pressé de prendre position relativement aux déclarations modifiées en raison de la demande de mandamus, le ministre a pris une décision conforme à ses propositions antérieures, c’est‑à‑dire qu’il a décidé de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. sur la base des déclarations modifiées. La décision contestée précise que, compte tenu de la demande d’ordonnance de mandamus, [traduction] « l’ARC a décidé de prendre et de communiquer, au moyen de la présente lettre, une décision définitive quant aux déclarations modifiées et elle a décidé de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard du contribuable sur la base des déclarations modifiées. Par conséquent, les nouvelles cotisations initiales établies en fonction des déclarations originales du contribuable telles qu’elles ont été produites ne seront pas modifiées […] En résumé, l’ARC n’acceptera pas les déclarations modifiées. »

[56] Bien entendu, il s’agit là d’une des interprétations possibles de la décision contestée : le ministre a décidé de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. sur la base des déclarations modifiées, car il ne souscrit pas, en droit, à la nouvelle position adoptée par le contribuable, et cette décision est définitive. Il ne fait aucun doute que l’ARC était aux prises avec un processus décisionnel à deux volets. Premièrement, elle devait décider si elle se penchait ou non sur la question des déclarations modifiées, une décision qui semble avoir été précipitée par la demande de mandamus. Ensuite, l’ARC devait décider si elle traiterait ou non les déclarations modifiées et établirait des avis de nouvelle cotisation à l’égard de 443 Inc. Il semble que le ministre ait répondu à cette question par la négative, c’est‑à‑dire qu’il n’établirait pas de nouvelles cotisations, et que sa décision en ce sens était définitive.

[57] Or, vu les circonstances de la présente affaire, une question se pose quant à cette interprétation de la décision contestée.

[58] Très tôt, le ministre a déposé une requête en vue de faire suspendre la présente demande de contrôle judiciaire en invoquant plusieurs motifs. Ce faisant, il a déclaré qu’en tout état de cause, son intention était de traiter les déclarations modifiées de la même façon qu’il traiterait les versements effectués au cours des années d’imposition 2014 et 2015 de 443 Inc. et à l’égard desquelles des avis d’opposition avaient été déposés – une fois, je présume, que l’affaire relative à la question commune aurait été résolue, par suite d’une entente ou d’une décision de la CCI (voir l’ordonnance de la protonotaire Steele concernant la requête en suspension du ministre, au paragraphe 10).

[59] Dans cette optique, il semblerait donc que la décision de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. sur la base des déclarations modifiées, comme le prévoit la décision contestée, n’était pas définitive. C’était plutôt simplement la confirmation de la proposition antérieure de l’ARC selon laquelle le traitement des demandes de remboursement présentées par 443 Inc. serait reporté jusqu’à ce que la question commune soit résolue de façon définitive. Cette interprétation concorde avec l’affidavit de M. Zucker daté du 12 août 2019, qui a été déposé à l’appui de la requête en suspension du ministre :

[traduction]

[26] Le 7 mai 2019, le ministre a rejeté les demandes de nouvelle cotisation présentées par le demandeur pour les années d’imposition 2008, 2009, 2010 et 2011 […]

[…]

[29] L’ARC a l’intention de traiter les demandes de nouvelle cotisation du demandeur en conformité avec l’issue de la procédure d’opposition/d’appel concernant l’établissement de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2014 et 2015 du demandeur [...], qui vise à déterminer si les versements provenant de GAM sont imposables et, le cas échéant, qui doit payer l’impôt s’y rapportant.

[…]

[31] Si la présente demande est suspendue et que la procédure d’opposition/d’appel mène à la conclusion que les versements provenant de GAM ne devraient pas être inclus dans le revenu du demandeur, le ministre entend établir en conséquence une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur pour les années d’imposition 2008 à 2011.

[Non souligné dans l’original.]

[60] Lorsqu’il a été contre‑interrogé sur cette partie de son affidavit le 10 septembre 2019, M. Zucker a témoigné dans le même sens, c.‑à‑d. qu’il a déclaré que, indépendamment de la décision contestée, l’ARC avait toujours l’intention de traiter les déclarations modifiées en conformité avec l’issue des appels éventuels à la CCI concernant les années d’imposition 2014 et 2015 de 443 Inc. :

[traduction]

Q‑Donc, quelle que soit la décision concernant les années deux mille quatorze (2014) et deux mille quinze (2015), l’ARC a-t-elle l’intention de l’appliquer également aux années deux mille huit (2008) et deux mille onze (2011)?

C’est exact.

[…]

Q‑Donc, lorsque vous avez rédigé [la décision contestée], vous aviez toujours l’intention de traiter les déclarations modifiées en fonction du traitement prescrit pour celles de l’ensemble des contribuables à l’issue de la procédure d’appel?

R‑Oui.

Q‑Il ne s’agissait pas pour vous d’une décision définitive déterminant les droits de 443 au titre des déclarations modifiées?

R‑Le ministre s’est engagé à attendre qu’une décision définitive et non susceptible d’appel soit rendue par la Cour pour déterminer si, oui ou non, les déclarations modifiées seront traitées.

Q‑Pouvez‑vous expliquer pourquoi vous utilisez le terme « décision définitive » dans cette lettre?

R‑La décision définitive est que nous ne procéderons pas au traitement de la demande du contribuable concernant ses déclarations modifiées tant que, comme nous l’avons indiqué dans notre correspondance, la Section d’appel et/ou le système judiciaire n’aura pas rendu une décision définitive dans la présente affaire.

Q‑Êtes‑vous d’accord avec moi pour dire que cela ne figure nulle part dans la lettre?

R‑Non.

[…]

Q‑Ensuite, la phrase suivante [faisant référence à la décision contestée] :

Compte tenu de la récente demande d’ordonnance de mandamus déposée à la Cour fédérale, l’ARC a décidé de prendre et de communiquer, au moyen de la présente lettre, une décision définitive.

Ce n’était pas pour vous une façon d’indiquer au contribuable qu’il s’agissait d’une décision définitive?

R‑Il s’agit d’une décision définitive à ce stade‑ci, c’est-à-dire que nous respecterons le processus selon lequel, vous comprenez, le contribuable a le droit de déposer cette demande de mandamus, une décision sera rendue. Dans tous les cas, nous respecterons cette décision, nous en appellerons […] je ne connais pas la procédure, bien franchement, mais à un moment donné, la question sera tranchée de façon définitive et le ministre respectera cette décision et agira en conséquence.

[Non souligné dans l’original.]

[61] Ainsi, selon M. Zucker, la décision contestée a été qualifiée de « définitive » non pas en ce qui concerne la question de savoir si l’ARC allait ou non établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc., mais plutôt en ce qui concerne le report du traitement des déclarations modifiées. Autrement dit, et pour revenir à la question de savoir si le ministre peut adopter des positions subsidiaires en matière d’imposition, la question de savoir si les sommes sont imposables entre les mains de 443 Inc. ou entre les mains de M. Ludmer n’a toujours pas été résolue de façon définitive. La différence ici, bien sûr, tient au fait que nous ne devons pas simplement composer avec des positions subsidiaires en ce qui concerne l’établissement de la cotisation : l’ARC a déjà reçu le plein paiement des impôts exigés pour les années d’imposition 2008 à 2011 en fonction de l’une de ces positions, soit celle qui a été appliquée pour établir la cotisation initiale de 443 Inc.

[62] Les deux interprétations de la décision contestée sont possibles.

[63] Devant moi, le ministre a soutenu que la décision était définitive en ce qui concerne son intention de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. et a expliqué que les déclarations apparemment contradictoires de M. Zucker au sujet de l’intention éventuelle du ministre de traiter néanmoins les déclarations modifiées en conformité avec la décision définitive qui sera rendue relativement à la question commune ont été faites dans le contexte de la requête en suspension du ministre. Si je comprends bien ce qu’avance le ministre, c’est que, dans l’éventualité où sa requête en suspension serait accueillie, celle‑ci se retrouverait dans une situation où elle ne serait plus dessaisie, de sorte que si la présente demande de contrôle judiciaire était suspendue, elle pourrait alors réexaminer la question des déclarations modifiées, malgré la décision contestée.

[64] J’ai du mal à suivre le raisonnement du ministre. Soit la délivrance de la décision a eu pour effet de dessaisir le ministre, soit elle n’a pas eu cet effet, et le fait que la requête en suspension de la présente procédure soit accueillie ou non ne devrait avoir aucune conséquence à cet égard. J’ai lu la transcription du contre‑interrogatoire de M. Zucker ainsi que son affidavit à l’appui de la requête, et M. Zucker affirme clairement que l’intention du ministre d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. en conformité avec la décision définitive concernant les questions communes n’a pas changé après la délivrance de la décision contesté. C’est du moins le message que le ministre voulait transmettre dans sa décision.

[65] Le témoignage de M. Zucker en contre‑interrogatoire ne concorde pas avec ce que le ministre fait valoir devant moi, c’est‑à‑dire qu’il n’avait pas l’obligation d’établir des avis de nouvelle cotisation à l’égard de 443 Inc. et que, maintenant qu’il a fait connaître sa décision de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc., il ne pourra pas réexaminer la question à la lumière de la décision définitive concernant la question commune.

[66] Il m’est difficile de déterminer si la décision contestée est raisonnable ou non, car la décision n’est pas claire. La raison pour laquelle je ne peux déterminer si la position du ministre de ne pas établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. est raisonnable non, ou s’il est raisonnable pour le ministre de conclure qu’il n’a pas l’obligation d’établir de nouvelles cotisations ou s’il a ou non omis de suivre sa propre politique interne sans expliquer pourquoi, est que le ministre ne dit pas clairement s’il refuse catégoriquement d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’établir de nouvelles cotisations à l’égard de 443 Inc. ou s’il ne fait que cristalliser et rendre « définitive » sa proposition antérieure de reporter sa décision quant au traitement des déclarations modifiées jusqu’à ce que la question commune ait été tranchée.

[67] Je dois dire que les arguments présentés par le ministre me laissent un peu perplexe.

[68] En outre, je ne pense pas qu’il m’appartienne d’interpréter la décision contestée, dans un sens ou dans l’autre. Soit la décision est claire, soit elle ne l’est pas. En l’espèce, elle ne l’est pas, et je crains que la décision ne soit donc ni transparente ni intelligible et, partant, ne puisse être considérée comme raisonnable.

[69] Ma conclusion sur cette question suffit pour disposer de la demande de contrôle judiciaire.

[70] Le défendeur doit payer les dépens à la demanderesse.

VIII. Conclusion et pouvoir discrétionnaire de réparation

[71] Dans sa forme actuelle, la décision contestée peut être interprétée de deux façons. Il y a donc lieu de l’annuler au motif qu’elle est déraisonnable. La question est maintenant de savoir si je renvoie l’affaire à l’ARC pour nouvel examen.

[72] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a statué qu’il convient, en règle générale, que les tribunaux respectent « la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif », mais que certains facteurs peuvent parfois influer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de réparation (Vavilov, au para 142). En l’espèce, j’ai décidé d’annuler la décision contestée, mais je n’ordonnerai pas que l’affaire soit renvoyée à l’ARC pour nouvel examen à ce moment‑ci.

[73] Dans la mesure où j’annule la décision contestée, 443 Inc. demande que je donne certaines directives aux parties afin de faciliter leurs efforts de réexamen.

[74] 443 Inc. n’a pas vigoureusement contesté devant moi l’argument du ministre voulant qu’une fois qu’il a officiellement exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas établir de nouvelles cotisations, cette décision relève de la chose jugée. Si tel est le cas, et si le ministre en vient à prendre une décision claire allant en ce sens plutôt qu’une décision consistant à reporter les nouvelles cotisations, le sort de 443 Inc. en ce qui concerne le traitement de ses déclarations modifiées pourrait s’en trouver scellé, indépendamment de la façon dont la question commune pourrait être résolue par la CCI.

[75] Si le ministre en vient à exercer son pouvoir discrétionnaire en ce sens et à régler ainsi de façon définitive la question des cotisations de 443 Inc., il est entendu que l’ARC devra, dans sa lettre à 443 Inc., traiter sans détour la question des positions subsidiaires appliquées pour établir les cotisations ainsi que l’effet du bulletin d’interprétation IT335R2, en prenant soin également d’expliquer pourquoi, si tel est le cas, la politique n’est pas respectée. Autrement dit, le ministre ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Puisque le ministre a déjà en sa possession les sommes relatives aux années d’imposition 2008 à 2011, la décision corollaire raisonnable pour le ministre serait d’adopter une position cohérente vis‑à‑vis l’appel de M. Ludmer concernant ses nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2008 à 2011. Il convient de ne pas laisser la situation s’envenimer davantage.

[76] Dans le même ordre d’idées, 443 Inc. ne peut pas non plus continuer de tenir l’épée de Damoclès au‑dessus de la tête de l’ARC, pour finalement l’abattre quelle que soit la voie que l’ARC décidera d’emprunter. Pour que la politique que 443 Inc. reproche si ardemment au ministre d’avoir enfreint s’applique, une décision définitive doit être rendue, comme l’a concédé 443 Inc., quant à la façon dont les distributions des années d’imposition 2008 à 2011 doivent être traitées.

[77] Je remets donc l’affaire entre les mains des parties. Je souligne que 443 Inc. a déjà fait connaître son intention de poursuivre sa demande d’ordonnance de mandamus dans l’éventualité où les parties ne parviendraient pas à s’entendre. Cela étant, j’estime qu’il est préférable de laisser au juge qui instruira la demande de mandamus, le cas échéant, le soin de statuer sur les questions de savoir si et dans quelle mesure le ministre peut déroger à la politique interne antérieure, et si le ministre a l’obligation de traiter les déclarations modifiées et d’établir des avis de nouvelle cotisation ou s’il s’agit plutôt d’un pouvoir discrétionnaire. Ne souhaitant pas lier les mains du juge, je m’abstiendrai donc de statuer moi‑même sur ces questions.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑938‑19

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada y soit désigné à titre de défendeur légitime.

  2. La décision du 7 mai 2019 de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] est, par la présente, annulée.

  3. Le défendeur doit payer les dépens à la demanderesse.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑938‑19

 

INTITULÉ :

4431472 CANADA INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 JANVIER 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 août 2021

 

COMPARUTIONS :

Doug Mitchell

Miriam Clouthier

David Grossman

 

Pour la demanderesse

Ian Demers

Amélia Fink

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

IMK s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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