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Date : 20050125

Dossier : IMM-3956-04

Référence : 2005 CF 106

Ottawa, Ontario, le 25ième jour de janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                    Mouadh Ben Abde KHARRAT

                                                                                                                         Partie demanderesse

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                           Partie défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Souvent, même devant un cri de coeur, un tribunal avec ses limites inhérentes, ne peut que refuser une demande, sans choix que d'indiquer à une partie demanderesse de frapper à une autre porte ou même à sa propre porte.


NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1](Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 1er avril 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de _ personne à protéger _ au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[3]                Citoyen de la Tunisie, le demandeur, Monsieur Mouadh Ben Abde Kharrat, allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance à un groupe social, les sourds délaissés dans la vie sociale. Il soutient avoir vécu une vie difficile comme malentendant. Les persécutions alléguées ont pris la forme de mépris et d'incompréhension et M. Kharrat s'est fait tirer les oreilles, frapper les doigts avec une règle, baisser les pantalons pour être frappé devant les autres écoliers. Selon M. Kharrat, s'il devait retourner dans son pays, « ce serait une mort lente pour moi » parce que la Tunisie n'est pas organisée comme le Canada pour venir en aide aux sourds-muets.


DÉCISION CONTESTÉE

[4]                La Commission a conclu que M. Kharrat a été victime de discrimination sans que cela constitue pour autant de la persécution. Elle a en outre conclu qu'il n'a pas établi que l'État tunisien était incapable de le protéger.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1. La Commission a-t-elle erré en n'analysant pas l'article 97 de la Loi ?

2. La Commission a-t-elle erré en concluant que l'État était capable de protéger le demandeur ?

ANALYSE

1. La Commission a-t-elle erré en n'analysant pas l'article 97 de la Loi ?

[6]                Selon M. Kharrat, la Commission n'a pas tenu compte de l'alinéa 97(1)b) de la Loi dans l'évaluation de la demande de protection et que si elle l'a fait, elle a tenu compte du mauvais critère, soit la persécution. L'alinéa 97(1)b) de la Loi prévoit que la personne à protéger est celle qui serait exposée, par le renvoi dans son pays, à une menace à sa vie ou risquerait de subir des traitements ou des peines cruels et inusités.


[7]                Cette prétention ne peut être retenue. En effet, la Commission indique clairement dans sa décision que la demande d'asile est fondée sur les articles 96 et 97 de la Loi. Elle conclut que M. Kharrat n'est pas un réfugié ni une personne à protéger. En outre, la Commission a analysé les problèmes que M. Kharrat allègue avoir vécus et en a conclu que les difficultés exprimées s'apparentaient plus à de la discrimination et que M. Kharrat ne pouvait donc pas être reconnu comme réfugié. La Commission a également évalué si les droits fondamentaux de M. Kharrat seraient violés. Devant l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu « que les droits fondamentaux du demandeur ne seraient pas bafoués en Tunisie » . Il s'agit non seulement d'une évaluation pour déterminer s'il peut s'agir de persécution mais aussi d'une évaluation dans le cadre de l'alinéa 97(1)b) de la Loi. C'est dire que la Commission a pris en considération les mauvais traitements subis par M. Kharrat et a conclu qu'il ne s'agissait pas de traitements cruels et inusités au sens de la Loi. La Commission n'a donc pas commis d'erreur à ce chapitre.

2. La Commission a-t-elle erré en concluant que l'État était capable de protéger le demandeur ?


[8]                Même si la Commission en était arrivée à la conclusion que M. Kharrat avait subi de la persécution ou serait exposé à des traitements cruels et inusités, la conclusion quant à l'existence de la protection étatique aurait tout de même fait échouer la demande d'asile [Sarfraz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2]].

[9]                Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward,[3] la Cour suprême du Canada a déclaré qu'en l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses citoyens. En raison de cette présomption, « ...il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection ... » (paragraphe 50). Il appartenait donc à M. Kharrat de renverser cette présomption en démontrant, par une preuve claire et convaincante, que l'État tunisien était incapable de le protéger. M. Kharrat n'a pas présenté une telle preuve devant la Commission.

[10]            M. Kharrat ne s'est jamais adressé aux autorités de son pays suite aux mauvais traitements reçus. Il n'a pas fait appel non plus à l'un des nombreux organismes tunisiens voués à la défense des personnes souffrant d'un handicap dont six, selon la preuve documentaire, sont voués exclusivement au soutien des personnes ayant des déficiences auditives. Il se contente de dire que ce sont les agents de l'État qui le maltraitaient. La Commission a également souligné que c'est le gouvernement tunisien qui a défrayé les coûts de son voyage au Canada dans le cadre du congrès mondial pour les sourds-muets. Dans ces circonstances, la Commission a évalué l'ensemble de la preuve et, à bon droit, a jugé que M. Kharrat n'avait pas réussi à renverser la présomption selon laquelle l'État est capable de protéger ses citoyens.


CONCLUSION

[11]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative aux deux questions enlitige. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

_ Michel M.J. Shore _

                                                                                                                                                     Juge                       


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3956-04

INTITULÉ :                                                    MOUADH BEN ABDE KHARRAT

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 19 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DE L'ORDONNANCE         

ET ORDONNANCE :                                    LE 25 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Me Luciano Mascaro                                        POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Claude Paquette                              POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ARPIN, MASCARO & ASSOCIÉS                POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1]L.C. 2001, ch. 27.

[2][2003] A.C.F. no 1974 au paragraphe 12 (C.F.).

[3][1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (QL).


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