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Date : 20040705

Dossier : IMM-3621-03

Référence : 2004 CF 955

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

SHAMIM AKHTAR, ABDUL REHMAN AHMAD,

ABDUL JABBAR AHMAD, MARRYUM MUBEEN

et ABDULLLAH AHMAD TOOR

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rendue le 11 avril 2003. La Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.


LA QUESTION EN LITIGE

[2]                La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n'était pas crédible?

[3]                Pour les motifs que j'expose ci-dessous, je réponds par la négative et je rejetterai la demande.

LES FAITS

[4]                La demanderesse principale, Shamim Akhtar, est une citoyenne du Pakistan qui craint d'être persécutée du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, soit son appartenance à une famille politiquement active au Pakistan. Les autres demandeurs sont ses enfants mineurs.


[5]                La Commission a résumé les faits de la façon suivante. La demanderesse est issue d'une famille qui est politiquement active depuis longtemps au sein du Pakistan Muslim League (PML). Elle a adhéré au PML (le groupe Nawaz) en 1996. Son père et son mari étaient actifs eux aussi dans le PML. La demanderesse participait à des réunions mensuelles et a travaillé aux campagnes de 1997 et de 1998. Son engagement s'est manifesté en particulier en rapport avec l'aile des femmes du PML. Après le coup d'État de 1999, de nombreux chefs de parti ont été arrêtés. La demanderesse et son mari ont continué à participer aux réunions et aux activités du parti. Le mari de la demanderesse a été invité à se joindre au PML (QA), un groupe en rupture avec le PML et aligné sur l'armée. Il a refusé.

[6]                Le 7 juillet 2000, le mari de la demanderesse a été arrêté par les autorités. Il a été torturé et détenu pendant trois jours. En mars 2001, il a de nouveau été arrêté et torturé par les autorités. La demanderesse, en son propre nom, s'est plainte au chef de police. Son mari a été détenu pendant deux jours, puis libéré après paiement d'un pot-de-vin.

[7]                Le 10 avril 2002, une réunion a été tenue chez la demanderesse et son mari a prononcé un discours dans lequel il conseillait aux membres du parti de voter non au référendum qui devait avoir lieu. Ce soir-là, alors que la demanderesse et son mari assistaient à un mariage traditionnel, la police s'est rendue chez elle. Sa belle-mère et son beau-frère étaient présents. La police a demandé à parler à la demanderesse et à son mari. Craignant pour leur sécurité, la demanderesse et son mari se sont installés à Lahore. Ils ont su par après que des accusations avaient été portées contre eux pour leurs activités politiques. Le 21 mai 2002, un mandat d'arrestation a été délivré contre eux. La demanderesse et ses enfants mineurs sont partis du Pakistan le 31 mai 2002 et ont demandé le statut de réfugiés dès leur arrivée le 1er juin 2002.

LA DÉCISION CONTESTÉE


[8]                La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible parce qu'elle ne pouvait pas fournir de façon satisfaisante des détails sur le parti politique auquel elle affirmait avoir appartenu de façon active. Elle a donné des explications très vagues sur la façon dont elle encourageait les gens à adhérer au PML et au sujet des changements révolutionnaires que le PML préconisait. À la question posée par la Commission quant à savoir quel avait été pour le PML le fait marquant survenu après le coup d'État d'octobre 1999, la demanderesse n'a pas répondu spontanément qu'il y avait eu un schisme dans le parti, qui avait mené à la création du PML (QA), une aile militariste du PML. La demanderesse a aussi affirmé que, en mars 2001, elle s'était présentée au chef de police, qu'elle a désigné comme étant le [traduction] « SSP » . Dans ses motifs, la Commission a noté qu'il s'agissait du chef de police adjoint, le [traduction] « DSP » . En dépit de son affirmation selon laquelle elle assistait régulièrement aux réunions mensuelles du PML, la demanderesse a également été incapable de dire à la Commission que les assemblées publiques et les manifestations politiques avaient été interdites par le gouvernement Musharaf en mars 2000.

[9]                La Commission a aussi mentionné deux incongruités dans le récit de la demanderesse. Premièrement, la Commission a noté que c'était le mari de la demanderesse, et non la demanderesse, qui avait été la cible des autorités, et elle a trouvé étrange que la demanderesse n'ait été une cible qu'à partir d'avril 2002 et non lors des deux incidents précédents où son mari avait été pris à partie. Deuxièmement, la Commission a douté que les autorités continueraient à rechercher la demanderesse et son mari en rapport avec l'incident d'avril 2002, vu qu'il y avait divers partis qui s'opposaient au référendum de Musharaf du mois d'avril de même qu'aux élections nationales d'octobre 2002.


[10]            Enfin, la Commission a écarté les documents que la demanderesse avait présentés pour établir que des accusations avaient été portées contre elle et son mari, vu qu'elle avait déjà conclu que la demanderesse n'était pas crédible et que la preuve documentaire montrait que de faux documents judiciaires de même que de faux mandats d'arrestation et de faux procès-verbaux de dénonciation pouvaient être obtenus facilement au Pakistan.

ANALYSE

[11]            La norme de contrôle lorsqu'il s'agit de conclusions en matière de crédibilité, ce qui est une question de fait, est la décision manifestement déraisonnable. En d'autres termes, ce n'est que si la Cour conclut que la Commission a rendu une décision manifestement déraisonnable qu'elle interviendra.


[12]            Le principal argument de la demanderesse est centré sur des problèmes d'interprétation qui sont survenus au cours de l'audience. Son avocat allègue que les trois premières conclusions défavorables quant à la crédibilité (la façon dont la demanderesse encourageait les gens à adhérer au PML, le sens des [traduction] « changements révolutionnaires » préconisés par le PML et l'incapacité de la demanderesse de se rappeler spontanément un fait majeur, soit le schisme survenu au sein du PML après le coup d'État de 1999) ont été tirées à partir de réponses données par la demanderesse au cours de la première partie de l'audience, alors qu'il y avait des problèmes d'interprétation. J'ai examiné la transcription (pages 311 à 317 du dossier du tribunal) et je suis d'accord avec le défendeur que ces questions ont été examinées de nouveau par la Commission après qu'un nouvel interprète eut été nommé. La Commission a donné l'occasion à la demanderesse de s'expliquer de nouveau; les réponses sont demeurées vagues et c'est sur la foi de ces réponses que la Commission a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[13]            Le seul autre commentaire que la demanderesse fait sur ces trois conclusions défavorables quant à sa crédibilité se rapporte à son incapacité, en dépit de l'insistance de la Commission, de montrer sa connaissance de son parti politique et, plus particulièrement, du fait que le PML se soit scindé après le coup d'État de 1999. À la question qui lui était posée quant savoir pourquoi elle n'avait pas répondu spontanément, la demanderesse a dit qu'elle n'avait pas compris que c'était cela que la Commission voulait entendre. La demanderesse dit que c'était une explication raisonnable étant donné qu'il n'était pas nécessairement évident que la Commission recherchait une explication au sujet d'un fait (la scission du PML), qui avait eu lieu en août 2000. Je suis d'accord avec la demanderesse que sa première réponse, le fait que des chefs du PML avaient été arrêtés et torturés, répondait à la question [traduction] « qu'est-ce qui est arrivé après le coup d'État d'octobre 1999? » . Après avoir lu la transcription, je note également que la demanderesse a bel et bien fourni certains renseignements au sujet du groupe PML (QA) à la suite de questions directes à ce sujet. La Commission avait déjà examiné l'explication et ne l'a pas jugée crédible. Je ne peux pas affirmer que la Commission ait tiré des conclusions manifestement déraisonnables vu les réponses plutôt vagues données par la demanderesse.

[14]            La Commission a interrogé la demanderesse au sujet d'un autre fait politique qu'elle considérait assez important pour que la demanderesse en soit au courant, elle qui assistait régulièrement aux réunions mensuelles du PML. La demanderesse a été incapable de dire à la Commission que les assemblées publiques et les démonstrations avaient été interdites par le gouvernement Musharaf en mars 2000. À la question de savoir comment il se faisait qu'elle n'était pas au courant de ce fait, la demanderesse a simplement répondu que [traduction] « cela ne m'était pas présent à l'esprit » . Je ne peux que convenir avec la Commission qu'une personne qui se décrit comme une travailleuse politique active aurait dû être au courant d'un fait si évident qui aurait eu une incidence directe sur elle.

[15]            La demanderesse n'a présenté aucun argument pour contester la conclusion selon laquelle son récit comportait deux incongruités (le fait que son mari ait été le seul pris à partie dans les incidents antérieurs à avril 2002 et la continuation improbable des recherches par les autorités pour les trouver, elle et son mari). Elle n'a pas non plus contesté le rejet par la Commission de la documentation présentée (mandat d'arrêt et procès-verbal de dénonciation). Elle s'est contentée de dire que l'acceptation ou le rejet de la preuve documentaire dépendait des conclusions quant à la crédibilité.


[16]            Le seul autre élément soulevé par la demanderesse quant aux conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la Commission a trait au fait que la demanderesse avait dit le [traduction] « SSP » au lieu du [traduction] « DSP » en parlant de sa plainte à la police. Je suis d'accord avec la demanderesse que la façon dont la Commission est arrivée à la conclusion que le bon sigle dans ce contexte était [traduction] « DSP » et que l'utilisation par la demanderesse du sigle [traduction] « SSP » faisait douter de sa crédibilité n'est pas claire. Compte tenu des nombreux autres problèmes de crédibilité soulevés par la Commission, des deux incongruités du récit de la demanderesse qui n'ont pas été contestées et de la non-contestation du rejet de sa preuve documentaire, je ne peux pas conclure - bien que la conclusion concernant les sigles SSP et DSP paraisse étrange - que la Commission a rendu dans l'ensemble une décision manifestement déraisonnable. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[17]            Ni l'un ni l'autre avocat n'ont demandé la certification d'une question. J'estime que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

            « Michel Beaudry »             

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3621-03

INTITULÉ:                                                     SHAMIM AKHTAR, ABDUL REHMAN AHAMAD, ABDUL JABBAR AHMAD, MARRYUM MUBEEN et ABDULLAH AHMAD TOOR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                            

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                                      

ORDONNANCE :                                          LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 5 JUILLET 2004

APPEARANCES :

Jean-François Bertrand                                      POUR LES DEMANDEURS

Michel Pépin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers                                         POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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