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Date : 20210729


Dossier : IMM-7693-19

Référence : 2021 CF 801

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2021

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MARY TITILAYO GRILLO

NAOMI FOLAWE GRILLO (UNE MINEURE)

ELIZABETH FOLAJUWON GRILLO

(UNE MINEURE)

DAVID FOLABOMI GRILLO (UN MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse (la demanderesse principale) conteste la décision du 20 novembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle ses trois enfants mineurs et elle (collectivement, les demandeurs) n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], car ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Benin City.

[2] Les demandeurs sont des citoyens du Nigéria. La demanderesse principale a également une fillette d’un an qui est née après son arrivée au Canada.

[3] La demanderesse principale craint que des membres de la société Ogboni d’Iledi Igbonla (la société Ogboni) au Nigéria la persécutent ou lui fassent du mal parce que son époux a refusé d’assumer la direction de ce groupe à la suite du décès de son père le 23 janvier 2018.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Question préliminaire

[5] Le défendeur demande que l’intitulé soit modifié afin d’y inclure les trois enfants mineurs de la demanderesse principale qui étaient appelants dans la décision de la SAR : Naomi Folawe Grillo, Elizabeth Folajuwon Grillo et David Folabomi Grillo.

[6] J’accès à cette demande et la modification est ordonnée, avec prise d’effet immédiate.

III. Les faits pertinents

[7] L’époux de la demanderesse principale, Habeeb Folarin Grillo, a été choisi par un oracle pour diriger la société Ogboni, mais il a refusé de le faire parce qu’il s’était converti au christianisme en juin 2017. La demanderesse principale affirme que la société Ogboni est une secte dont les rituels comprennent notamment le culte des idoles, les sacrifices humains et la consommation de sang.

[8] La demanderesse principale soutient que sa famille a reçu des menaces de mort de la part de membres du groupe depuis que son époux a refusé d’en assumer la direction. Elle allègue que l’initiation d’un nouveau chef doit se faire en présence de son épouse et de son fils aîné, durant laquelle ils se font faire des incisions sur le corps et doivent rester allongés nus pendant trois jours, au cours desquels des rituels sont exécutés, boire du sang, se faire endoctrinés et demeurer isolés pendant sept jours.

[9] Après avoir reçu un nombre grandissant de menaces de la part de membres de la société Ogboni, la demanderesse principale a pris des dispositions pour quitter le Nigéria.

[10] Le 25 mars 2018, les demandeurs ont fui le Nigéria pour se rendre aux États‑Unis. Ils sont entrés au Canada le 1er avril 2018 en traversant la frontière de façon irrégulière.

[11] Le 18 avril 2018, l’époux de la demanderesse principale a été victime de harcèlement de la part de membres de la société Ogboni. Il s’est caché à Lagos, puis a fui vers la ville de Port Harcourt, où il a été découvert par des membres de la secte plusieurs mois plus tard. Il a été blessé et ramené à Lagos, son passeport international a été saisi et il a subi de fortes pressions afin qu’il livre sa famille.

[12] Les demandeurs ont présenté leurs demandes d’asile le 30 avril 2018.

[13] Le 16 avril 2019, la SPR a rejeté les demandes d’asile.

[14] L’appel auprès de la SAR a été reçu le 13 mai 2019.

IV. La décision faisant l’objet du contrôle

[15] La SAR a conclu que la question déterminante était de savoir si Benin City offrait aux demandeurs une PRI viable.

[16] La SAR a effectué un examen indépendant de l’ensemble du dossier et a notamment écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR. La SAR a défini et appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], analysé ci‑après.

[17] La SAR a reconnu que les demandeurs contestaient les conclusions de la SPR relativement à leur crédibilité et à leur crainte subjective de persécution, mais n’a pas examiné ces questions puisque la viabilité de la PRI était la question déterminante.

[18] La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les membres de la société Ogboni avaient les moyens de les retrouver dans un pays qui compte plus de 192 millions d’habitants, ou plus particulièrement dans la ville de Benin City. La SAR a également conclu qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Benin City.

V. Question en litige et norme de contrôle

[19] La seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si la conclusion de la SAR quant à l’existence d’une PRI était raisonnable.

[20] Dans l’arrêt Huruglica, la Cour d’appel fédérale a décrit de façon assez détaillée la nature du rôle de la SAR lors du contrôle d’une décision de la SPR. Elle a conclu que la SAR procède au contrôle de la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte. La norme de contrôle que doit appliquer notre Cour lors du contrôle judiciaire d’une décision de la SAR est la norme de la décision raisonnable : Huruglica, aux para 30, 35.

[21] La Cour suprême a confirmé la présomption selon laquelle la décision administrative est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, sous réserve de certaines exceptions dont aucune ne s’applique aux faits de l’espèce : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23.

[22] Lorsqu’elle procède au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’abstenir de trancher à nouveau la question. La Cour doit seulement déterminer si la décision, notamment le raisonnement suivi et le résultat obtenu, est déraisonnable : Vavilov, au para 83.

[23] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a réaffirmé les conditions essentielles d’une décision raisonnable, à savoir qu’elle doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[24] La cour de révision doit en outre se rappeler que les motifs écrits d’un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Si les motifs de la décision ne font pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, cela, en soi, ne constitue pas un fondement justifiant d’infirmer la décision. Le contrôle effectué par la cour de révision ne doit pas être dissocié du cadre institutionnel dans lequel la décision a été rendue ni de l’historique de l’instance : Vavilov, au para 91.

VI. Le critère à deux volets relatif à la PRI

[25] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur dans son application du critère à deux volets énoncé dans la décision Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 à la p 711 :

À mon avis, en concluant à l’existence de la possibilité de refuge, la Commission se devait d’être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant ne risquait pas sérieusement d’être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant d’y chercher refuge.

[26] Il incombe aux demandeurs de réfuter au moins un des deux volets de ce critère : Aigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 895 au para 9.

[27] En menant cette analyse, le décideur doit « partir du principe que le demandeur d’asile a une crainte fondée de persécution dans une région du pays et s’employer à déterminer si cette crainte s’étend au pays tout entier » : Sendaheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au para 49.

[28] Si les demandeurs risquent sérieusement d’être persécutés à Benin City, ou s’il n’est pas raisonnable pour eux de s’y installer, alors il ne s’agit pas d’une PRI viable. La question de savoir si une PRI est raisonnable ou non est tranchée objectivement.

[29] Le seuil à satisfaire pour démontrer le caractère objectivement déraisonnable de la PRI est très élevé. Il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité des demandeurs qui tentent de se rendre à Benin City ou de s’y relocaliser temporairement : Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 (CAF) [Ranganathan] au para 15.

VII. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs ne seront pas persécutés à Benin City?

[30] Les demandeurs ont présenté plusieurs arguments pour démontrer qu’ils seront persécutés à Benin City et que la SAR a commis une erreur en concluant que cette ville offrait une PRI viable.

A. Les membres de la société Ogboni avaient-ils les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City?

[31] Selon les demandeurs, il est possible d’établir l’existence d’un risque sérieux de préjudice dans un endroit proposé comme PRI si les agents de persécution ont à la fois les moyens et la motivation de les retrouver. Ils affirment que la motivation n’est pas en cause en l’espèce, mais que la SAR a jugé qu’ils n’avaient pas démontré que les membres de la société Ogboni avaient les moyens de les retrouver à Benin City.

[32] De façon plus générale, les demandeurs soutiennent que la SAR s’est largement fondée sur la réponse à la demande d’information (RDI) de 2019, mais qu’elle a commis des erreurs en en faisant un usage sélectif. Ils affirment que la SAR n’a pas dûment examiné les éléments de preuve dans leur contexte et qu’elle a fermé les yeux sur des éléments cruciaux de la RDI.

[33] Le défendeur n’est pas d’accord. Il expose et invoque les faits examinés par la SAR pour conclure que les membres de la société Ogboni n’avaient pas les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City.

[34] Ces faits, et les paragraphes dans lesquels ils sont analysés dans la décision, sont exposés ci‑après. Mes commentaires sont énoncés séparément, après chaque paragraphe :

  • a) Le Nigéria compte plus de 192 millions d’habitants – para 18;

La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution auraient les moyens de les retrouver dans un pays comptant autant d’habitants ou, plus précisément, à Benin City.

  • b) L’influence de la société Ogboni s’est détériorée au point d’être « désormais presque inexistante » – para 20;

Les demandeurs ont eu dix jours pour présenter leurs observations à la SAR au sujet de la nouvelle RDI de 2019 (mise à jour de la RDI de 2012 sur laquelle s’étaient fondés les demandeurs); ils ont fait valoir que les expériences crédibles de la demanderesse principale, acceptées par la SPR, démontraient que sa crainte fondée de persécution était objective, étant donné l’absence de renseignements sur des cas récents de ciblage ou d’assassinat par des membres de la société Ogboni dans la RDI.

La SAR a écarté cette observation et a conclu que les éléments de preuve figurant dans les deux RDI – celles de 2012 et de 2019 – révèlent que la société Ogboni n’a pas les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City, une ville très éloignée des régions limitées où le groupe qui a pratiquement disparu a une capacité restreinte d’intimider les gens pour les forcer à se joindre à leurs rangs.

Compte tenu du degré élevé de retenue que commandent les décisions du décideur, de l’expertise de la SAR et du fait que je ne dois pas apprécier à nouveau la preuve, j’estime que cette conclusion de la SAR est raisonnable.

  • c) Aucun élément de preuve n’indique que la société Ogboni exerce une influence sur les autorités policières ou nigérianes – para 21, renvoyant à la RDI de 2019;

Dans ce paragraphe, la SAR a rejeté l’argument selon lequel les membres de la société Ogboni auraient les moyens de pourchasser les demandeurs à Benin City puisqu’ils entretiennent des liens étroits avec le gouvernement, la police, le monde des affaires et des aspirants politiciens.

La SAR affirme que « la plus récente RDI datant de 2019 brosse désormais un tableau très différent et souligne qu’il n’y a aucune preuve” que la société Ogboni exerce une influence sur la police dans les grandes villes du Nigéria [et que] le groupe n’est pas reconnu et n’est pas considéré comme ayant une influence sur les autorités nigérianes ». Il est plutôt indiqué dans la RDI de 2019 « qu’il existe une “ferme conviction” selon laquelle, pour obtenir un poste important au sein du gouvernement ou dans le domaine de l’application de la loi, il faut en être membre ».

Cette conclusion est raisonnable puisqu’elle trouve appui dans la RDI. Rien ne permet d’infirmer la conclusion de la SAR.

  • d) Le témoignage de la demanderesse principale confirme l’influence limitée de la société Ogboni – para 22;

En arrivant à cette conclusion, la SAR a souligné que le seul exemple concret que la demanderesse principale a pu donner d’une personne influente liée à la société Ogboni était celui d’un secrétaire qui travaillait pour le ministère de l’Éducation à Abuja.

Rien ne permet d’infirmer cette conclusion de la SAR.

  • e) L’époux de la demanderesse principale a fourni peu d’éléments de preuve concernant la motivation et les moyens des membres de la société Ogboni de le retrouver dans d’autres régions du Nigéria – para 22;

Pour en arriver à cette conclusion, la SAR a examiné les trois affidavits présentés par l’époux. La SAR a ensuite mentionné que le reste de la preuve documentaire, dont des lettres de la société Ogboni et des extraits de carnets de police, ne démontrait pas que le groupe avait les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City.

Autrement dit, les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer qu’ils ne seraient pas en sécurité à Benin City.

  • f) L’époux de la demanderesse principale a été retrouvé à Lagos uniquement parce que sa mère, qui est membre de la société Ogboni, a informé le groupe de ses allées et venues. Aucun élément de preuve n’indique que les demandeurs ont des liens avec des amis ou des membres de leur famille à Benin City – para 23.

Dans l’un de ses trois affidavits, l’époux a indiqué qu’il s’est réinstallé à Port Harcourt après que des membres de la société Ogboni l’eurent retrouvé à Lagos. La SAR a conclu que, même si cette allégation était acceptée, elle ne démontrait pas que les membres de la société Ogboni avaient les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City.

Cette conclusion de la SAR est conforme à la jurisprudence de notre Cour, qui a récemment été examinée par le juge Grammond dans la décision Essel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1025 [Essel]. Le juge Grammond a conclu que « [l]e fait que les agents de persécution [pourraient retrouver l’époux] à [Port Harcourt] ne contredit pas la conclusion de la SAR selon laquelle ils n’auraient pas la capacité [de le faire à Benin City] » : Essel, au para 13 et dans les décisions qui y sont citées; extrait modifié pour renvoyer aux faits de l’espèce.

[35] Les demandeurs mentionnent que la RDI comporte un avertissement en introduction dans lequel il est indiqué qu’il existe peu de renseignements ou d’éléments de preuve concrets sur la société Ogboni qui ne reposent pas sur des hypothèses. J’estime que cet avertissement est peu utile, car il appuie ou contredit les thèses des deux parties puisqu’il peut être interprété dans les deux sens.

[36] Les demandeurs soulignent que selon la RDI, « les croyances locales au sujet de la secte sont bien ancrées et […] les sources locales craignaient de parler ouvertement de la société Ogboni ». Ils ajoutent que cette affirmation montre que la secte sème toujours la crainte et donne fortement à penser qu’elle demeure puissante.

[37] Je ne suis pas d’accord. La SAR était parfaitement au courant des éléments de preuve figurant dans la RDI selon lesquels l’influence de la société Ogboni était « presque inexistante ». On est à l’antithèse du pouvoir. La SAR est tenue de soupeser la preuve dont elle dispose. Notre Cour n’est pas autorisée à la soupeser à nouveau.

[38] Le défendeur soutient qu’il est indiqué à plusieurs reprises dans le document que la société Ogboni a décliné au point de ne plus avoir aucun pouvoir. L’absence de pouvoir neutralise donc toute forte présence. Je suis d’accord.

[39] Les demandeurs affirment que selon la RDI, la société Ogboni est bien présente à Benin City et ses activités y sont répandues. En ne tenant pas compte de ce renseignement, la SAR a commis une erreur, car la RDI corrobore leur allégation selon laquelle les membres de la société Ogboni ont les moyens de les retrouver à Benin City. Par conséquent, la SAR a sciemment fait abstraction de cet élément de preuve essentiel ou l’a sciemment passé sous silence pour justifier sa décision défavorable, ce qui va à l’encontre de la décision Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 CF 53.

[40] Le défendeur souligne que la SAR n’a pas fait abstraction des éléments de preuve sur les activités de la société Ogboni à Benin City. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en n’examinant pas la RDI de 2012 sur la société Ogboni. Elle a examiné la RDI de 2012, en a cité des extraits précis et a conclu qu’elle n’établissait pas que les membres de la société Ogboni avaient les moyens de retrouver les demandeurs à Benin City.

[41] Le fait que la SAR n’a pas mentionné la présence de la société Ogboni à Benin City n’établit pas que la décision était déraisonnable. Selon un examen de la décision dans son ensemble, plusieurs autres facteurs ont mené la SAR à conclure qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse de préjudice à l’endroit proposé comme PRI. Ces facteurs ont été examinés au paragraphe 34.

[42] Les demandeurs demandent que la preuve examinée par la SAR soit interprétée différemment. Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, la cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur » : Vavilov, au para 125.

[43] Autre fait important à souligner, le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale. Les motifs devraient permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16.

[44] Les motifs invoqués par la SAR exposent d’une manière claire, logique, rationnelle et cohérente comment et pourquoi elle en est arrivée au résultat énoncé dans sa décision.

[45] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je conclus qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que la perte de pouvoir et d’influence de la société Ogboni l’emportait sur sa présence à Benin City et que les demandeurs n’étaient pas exposés à une possibilité sérieuse de préjudice.

VIII. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de vivre à Benin City?

[46] Il a été établi que le seuil à atteindre pour établir ce volet du critère relatif à la PRI est très élevé. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un demandeur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions : Ranganathan, au para 15.

[47] La décision de la SAR doit être examinée en tenant compte de la manière dont les demandeurs ont formulé leur appel – la SAR n’est pas tenue d’examiner les erreurs potentielles qu’un demandeur n’a pas soulevées : Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 23.

[48] Les demandeurs ont présenté à la SAR de brèves observations sur le deuxième volet du critère relatif à la PRI. Ils ont insisté sur le fait que la demanderesse principale se ferait remarquer parce qu’elle parle une langue différente et que la SPR n’a pas tenu compte des problèmes de santé mentale de la demanderesse principale. La SAR a néanmoins examiné à fond plusieurs facteurs communs, notamment l’emploi, les déplacements, le logement, la langue, l’identité autochtone, les soins de santé et l’éducation.

[49] La SAR a conclu que, malgré le taux de chômage élevé et la discrimination économique à l’égard des femmes au Nigéria, la demanderesse principale serait en mesure de trouver un emploi à Benin City en raison de son éducation, de son bilinguisme et de ses antécédents professionnels.

[50] La demanderesse renvoie à la décision Okonkwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1330 (Okonkwo), où le juge Martineau a reconnu qu’il est plus probable qu’improbable que le fait de ne pas parler la langue locale dans l’endroit proposé comme PRI nuise à la capacité de trouver un emploi.

[51] Le défendeur soutient qu’il faut établir une distinction entre la décision Okonkwo et l’espèce. Dans la décision Okonkwo, la demanderesse était une jeune femme de 19 ans qui n’avait jamais travaillé auparavant, qui avait peu de ressources financières ou n’en avait pas du tout, et qui avait toujours vécu chez ses parents avant de venir au Canada. En l’espèce, la demanderesse principale est titulaire d’un diplôme universitaire dans les domaines financier et bancaire et a travaillé à son compte comme planificatrice d’événements et décoratrice d’intérieur. Bien qu’on ne sache pas vraiment dans quelle mesure l’anglais est répandu à Benin City, en tant que langue officielle du Nigéria, la SAR a souligné que les demandeurs parlent le yoruba et l’anglais. Compte tenu de ces facteurs, la SAR a conclu que la demanderesse principale, particulièrement en tant que femme instruite, serait vraisemblablement en mesure de trouver un emploi à Benin City. L’incapacité des demandeurs de parler le dialecte local ne suffit pas pour conclure que Benin City est une possibilité de refuge intérieur objectivement déraisonnable.

[52] La SAR a également souligné que le cartable national de documentation (CND) indiquait que le statut d’Autochtone était moins important dans les grandes villes. Sur ce point, les demandeurs ont renvoyé à un document publié dans le CND le 29 novembre 2019, dans lequel il est indiqué que les migrants non autochtones font face à des obstacles dans les grandes villes s’ils ne sont pas financièrement solides et que la capacité à trouver un emploi est un facteur déterminant pour trouver un logement. Ce document n’avait toutefois pas été publié au moment où la décision a été rendue, le 20 novembre 2019, et il ne peut pas être pris en compte maintenant puisqu’il n’a pas été présenté à la SAR : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22 (Access Copyright) au para 19. Par conséquent, ce nouveau document ne peut être invoqué pour contester le caractère raisonnable de la décision.

[53] Il est bien établi que le demandeur ne peut contester le caractère raisonnable d’une décision en se fondant sur une question qui est soulevée pour la première fois en contrôle judiciaire : Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 24. Ainsi qu’il est indiqué dans la décision, la demanderesse principale n’a pas fait valoir devant la SAR en quoi sa santé mentale influerait sur le caractère raisonnable de Benin City comme PRI. Ainsi, la demanderesse principale ne peut invoquer en l’espèce des arguments visant à combler les lacunes dans ses observations présentées à la SAR.

[54] Enfin, la demanderesse principale allègue que ses enfants ne pourraient s’inscrire dans une école de Benin City parce que son oncle, qui est secrétaire auprès du ministre de l’Éducation, pourrait vérifier si ses enfants sont inscrits. La SAR a conclu que rien dans la preuve ne permettait de conclure qu’une personne occupant le poste de son oncle peut avoir un tel accès aux dossiers des élèves. Comme les demandeurs n’ont pas contesté le caractère raisonnable de cette conclusion en contrôle judiciaire, celle-ci est maintenue.

IX. Conclusion

[55] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que la SAR a commis une erreur dans son analyse de la PRI à la lumière de l’un ou l’autre des deux volets.

[56] Après avoir examiné plusieurs obstacles potentiels soulevés par les demandeurs dans le cadre de chacun des volets du critère relatif à la PRI concernant la réinstallation à Benin City, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’était pas objectivement déraisonnable pour les demandeurs de s’y réinstaller.

[57] Les motifs énoncés par la SAR sont bien étoffés. Ils reposent sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie.

[58] Par conséquent, la norme de la décision raisonnable exige que notre Cour fasse preuve de retenue envers la décision de la SAR : Vavilov, au para 85.

[59] La demande est rejetée sans dépens. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7693-19

LA COUR REJETTE la présente demande. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7693-19

 

INTITULÉ :

MARY TITILAYO GRILLO, NAOMI FOLAWE GRILLO (UNE MINEURE), ELIZABETH FOLAJUWON GRILLO (UNE MINEURE), DAVID FOLABOMI GRILLO (UN MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

Naga Obazee

 

Pour les demandeurs

 

Erin Estok

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Naga Obazee

Avocat

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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