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Date : 20210726


Dossier : IMM‑3137‑20

Référence : 2021 CF 767

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2021

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

MARY IDAHOSA ET SOPHIE OMOSEDE IDAHOSA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] Mme Mary Idahosa et sa fille mineure Sophie [collectivement, les demanderesses] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 12 mars 2020 de la Section d’appel des réfugiés [la SAR].

[2] La SAR a confirmé la décision du 13 novembre 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a jugé que les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [la Loi].

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire [la demande] sera rejetée.

II. Faits et contexte

[4] Les demanderesses sont toutes deux citoyennes du Nigéria. En mars 2018, elles ont obtenu chacune un visa de visiteur américain, et le 15 avril 2018, elles ont été admises aux États‑Unis.

[5] Le 18 avril 2018, les demanderesses sont entrées au Canada et ont demandé l’asile. À leur arrivée, elles n’avaient pas de passeport valide; elles ont présenté une photocopie de la page d’identification de leur passeport et d’un certificat de naissance nigérian pour Sophie. La photocopie de la page d’identification du passeport de Sophie et de son certificat de naissance confirme qu’elle est née à Lagos, au Nigéria, mais son certificat de naissance indique également que sa naissance a été enregistrée en 2013, donc trois ans avant la naissance réelle de Sophie, en décembre 2016.

[6] Cependant, les agents ont trouvé dans les bagages de Mme Idahosa un livret de naissance japonais qui a révélé que Sophie était en fait née au Japon, en décembre 2016, et non au Nigéria, et qu’elle avait reçu un vaccin au Japon le 16 mai 2017. Bien qu’elle soit née au Japon, il est incontestable que Sophie ne possède pas la nationalité japonaise. Le 20 avril 2018, comme le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait des doutes quant à l’identité des demanderesses, celles‑ci ont été placées en détention.

[7] Toujours le 20 avril 2018, Mme Idahosa a signé son formulaire de demande générique pour le Canada, où elle a confirmé, notamment, qu’elle n’avait pas vécu dans un autre pays que le Nigéria pendant plus de six mois (page 117 du dossier certifié du tribunal [DCT]) et que sa fille Sophie était née à Lagos, au Nigéria. À la même date, elle a rempli la déclaration de l’annexe A et a confirmé que, d’avril 2013 à juin 2017, elle était propriétaire d’un magasin au Nigéria et que, de 2013 à 2018, elle résidait à une adresse au Nigéria.

[8] Le 23 avril 2018, la Section de l’immigration a tenu une audience relative à la détention. Le 24 avril 2018, un agent a interrogé Mme Idahosa qui, malgré ses déclarations antérieures, a confirmé qu’elle était en fait au Japon de 2013 au 8 juin 2017, date de son retour au Nigéria, et qu’elle avait deux frères et sœurs vivants, Kell et Merry, ses deux autres frères et sœurs étant décédés.

[9] Le 30 avril 2018, Mme Idahosa, assistée d’un avocat, a signé le formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] où elle a confirmé avoir quatre frères et sœurs, tous vivant au Nigéria, et nommés Kingsley, Osazwa, Mercy et Oyhoyu.

[10] Le 22 mai 2018, Mme Idahosa a signé l’exposé narratif connexe où elle souligne qu’elle demande l’asile au Canada afin de sauver sa fille du rituel barbare et inhumain que constitue la mutilation génitale féminine, et d’échapper elle‑même aux actes de violence domestique et aux peines cruelles et inusitées qu’elle subirait pour avoir refusé que sa fille soit excisée. Elle indique que ses problèmes ont commencé le 3 mars 2017, lorsqu’elle s’est rendue dans la famille de Victor, le père de Sophie, dans l’État d’Edo, au Nigéria, où on l’a informée que sa fille serait excisée avant d’avoir deux ans, et précisément le 2 juin 2018. Mme Idahosa indique par contre qu’à la suite à ces événements, en mars 2017, l’excision de sa fille était imminente, pour le mois de juin suivant. Elle souligne que son frère Kingsley lui a conseillé de quitter le Nigéria et qu’il l’a aidée à le faire, et qu’elle a donc quitté le Nigéria en avril 2018.

[11] Le 7 mai 2018, l’agent a de nouveau interrogé Mme Idahosa qui a alors indiqué qu’elle attendait des documents d’identité, et, notamment, qu’elle avait trois frères et sœurs nommés Kingsley, Kelly et Mercy, et que Kingsley était décédé. Le 25 mai 2018, l’agent a confirmé que l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] avait conclu que l’identité des demanderesses avait été établie et a demandé leur libération.

[12] Le 2 juillet 2018, le ministre a déposé un avis d’intervention (pages 180 à 183 du DCT), a exposé ses doutes et a estimé que la demande d’asile des demanderesses n’avait aucun fondement crédible. Le ministre a souligné le fait que les événements qui, selon Mme Idahosa, auraient eu lieu en mars 2017 au Nigéria ne pouvaient pas s’être produits de la manière indiquée, puisque Mme Idahosa et sa fille se trouvaient au Japon à ce moment‑là.

[13] Le 23 juillet 2019, Mme Idahosa a modifié l’exposé circonstancié de son FDA et a changé les dates de la rencontre avec ses beaux‑parents, au Nigéria, au 23 juin 2017, plutôt qu’au 3 mars 2017.

[14] Le 1er octobre 2019, la SPR a instruit la demande des demanderesses, et Mme Idahosa a mentionné dans son témoignage qu’elle avait quatre frères et sœurs, tous vivants. Le 13 novembre 2019, la SPR a rejeté les prétentions des demanderesses. La SPR a conclu que la question déterminante était la crédibilité et que Mme Idahosa n’était pas un témoin crédible en raison des incohérences importantes dans sa preuve et dans son témoignage concernant les dates auxquelles elle a vécu au Japon, les dates auxquelles elle a voyagé pour rendre visite à la famille de Victor, les endroits où elle a vécu pendant son séjour au Nigéria et sa description des membres de sa famille, vivants et décédés.

[15] Les demanderesses ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Dans leur mémoire des arguments présenté à la SAR, les demanderesses reconnaissent les incohérences soulevées par la SPR, mais soutiennent que celle‑ci a commis une erreur en tirant des inférences défavorables, car lesdites incohérences n’ont rien à voir avec l’événement central à l’égard duquel le motif de persécution est invoqué. Elles ont également fait valoir que la santé mentale de Mme Idahosa était un facteur important affectant ses facultés cognitives, sa concentration et sa mémoire.

[16] Mme Idahosa explique que le stress lié à sa détention et à celle de sa fille lui a fait faire des erreurs dans son récit initial, erreurs qu’elle a ensuite corrigées.

III. La décision

[17] La SAR a conclu que la décision de la SPR était correcte, a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention ni des personnes à protéger, conformément au paragraphe 111(1) de la Loi.

[18] La SAR a confirmé le fait que les demanderesses ne contestaient pas la validité des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, mais contestaient le poids que la SPR leur a accordé. La SAR a examiné la preuve relative à la santé mentale de Mme Idahosa, les conclusions relatives à la crédibilité et, selon les arguments des demanderesses, la question de savoir si les conclusions relatives à la crédibilité revêtaient, ou non, une importance cruciale dans leur demande.

[19] En ce qui concerne la question de la santé mentale, la SAR a examiné le rapport d’évaluation daté du 10 octobre 2018 et la lettre datée du 9 août 2018, tous deux rédigés par le thérapeute, un travailleur social clinique. La SAR a exposé les lacunes de la preuve et a noté que le rapport et la lettre manquaient de détails concernant l’approche structurelle et clinique adoptée, ce qui diminuait la fiabilité de l’évaluation. La SAR a noté l’exposé incorrect du point de vue factuel, par le thérapeute, des antécédents de Mme Idahosa, car il était fondé sur le récit de Mme Idahosa. En fin de compte, en raison de tous les problèmes décrits dans le rapport et la lettre, la SAR a jugé que les conclusions cliniques de ces documents n’étaient pas fiables et qu’elles ne méritaient donc pas qu’on leur accorde un poids important.

[20] La SAR a noté que la décision de la SPR était fondée sur quatre conclusions relatives à la crédibilité de Mme Idahosa, à savoir : 1) le témoignage de Mme Idahosa concernant les dates auxquelles elle a vécu au Japon; 2) les dates auxquelles elle a voyagé pour rencontrer la famille de son époux; 3) son affirmation selon laquelle elle avait vécu avec ses parents pendant qu’elle était au Nigéria, avant de se rendre chez la famille de son époux; et 4) son témoignage contradictoire concernant la composition de sa famille, le nom et le sexe de ses frères et sœurs et s’ils étaient vivants ou décédés.

[21] La SAR a d’abord constaté que les éléments de preuve concernant la santé mentale de Mme Idahosa n’ont pas résolu les problèmes liés à la crédibilité. Essentiellement, la SAR a indiqué qu’elle avait trouvé le rapport et la lettre peu fiables, et a souligné qu’elle ne disposait d’aucune autre preuve liée à la santé mentale de Mme Idahosa démontrant qu’elle avait reçu un diagnostic officiel d’une quelconque affection.

[22] La SAR a confirmé les problèmes de crédibilité, et a conclu que les incohérences n’étaient pas mineures ou périphériques, mais qu’elles touchaient plutôt au cœur même de la demande. La SAR a donc conclu que le temps passé au Japon et la date de la rencontre avec la famille de Victor avaient une incidence sur le fond des demandes et étaient essentiels à celui‑ci. La SAR a également conclu que la composition de la famille de Mme Idahosa était une question centrale en raison du rôle important que l’un des frères, Kingsley, aurait joué en conseillant à Mme Idahosa de quitter le Nigéria, en l’aidant à le faire et en fournissant une déclaration sous serment à l’appui. Cependant, l’existence même de ce frère est remise en question par le témoignage et les éléments de preuve de Mme Idahosa. En fin de compte, la SAR estime que Mme Idahosa n’a pas établi, sur la seule foi de son témoignage, qu’elle a un frère nommé Kingsley. La SAR a néanmoins examiné l’affidavit, en a souligné les lacunes et ne lui a accordé aucun poids.

[23] La SAR a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Idahosa n’a pas été convoquée à une réunion avec sa belle‑famille, ni en mars ni en juin, et que Sophie n’a pas été menacée d’excision à ce moment‑là. Par conséquent, la SAR a conclu que les demanderesses ne sont pas exposées à un risque élevé de persécution et, selon le même critère, qu’elles ne seront pas exposées à des risques pour leur vie ou à des peines ou des traitements cruels et inusités.

IV. Observations des parties et analyse

A. Arguments soulevés devant la Cour

[24] Les demanderesses soutiennent que les conclusions de la SAR sur la crédibilité ne sont pas raisonnables et, même si elles sont confirmées, ne conduisent pas au rejet de leur demande d’asile. Elles se sont d’abord concentrées sur trois conclusions de la SAR, mais lors de l’audience, elles ont confirmé qu’elles n’avaient pas fait valoir les arguments soulevés à l’égard de l’inférence négative concernant le lieu de séjour de Mme Idahosa au Bénin.

[25] Bien que les demanderesses n’aient pas contesté la validité des conclusions de la SPR liées à la crédibilité devant la SAR, elles soutiennent qu’elles peuvent contester les conclusions liées à la crédibilité de la SAR devant la Cour.

[26] Considérant, comme il est exposé ci‑dessous, que je conclus que les constatations et la conclusion de la SAR sont raisonnables, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question davantage.

B. Norme de contrôle applicable

[27] Je suis d’accord avec les parties pour dire que la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute cette présomption en l’espèce (Momodu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1365; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[28] Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer le résultat qu’elle préfère (Vavilov au para 99).

[29] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov au para 125).

[30] Un degré élevé de retenue doit être exercé lorsque les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la plausibilité du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu de l’expertise de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits (Vavilov; Michera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 804; Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93).

C. Conclusion défavorable concernant les dates auxquelles les demanderesses ont quitté le Japon et ont rencontré la famille du père au Nigéria

[31] Les demanderesses soutiennent que Mme Idahosa, pendant sa détention, a fourni des renseignements incohérents concernant ces dates, ce qui a été résolu par son récit modifié. Elles critiquent la conclusion de la SAR selon laquelle, étant donné que Mme Idahosa pouvait se souvenir de la date à laquelle elle a quitté le Japon, il était peu probable qu’elle ne puisse pas se souvenir de la date de sa rencontre avec la famille du père. Les demanderesses allèguent que seule cette dernière date était liée à une expérience traumatisante, et ajoutent que la conclusion de la SAR selon laquelle Mme Idahosa n’était pas trop stressée ou déprimée pour se souvenir de la date de sa rencontre avec la famille du père va à l’encontre de la preuve. Les demanderesses ajoutent que les déclarations de Mme Idahosa concernant sa dépression pendant sa détention n’ont pas été remises en question par la SPR, et que la SAR n’a pas tenu compte de cet élément de preuve et n’a pas fait preuve de prudence quant au moment où ces déclarations ont été faites. Les demanderesses invoquent la jurisprudence selon laquelle les déclarations fournies au point d’entrée ne doivent pas se voir accorder une importance excessive (voir par exemple Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116). Elles ajoutent qu’il en va de même pour les déclarations faites en détention, et soulignent que la rencontre avec la famille du père a été une expérience traumatisante et que la position implicite de la SAR est que cette expérience ne l’a pas été – ce qui va à l’encontre des éléments de preuve. Enfin, les demanderesses notent que le rejet de leur appel repose en grande partie sur cette conclusion.

[32] Le ministre répond que Mme Idahosa a fourni un témoignage incohérent sur la date de sa visite chez sa belle‑famille, et n’a modifié sa version des faits que lorsque le ministre est intervenu devant la SPR et a démontré que Mme Idahosa se trouvait au Japon en mars 2017, au moment de sa prétendue visite. Le ministre ajoute que cette date est fondamentale pour la demande des demanderesses et qu’il est raisonnable d’attendre d’elle qu’elle s’en souvienne. Il ajoute qu’une incapacité à le faire soulève des questions quant aux autres détails de son récit, et souligne que Mme Idahosa a présenté des documents et des renseignements inexacts avant d’être placée en détention, et a initialement nié qu’elle résidait au Japon et que sa fille était née au Japon. Le ministre note en outre que la SAR a conclu qu’il s’agissait d’un récit fictif et qu’une demanderesse sincère ne pourrait pas être aussi incohérente concernant son pays de résidence et le lieu de naissance de son enfant.

[33] Le ministre fait valoir que la SAR a examiné les éléments de preuve concernant le stress et la dépression de Mme Idahosa pendant sa détention. Il ajoute que la question n’est pas de savoir si Mme Idahosa était stressée ou déprimée, mais si son stress et sa dépression expliquent les incohérences de ses déclarations. La SAR a analysé les éléments de preuve et leur a accordé peu de poids. Le ministre soutient de plus que notre Cour a exprimé ses réserves à l’égard des rapports de psychologues qui ne sont pas suffisamment méthodologiques et qui se transforment en plaidoyer (invoquant, notamment, Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896). Sans le rapport et la lettre, Mme Idahosa s’appuie uniquement sur son témoignage à l’égard de ces questions, ce qui est insuffisant. Le ministre fait valoir que, même si Mme Idahosa était déprimée et stressée, son état ne pouvait pas expliquer les incohérences – qui indiquent bien une histoire montée de toutes pièces.

[34] Comme le note le ministre, la SAR a entrepris une analyse approfondie de la preuve relative à la santé mentale de Mme Idahosa et de son incidence sur les incohérences, et ses conclusions sont raisonnables. Mme Idahosa a effectivement présenté des renseignements inexacts sur des questions centrales à son arrivée au Canada, avant sa détention, et il était donc raisonnable de conclure que ses incohérences ne pouvaient pas être expliquées par le stress qu’elle a subi pendant sa détention. À l’inverse, la SAR a noté que les déclarations faites au point d’entrée peuvent être moins fiables, mais a constaté que ses déclarations incohérentes n’avaient pas été faites uniquement au point d’entrée. La conclusion de la SAR selon laquelle elle devrait être en mesure de se rappeler la date de l’incident est intelligible et, compte tenu de la preuve, elle est également raisonnable.

D. Conclusions concernant l’affidavit de Kingsley

[35] Les demanderesses soutiennent que la SAR a conclu à tort que l’affidavit de Kingsley était frauduleux, bien qu’elles aient nuancé cet argument à l’audience pour reconnaître que la SAR ne l’avait pas jugé frauduleux, mais ne lui avait en fait accordé aucun poids. Les demanderesses prétendent que les signatures sont effectivement similaires et que la SAR a probablement confondu la signature de Kingsley avec une autre signature sur le permis, celle de l’autorité émettrice. Les demanderesses soutiennent également qu’il s’agit d’une erreur de fait et d’une mauvaise compréhension des éléments de preuve. Elles allèguent aussi que la conclusion de la SAR selon laquelle la photo figurant sur le permis ne couvrait pas le texte de l’affidavit semble non fondée. Les demanderesses ajoutent que, en l’absence de tels éléments de preuve, les déclarations de la SAR concernant la prévalence de la fraude documentaire au Nigéria ne suffisent pas à étayer cette conclusion (Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390).

[36] Les demanderesses prétendent en outre que les conclusions liées à la crédibilité quant aux deux dates ne sont pas suffisantes pour rejeter leur demande, lorsqu’il existe des éléments de preuve qui ne sont pas contestés par ailleurs (invoquant, notamment, la décision Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623). Elles ajoutent que la SAR ne pouvait pas tirer de conclusion sur cette preuve et rejeter le reste des éléments de preuve qui sont incompatibles avec sa conclusion (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311). Les demanderesses expliquent que la SAR a simplement tiré une conclusion sur la date de la prétendue rencontre avec la famille du père, sans évaluer de manière indépendante les autres aspects du récit de Mme Idahosa, comme le fait que sa fille devait subir une mutilation génitale féminine. Il serait possible, en l’absence d’une conclusion générale d’absence de crédibilité de la part de la SAR, que cette dernière conclue que Mme Idahosa n’a pas été honnête sur la date, mais qu’elle l’a été sur d’autres aspects de son témoignage (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381).

[37] Le ministre soutient que Mme Idahosa a omis de fournir des renseignements de base sur l’identité de ses frères et sœurs et de préciser s’ils sont morts ou vivants. Il ajoute que c’est la base même de sa demande et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable pour expliquer les incohérences. Ce point est crucial étant donné l’importance de Kingsley dans le récit de Mme Idahosa, et cela remet en question l’existence même de Kingsley.

[38] En ce qui concerne l’affidavit, le ministre fait valoir que la déclaration de Mme Idahosa selon laquelle la SAR n’a pas pris en compte la bonne signature est indéfendable. Le ministre note qu’aucune des deux signatures ne correspond à celle du déposant. Il reconnaît que la deuxième critique faite par la SAR, à savoir que le permis de conduire ne couvre pas l’affidavit, prête à confusion, car le permis ne figure pas sur la même page que l’affidavit. Le ministre soutient que les autres conclusions de la SAR concernant la signature sont suffisantes pour appuyer sa conclusion et que cette conclusion doit être lue conjointement avec les incohérences dans le témoignage de Mme Idahosa concernant ses frères et sœurs. Le ministre fait en outre valoir que l’affidavit, même si on lui avait accordé un certain poids, ne suffirait pas à modifier l’issue de l’appel, car il a peu d’importance par rapport aux autres incohérences et contradictions.

[39] Le ministre note que Mme Idahosa n’a pas fait référence à quelque élément de preuve corroborant et que la seule autre preuve dans le dossier était la lettre et le rapport de son psychologue.

[40] Dans l’ensemble, le ministre soutient que les conclusions de la SAR concernant la crédibilité de Mme Idahosa étaient amplement justifiées et que la SAR a fourni une justification pour chacune de ses conclusions. Il soutient également qu’une conclusion générale d’absence de crédibilité est admissible et peut s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238).

[41] Je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il était loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable étant donné les nombreuses incohérences de Mme Idahosa concernant ses frères et sœurs, quant à leur nombre et quant à savoir s’ils sont vivants ou décédés, comme je l’ai exposé en détail précédemment. Je suis également convaincue que la conclusion de la SAR sur les irrégularités de ce document n’est pas importante, car cette analyse intervient après la conclusion de la SAR selon laquelle Kingsley n’a peut‑être pas existé.

V. Conclusion

[42] Enfin, étant donné les conclusions raisonnables de la SAR selon lesquelles 1) la santé mentale de la demanderesse n’a pas permis d’expliquer les incohérences; 2) la rencontre avec la belle‑famille n’a jamais eu lieu; et 3) Kingsley n’a peut‑être jamais existé ou n’était pas vivant, et la lettre de Kingsley n’est venu ajouter aucun poids, il ne restait tout simplement rien pour étayer la demande.

[43] La SAR a raisonnablement conclu que ces constatations étaient essentielles à la demande des demanderesses.

[44] Pour ces motifs, la demande sera rejetée.



JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑3137‑20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM‑3137‑20

 

INTITULÉ :

MARY IDAHOSA ET SOPHIE OMOSEDE IDAHOSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 JUILLET 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juillet 2021

COMPARUTIONS :

Richard An

Pour les demanderesses

Maria Burgos

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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