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Date 20210715


Dossier : IMM‑1589‑20

Référence : 2021 CF 741

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2021

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ARSHDEEP GILL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, un citoyen canadien de 26 ans, a contracté un mariage arrangé en Inde. Il a demandé à agir comme répondant dans la demande de statut de résident permanent de son épouse, mais les autorités canadiennes ont refusé. L’agent des visas a conclu que le mariage n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada.

[2] Le demandeur a interjeté appel de la décision défavorable devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI]. En appel, un autre motif de refus a été avancé : le ministre a fait valoir à la SAI que le mariage ne satisfaisait pas à la définition de mariage au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. La question à trancher était de savoir si le demandeur, qui souffre incontestablement d’une incapacité mentale importante, avait la capacité de consentir au mariage.

[3] Le 5 février 2020, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas la capacité de consentir au mariage et que la capacité de consentir est nécessaire pour que le mariage soit valide sous le régime des lois du Canada et de l’Inde. Ainsi, la SAI a conclu que le mariage n’était pas valide en droit. La SAI a également conclu que, à la lumière de toutes les circonstances, le mariage avait été conclu principalement à des fins d’immigration et que, pour cette raison, il n’était pas authentique.

[4] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAI au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est accueillie.

II. Contexte

A. La situation du demandeur

[5] L’incapacité du demandeur n’est pas contestée. Même s’il ne présentait aucun problème de santé grave à la naissance, il a subi sa première crise à l’âge de deux ans, et son état de santé s’est aggravé lorsqu’il a atteint l’âge de cinq ou six ans. Il a terminé sa sixième année dans une école ordinaire, puis il a suivi des cours spéciaux jusqu’à la fin de ses études secondaires. Depuis qu’il a terminé ses études secondaires, il suit un programme spécial pour les personnes handicapées.

[6] Le demandeur ne fait presque pas usage de la parole, il est habituellement très somnolent, établit peu de contact visuel et ses gestes sont lents. Il souffre régulièrement de crises d’épilepsie et doit prendre plusieurs médicaments chaque jour. En exprimant son opinion selon laquelle le demandeur serait incapable de témoigner devant la SAI, son médecin de famille a déclaré que l’incapacité intellectuelle de son patient minait gravement ses facultés de réflexion et de discernement. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a nommé ses parents comme tuteurs et fiduciaires à toutes fins utiles en 2013.

[7] Malgré les incapacités notées, la preuve indique qu’il peut accomplir certaines tâches de soins personnels avec de l’aide, comme prendre une douche et s’habiller. Il fait des promenades supervisées, joue à des jeux vidéo et joue aux quilles. Sa famille rapporte qu’il est capable de communiquer avec eux : sa mère lui parle des activités quotidiennes et il lui répond par des phrases courtes ou des monosyllabes. Elle déclare également qu’il est capable de communiquer ses préférences pour des aliments précis et qu’il lui a fait savoir qu’il veut avoir des enfants. L’oncle du demandeur, qui habite tout juste à côté, dit entretenir une bonne relation avec lui et que, lorsque son neveu lui rend visite, ils s’assoient ensemble pour regarder des films, jouer aux cartes et parler.

[8] La mère et le père du demandeur ont tenté d’organiser un mariage pour le demandeur conformément à leur pratique culturelle traditionnelle. Après une rencontre entre les familles, le demandeur a conclu un mariage arrangé en Inde. Après le mariage et une lune de miel, le demandeur est revenu au Canada et a parrainé la demande de résidence permanente de sa nouvelle épouse.

B. L’agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente

[9] L’agent des visas a soulevé une série de préoccupations au moment de conclure que le mariage entre le demandeur et son épouse n’était pas authentique ou visait principalement l’acquisition de la résidence permanente au Canada

  1. Le demandeur et son épouse étaient incompatibles sur le plan de l’âge et de l’éducation. L’épouse avait quatre ans de plus que le demandeur et possédait une maîtrise, alors que le demandeur n’avait terminé que des études secondaires.

  2. Le demandeur et son épouse se sont mariés seulement trois semaines après leur première rencontre. L’épouse n’a pas été en mesure de fournir une explication crédible pour un mariage si rapide avec un partenaire incompatible.

  3. Le demandeur n’a cohabité avec l’épouse que quatre semaines après le mariage et ne lui a pas rendu visite par la suite. Après son départ de l’Inde, la communication entre les deux personnes s’est limitée à de courts appels irréguliers.

  4. Les photographies présentées de ces deux personnes ne représentaient pas un couple confortable.

  5. L’épouse a eu de la difficulté à expliquer les problèmes médicaux du demandeur, alors que l’agent des visas s’attendait à ce qu’elle puisse le faire.

[10] L’agent des visas n’a pas soulevé de préoccupation quant à la validité du mariage ni quant à la capacité du demandeur. Ce dernier a interjeté appel de la décision de l’agent des visas auprès de la SAI.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

A. La validité du mariage comme motif de refus

[11] Devant la SAI, la conseil du ministre a cherché à ajouter, comme motif supplémentaire de refus, que le mariage n’était pas valide en ce que le demandeur n’avait pas la capacité de consentir au mariage.

[12] Voici la définition du mariage selon le RIPR :

2 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

[…]

mariage S’agissant d’un mariage contracté à l’extérieur du Canada, mariage valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes. (marriage)

2 The definitions in this section apply in these Regulations.

[…]

marriage, in respect of a marriage that took place outside Canada, means a marriage that is valid both under the laws of the jurisdiction where it took place and under Canadian law. (mariage)

[13] Un mariage valide, aux termes du RIRP, doit être valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes.

[14] En cherchant à ajouter la validité du mariage comme motif de refus, la conseil du ministre a fait référence à l’article 5 de la Hindu Marriage Act (loi sur le mariage hindoue), qui régit le mariage en Inde. Voici le libellé de l’article 5 de la Hindu Marriage Act :

[traduction]
5. Conditions d’un mariage hindou

Un mariage peut être célébré entre deux hindous si les conditions suivantes sont réunies :

[…]

  • ii) ni l’une ni l’autre des parties, au moment du mariage,

a. n’est incapable d’y donner un consentement valide parce qu’elle n’est pas saine d’esprit;

b. même si elle est capable de donner un consentement valide, n’est atteinte de troubles mentaux de nature ou de gravité telle qu’elle est inapte au mariage et à la procréation;

c. n’a fait l’objet de crises de démence ou d’épilepsie récurrentes;

[…]

[15] La conseil du ministre fait expressément référence à l’alinéa 5(ii)a) de la Hindu Marriage Act et a informé la SAI que l’alinéa 5(ii)c) de la Loi avait été abrogé et ne serait pas invoqué.

[16] Le demandeur a consenti à l’ajout du motif de refus. La décision de la SAI énonce que cette dernière a communiqué le 10 juillet 2019 que la validité juridique avait été ajoutée comme question en litige en appel. Cette communication ne figure pas au dossier.

B. L’audience de la Section d’appel de l’immigration

[17] Au début de l’audience, la SAI a soulevé deux questions : la validité juridique du mariage et la question de savoir si le mariage était visé par le paragraphe 4(1) du RIPR en tant que mariage qui n’était pas authentique ou qui visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR. À la fin de l’audience, le demandeur a présenté des observations écrites à la SAI selon lesquelles le mariage était authentique et qui traitaient de la validité du mariage au sens de la Hindu Marriage Act. Les observations du demandeur sur la validité du mariage reposaient sur un avis juridique d’un expert en droit familial en Inde. L’avis juridique conclut que (1) une personne ayant une capacité réduite peut contracter un mariage valide en droit; (2) même dans une situation où une partie n’est pas en mesure de consentir, le mariage demeure en vigueur au titre de la Hindu Marriage Act en l’absence d’une contestation de sa validité par une partie — le mariage, bien qu’il soit annulable, n’est pas nul dès sa formation; et (3) comme aucune des parties n’a contesté la validité du mariage, il demeure en vigueur au titre du droit indien en vigueur.

[18] Bien que la conseil du ministre ait cerné les exigences du droit indien quand elle a soulevé la question de la validité, les observations écrites du ministre portent sur la validité du mariage en droit canadien, plus précisément, sur la question de savoir si la capacité réduite du demandeur lui a permis de consentir au mariage sous le régime du droit canadien. Les observations du défendeur ne traitent pas de la question de la validité sous le régime de la Hindu Marriage Act, mais concluent, après avoir résumé la preuve relative à la capacité du demandeur, que le mariage n’était valide ni en droit canadien ni en droit indien.

[19] Le demandeur a soutenu devant la SAI que les observations écrites du ministre contestant la validité du mariage en droit canadien soulevaient une nouvelle question. Le demandeur a sollicité une prorogation du délai pour obtenir un avis d’expert sur la validité du mariage au Canada et pour répondre aux observations du ministre. La SAI a refusé la demande de présentation d’une preuve d’expert en droit canadien, mais elle a accordé au demandeur une prorogation du délai pour répondre aux observations du ministre. La SAI a conclu qu’il y avait eu une occasion juste et entière de présenter des éléments de preuve et qu’il revenait à la SAI, et non à un expert, de trancher sur la validité du mariage en droit canadien.

C. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel

[20] Au moment de rejeter l’appel, la SAI a d’abord répondu à la préoccupation du demandeur selon laquelle la validité du mariage en droit canadien constituait une nouvelle question. La SAI a conclu que le demandeur n’aurait pas dû être surpris par les observations sur la validité du mariage en droit canadien. Pour appuyer sa conclusion, la SAI a ajouté que (1) le demandeur a semblé accepter la demande du ministre que la SAI tranche sur la question de la capacité à consentir en tant que motif de refus supplémentaire, (2) le demandeur n’a pas soulevé d’objection lorsque la SAI a communiqué sa décision d’ajouter la question de la validité juridique comme motif d’appel et (3) aucune objection n’a été soulevée lorsque la validité juridique a été soulevée comme l’une des deux questions au début de l’audience. Enfin, la SAI a conclu que le demandeur avait renoncé à tout droit de soulever une objection par le fait de participer pleinement à l’audience, notamment en présentant des éléments de preuve sur sa capacité à des fins d’examen.

[21] La SAI a ensuite examiné les éléments de preuve relatifs à la capacité, puis a conclu que le demandeur était incapable de consentir au mariage sous le régime du droit canadien. La SAI a conclu que, pour avoir la capacité de consentir, le demandeur devait comprendre les obligations et les responsabilités créées par le mariage, à savoir une relation monogame sur le plan juridique, qui prend fin uniquement par le divorce ou le décès d’un des époux et qui implique un soutien mutuel et une cohabitation. La SAI a conclu que les éléments de preuve n’établissaient pas que le demandeur avait la capacité de comprendre ces obligations et responsabilités et que, par conséquent, le mariage ne satisfaisait pas aux exigences du droit canadien et qu’ainsi, il était nul dès sa formation. La SAI a également conclu qu’il n’était pas évident, selon la prépondérance des probabilités, que les exigences de la Hindu Marriage Act étaient respectées.

[22] En examinant la deuxième question, à savoir si le mariage était authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut, la SAI a reconnu un élément d’authenticité du mariage. La SAI a pris note que la famille du demandeur croyait que le mariage était dans l’intérêt supérieur du demandeur. Toutefois, la SAI a conclu que le mariage visait principalement à trouver une aide familiale pour le demandeur, soulignant que « les familles ont convenu, essentiellement, que [l’épouse] s’occuperait [du demandeur] et chacune a perçu des avantages dans cet arrangement ». La SAI a constaté que l’avantage pour l’épouse était que sa famille n’avait pas à payer de dot. La SAI a conclu que le mariage du demandeur était soit non authentique ou visait principalement l’acquisition d’un statut.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[23] Deux questions se posent :

  1. Le demandeur connaissait‑il la preuve à réfuter?

  2. La décision de la SAI est‑elle raisonnable sur le fond?

[24] La question de savoir si le demandeur était au courant de la preuve à réfuter soulève une question d’équité. L’examen des questions d’équité procédurale se fait en se demandant si un processus juste et équitable a été suivi, eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54 [CPR]. Cet examen est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte », même si aucune norme de contrôle n’est en fait appliquée (CPR, au para 54). Quand la question en litige porte sur des éléments de preuve à réfuter, la véritable question que la Cour doit se poser consiste à « déterminer si, en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties touchées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre » (Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935, au para 17 [Lv]).

[25] Il n’y a aucune raison de s’écarter de la présomption de la décision raisonnable dans l’examen du bien‑fondé de la décision de la SAI (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 23, 33 et 53 [Vavilov]). L’évaluation par la SAI de la validité du mariage et de la question de savoir si le mariage était visé par le paragraphe 4(1) du RIPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Kusi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 68, au para 6). Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov, au para 85).

V. Analyse

A. Le processus était injuste

[26] Le défendeur affirme qu’il n’y a pas eu manquement aux principes d’équité dans la présente instance. On fait observer que la validité du mariage a été clairement soulevée comme une question en litige lors de l’appel, tout comme l’était l’article 2 du RIPR, lequel établit qu’un mariage célébré à l’étranger doit être valide à la fois dans le pays étranger et au Canada. Le défendeur reconnaît qu’en demandant à ajouter la validité du mariage comme motif d’appel, la question a été abordée en fonction de la Hindu Marriage Act. Toutefois, le défendeur soutient que le ministre n’a jamais déclaré que la question se limitait à la validité sous le régime d’un droit étranger. Je n’en suis pas convaincu.

[27] Il n’y a pas de controverse sur le fait qu’une audition équitable suppose que l’intéressé soit informé des allégations formulées contre lui et ait la possibilité d’y répondre (Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9, au para 53). Le degré de précision requis de l’avis à donner à l’intéressé doit être déterminé à la lumière de toutes les circonstances, y compris la question de savoir si l’intéressé était en mesure de répondre de façon significative. Lorsque l’intéressé est mal informé sur les questions, y compris les dispositions législatives en cause, la Cour peut conclure qu’il n’était pas au courant des exigences auxquelles il avait à répondre (Therrien c Canada (Procureur général), 2017 CAF 14).

[28] Pour qu’un mariage étranger soit valide, l’article 2 du RIPR exige incontestablement qu’il doit l’être sous le régime de la loi, tant dans le pays étranger où le mariage a eu lieu qu’au Canada. La définition d’un mariage valide permet de contester la validité pour différents motifs. Toutefois, cette possibilité ne peut pas servir de préavis suffisant dans une situation où la question est formulée aussi précisément qu’elle l’a été dans la présente affaire : la validité du mariage a été soulevée au motif que celui-ci n’était pas conforme à l’alinéa 5(ii)a) de la Hindu Marriage Act. La conseil du ministre a en outre précisé que l’alinéa 5(ii)c) de la Hindu Marriage Act ne serait pas invoqué et aucune mention de la validité en droit canadien n’a été faite avant la réception des observations écrites de la conseil du ministre après l’audience.

[29] Dans sa décision, la SAI s’appuie sur le fait que le demandeur a été avisé que la validité du mariage était en cause. La SAI cite une communication du 10 juillet 2019 informant les parties que la question de la validité juridique était ajoutée en appel. Cette communication ne figure pas au dossier et il semble que le demandeur ait raison de soulever qu’elle n’a jamais été envoyée.

[30] La SAI s’appuie également sur sa déclaration par laquelle elle a établi cette question en litige au début de l’audience, où la validité est considérée comme l’une des deux questions à aborder. Toutefois, dans cette déclaration générale, la SAI ne dit pas qu’elle examinera la question de façon plus large que ne l’a initialement soulevée la conseil du ministre. La transcription de l’audience n’indique pas non plus que la validité en droit canadien ou au titre des alinéas 5(ii)b) ou c) de la Hindu Marriage Act a été soulevée au cours de l’audience.

[31] En l’absence d’un avis explicite ou implicite indiquant que la question de validité était plus large que celle qui avait été initialement soulevée par la conseil du ministre, je suis d’avis que la SAI a eu tort de conclure que le demandeur, en participant pleinement à l’audience sans soulever d’objection, a implicitement renoncé à tout droit de soulever des questions d’équité procédurale.

[32] Malgré ces circonstances, le demandeur a finalement été avisé que la validité du mariage en droit canadien était en cause dans les observations écrites de la conseil du ministre. En réponse, le demandeur a sollicité une prorogation de délai pour lui permettre de répondre aux observations du ministre, ce que la SAI lui a accordé. Je ne suis pas convaincu que cette prolongation du délai pour répondre aux observations du ministre ait remédié au caractère insuffisant de l’avis.

[33] Une prolongation du délai permet souvent de remédier à une atteinte au droit à l’équité procédurale causée par l’absence d’un avis. Toutefois, c’est le cas uniquement lorsque, « en tenant compte du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur était équitable et a donné aux parties touchées le droit de se faire entendre ainsi que la possibilité d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre » (Lv, au para 17).

[34] Dans la présente affaire, l’absence d’avis ne se limitait pas à la validité du mariage en droit canadien. Les dispositions de la Hindu Marriage Act invoquées n’ont pas fait non plus l’objet d’un avis. Devant la SAI, la conseil du ministre a soutenu que seul l’alinéa 5(ii)a) de la Hindu Marriage Act était en cause, mais la SAI s’est fondée sur l’article 5 dans son ensemble, ce qui comprend l’alinéa 5(ii)c), lequel, comme la conseil du ministre en a informé la SAI, avait été abrogé.

[35] Le demandeur a structuré son argumentation devant la SAI en croyant que seule la validité au titre de l’alinéa 5(ii)a) de la Hindu Marriage Act était en cause. Comme le fait remarquer le demandeur dans ses observations écrites, cette compréhension reposait sur le fait qu’il avait consenti à l’ajout de la validité du mariage comme motif de refus. Il est également raisonnable de conclure que la compréhension par le demandeur de la portée de la préoccupation relative à la validité du mariage aurait éclairé ses décisions entourant les éléments de preuve, c’est‑à‑dire les éléments de preuve documentaire qu’il choisirait de déposer et les questions à poser aux témoins. La prorogation du délai n’a pas remédié à l’incidence que l’absence d’avis a entraînée ou a pu entraîner sur ces aspects dans l’instance du demandeur. Je ne suis donc pas en mesure de conclure avec certitude que la prolongation du délai a remédié au préavis insuffisant ou que le demandeur a bénéficié de la possibilité équitable de répondre aux arguments formulés à son encontre.

B. Certains aspects de la décision de la Section d’appel des réfugiés sont déraisonnables

[36] Ma conclusion relative à l’équité procédurale est déterminante. Toutefois, je suis également d’avis que deux aspects de l’analyse de la SAI, bien qu’ils ne soient pas déterminants par rapport à la présente demande, sont également déraisonnables. J’examine brièvement chacune de ces questions dans l’éventualité où mon point de vue pourrait être utile à un réexamen de la présente affaire.

(1) Était‑il raisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de conclure que le mariage n’était pas authentique et visait principalement des fins d’immigration?

[37] Le demandeur soutient que la conclusion de la SAI sur cette question n’était pas justifiée, car aucun motif n’a été fourni. Le demandeur s’appuie sur la décision rendue par le juge Alan Diner dans l’affaire Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 77 [Patel] pour faire valoir que l’absence de motifs adaptés aux éléments de preuve sur les circonstances du mariage rend la décision déraisonnable.

[38] La SAI aborde le but et l’authenticité du mariage dans un seul paragraphe. Bien que la brièveté de l’analyse de la SAI ne rende pas la conclusion déraisonnable, l’omission de fournir des motifs qui « s’attaque[nt] de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés », elle, la rend déraisonnable (Patel, aux para 15 à 17, citant l’arrêt Vavilov, au para 127).

[39] La SAI s’appuie sur la perception d’un avantage pour l’épouse de M. Gill et sa famille, en ce sens qu’une dot n’était pas requise. La SAI n’explique pas en quoi ce fait, à lui seul ou à la lumière d’autres faits et circonstances, rend le mariage non authentique ou démontre qu’il visait principalement des fins d’immigration.

[40] De même, la SAI conclut que le mariage visait principalement à trouver une personne pour s’occuper du demandeur. Cette conclusion est tirée en l’absence de tout examen des éléments de preuve de la mère du demandeur selon lesquels le mariage est allé de l’avant pour deux raisons, à savoir le désir du demandeur d’avoir une épouse et des enfants, l’espoir de la mère, selon l’expérience des autres, de voir l’état du demandeur s’améliorer après le mariage.

[41] Même si la SAI n’était pas tenue d’accepter le témoignage de la mère, le fait de ne pas y répondre, de ne pas l’aborder et de traiter des éléments de preuve qu’elle préférait, mine la pertinence des motifs.

(2) La conclusion par la Section d’appel d’immigration que le mariage était invalide en droit indien est déraisonnable

[42] Le demandeur soutient que le traitement par la SAI de ses éléments de preuve d’expert et le fait qu’elle se soit appuyée sur l’alinéa 5(ii)c) de la Hindu Marriage Act rendent déraisonnable sa conclusion selon laquelle le mariage n’était pas valide en Inde. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure que le demandeur n’était pas en mesure de comprendre la nature des obligations découlant du mariage, une exigence de la Hindu Marriage Act. Le défendeur soutient donc qu’il était raisonnable pour la SAI de conclure que le mariage n’avait pas été conclu valablement en Inde.

[43] Selon l’opinion d’expert, les personnes ayant une capacité réduite peuvent contracter un mariage valide en droit, mais une personne doit avoir une capacité suffisante pour comprendre la nature des obligations assumées. L’opinion d’expert précise en outre que, sous le régime du droit en vigueur, les questions de capacité ne rendent pas un mariage nul. Au lieu de cela, lorsque la capacité est en cause, un mariage peut être annulé si l’un des époux soulève cette question par la suite. L’expert conclut que le mariage, dans la présente affaire, demeure en vigueur en Inde.

[44] La SAI n’était pas liée par l’opinion d’expert; elle pouvait tirer une conclusion différente. Toutefois, le caractère raisonnable de la conclusion de la SAI est encore une fois miné par le fait qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve d’expert. Par exemple, il n’est pas évident, à l’examen des motifs, que la SAI a rejeté l’opinion de l’expert ou que la SAI était d’avis, comme l’a fait valoir le défendeur devant la Cour, que l’opinion de l’expert concordait avec la conclusion de la SAI. Les motifs manquent de transparence, d’intelligibilité et de justification. Le caractère raisonnable de la conclusion est également miné par le fait que la SAI semble s’appuyer sur un alinéa abrogé de la Hindu Marriage Act.

VI. Conclusion

[45] La demande est accueillie. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1589‑20

LA COUR STATUE :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur.

3. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1589‑20

 

INTITULÉ :

ARSHDEEP GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 7 avril 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

le 15 juillet 2021

 

COMPARUTIONS :

G. Michael Sherritt

Navi Dhaliwal

 

Pour le demandeur

 

Me Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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