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Date : 20210621


Dossier : T‑216‑20

Référence : 2021 CF 634

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), le 21 juin 2021

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

PAUL BURKE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Au moyen d’une déclaration datée du 12 février 2020, M. Paul Burke (le demandeur) a introduit une action à l’encontre de Sa Majesté la Reine (la défenderesse), par laquelle il réclame le montant de 50 000 $ à titre de dommages‑intérêts généraux.

[2] Par voie d’un avis de requête déposé le 13 mars 2020, la défenderesse a présenté une requête en radiation de la déclaration, au titre des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106 (les Règles). La requête a été déposée pour examen sans comparution des parties, en vertu de l’article 369 des Règles.

[3] Selon le répertoire des inscriptions enregistrées, le demandeur a reçu signification de l’avis de requête le 12 mars 2020. Le demandeur a sollicité une prorogation de six mois du délai pour répondre à la requête de la défenderesse, au moyen d’une lettre non datée que le greffe de la Cour à Vancouver (Colombie‑Britannique) a reçue le 23 mars 2020.

[4] Par ordonnance prononcée le 8 avril 2020, la Cour a accordé au demandeur une prorogation du délai de 30 jours, prorogation qui allait débuter dès la levée de la période de suspension qui avait été décrétée en raison de la pandémie de Covid‑19. La période de suspension des activités de la Cour en Colombie‑Britannique a pris fin le 15 juin 2020.

[5] Le demandeur n’a pas déposé quelque observation que ce soit en réponse à la requête de la défenderesse.

[6] Selon sa déclaration, le demandeur est un détenu dans un établissement correctionnel fédéral qui purge une peine indéterminée en tant que délinquant sexuel. Sa déclaration contient 44 pages; elle renferme quelques paragraphes numérotés et de nombreux paragraphes non numérotés.

[7] Le demandeur se plaint, de façon générale, que le Service correctionnel du Canada (le SCC) a commis des actes fautifs en consultant des renseignements sur les détenus au moyen d’un ordinateur pendant qu’il était incarcéré au pénitencier de Kingston.

[8] La demande introductive d’instance compte 44 pages. Elle est divisée en parties et comporte des titres; certains paragraphes sont numérotés, d’autres ne le sont pas.

[9] Les paragraphes 1 à 19, qui figurent aux pages 3 à 5, exposent le contexte général.

[10] Les paragraphes 20 à 27, intitulés [traduction] « Faits », figurent à la page 6.

[11] Les paragraphes 27 à 33, intitulés [traduction] « Violations à une loi », figurent à la page 7.

[12] Les paragraphes 34 à 40, intitulés [traduction] « Jurisprudence », figurent aux pages 8 et 9,

[13] Les paragraphes 41 à 43, intitulés [traduction] « Code criminel du Canada », figurent également à la page 9.

[14] Les paragraphes 44 à 52, intitulés [traduction] « Audience de libération conditionnelle », 7 février 2018; (sic) « CNLC/SCC », figurent aux pages 10 et 11.

[15] Le paragraphe 52 est suivi de plusieurs paragraphes non numérotés aux pages 11, 12 et 13.

[16] Les paragraphes 53 à 68, qui commencent à la page 13 et se poursuivent jusqu’à la page 15, semblent consister en des doléances concernant une déclaration de la victime déposée par l’ancienne épouse du demandeur.

[17] Les paragraphes 69 à 78 figurent aux pages 16 et 17.

[18] Des paragraphes non numérotés suivent, à partir de la page 17 jusqu’à la page 20 : ceux‑ci semblent traiter d’une instance devant la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

[19] La page 21 commence par un paragraphe non numéroté et se poursuit avec les paragraphes 79 à 90, lesquels se terminent à la page 22.

[20] Des paragraphes non numérotés concernant [traduction] « L’ALCE Ron Mandziak » commencent à la page 23 et se poursuivent à la page 25.

[21] Trois paragraphes non numérotés figurent à la page 26, sous le titre [traduction] « Le maintien en détention du plaignant constitue une privation de son droit à la liberté ».

[22] La page 26 comprend également un paragraphe sous le titre [traduction] « Les droits résiduels à la liberté ».

[23] La page 27 commence par un paragraphe non numéroté sous le titre [traduction] « La CNLC et le SCC n’ont pas respecté l’audience de libération conditionnelle du demandeur tenue le 7 février 2018 ».

[24] Suivent ensuite des paragraphes non numérotés sous le titre [traduction] « Les dispositions applicables au plan correctionnel du demandeur (RSCMLC et LSCMLC) », de la page 27 à la page 30.

[25] Des paragraphes non numérotés se trouvent à la page 31, sous le titre [traduction] « La législation en matière correctionnelle : Code criminel ».

[26] D’autres paragraphes non numérotés suivent aux pages 32 à 35, sous le titre [traduction] « L’audience de semi‑liberté du 7 février 2018 ».

[27] À la page 35, il y a deux paragraphes sous le titre [traduction] « La classification de sécurité ».

[28] Les paragraphes 91 à 115 figurent aux pages 36 à 39, sous le titre [traduction] « Les audiences de libération conditionnelle – 2009 et 2020 ».

[29] Les paragraphes 116 à 119 figurent à la page 39, sous le titre [traduction] « Jason Strijack GEI ».

[30] Aux pages 40 et 41, dans des paragraphes non numérotés sous le titre [traduction] « Les fondements de la déclaration du demandeur sont », le demandeur tente d’exposer le fondement de sa réclamation. Les deux premiers paragraphes non numérotés sont libellés ainsi :

[traduction]

La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1993, C‑20, donne au Service correctionnel du Canada le mandat d’obtenir des renseignements pertinents (sic) concernant le délinquant et l’infraction répertoriée. Toutefois, l’article 24(1) prévoit que le Service « est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets ».

L’ALEC Ron Mandziak a ordonné à Tara Wilson, une intervenante de programme, de s’assurer que le plaignant répète les séances de maintien des acquis. M. Mandziak a donné cet ordre à Mme Wilson un jour avant son départ pour un congé de 3 mois, (chronologie). L’ordre de M. Mandziak a eu pour conséquence que le plaignant a échoué aux séances et que sa peine a été prolongée de plusieurs années, comme l’a confirmé la Commission des libérations conditionnelles.

[31] Aux pages 42 et 43, le demandeur expose son point de vue sur le montant approprié des dommages‑intérêts.

[32] Le défendeur prétend que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action et qu’elle devrait être radiée, sans autorisation de la modifier, aux termes du paragraphe 221(1) des Règles. L’article 221 des Règles prévoit ce qui suit :

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[33] Le demandeur a introduit l’instance par voie d’action simplifiée, au titre de l’article 292 des Règles. Quoique, de façon générale, les requêtes présentées dans le contexte d’une action simplifiée sont uniquement instruites lors d’une conférence préparatoire, le paragraphe 298(2) des Règles permet à une partie défenderesse de présenter une requête pour faire radier une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable, et ce, avant le dépôt de la défense. C’est le cas en l’espèce.

[34] Le paragraphe 221(2) des Règles prévoit qu’aucune preuve ne peut être produite dans le cadre d’une requête présentée au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles en radiation d’une déclaration au motif que celle‑ci ne révèle aucune cause d’action valable. La Cour doit accepter comme étant véridiques les allégations susceptibles d’être prouvées : voir Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Ce principe ne s’applique pas aux allégations fondées sur les conjectures et les hypothèses : voir Operation Dismantle Inc c La Reine (1985), 18 DLR (4th) 481 (CSC), aux pages 486‑487 et 490‑491.

[35] En l’espèce, la défenderesse soutient que le demandeur n’a pas plaidé de faits substantiels pour établir une cause d’action fondée sur la négligence pour accès non autorisé à un ordinateur en 1999; pour soutenir une cause d’action à l’encontre de la Commission des libérations conditionnelles du Canada relativement à l’iniquité procédurale alléguée à l’égard des audiences de 2009‑2010 et de février 2018; pour appuyer une réclamation implicite pour faute dans l’exercice d’une charge publique; pour appuyer ses allégations d’irrégularités dans la conduite des audiences de libération conditionnelle en 2009, 2010 et 2018, et pour soutenir une réclamation en dommages‑intérêts présentée au titre de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte).

[36] La déclaration du demandeur est décousue et désorganisée. Plus précisément, elle ne divulgue pas clairement de faits pouvant soutenir une cause d’action. La défenderesse a essayé de discerner les causes d’action possibles qui pourraient être envisagées par le demandeur. Il n’appartient pas à une partie adverse ou à la Cour de chercher de cause d’action si les allégations contenues dans la déclaration n’en soulèvent aucune.

[37] Dans la mesure où le demandeur tente de fonder une cause d’action sur un manquement à la Loi, les allégations ne sont pas recevables. Il n’existe aucun droit d’action pour manquement à la loi, comme en fait foi l’énoncé suivant formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 RCS 205, à la page 205 :

Pour tous ces motifs, je serais opposé à ce qu’on reconnaisse au Canada l’existence d’un délit civil spécial de manquement à une obligation légale. La violation d’une loi, lorsqu’elle a une incidence sur la responsabilité civile, doit être considérée dans le contexte du droit général de la responsabilité pour négligence. La notion de négligence et celle d’obligation de diligence qui s’y rattache en common law sont assez fortes pour servir aux fins invoquées à l’appui de l’existence de l’action fondée sur l’infraction à une loi.

[38] Pour obtenir réparation à l’égard de tout manquement à la loi allégué, le demandeur doit établir l’existence d’une violation à l’obligation de diligence en common law. Le critère pour faire valoir une réclamation pour négligence à l’encontre de la défenderesse a été abordé dans l’arrêt Childs et al c Desormeaux, [2006] 1 RCS 643, dans lequel la Cour suprême du Canada a énoncé la formulation canadienne du critère de l’arrêt Anns pour établir s’il existe une obligation de diligence :

1) y a‑t‑il un lien « suffisamment étroi[t] entre les parties » ou un rapport de « proximité » justifiant l’imposition d’une obligation, et dans l’affirmative;

2) existe‑t‑il des considérations de politique générale exigeant de restreindre ou de rejeter la portée de l’obligation, la catégorie de personnes qui en bénéficient ou les dommages auxquels un manquement à l’obligation peut donner lieu?

[39] Le demandeur n’a plaidé aucun fait pour soutenir une cause d’action en négligence relativement à l’incident allégué en 1999, au sujet de l’accès à un ordinateur qui aurait contenu des renseignements délicats sur le demandeur, ou à propos de la violation alléguée d’une obligation légale. Le demandeur ne relève pas d’obligation de diligence en common law à l’appui de toute réclamation implicite pour négligence.

[40] La défenderesse traite de la cause d’action pour faute dans l’exercice d’une charge publique, bien que celle‑ci ne soit pas clairement alléguée dans la déclaration du demandeur.

[41] Le critère applicable à une réclamation pour faute dans l’exercice d’une charge publique est énoncé de la manière suivante aux pages 23 et 32 de l’arrêt Succession Odhavji c Woodhouse, [2003] 3 RCS 263 :

a. le fonctionnaire public doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée;

b. le fonctionnaire public doit avoir été conscient du caractère illégitime de sa conduite;

c. le fonctionnaire public doit avoir été conscient de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur;

d. les préjudices que le demandeur a subis ont pour cause juridique la conduite délictuelle;

e. les préjudices subis par le demandeur suivant cette conduite sont indemnisables.

[42] Le demandeur ne plaide aucun fait substantiel à l’appui de quelque élément que ce soit de ce délit. Il n’y a aucun plaidoyer qui permettrait à un tribunal de conclure qu’un fonctionnaire public, dont le défendeur serait responsable, a sciemment commis un acte illégal en étant conscient que le demandeur subirait un préjudice. Toute réclamation pour faute dans l’exercice d’une charge publique ne repose sur absolument rien.

[43] Dans la mesure où le demandeur fait valoir une réclamation contre la Commission des libérations conditionnelles du Canada, ou contre le SCC, la réclamation doit être rejetée, car, comme je l’ai mentionné précédemment, il n’existe pas de droit d’action pour la violation d’une loi.

[44] Je relève que la défenderesse soutient également que le demandeur ne peut faire valoir les réclamations qu’elle discerne à la lecture de la déclaration, car le délai de prescription est expiré.

[45] Conformément au paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, les règles de droit en matière de prescription d’une province s’appliquent à tout fait générateur survenu dans cette province, sauf disposition contraire d’une autre loi.

[46] La déclaration renvoie à un incident survenu concernant à un ordinateur appartenant au SCC, incident dont le demandeur a eu connaissance au cours du mois d’août 1999. L’incident allégué est survenu en Ontario. Selon la Loi sur la prescription des actions, SRO 1990, c L. 15, maintenant remplacée, le délai maximal pour introduire une action est de deux ans; il est donc expiré depuis longtemps.

[47] Une réclamation pour dommages fondée sur la Charte ne peut être examinée en l’absence de fondement dans la preuve : voir les arrêts MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 et Danson v Ontario (Attorney General) (1987), 60 OR (2d) 676 (CA Ont).

[48] Je suis convaincue que les observations soulevées par la défenderesse à l’égard de la déclaration du demandeur sont fondées. Je suis d’avis que la déclaration ne révèle aucune cause d’action et qu’elle devrait être radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

[49] La défenderesse réclame 300 $ au titre des dépens, dans l’éventualité où elle a gain de cause quant à sa requête.

[50] L’article 400 des Règles prévoit que la question des dépens relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Par conséquent, en vertu de cet article, j’accorde à la défenderesse le montant de 250 $ au titre des dépens.


ORDONNANCE dans le dossier de la Cour T‑216‑20

LA COUR ORDONNE que la déclaration du demandeur soit radiée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier, et accorde à la défenderesse le montant de 250 $ au titre des dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑216‑20

 

INTITULÉ :

PAUL BURKE c SA MAJESTÉ LA REINE

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 21 JUIN 2021

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Aucune observation écrite de la part du demandeur

LE DEMANDEUR (EN SON PROPRE NOM)

Courtenay Landsiedel

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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