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     Date : 19990618

     Dossier : T-1248-98

ENTRE :

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29         
     ET un appel de la décision d'un juge de la citoyenneté         
     ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,         

     appelant,

     - et -

     MAN SHAN HUI,         

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE TEITELBAUM

[1]      Le 18 juin 1998, l'appelant a déposé au greffe de la Cour fédérale du Canada un avis de demande (l'appel prévu au paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi)) tendant à l'annulation de la décision en date du 4 mai 1998 du juge de la citoyenneté Ford et au prononcé par la Cour de la décision que le juge de la citoyenneté aurait dû rendre, en l'occurrence le rejet de la demande de citoyenneté de Man Shan Hui.

[2]      Ainsi qu'il est indiqué dans l'avis de demande, le motif sur lequel repose la présente demande est le suivant :

     [traduction] [l]e juge de la citoyenneté Ford n'a tenu aucun compte des conditions en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, disposition selon laquelle l'auteur d'une demande de citoyenneté doit, dans les quatre (4) ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, avoir vécu pendant au moins trois (3) ans au Canada.         

[3]      Dans sa décision, le juge de la citoyenneté déclare :

     [traduction] [e]lle (l'intimée) s'est absentée pour poursuivre des études universitaires qu'elle avait commencées avant que sa famille n'immigre. Elle n'a pas d'autre résidence permanente. Sa famille est établie à Burnaby (C.-B.).         

[4]      Il est évident que le juge de la citoyenneté a décidé que l'intimée avait satisfait aux conditions en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi en dépit du fait qu'elle avait été physiquement présente au Canada 231 jours dans les quatre années qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté.

[5]      Ainsi que le déclare l'appelant au paragraphe 4 de son exposé des faits et du droit, la preuve sur laquelle le juge de la citoyenneté Ford s'est appuyée pour rendre sa décision datée du 4 mai 1998 est la suivante :

     [traduction]         
     a)      L'intimée, qui est une ressortissante de Hong Kong, est née à Hong Kong le 10 septembre 1974;         
     b)      L'intimée a obtenu le statut de résidente permanente au Canada le 22 septembre 1993;         
     c)      Le 27 janvier 1997, l'intimée a rempli une demande de citoyenneté canadienne à titre d'adulte que le Centre de traitement des demandes de citoyenneté situé à Sydney (Nouvelle-Écosse) a reçue le 3 mars 1997;         
     d)      Selon les renseignements qu'elle a fournis, l'intimée a, durant la période applicable, été physiquement présente au Canada seulement 231 jours avant de présenter sa demande de citoyenneté. Les absences du Canada de l'intimée durant la période applicable sont les suivantes :         
         -      30 septembre 1993 - 12 décembre 1993              Australie/Études         
         -      8 janvier 1994 - 24 juillet 1994                  Australie/Études         
         -      28 janvier 1995 - 9 janvier 1997                  Australie/Études         
     e)      Au soutien de sa demande de citoyenneté canadienne, l'intimée a rempli un questionnaire sur la résidence le 4 avril 1998. De plus, elle a soumis plusieurs autres documents, dont ceux-ci :         
         "      sa fiche relative au droit d'établissement;
         "      son passeport;
         "      des photocopies de sa carte d'assurance sociale, de sa carte de la bibliothèque publique de Vancouver, de sa carte et de son livret de la Banque Royale, et de son permis de conduire;                 
         "      des photocopies de son attestation scolaire, de plusieurs factures de services publics, et de lettres de refus du BCIT et de l'université Simon Fraser.                 

La question en litige

[6]      L'intimée a-t-elle satisfait à la condition prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi voulant qu'elle ait résidé au Canada pendant au moins trois ans dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté canadienne?

La thèse de l'appelant

[7]      L'alinéa 5(1)c) de la Loi dispose :

     Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :         
     [...]         
     c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante : [...]         

[8]      Seul l'alinéa 5(1)c) nous intéresse en l'espèce. L'appelant soutient que bien que le mot " résidence " ne soit pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi, comme le législateur a permis une absence d'une durée d'un an durant la période applicable de quatre ans, une présence substantielle au Canada durant les trois autres années est impérative.

[9]      L'appelant soutient en outre que puisque l'intimée n'a été physiquement présente au Canada que 231 jours durant la période applicable de quatre ans, elle n'a pas été en mesure de prouver la présence physique substantielle durant une période prolongée au Canada exigée par le juge Thurlow dans l'affaire Re Papadogorgakis, [1978] 2 C.F. 208.

[10]      L'intimée soutient qu'elle a immigré au Canada avec sa famille le 22 septembre 1993 et qu'elle a habité au 7964, avenue Sussex, à Burnaby. Ses seules absences du Canada avaient pour but de poursuivre, en Australie, des études universitaires qu'elle avait commencées dans ce pays avant d'immigrer au Canada avec sa famille. L'intimée soutient qu'elle résidait chez ses parents à Vancouver durant ses vacances scolaires.

Analyse

[11]      Dans l'affaire Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259, aux p. 260 et 261, le juge Muldoon déclare ceci à propos de l'objet des conditions en matière de résidence :

     Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de " se canadianiser "... Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs.         

[12]      Je partage entièrement les sentiments exprimés par le juge Muldoon.

[13]      Dans la présente espèce, l'intimée est devenue une résidente permanente le 22 septembre 1993, date à laquelle elle a immigré au Canada avec sa famille (son père et sa mère). À peine huit jours plus tard, elle est partie en Australie pour y poursuivre ses études. Elle est revenue au Canada le 20 décembre 1993, vraisemblablement pour les vacances de Noël, et est demeurée au Canada jusqu'au 8 janvier 1994. Elle est ensuite repartie en Australie le 8 janvier 1994 et est revenue au Canada le 24 juillet 1994. Elle est demeurée au Canada jusqu'au 28 janvier 1995, date à laquelle elle est repartie en Australie pour y poursuivre ses études. Elle a terminé ses études en décembre 1996. Elle est revenue au Canada le 9 janvier 1997, soit environ deux ans après son dernier départ du Canada en janvier 1997.

[14]      Comme je l'ai dit, je souscris aux remarques faites par le juge Muldoon dans l'affaire Re Pourghasemi (précitée). Compte tenu du nombre de jours de résidence au Canada durant la période applicable, soit 231 jours, je suis convaincu que l'intimée n'a pas été en mesure de " se canadianiser ".

[15]      Il ressort clairement de la décision rendue dans l'affaire Papadogorgakis (précitée) qu'il n'est pas toujours nécessaire d'être physiquement présent au Canada pour établir une résidence en vertu de la Loi. Néanmoins, pour établir une résidence, selon le juge Thurlow, la personne qui demande la citoyenneté doit avoir prouvé une présence physique substantielle durant une période prolongée au Canada.

[16]      On ne saurait certainement pas conclure que l'intimée a prouvé d'une quelconque façon une présence physique substantielle durant une période prolongée au Canada.

[17]      L'intimée n'est pas revenue au Canada pour ses vacances de janvier 1995 à janvier 1997.

[18]      Je suis convaincu que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en concluant que l'intimée avait satisfait aux conditions en matière de résidence prévues par la Loi.

[19]      Le présent appel est accueilli. La décision en date du 4 mai 1998 du juge de la citoyenneté est annulée. La demande de citoyenneté de l'intimée est rejetée.

                                 (S) " Max M. Teitelbaum "

                                         Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 18 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-1248-98

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 17 juin 1999
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Re Man Shan Hui

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

en date du 18 juin 1999

COMPARUTIONS :

     Mme Brenda Carbonell                  pour l'appelant

     M. James Henshall                      pour l'intimée

     Mme J. Fisher                      amicus curiae

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Morris Rosenberg                  pour l'appelant

     Sous-procureur général

     du Canada

     M. James Henshall                      pour l'intimée

     Vancouver (C.-B.)

     Mme Julie Fisher                      amicus curiae

     Watson, Goepel, Maledy

     Vancouver (C.-B.)

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