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Date : 20000608

Dossier : IMM-1854-99

Ottawa (Ontario), le jeudi 8 juin 2000

EN PRÉSENCE de Madame le juge Dawson

ENTRE :

     SAROGINIDEVI SELLATHAMBY,


demanderesse,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


     JUGEMENT


MADAME LE JUGE DAWSON

     LA COUR STATUE COMME SUIT :

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


                             « Eleanor R. Dawson »

                                     Juge

Traduction certifiée conforme


___________________________

Martine Brunet, LL.B




Date : 20000608

Dossier : IMM-1854-99

ENTRE :

     SAROGINIDEVI SELLATHAMBY,


demanderesse,

et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


     MOTIFS DU JUGEMENT

MADAME LE JUGE DAWSON


[1]          La requérante est une Tamoule âgée de 48 ans qui provient du nord du Sri Lanka et qui a demandé le statut de réfugié en raison de son appartenance à un groupe social, soit les Tamouls du nord de Sri Lanka, et de ses opinions politiques.

[2]          La requérante a soutenu qu'elle s'était enfuie du Sri Lanka parce qu'elle avait peur des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), de l'armée et de la police.

[3]          La requérante avait déjà présenté une demande de statut de réfugié que la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) a rejetée dans une décision datée du 28 juillet 1997. La Section avait alors conclu que la requérante n'était pas crédible en ce qui a trait à des aspects essentiels de sa demande et qu'elle n'avait pas subi le traitement dont elle soutenait avoir été victime aux mains de la police de Colombo.

[4]          Le 26 janvier 1999, la Commission a entendu la deuxième revendication de la requérante et a jugé à nouveau que celle-ci n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La requérante demande une ordonnance annulant cette décision.

[5]          Pour en arriver à la conclusion que la requérante n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, la Commission a invoqué les motifs suivants :

             [TRADUCTION] Alors que la crédibilité et la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays (PRAMP) à Colombo ont été les questions examinées dans l'affaire antérieure, la présente formation fonde sa décision sur l'omission de chercher refuge ailleurs, compte tenu de la situation actuelle du pays, notamment dans le nord du Sri Lanka et à Jaffna. La formation a constaté que la demanderesse était mieux préparée pour répondre aux questions posées et qu'elle a fourni des dates correspondant à différents événements et expériences qui étaient plus compatibles avec la partie narrative du FRP comparativement aux renseignements qu'elle avait fournis lors de l'audience précédente. Toutefois, sa situation n'a pas changé de façon marquée en ce qui a trait à sa demande de statut de réfugié.
         ...
             Avant de formuler la présente revendication à Fort Erie le 29 juillet 1998, la demanderesse a quitté le Canada et est allée aux États-Unis d'Amérique, où elle est restée trois mois, soit d'avril 1998 à juillet 1998. Lorsqu'elle s'est fait demander pourquoi elle n'avait pas présenté de demande de statut de réfugié aux États-Unis, elle a répondu qu'elle avait l'intention de retourner au Canada, parce qu'elle avait été avisée qu'elle pourrait aller aux États-Unis trois mois et formuler ensuite une nouvelle demande de statut de réfugié au Canada. Elle a également mentionné que, lorsqu'elle se trouvait à Buffalo, elle a rencontré d'autres citoyens du Sri Lanka qui ont dit qu'ils avaient également l'intention de retourner au Canada pour présenter une demande de statut de réfugié. La demanderesse a dit qu'elle ne voulait pas présenter de revendication aux États-Unis, qu'elle ignorait qu'une demande de statut de réfugié aurait pu être présentée là-bas et qu'elle n'a pas demandé de renseignements à qui que ce soit au sujet de cette possibilité. Cependant, étant donné que sa demande n'avait pas été acceptée au Canada et qu'elle a avoué qu'elle craignait d'être persécutée si elle retournait au Sri Lanka, l'omission de sa part de chercher à obtenir de la protection aux États-Unis, où elle est restée trois mois, est significative. La formation ne croit pas que l'explication qu'elle a donnée au sujet de l'omission de demander le statut de réfugié aux États-Unis est satisfaisante et estime que sa conduite démontre que la crainte subjective était insuffisante.
         ...
             De l'avis de la formation, d'après des documents fiables concernant la situation actuelle qui règne dans le Nord, la demanderesse n'a aucun motif valable de craindre d'être persécutée et pourrait donc retourner au Sri Lanka. Compte tenu de son âge et de son profil, elle n'est pas susceptible d'intéresser les LTTE ou l'armée srilankaise (SLA).

[6]          L'avocat de la requérante a fait valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle l'omission de la requérante de demander le statut de réfugié aux États-Unis démontrait une crainte subjective insuffisante a été formulée de façon abusive et arbitraire et ne tenait pas compte des règles de droit canadiennes qui permettent aux demandeurs du statut de réfugié de présenter une nouvelle demande après être restés en dehors du pays pendant 90 jours.

[7]          L'avocat de la requérante a ajouté que la Commission avait commis une erreur de droit en omettant de se demander si les changements touchant la situation du pays dans le nord du Sri Lanka étaient suffisamment importants, réels et durables.

[8]          En ce qui a trait au refus de la Commission d'accepter l'explication que la requérante a donnée au soutien de son omission de demander le statut de réfugié aux États-Unis et à la conclusion selon laquelle la conduite de la requérante démontrait une crainte subjective insuffisante, voici ce que celle-ci a déclaré à l'audience :

         [TRADUCTION]
         Avocat :          C'est ça. Vous avez expliqué que vous aviez encore peur de retourner au Sri Lanka et ce que ces gens vous ont dit a sans doute accentué votre crainte, alors nous comprenons pourquoi vous refusez de retourner au Sri Lanka, mais la question est la suivante : étant donné que vous aviez peur de retourner au Sri Lanka, pourquoi n'avez-vous pas fait une demande aux États-Unis?
         Demanderesse :      Je ne voulais pas revendiquer (inaudible).
         Avocat :          Pourquoi?
         Demanderesse :      La seule intention que j'avais était de revenir au Canada et de demander le statut de réfugié.

[9]          La requérante a également déclaré ce qui suit :

         [TRADUCTION]
         M. Chan :      J'aimerais terminer en lui posant une autre question. Madame, dites-vous qu'avant d'aller aux États-Unis et pendant la période où vous étiez là-bas, vous ignoriez que vous pouviez faire une demande de statut de réfugié dans ce pays?
         Demanderesse :      Je l'ignorais et je ne voulais pas non plus demander de statut là-bas.

[10]          À mon avis, la conclusion selon laquelle la conduite de la requérante démontrait une crainte subjective insuffisante de sa part en était une que la Commission pouvait raisonnablement tirer à la lumière de la preuve et n'était donc ni abusive ni arbitraire.

[11]          La conclusion selon laquelle la requérante n'avait aucun motif valable de craindre d'être persécutée est une conclusion que la Commission a tirée en plus de dire que la conduite de la requérante ne démontrait pas une crainte subjective de sa part. La Commission s'est fondée à ce sujet sur la preuve documentaire concernant la situation qui régnait dans le nord du Sri Lanka.

[12]          Pour évaluer un changement touchant le pays d'origine d'une partie requérante, il faut chercher à savoir si le changement est significatif et suffisamment réel pour rendre déraisonnable toute crainte réelle de cette partie (voir, par exemple, Cuadra c. Canada (solliciteur général), [1993] A.C.F. no 736 (C.A.F.)).

[13]          Dans l'arrêt Yusuf c. Canada (M.E.I.), [1995] A.C.F. no 35 (C.A.F.), la Cour a décidé que la question d'un changement touchant la situation d'un pays est une question de fait et non de droit.

[14]          Dans ses motifs, la Commission a précisé que, notamment dans la région de Jaffna, [TRADUCTION] « le gouvernement a repris les choses en main et, malgré les efforts des LTTE pour déstabiliser la région, la vie civile retourne lentement à la normale » . La Commission a souligné que [TRADUCTION] « la sécurité est élevée et, en juillet 1998, les enseignants universitaires prônant les droits de la personne à Jaffna ont déclaré que, même si des opérations de bouclage et des perquisitions sont constamment en cours dans la péninsule, aucun cas d'agression ou de violence n'a été signalé jusqu'à maintenant » . La Commission a également cité la preuve dont elle a été saisie et selon laquelle [TRADUCTION] « la plupart des gens de la région préfèrent la présence de l'armée srilankaise à celle des Tigres, car ils admettent qu'ils peuvent parler contre le gouvernement sans subir les lourdes représailles qu'ils ont subies aux mains des Tigres. Un bureau de la protection des droits de la personne a ouvert officiellement ses portes à Jaffna le 8 janvier 1998 et les membres de la population de Jaffna s'entendent généralement pour dire que, depuis le début de 1997, la situation s'est nettement améliorée en ce qui a trait aux droits de la personne » [notes de bas de page omises].

[15]          À titre de tribunal spécialisé, la Commission est investie d'un pouvoir discrétionnaire lui permettant d'évaluer la preuve dont elle est saisie, y compris la preuve documentaire, et de tirer des conclusions de fait à la lumière de cette preuve. Je n'aurais peut-être pas tiré la même conclusion que celle à laquelle la Commission en est arrivée sur la foi de la preuve qui lui a été présentée; cependant, il n'était pas manifestement déraisonnable de sa part de conclure que la demanderesse s'exposerait à un faible risque d'être persécutée si elle devait retourner au Sri Lanka.

[16]          Il s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[17]          L'avocat de la requérante a soutenu qu'une question grave de portée générale devrait être certifiée, soit la question de savoir si la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion négative au sujet de l'existence d'une crainte subjective de la part d'une partie requérante en se fondant sur l'omission de celle-ci de revendiquer le statut de réfugié aux États-Unis dans des circonstances où les demandeurs qui se sont vu refuser le statut de réfugié se font dire par une personne compétente qu'ils peuvent aller aux États-Unis et retourner au Canada pour présenter une nouvelle demande de statut de réfugié après 90 jours.

[18]          L'avocat de la requérante a fait valoir qu'en tirant cette conclusion négative, la Commission a outrepassé son pouvoir en rendant inopérante une règle de droit canadienne qui permet aux demandeurs du statut de réfugié de présenter une nouvelle demande après s'être absentés du pays pendant 90 jours.

[19]          L'avocate de l'intimé s'est opposée à la certification de la question au motif que la conclusion de la Commission n'a pas pour effet de rendre inopérante la règle de droit canadienne, étant donné que le demandeur qui s'est vu refuser le statut de réfugié peut, pendant qu'il se trouve aux États-Unis, présenter une demande là-bas et, en cas de refus, retourner ensuite au Canada après 90 jours pour présenter une nouvelle demande. L'avocate s'est également opposée à la certification de la question au motif que celle-ci ne découlait pas de la preuve versée au dossier et qu'elle ne permettait pas en définitive de sceller le sort de la demande de la requérante.

[20]          Je souscris à la description que l'intimé a présentée au sujet de la question proposée. Aucune question ne sera certifiée.


                                 « Eleanor R. Dawson »

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 8 juin 2000


Traduction certifiée conforme


__________________________

Martine Brunet, LL.B

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER




No DU GREFFE :                  IMM-1854-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Saroginidevi Sellathamby c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto
DATE DE L'AUDIENCE :              18 avril 2000

JUGEMENT ET MOTIFS DE MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                  8 juin 2000


ONT COMPARU :

Me John Grice                  POUR LA REQUÉRANTE

Me C.D. Mitchell                  POUR L'INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me John Grice                  POUR LA REQUÉRANTE

North York (Ont.)

Me Morris Rosenberg                  POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada.

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