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Date : 20210618


Dossiers : T-1644-16

T-1643-16

Référence : 2021 CF 631

Montréal (Québec), le 18 juin 2021

En présence de l'honorable juge Shore

ENTRE :

ALAIN DUCAP

DWAYNE LEWIS

demandeurs

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire pour jugement déclaratoire quant au droit du Service correctionnel du Canada (SCC) de demander aux incarcérés de suivre un traitement pharmacologique visant à contrôler les pulsions sexuelles déviantes.

[2] Les demandeurs individuellement purgent une peine pour criminalité et récidivisme ayant un caractère sexuel. À différentes périodes, ils ont été incarcérés à l’Unité spéciale de détention (USD), un établissement à sécurité maximale administré par le SCC dans lequel ils ont suivi divers traitements pour délinquance sexuelle.

[3] En 2015, un psychiatre spécialisé en délinquance sexuelle a recommandé qu’ils suivent un traitement d’hormonothérapie. Les demandeurs ont chacun été considérés aptes à consentir ou non à une telle recommandation et, à ce jour, ils ont toujours refusé de suivre le traitement proposé.

[4] Le présent contrôle judiciaire porte sur la légalité ou la constitutionnalité de demander à des incarcérés de suivre un traitement pharmacologique. Les demandeurs avancent à cet effet que le SCC ne peut pas demander le traitement en question, lequel équivaut fallacieusement à une condition sur leur placement pénitentiaire.

[5] A priori, la Cour est saisie par la question à savoir si la demande ou la recommandation de suivre le traitement pharmacologique peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Cette question a d’ailleurs été abordée préalablement dans le cadre d’une requête préliminaire pour rejet de la demande; ceci ne lie toutefois pas la Cour (voir Fournier c Canada (Procureur général), 2019 CAF 265 au para 29).

[6] D’abord, il est manifeste que le traitement est non contraignant. Il s’agit d’une recommandation visant à faire diminuer le risque de récidive, qui exige le consentement éclairé du délinquant (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, art 3, 5, 85-86, 88). Le refus d’une recommandation de suivre un traitement ne commande pas une décision négative sur le placement pénitencier, cette décision étant régie par les facteurs à l’article 28 de la Loi.

[7] Nonobstant ce qui précède, comme énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Deacon c Canada (Procureur général), 2006 CAF 265 au para 74, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2007] 1 RCS viii (distinction sur les faits), les conséquences possibles de refuser un traitement n’équivalent tout de même pas à un traitement forcé.

[8] La recommandation de suivre le traitement en l’espèce vise à réduire le risque de récidive que posent les demandeurs. Ces derniers ont refusé le traitement, de même que – selon la preuve – refuser de participer à des évaluations subséquentes visant à établir les mesures nécessaires pour un transfert hors de l’USD.

[9] Depuis leur refus de suivre la recommandation du traitement pharmacologique proposé, les deux demandeurs ont été placés hors de l’USD. L’indépendance de la recommandation pour un placement hors de l’USD, de celle pour suivre le traitement, a notamment clairement été expliquée, et ce, avant le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, à l’un des codemandeurs, comme l’attestent les notes d’un agent de libération conditionnelle.

[10] Similairement, dans le cas d’un des affiants en appui à la demande de contrôle judiciaire, un plan d’intégration graduelle a été élaboré pour placement dans un autre établissement depuis son refus de suivre la recommandation de traitement d’hormonothérapie. Outre ce dernier, aucun des affiants délinquants ne s’est vu offrir de suivre le traitement proposé.

[11] Une recommandation ne peut être révisée par la Cour, mais peut l’être selon le cas où elle porte atteinte aux droits légaux ou intérêts d’une partie (Canada (Procureur Général) c Beyak, 2011 CF 629 aux para 60-62).

[12] Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la recommandation de suivre le traitement en question ne peut pas faire l’objet d’une révision judiciaire. Elle n’est pas inexorablement liée à une décision de placement pénitencier et elle ne porte pas atteinte aux droits légaux et intérêts des demandeurs à l’évidence du dossier, et du cadre législatif et jurisprudentiel.

[13] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le tout sans dépens.


JUGEMENT aux dossiers T-1644-16 et T-1643-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, le tout sans dépens.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1644-16 & T-1643-16

 

INTITULÉ :

ALAIN DUCAP, DWAYNE LEWIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUIN 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JUIN 2021

 

COMPARUTIONS :

Marie-Claude Lacroix

 

Pour LEs DEMANDEURs

 

Véronique Forest

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simao Lacroix, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour LEs DEMANDEURs

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

 

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