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                                                                                                                                  Date : 20050217

                                                                                                                               Dossier : T-756-04

                                                                                                                     Référence : 2005 CF 240

ENTRE :

                                                                     CHIN WU

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD:

[1]         Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) et de l'article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, de la décision de la juge de la citoyenneté Sandra Wilking du 16 février 2004 rejetant la demande de citoyenneté de la demanderesse, Chin Wu, faite en vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[2]         Chin Wu (la demanderesse), âgée de 51 ans, est citoyenne de Taiwan et elle a obtenu le statut de résidente permanente au Canada le 23 janvier 1998. Elle a fait sa demande de citoyenneté canadienne le 7 février 2003.


[3]         Dans les quatre ans qui ont précédé sa demande, la demanderesse a été absente du Canada pendant 739 jours et elle a été effectivement présente au Canada pendant 721 jours, soit 374 jours de moins que les 1 095 jours imposés par la Loi. La demanderesse déclare que ces absences ont été motivées par des visites rendues à des amis et à des membres de sa famille, par des vacances et par le fait qu'elle a dû s'occuper de sa mère et de son beau-père.

[4]         En ce qui concerne la résidence, l'alinéa 5(1)c) de la Loi pose les exigences suivantes :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

   [ . . . ]

   c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

   (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

   (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

   [ . . . ]

   (c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

   (i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

   (ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

[5]         Dans la décision Re Pourghasemi (1993), 19 Imm.L.R. (2d) 259, à la page 260, le juge Muldoon énonce l'objet sous-jacent de cette disposition :

_. . . __Elle_ vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » ". Il l'a fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des Canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifiera que la citoyenneté peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si donc le critère s'applique à l'égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s'appliquer à l'égard de tous. Et c'est ainsi qu'il a été appliqué par Mme la juge Reed dans Re Koo, T-20-92, 3 décembre 1992 _publié : (1992),59 F.T.R. 27, 19 Imm. L.R. (2d)1_, encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes.


(Voir aussi les décisions suivantes rendues par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada : Re Chow (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308, à la page 310; M.C.I. c. Li-Te Ho (le 28 avril 1999), T-1846-98; M.C.I. c. Ka Po Gabriel Liu (le 8 janvier 1999), T-997-98; Re Chang (le 5 février 1998), T-1183-97; Re Koo, [1993] 1 C.F. 286; M.C.I. c. Ching Pin Lin (le 6 janvier 1999), T-2803-97; M.C.I. c. Ho (le 24 novembre 1998), T-19-98; M.C.I. c. Lok (le 29 mars 1999), T-1179-98; Hong Sang Tang c. M.C.I. (le 14 juin 1999), T-1663-98; M.C.I. c. Fai Sophia Lam (le 28 avril 1999), T-1524-98, et M.C.I. c. Tara Gupta (le 28 avril 1999), T-757-98.)

[6]         Dans la décision Re Koo, précitée (que le juge Muldoon a citée dans la décision Re Pourghasemi, précitée), la juge Reed propose, aux pages 293 et 294, un ensemble de questions qui peuvent aider le décideur à déterminer si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le demandeur vit régulièrement, normalement ou habituellement :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[7]         Je conviens aussi que, correctement interprété, l'alinéa 5(1)(c) de la Loi n'impose pas une présence effective au Canada pendant la totalité des 1 095 jours de résidence qu'il prescrit lorsqu'il existe des circonstances spéciales et exceptionnelles. Cependant, je suis d'avis que la présence effective au Canada demeure le facteur le plus pertinent et déterminant à prendre en compte pour établir si l'intéressé « a résidé » au Canada au sens de cette disposition. Comme je l'ai dit à maintes reprises, une absence trop longue, quoique temporaire, pendant cette période minimale, est contraire à l'esprit de la Loi, qui permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant l'une des quatre années précédant la date à laquelle elle demande la citoyenneté.

[8]         En l'espèce, la juge de la citoyenneté a déclaré dans sa décision :

_TRADUCTION_

Vous avez été absente du Canada pendant 739 jours au cours de la période pertinente. Vous y avez été effectivement présente pendant 721 jours. Il vous manque 374 jours pour satisfaire au nombre de jours minimum exigé. Les modalités de votre présence effective au Canada donnent à penser que vous avez réparti votre temps à parts égales entre le Canada et Taiwan, votre pays d'origine. Elle donnent à penser que, à ce stade, vous n'avez pas clairement établi que le Canada est le lieu où vous « vivez régulièrement, normalement ou habituellement » .

J'ai pris note des efforts que vous avez faits pour vous intégrer au Canada. Ils sont dignes d'éloges. Cependant, à ce stade, je ne peux pas dire que ces liens sont plus étroits que ceux que vous avez avec votre pays d'origine. La raison en est que vos absences ont été très longues.

[9]         Je conclus que la décision contestée est fondée sur des éléments de preuve sérieux qui ont été évalués de manière raisonnable par la juge de la citoyenneté; je ne peux donc pas dire que, lorsqu'elle a conclu que la demanderesse n'avait pas satisfait aux exigences de résidence imposées par l'alinéa 5(1)c) de la Loi, elle a incorrectement appliqué cette disposition.


[10]       L'appel sera donc rejeté.

                                                                                                                                   _ Yvon Pinard _                

                                                                                                                                                     Juge                          

Ottawa (Ontario)

Le 17 février 2005

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                             

DOSSIER :                                                     T-756-04

INTITULÉ :                                                    CHIN WU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 18 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                   LE 17 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS:

Andrew Z. Wlodyka                                          POUR LA DEMANDERESSE

Keith Reimer                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Lowe and Company                                          POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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