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Date : 19990702


Dossier : IMM-3391-98



ENTRE :

     OLEG STANISLAVOVICH DAMASKIN,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]      Par voie d"avis de requête introductive d"instance, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision rendue, dans une lettre datée du 22 mai 1998, par une agente des visas en poste au consulat général du Canada à New York. L"agente avait décidé que le demandeur n"était pas un entrepreneur au sens du Règlement sur l"immigration et qu"il ne satisfaisait pas aux critères d"admissibilité aux fins de l"immigration à titre de résident permanent et d"entrepreneur.

[2]      Le demandeur est un citoyen russe qui réside au Canada depuis 1992. Depuis son arrivée au pays, il a travaillé pour Cansov Marine Products (ci-après Cansov) à titre de directeur général adjoint et de sous-directeur général. Il a également été vice-président aux opérations internationales auprès d"une société affiliée à Cansov, soit Carusco Marine International, laquelle mène ses opérations au même endroit que Cansov. Cansov exporte des produits canadiens de la pêche sur les marchés internationaux et importe du poisson de la Russie. On dit de Cansov qu"elle est une entreprise détenue en propriété exclusive par trois sociétés d"État russes.

[3]      Avec l"aide d"un consultant en immigration, le demandeur a rempli une demande de résidence permanente au Canada à titre d"entrepreneur le 14 février 1997. La demande en question a été reçue au consulat canadien à Buffalo (New York), et a par la suite été transférée au consulat général du Canada à New York aux fins de l"entrevue d"évaluation qui devait avoir lieu le 18 février 1998. Le demandeur, son épouse et son fils, dont les demandes de résidence permanente au Canada, de même que celle de sa fille, relevaient de la demande du demandeur, ont assisté à l"entrevue conformément aux directives.

[4]      Lors de l"entrevue, l"agente des visas a évalué le demandeur en tant qu"" entrepreneur ", selon la définition qu"en donne le paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration de 1978, DORS/78-172, modifié, qui prévoit qu"un entrepreneur est un immigrant :a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.

[5]      Il y a peut-être eu un peu de confusion à l"entrevue relativement à l"identité de l"employeur du demandeur au Canada puisque le demandeur a déclaré, en réponse aux questions de l"agente des visas, qu"il travaillait pour Carusco et pour Murmansk Trawlflot. Cette dernière entreprise est l"une des trois sociétés d"État russes à qui appartient Cansov. L"agente des visas a affirmé que le demandeur n"avait pas donné beaucoup de détails au cours de l"entrevue sur la nature de son emploi ni sur les opérations respectives des entreprises précitées, mis à part le fait qu"elles achetaient du poisson canadien pour le destiner aux marchés d"exportation et qu"elles importaient du poisson russe pour le transformer au Canada. De plus, aucun document financier d"importance n"a été soumis par le demandeur en dépit du fait qu"il avait été informé d"avance qu"il devait produire de tels documents.

[6]      Au soutien de sa demande de statut de résident permanent à titre d"entrepreneur, le demandeur a soumis aux autorités provinciales de la Nouvelle-Écosse un projet d"entreprise qui donnait un aperçu de son plan de mettre sur pied " Damaskin Fisheries ", un cabinet d"experts conseils en produits de la mer et en transport maritime dont la fonction serait d"agir à titre de courtier dans la vente des produits de la pêche achetés en grande partie des chalutiers russes et transformés en Nouvelle-Écosse ou en Nouvelle-Angleterre; ces produits seraient alors destinés à la vente aux pays baltiques, à la Russie et à l"Ukraine. Le demandeur envisageait l"agrandissement de son entreprise en passant d"un groupe restreint d"employés à un groupe qui inclurait un certain nombre de travailleurs des usines à poisson en Nouvelle-Écosse. Le projet d"entreprise en question a été accueilli favorablement par les autorités provinciales et a été joint à la demande de résidence permanente du demandeur à titre d"entrepreneur; il se trouvait parmi les documents contenus dans le dossier soumis à l"agente des visas.

[7]      Avant la tenue de l"entrevue à New York, le demandeur avait investi dans une entreprise nouvellement formée en Nouvelle-Écosse, soit Alosa Fisheries. D"autres personnes s"occupaient de diriger l"entreprise étant donné que le demandeur n"était apparemment pas autorisé à y travailler aux termes des conditions imposées à son séjour au Canada par l"Immigration à cette époque. Il semble que ceux qui dirigeaient la nouvelle entreprise demandaient au besoin l"avis du demandeur, et il était entendu que ce dernier se joindrait à l"entreprise une fois que sa demande de résidence permanente aurait été acceptée.

[8]      Dans l"affidavit présenté au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a notamment déclaré :[TRADUCTION] 13. Au moment de mon entrevue de sélection, j"avais déjà :
i) établi une version plus élaborée du projet d"entreprise relié à la pêche, intitulé Alosa Fisheries, que j"ai jointe à ma demande d"immigration en avril 1997;
ii) procédé à un investissement important se chiffrant à 15 000 $ au profit de Alosa Fisheries;
iii) choisi deux autres associés en affaires pour travailler avec moi chez Alosa Fisheries;
iv) fait fructifier mon investissement de 15 000 $ dans Alosa Fisheries dans une entreprise qui aujourd"hui vaut approximativement 500 000 $;
v) embauché au moins 8 travailleurs canadiens à Alosa Fisheries, où 13 travailleurs canadiens y travaillent aujourd"hui;
vi) commencé à faire des plans pour agrandir Alosa Fisheries pour y ajouter une usine de transformation du poisson à Pictou (Nouvelle-Écosse), d"une valeur approximative de 700 000 $, qui créera de l"emploi pour 90 autres Canadiens, et dont les plans seront soumis au gouvernement ce mois-ci;
vii) réalisé un chiffre d"affaires brut considérable au profit de Alosa Fisheries dont la valeur s"élevait en 1997 à 5 994 000 $; Alosa Fisheries aura à payer approximativement 30 000 $ d"impôt sur les sociétés;

viii) commencé à m"impliquer dans la gestion de Alosa Fisheries (en m"assurant de ne pas " travailler " dans l"entreprise au sens de la Loi sur l"immigration) en attendant d"obtenir mon statut de résident permanent, grandement anticipé, qui me permettrait de " travailler " légalement dans l"entreprise.

[9]      Les renseignements précédents n"avaient apparemment pas été dévoilés au cours de l"entrevue tenue en février 1998 si l"on se fie à l"affidavit de l"agente des visas qui, après avoir fait mention des entreprises russes et de leurs deux sociétés néo-écossaises, a notamment affirmé :[TRADUCTION] 13. [...] J"avais déjà expliqué au demandeur que des renseignements complets devaient être fournis afin qu"une évaluation adéquate des antécédents personnels du demandeur, de ses expériences de travail, de ses antécédents financiers et de son statut puisse être faite. Le demandeur n"a pas beaucoup collaboré à cet égard et à certains moments il a refusé de répondre à des questions précises portant sur ses activités professionnelles liées aux sociétés précitées, au Canada et en Russie. Lorsqu"il a été interrogé à propos de ses fonctions précises, le demandeur a affirmé qu"il n"était " qu"un employé " et a prétendu ne pas être au courant des détails liés aux affaires des sociétés. De plus, le demandeur a affirmé à plusieurs reprises au cours de l"entrevue que CANSOV soit se portait bien sur le plan financier, soit ne s"y portait pas bien.
14.      [...] le demandeur n"a pas présenté de lettre de recommandation de la part de son employeur actuel ni de ses employeurs précédents au cours de l"entrevue du 18 février 1998, ni à un moment quelconque par la suite. De plus, le demandeur n"a pas soumis de documents, soit à l"entrevue ou soit après celle-ci, tendant à démontrer qu"il s"impliquait de façon continue au sein d"une entreprise ou dans le cadre d"activités commerciales en Russie ou au Canada. Je ne peux par conséquent affirmer que le demandeur était lié de près aux opérations commerciales de ces entreprises.
[...]
17.      Selon le projet d"entreprise soumis par le demandeur, celui-ci devait se joindre à une entreprise existante, soit Alosa Fisheries Ltd. (ci-après ALOSA), à titre d"associé en affaires, moyennant un investissement de 15 000 $ en fonds canadiens. Le demandeur a produit des documents indiquant que ALOSA s"était constituée en personne morale en avril 1997. Il a également produit des documents indiquant qu"il serait autorisé à recevoir 33 % des bénéfices nets de ALOSA et qu"il serait appelé à se joindre à ALOSA dès l"obtention de son statut de résident permanent au Canada.
18.      En ce qui concerne les paragraphes 7, 10, 13, 15, 21, 26 à 29 et 46 de l"affidavit du demandeur, je n"ai pas reçu de documents relatifs aux comptes de profits et de pertes, au chiffre d"affaires annuel et aux évaluations foncières, aux états financiers ou autres rapports de gestion, ou encore aux études liées à la viabilité de l"entreprise commerciale envisagée.
[...]

28.      En ce qui concerne les paragraphes 12 et 13 et 21 à 29 de l"affidavit du demandeur, j"ai passé en revue le dossier et les notes que j"y avais prises. Le demandeur n"a pas produit de document commercial émanant de ALOSA, exception faite de la lettre d"entente, de l"offre et du certificat de constitution en personne morale et d"enregistrement. Des copies authentifiées de ces documents, marquées Pièce " D ", ont été jointes au présent affidavit. Des copies authentifiées des notes que j"ai entrées dans le Système informatisé de traitement des cas d"immigration (SITCI) au cours de l"entrevue avec le demandeur, marquées Pièce " E ", ont été jointes au présent affidavit.

[10]      Certain documents visant à dresser l"inventaire des biens du demandeur, plus particulièrement ceux qui concernaient une maison en Russie, n"ont pas été examinés par l"agente des visas puisqu"ils n"ont pas été jugés recevables au même titre que des documents originaux. Le demandeur avait été informé qu"il devait produire des documents originaux.

[11]      L"agente des visas a conclu que le demandeur n"était pas apte à investir de façon significative dans une entreprise commerciale au Canada ou à gérer cette entreprise, et qu"il n"était pas un " entrepreneur " au sens du Règlement. Dans son affidavit, l"agente affirme avoir rejeté la demande et informé le demandeur de sa décision au terme de l"entrevue, comme l"indiquent ses notes SITCI à ce moment-là. L"agente affirme avoir alors expliqué au demandeur qu"il n"avait pas démontré les aptitudes requises et qu"il n"était pas un entrepreneur aux termes du Règlement.

[12]      Par la suite, le consulat général a reçu trois lettres provenant du nouvel avocat du demandeur datées respectivement du 12 mars, du 23 mars et du 23 avril 1998. Ces lettres contenaient de la correspondance d"hommes d"affaires de la Nouvelle-Écosse dans laquelle ces derniers décrivaient leurs relations commerciales avec le demandeur et donnaient leur propre évaluation des aptitudes du demandeur en affaires; l"avocat du demandeur y avait également joint une description quelque peu détaillée de la formation de M. Damaskin et de ses expériences. Selon l"agente des visas, les nouveaux documents n"appuyaient pas davantage la prétention du demandeur selon laquelle il satisfaisait aux critères d"admissibilité pour être un entrepreneur. La Cour note que quelques lettres de recommandation supplémentaires au soutien de la demande de M. Damaskin, provenant d"hommes d"affaires canadiens, ont été reçues au consulat général à New York après que l"agente des visas eut confirmé par écrit sa décision de rejeter la demande; ces lettres ont depuis été déposées dans les dossiers du consulat. Aucun des documents reçus après que la lettre de confirmation eut été écrite n"est évidemment pertinent en l"espèce étant donné qu"ils n"ont pas fait partie du dossier qui a été examiné par l"agente des visas.

[13]      L"agente des visas a écrit une lettre au demandeur le 22 mai 1998, lettre reçue par ce dernier le 8 juin 1998, pour l"informer que sa demande de résidence permanente avait été rejetée. La lettre faisait état notamment de ce qui suit :[TRADUCTION] [...]
J"ai terminé l"évaluation de votre demande et je regrette de vous informer que vous ne remplissez pas les critères d"admissibilité à titre d"entrepreneur aux fins de l"immigration au Canada.
[...]
Après un examen attentif et méthodique de votre demande et des renseignements que vous m"avez fournis à l"entrevue, puis des renseignements fournis subséquemment à l"entrevue par l"entremise de votre nouvel avocat, et sur la base de mon analyse et de mes conclusions, j"ai décidé que vous n"étiez pas un entrepreneur au sens de la définition qu"on trouve dans les règlements.
Vous avez mentionné à l"entrevue que vous aviez déjà établi une entreprise au Canada. Les documents que vous avez produits montrent que vous avez reçu une offre d"emploi ainsi qu"une lettre d"entente selon laquelle vous vous joindriez à " Alosa Fisheries Ltd. " à titre d"associé en affaires une fois que vous auriez obtenu le statut de résident permanent au Canada. Des documents supplémentaires indiquent que vous recevriez 33 % des bénéfices nets de Alosa Fisheries Ltd. moyennant un investissement d"une valeur de 15 000 $ dans l"entreprise. J"ai conclu que vous n"étiez pas apte à établir ou à acquérir un commerce ou une entreprise commerciale au Canada, ni à y investir une somme importante d"argent, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique du pays et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent de bénéficier de la création d"emplois ou de leur maintien.
Ma décision se fonde également sur les faits suivants : vous avez travaillé au Canada à titre de directeur général adjoint depuis avril 1992 pour " Cansov Marine Products ", mais vous êtes incapable ou vous refusez de donner des renseignements précis à propos de l"entreprise. Lors de votre entrevue de sélection, vous avez prétendu que vous n"étiez qu"un employé de Cansov Marine Products, et non un dirigeant. Par conséquent, je ne peux conclure que vous êtes en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion d"une entreprise ou d"un commerce. Vous avez également omis de soumettre des documents commerciaux relatifs à Cansov Marine Products qui auraient pu me convaincre que vous seriez en mesure d"établir avec succès une entreprise au Canada.
Lors de l"entrevue, vous avez présenté des preuves selon lesquelles vous étiez propriétaire d"une maison au Canada évaluée à 173 000 $ en fonds canadiens. Vous avez également soumis des états de compte bancaire s"élevant à 86 526,31 $ en fonds canadiens. Ce montant ne constitue que très peu d"argent pour acquérir ou pour démarrer une entreprise destinée à contribuer de manière significative à la vie économique du pays.
Votre demande de résident permanent au Canada est rejetée. [...]

[14]      La Cour note que la lettre provenant de l"agente des visas, de même que ses notes SITCI prises lors de l"entrevue, ne font nullement mention du projet d"entreprise auparavant soumis par le demandeur aux autorités provinciales de la Nouvelle-Écosse, ni de la lettre d"acceptation du projet par ces mêmes autorités; cela peut paraître comme étant une étonnante omission du fait que le projet d"entreprise en question constituait l"élément central de la demande soumise par le demandeur à titre d"entrepreneur et que ces documents se trouvaient dans le dossier présenté à l"agente des visas. De plus, sur la base du dossier soumis à la Cour, il n"existe pas de preuve démontrant que les autorités provinciales aient communiqué avec les agents d"immigration, bien que ces deux intervenants soient impliqués dans le programme de recrutement d"entrepreneurs aux fins de l"immigration au Canada.

Les questions en litige

[15]      Le demandeur soulève un certain nombre de questions relativement à la décision rendue par l"agente des visas. Elles peuvent être regroupées en deux catégories générales de questions qui méritent d"être examinées attentivement, soit celles qui sont liées au principe de l"équité procédurale et celles qui sont liées aux erreurs que l"agente des visas aurait commises en évaluant la preuve. La Cour abordera tour à tour ces catégories l"une à la suite de l"autre.

Les questions liées au principe de l"équité procédurale

[16]      L"avocat du demandeur soutient que l"agente des visas a manqué à son obligation de respecter le principe de l"équité procédurale en n"informant pas le demandeur, au terme de l"entrevue, du fait que sa demande lui posait certains problèmes. Le demandeur admet que l"entrevue ne s"est pas bien déroulée et qu"il était particulièrement préoccupé au terme de cette dernière, mais il affirme ignorer ce qui a pu poser problème à l"agente des visas. La Cour note toutefois que la correspondance qui a été adressée subséquemment au consulat général à New York avait pour principal objet les observations soumises par des tiers à propos des aptitudes en affaires du demandeur; le demandeur aurait dû donc savoir que cela constituait un sujet de préoccupation majeur pour l"agente des visas. De plus, l"agente des visas a déclaré dans son affidavit, lequel n"a pas fait l"objet d"un contre-interrogatoire, que M. Damaskin avait effectivement été avisé au terme de l"entrevue que sa demande avait été rejetée, puis informé des motifs qui ont fondé cette décision, en particulier de la conclusion selon laquelle il ne satisfaisait pas aux critères d"admissibilité en tant qu"entrepreneur au sens du Règlement. Dans les circonstances, la Cour ne peut accepter la prétention voulant que l"agente des visas n"ait pas informé le demandeur, comme elle jure l"avoir fait dans son affidavit, des motifs qui ont fondé le rejet de sa demande. Il est possible que le demandeur n"ait pas tout à fait compris l"avis donné par l"agente des visas à ce moment-là, mais il n"existe aucun fondement pour conclure que le prétendu défaut d"aviser le demandeur des questions soulevées par sa demande, au terme de l"entrevue, ait entraîné une injustice quelconque.

[17]      Il semble que l"agente des visas ait affirmé, au début de l"entrevue puis à d"autres reprises au cours de celle-ci, que l"industrie de la pêche ne lui était pas familière. Cet aveu a apparemment soulevé des inquiétudes chez le demandeur, ainsi que chez son épouse, liées à la possibilité que sa demande ne soit pas évaluée de manière équitable et, qu"en bout de ligne, elle ne l"ait en effet pas été. Dans son affidavit, l"agente des visas a admis :[TRADUCTION] 30.      [...] bien que je ne me rappelle pas précisément des mots que j"ai employés lors de l"entrevue tenue le 18 février 1998, j"ai l"habitude de dire aux requérants du statut d"entrepreneur que je ne connais rien de leur entreprise jusqu"à ce qu"ils me l"expliquent. De cette manière, je suis plus en mesure d"obtenir des renseignements pertinents et utiles pour m"aider à trancher la demande quant au fond, conformément à la législation.

[18]      L"avocat du demandeur fait valoir que la technique employée par l"agente des visas est injuste. En effet, soit elle constitue une pratique malhonnête, bien que l"on puisse difficilement dire que c"est le cas, à moins que l"agente des visas en sache en réalité beaucoup sur l"industrie en dépit de son ignorance affichée, soit elle constitue la preuve qui démontre que la demande du demandeur n"a pas été évaluée de façon équitable, puisque l"agente des visas a avoué ne rien connaître de l"industrie de la pêche. L"avocat du demandeur soumet qu"un projet d"entreprise présenté par un entrepreneur potentiel, et en particulier par celui qui réside au Canada depuis quelques années déjà, devrait être examiné attentivement par une personne qui possède au moins un minimum de connaissances liées à l"industrie en question, et plus particulièrement par une personne bien informée au sujet des pratiques commerciales en général. L"avocat du demandeur fait observer que les questions posées par l"agente des visas révélaient son manque de connaissances à propos des affaires en général et à propos de l"industrie de la pêche en particulier.

[19]      La Cour est d"avis qu"il n"existe aucun fondement, sur la base de la preuve par affidavit ou de l"ensemble du dossier qui lui a été soumis, pour conclure que la technique employée par l"agente des visas lors de l"évaluation de la demande a entraîné une application irrégulière de la loi. De plus, il n"appartient pas à la Cour d"apprécier les qualités que devraient posséder les agents des visas. Elle ne peut se limiter qu"à étudier la question de savoir si les personnes à qui l"on a attribué des responsabilités s"en acquittent conformément à la loi et en examinant de façon raisonnable la preuve qui leur a été soumise.

[20]      Il ressort clairement du dossier que le demandeur était déçu au terme de l"entrevue et peut-être même au cours du déroulement de celle-ci. Il semble croire que sa demande n"a pas été examinée de manière intégrale ni équitable. Cependant, cette croyance n"est pas suffisante pour démontrer que le processus d"évaluation était injuste au point où l"intervention de la Cour serait justifiée, à moins que l"interprétation faite par l"agente des visas de la preuve qui lui a été soumise puisse être considérée comme déraisonnable.

L"examen de la preuve

[21]      L"avocat du demandeur soutient que l"agente des visas a commis une erreur en insistant pour que le demandeur produise des documents commerciaux relatifs à Cansov. Cependant, il appert que, à la lecture de la lettre de l"agente des visas datée du 22 mai 1998 qui fait mention de l"omission du demandeur de présenter les documents précités, cette omission n"était qu"une raison parmi d"autres qui a mené l"agente des visas à conclure qu"il n"y avait pas suffisamment de preuve pour accueillir la demande d"admission du demandeur au Canada à titre d"entrepreneur. La mention de l"omission suit le paragraphe dans lequel l"agente des visas passe en revue les documents portant sur Alosa Fisheries Ltd., sur l"investissement effectué par le demandeur au profit de cette entreprise et sur l"entente par laquelle le demandeur aurait droit à un pourcentage des bénéfices nets de l"entreprise, et dans lequel l"agente conclut que les documents précités ne démontraient pas que le demandeur était apte à établir ou à acquérir un commerce ou une entreprise commerciale au Canada, ou à y investir une somme importante. L"examen portant sur Cansov se poursuit avec une remarque de l"agente des visas relativement au manque de renseignements précis sur l"entreprise, mis à part la description générale de ses activités et le fait que le demandeur n"était qu"un employé et non un dirigeant. La Cour est d"avis que la conclusion tirée par l"agente des visas, selon laquelle la preuve qui lui a été soumise n"appuyait pas la conclusion que le demandeur pouvait réussir à établir une entreprise au Canada, est entièrement raisonnable.

[22]      Le demandeur fait également valoir que l"agente des visas n"a pas tenu compte, dans son évaluation de sa demande, des réussites commerciales de Alosa Fisheries. Il ressort cependant de la preuve au dossier que la participation du demandeur au sein de l"entreprise, de même que le degré de succès que cette participation a engendré au 18 février 1997, date de la tenue de l"entrevue, étaient minimes. La décision rendue par l"agente des visas était entièrement raisonnable étant donné que la preuve documentaire soumise par le demandeur au sujet de Alosa ne lui permettait pas de conclure que le demandeur remplissait les critères pour être considéré comme un entrepreneur. Dans son affidavit, l"agente des visas a affirmé n"avoir reçu aucun document de nature financière ou commerciale, ni d"évaluation relative à la viabilité du projet d"entreprise envisagé. À l"exception du projet d"entreprise soumis aux autorités provinciales qui a reçu leur approbation l"année d"avant, la preuve documentaire ne comporte aucun renseignement à cet égard, et le projet lui-même a, semble-t-il, subi des modifications par suite du développement de Alosa Fisheries. Si le demandeur voulait que son expérience au sein de cette entreprise soit considérée par l"agente des visas, il aurait dû s"assurer que la preuve relative aux opérations commerciales de Alosa se retrouve dans le dossier soumis à l"agente en question. Même les lettres qui ont par la suite été soumises n"ont dévoilé aucun renseignement détaillé à propos des opérations commerciales de l"entreprise, et aucun renseignement de la même nature que ceux contenus dans le paragraphe 13 de l"affidavit ultérieur du demandeur n"a été soumis à l"agente au moment de l"entrevue ou après la tenue de celle-ci. La conclusion tirée par l"agente des visas se fonde en grande partie sur l"affidavit du demandeur, lequel fait mention du succès commercial de Alosa Fisheries, succès dont l"étendue a été évaluée après l"entrevue. Au moment de l"entrevue, l"entreprise n"avait pas encore terminé sa première année d"activités commerciales et la mesure de son succès, si cette donnée était le moindrement disponible, n"aurait donné qu"une indication préliminaire de son succès réel; cependant, aucune preuve documentaire des données qui précèdent n"a été fournie lors de l"entrevue.

[23]      En dernier lieu, le demandeur soutient que l"agente des visas n"a pas correctement évalué la valeur de ses biens qui seraient affectés à l"établissement d"une entreprise au Canada. Plus particulièrement, l"agente n"a pas tenu compte de la preuve qui lui avait été soumise relativement à la valeur des biens immeubles détenus par le demandeur en Russie et au fait que ces biens pouvaient être acquis à un certain prix par un acheteur éventuel. Même si l"on peut dire que l"agente des visas a commis une erreur lorsqu"elle n"a pas tenu compte de cette preuve, cela en soi n"est pas un motif suffisant pour justifier l"intervention de la Cour en l"espèce. Les préoccupations de l"agente des visas ne portaient pas uniquement sur les ressources du demandeur, mais plutôt sur la preuve, insuffisante selon l"agent, relativement à son expérience dans le monde des affaires. Le manque de preuve à cet égard établissant que le demandeur a déjà eu du succès en affaires a permis à l"agente des visas de conclure que le demandeur ne remplissait pas les critères d"admissibilité en tant qu"entrepreneur.

[24]      Compte tenu de la preuve dont disposait l"agente des visas au moment de l"entrevue et de la preuve qui lui est parvenue sous forme de lettre avant qu"elle ne rédige la lettre exposant les motifs de sa décision, la Cour est d"avis que la décision qui a été confirmée dans cette lettre n"était pas déraisonnable. Il était loisible à l"agente des visas, compte tenu de son pouvoir discrétionnaire, de rendre la décision en question et, en l"absence de preuve de mauvaise foi, d"inéquité ou de fondement sur des preuves ou des considérations non pertinentes, l"intervention de la Cour ne serait pas justifiée (voir : Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8) et ce, même dans le cas où elle aurait évalué la preuve autrement.

Conclusion

[25]      La Cour note qu"à l"audience, le demandeur a soutenu que la décision de l"agente des visas devait être considérée comme manifestement déraisonnable à la lumière de toutes les erreurs qu"elle aurait commises en examinant sa demande. Il ressort clairement des motifs de la Cour que celle-ci ne souscrit pas à ce point de vue.

[26]      Par conséquent, la Cour est d"avis de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire et rend une ordonnance à cet effet.

[27]      Cela dit, si le demandeur et ses conseillers estiment qu"ils ont en leur possession des éléments de preuve qui, dans le cadre d"une nouvelle demande d"admission à titre d"entrepreneur, pourraient changer l"issue du litige, il se pourrait fort bien qu"une nouvelle demande soit alors justifiée, et qu"elle soit accueillie. La Cour note que le dossier du demandeur contient un deuxième affidavit, qu"il a signé le 9 octobre 1998, auquel sont jointes des annexes destinées à fournir plus de renseignements, notamment en ce qui a trait aux dossiers financiers de Alosa Fisheries; ces renseignements ne se trouvaient pas dans le dossier soumis à l"agente des visas en février 1998. L"affidavit en question, de même que les annexes qui y sont jointes, ont été radiés du dossier par une ordonnance du juge McGillis. Il appartient bien sûr au demandeur de déterminer si une nouvelle demande d"admission au Canada à titre d"entrepreneur et de résident permanent est envisageable ou justifiée en l"espèce. Il ne revient pas à la Cour, vu les faits de la présente affaire, de se prononcer là-dessus.

[28]      En vertu de la Règle 18 des Règles de la Cour fédérale en matière d"immigration de 1993, un juge ne rend sa décision sur la demande de contrôle judiciaire " qu"après avoir donné aux parties la possibilité de lui demander de certifier que l"affaire soulève une question grave de portée générale, tel que le prévoit l"article 83 de la Loi ". Ni les avocats ni la Cour n"ont soulevé cette question lors de l"audition de la présente demande.

[29]      La Cour ordonne que les avocats se consultent et s"ils s"entendent, soit sur le fait qu"il y a des questions à certifier, soit qu"il n"y en a pas, ils devront en aviser la Cour, si possible, au plus tard le 21 juillet 1999. S"ils ne s"entendent pas, et qu"une partie suggère une question à certifier et que l"autre n"appuie pas cette initiative, les avocats sont priés de faire parvenir séparément leurs motifs écrits à la Cour au sujet de la question qui a été proposée, si possible, au plus tard le


21 juillet 1999. Par la suite, une ordonnance sera rendue pour rejeter la présente demande et pour certifier toute " question grave de portée générale " proposée que, de l"avis de la Cour également, soulèvent les faits ou l"issue de la présente demande.





                                     W. Andrew MacKay


    

                                         JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 2 juillet 1999


Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-3391-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          OLEG STANISLAVOVICH DAMASKIN c.                          MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L"IMMIGRATION

LIEU DE L"AUDIENCE :              HALIFAX

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 15 JUIN 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :                  2 JUILLET 1999


ONT COMPARU

LEE COHEN                              POUR LE DEMANDEUR

JONATHAN TARLTON                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Lee Cohen                              POUR LE DEMANDEUR

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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