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Date : 20210526


Dossier : IMM-7104-19

Référence : 2021 CF 479

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2021

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Jonathan ZAMOR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Jonathan Zamor sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 novembre 2019 par un agent du Service des visas de l’ambassade du Canada au Mexique, rejetant sa demande de visa de résident temporaire et permis d’études.

[2] Pour les motifs énoncés ci-après, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Contexte

[3] M. Zamor est citoyen d’Haïti. Le 20 juin 2019, il présente une demande de visa de résident temporaire et de permis d’études pour poursuivre des études universitaires en informatique et génie logiciel au Canada.

[4] Le Service des visas du Canada rejette cette demande et M. Zamor dépose une demande de contrôle judiciaire pour contester le refus. Les parties au litige en arrivent à un accord pour annuler la décision, renvoyer le dossier à un autre agent et accorder à M. Zamor la possibilité de présenter des documents additionnels. Le dossier est conséquemment assigné à un autre agent pour un nouvel examen.

[5] Le 1er novembre 2019, le Service des visas transmet une lettre à M. Zamor et lui demande de soumettre (1) les relevés originaux de notes d’études; (2) l’originale d’une lettre d’acceptation de l’institution d’enseignement prévue; (3) les documents démontrant les mouvements bancaires et transactions dans la dernière année; (4) la preuve valide de revenu pour une personne qui a l’intention de parrainer son arrivée au Canada; et (5) toute autre information qu’il souhaiterait prise en considération.

[6] Le 6 novembre 2019, M. Zamor répond essentiellement que (1) il avait déjà indiqué qu’il lui serait difficile d’obtenir des documents; (2) le relevé de notes demandé n’est pas utile puisque l’établissement a déjà émis une lettre d’admission, et il lui est présentement impossible de fournir l’original; (3) il joint une copie de la lettre d’acceptation, n’ayant jamais lui-même reçu un document original, et de la lettre confirmant le report d’admission à l’hiver 2020; et (4) tous les autres documents en lien avec les preuves de fonds sont déjà dans le dossier.

[7] Le 11 novembre 2019, le nouvel agent rejette la demande de permis d’études de M. Zamor, n’étant pas convaincu que ce dernier quittera le Canada à la fin de la période de séjour en vertu du paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [le Règlement], compte tenu de (1) la raison de la visite; (2) la situation actuelle de M. Zamor en matière d’emploi; et (3) les biens mobiliers et la situation financière de M. Zamor. Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas de Citoyenneté et Immigration Canada, qui se retrouvent dans le Dossier Certifié du Tribunal, fournissent des précisions quant aux motifs soutenant la décision de l’agent.

[8] Le paragraphe 216(1) du Règlement, auquel réfère l’agent prévoit que « l’agent délivre un permis d’études à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis » :

a) l’étranger a demandé un permis d’études conformément à la présente partie;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

c) il remplit les exigences prévues à la présente partie;

d) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3);

e) il a été admis à un programme d’études par un établissement d’enseignement désigné.

III. Arguments des parties

[9] M. Zamor soulève deux motifs.

[10] En premier lieu, il soumet que l’agent a manqué à l’équité procédurale puisque (a) il a douté de son retour à la fin de son séjour et a omis de lui permettre de répondre au doute par une entrevue; (b) il ne l’a pas avisé, ni convoqué à une entrevue; et (c) il a conclu à un manque de crédibilité implicite se fondant sur la preuve des sources de revenus des parents de M. Zamor, l’habitude de voyage et autres facteurs.

[11] En deuxième lieu, M. Zamor soumet que l’agent a commis une erreur en déterminant n’être pas convaincu que M. Zamor quitterait le Canada, en se fondant sur des raisons non fondées en faits et en droit.

[12] À titre de remèdes, M. Zamor demande à la Cour de (1) accueillir la demande; (2) casser la décision de l’agent des visas; (3) ordonner la délivrance du visa; et (4) condamner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le Ministre] à lui payer la somme de 1 500 050.00 $ « et les intérêts encourus au taux de 25% ».

[13] Le Ministre répond que la décision de l’agent est raisonnable. Il précise essentiellement que l’agent a analysé (1) toute la preuve documentaire déposée par M. Zamor, et a fourni des motifs détaillés pour supporter la décision de refuser la demande; (2) la situation financière complète de M. Zamor, en prenant soin d’analyser la preuve; (3) la raison de la visite de M. Zamor ainsi que sa situation actuelle en matière d’emploi. L’agent a conclu que la preuve au dossier ne permettait pas de déterminer qu’il quitterait le Canada à la fin de la période autorisée. Enfin, le Ministre ajoute que l’agent n’a pas l’obligation d’exprimer des doutes au demandeur ou de lui donner l’occasion de perfectionner sa preuve.

IV. Analyse

[14] Lorsque des enjeux d’équité procédurale sont soulevés, la Cour doit établir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Ltée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 54).

[15] En lien avec l’argument d’équité procédurale soulevé par M. Zamor, il est bien établi que l’agent des visas n’a pas l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi, et qu’il n’a pas non plus l’obligation de rapporter au demandeur le résultat de sa demande à chaque étape du processus (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 786 au para 8; Fernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8267 (CF) au para 13; Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316 (CF) au para 4).

[16] En lien avec l’allégation de M. Zamor d’une conclusion implicite de crédibilité par l’agent, la Cour a déjà statué dans la décision Ibabu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1068 [Ibabu], comme dans la décision Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 [Solopova], qu’« [u]ne conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou quant au défaut du demandeur de s’acquitter du fardeau de la preuve » (au para 35). Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Gao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 59 au para 32, et réaffirmé dans la décision Herman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629 au para 17, « [o]n ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur ».

[17] M. Zamor semble confondre une conclusion défavorable quant à sa crédibilité avec une conclusion d’insuffisance de preuve. La conclusion de l’agent découle plutôt de l’obligation imposée à M. Zamor d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, tel que le prévoit le paragraphe 216(1) du Règlement, précité. Le fardeau incombait à M. Zamor de fournir à l’agent toute l’information et les documents nécessaires pour convaincre l’agent qu’il remplissait toutes les conditions prévues par la loi.

[18] Selon l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, et rien ne réfute la présomption en l’espèce. Lorsque la norme de contrôle de la décision raisonnable est appliquée, il incombe « à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (au para 85). Il n’appartient pas à la Cour de substituer l’issue qui serait selon elle préférable à celle qui a été retenue (au para 99).

[19] Au surplus, la jurisprudence de la Cour confirme que l’examen de l’appréciation des faits de la demande effectuée par l’agent, et de la croyance de l’agent selon laquelle un demandeur ne quitterait pas le Canada à l’issue de son séjour, est fait selon la norme de la décision raisonnable (Akomolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 472 au para 9; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284 au para 15; Guinto Bondoc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 842 au para 6). La décision de l’agent est discrétionnaire et est « une décision administrative prise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire » (My Hong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 463 au para 10). Pour cette raison, elle appelle une retenue considérable compte tenu de la spécialisation et de l’expérience de l’agent des visas (Solopova au para 12; Kwasi Obeng c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 754 au para 21).

[20] Un demandeur de visa de résident temporaire et permis d’études a le fardeau de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents pour le convaincre qu’il satisfait aux exigences prévues par loi et par le Règlement (Solopova au para 22). Je suis convaincue en l’espèce que M. Zamor exprime son désaccord, et conteste en quelque sorte le poids que l’agent a accordé aux éléments de preuve. Cependant, sous la norme de la décision raisonnable, il n’entre pas dans le rôle de la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[21] M. Zamor ne m’a pas convaincue que l’agent a omis de considérer la preuve ou a fait fi de preuve matérielle contredisant ses conclusions (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdulghafoor, 2015 CF 1020 au para 22). Un tribunal est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et n’est pas tenu de référer à chaque élément qui la compose (Mirmahaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1085 au para 25, Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).

[22] L’obligation de motiver une décision relative à une demande de visa de résident temporaire, dans ce cas-ci liée à une demande de permis d’études, est minime, et les motifs exposés en l’instance par l’agent permettent de comprendre ce qui sous-tend sa décision. Au surplus, tel que le précise le Ministre, la jurisprudence de la Cour confirme que l’agent pouvait considérer l’historique de voyage et vérifier les liens qui unissent M. Zamor à son pays d’origine.

[23] Le fait que le premier agent n’ait pas fait état de préoccupations quant à la suffisance ou la provenance des fonds ne lie pas le second agent. La première décision a été cassée et le second agent était chargé de réexaminer le dossier.

[24] Enfin, et puisque la demande sera rejetée, il n’est pas nécessaire d’examiner si tous les remèdes demandés par M. Zamor sont disponibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire; le Ministre a bien cerné les enjeux dans son mémoire.

[25] En examinant l’ensemble du dossier dont l’agent disposait, je n’ai pas été convaincue que l’agent a rendu sa décision d’une manière inéquitable sur le plan procédural, qu’il a ignoré de la preuve qui contredisait ses conclusions, ou que sa décision est déraisonnable. M. Zamor ne s’est donc pas acquitté du fardeau qui lui incombait.


JUGEMENT dans IMM-7104-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7104-19

INTITULÉ :

JONATHAN ZAMOR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) – tenue par vidéoconference

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2021

COMPARUTIONS :

M. Jonathan Zamor

Pour le demandeuR

Se représentant seul

Me Chantal Chatmajian

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Jonathan Zamor

Gonaïves, Haïti

Pour le demandeur

Se représentant seul

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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