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Date : 20040205

Dossier : IMM-10261-03 et IMM-10263-03

Référence : 2004 CF 199

Ottawa (Ontario), le 5 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                        JACINTHA SIVALINGAM

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Mme Jacintha Sivalingam, citoyenne du Sri Lanka, a présenté une deuxième requête en quelques jours en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure ordonnant son départ du Canada vers l'Allemagne. La mesure d'exclusion a été prise à la suite de son arrivée à Montréal en provenance de l'Allemagne le 20 novembre 2003.


[2]                La première demande de sursis a été présentée devant mon collègue M. le juge O'Reilly le 30 janvier 2004. Le juge O'Reilly a rejeté la requête le jour même au motif que les documents dont il disposait ne révélaient pas que la demanderesse avait raison de craindre d'être persécutée si elle était renvoyée en Allemagne. Compte tenu du manque de documents et d'éléments de preuve dont le juge disposait, il n'y a pas eu d'audience.

[3]                La deuxième requête présentée par la demanderesse a été déposée le 3 février 2004, soi-disant sur le fondement d'autres éléments de preuve. La demanderesse a déposé un affidavit, plus détaillé que celui dont disposait le juge O'Reilly, dans lequel elle prétendait craindre de retourner en Allemagne parce qu'à son avis ce retour entraînerait un renvoi immédiat au Sri Lanka où elle craignait d'être persécutée du fait de son appartenance à la minorité tamoule et de sa qualité de jeune femme qui pourrait éventuellement être recrutée par les Tigres tamouls ou être agressée sexuellement par les militaires cinghalais.

[4]                La demanderesse prétendait en outre dans le nouvel affidavit que le représentant du ministre avait commis une erreur fondamentale lorsqu'il avait déclaré que la demande d'asile qu'elle avait présentée était irrecevable suivant l'alinéa 101(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), parce que la Commission avait déjà examiné et rejeté sa demande d'asile. La demanderesse a attesté qu'elle n'était jamais venue au Canada auparavant et qu'elle n'y avait pas présenté de demande d'asile.


[5]                Lors de l'examen de la nouvelle requête et du témoignage sous forme d'affidavit, et après avoir tenu dûment compte de la courtoisie judiciaire et des principes touchant la chose jugée et la préclusion pour une question déjà tranchée, j'étais préoccupé par le fait qu'il était possible que la demanderesse n'ait pas obtenu l'équité procédurale nécessaire dans la façon selon laquelle elle a été traitée au point d'entrée. Par conséquent, j'ai ordonné qu'une audience ait lieu par téléconférence et j'ai reçu les observations de vive voix de l'avocat de la demanderesse et de celui du défendeur à quinze heures le mercredi 4 février 2004. À la fin de l'audience, il y avait encore plusieurs questions qui n'avaient pas été réglées et j'ai invité les avocats à soumettre par écrit des observations additionnelles et un témoignage sous forme d'affidavit, ce qu'ils ont fait aujourd'hui.

[6]                La demanderesse est en détention depuis son arrivée à Montréal et elle est dans une large mesure, selon ce que son avocat a reconnu, la responsable de son propre malheur. À sa descente d'avion à Montréal, la demanderesse a choisi de présenter un passeport canadien, qui comportait une photographie d'elle qui y avait été apposée de façon rudimentaire, au nom d'une certaine Radhanie Basmattie. Lorsqu'on l'a interrogée à plusieurs reprises à l'égard de ses origines, elle a prétendu de façon constante qu'elle était une citoyenne canadienne née au Suriname.

[7]                L'agent d'immigration qui a procédé à l'entrevue et par la suite le représentant du ministre ont demandé à plusieurs reprises à la demanderesse si elle craignait d'être persécutée si elle était renvoyée en Allemagne ou dans un autre pays et, chaque fois, elle a répondu par la négative. Une mesure d'exclusion a par conséquent été prise au nom de Radhanie Basmattie suivant l'article 41 et l'alinéa 20(1)a) de la LIPR et l'article 6 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. De plus, un rapport préparé suivant le paragraphe 44(1) de la LIPR a été transmis au ministre.

[8]                À un certain moment dans les jours qui ont suivi la date à laquelle la mesure d'exclusion a été prise et l'ordonnance de détention a été délivrée, la demanderesse a décidé de cesser de prétendre qu'elle était une citoyenne canadienne, a révélé son origine sri-lankaise et a tenté de présenter une demande d'asile. Son affidavit, déposé avec la présente requête, énonce qu'[TRADUCTION] « elle avait fait connaître son intention de présenter une demande d'asile à l'agent d'immigration » après qu'elle eut été appréhendée à l'aéroport. Les notes de l'agent énoncent clairement qu'elle a refusé de présenter une telle demande et qu'elle a continué à affirmer la fausse identité jusqu'à ce que la mesure d'exclusion ait été prise. Son affirmation selon laquelle elle avait présenté sa demande avant que la mesure d'exclusion ait été prise est minée par le fait que la mesure a été prise sous le faux nom qu'elle affirmait être le sien.

[9]                Le 23 novembre 2003, le représentant du ministre à l'aéroport de Dorval a rendu une décision selon laquelle la demande était irrecevable au motif que la demanderesse avait déjà présenté une demande d'asile qui avait fait l'objet d'un rejet par la Commission (alinéa 101(1)b) de la LIPR).

[10]            Le défendeur a maintenant confirmé que cette décision a été rendue par erreur, mais il prétend que cela n'est pas pertinent étant donné que la demanderesse n'avait plus le droit, suivant le paragraphe 99(3) de la LIPR, de présenter une demande d'asile après qu'une mesure d'exclusion eut été prise.

[11]            La demanderesse a déposé le 24 décembre 2003 une demande de prorogation de délai et d'autorisation et de contrôle judiciaire à l'égard de la mesure d'exclusion. Cette demande est encore en instance. Les motifs de cette demande sont que l'agent d'immigration a commis une erreur de droit et qu'il a tiré des conclusions de fait arbitraires. La prorogation de délai a été demandée parce que la demanderesse était détenue à Montréal et qu'elle avait de la difficulté à retenir les services d'un avocat à Toronto et à lui donner des directives.

[12]            Une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR) a été rejetée le 4 février 2004 au motif que la demanderesse ne serait pas exposée au risque d'être soumise à de la persécution, à de la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée dans son pays de nationalité.

[13]            Dans la présente requête, la demanderesse, afin de satisfaire au volet du préjudice irréparable du critère en trois volets énoncé dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), prétend que l'agent d'immigration a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu que sa demande d'asile était irrecevable et lorsqu'il a pris une mesure d'exclusion à son endroit. Elle prétend qu'elle subirait un préjudice irréparable parce qu'elle serait en fin de compte expulsée de l'Allemagne vers son Sri Lanka natal où elle a, soi-disant, été persécutée par les forces armées sri-lankaises et par les LTTE. Comme il a été précédemment mentionné, la décision rendue dans le contexte de la demande d'ERAR rejette les prétentions de la demanderesse à cet égard.

[14]            Après avoir examiné en détail la preuve et les observations présentées par la demanderesse, je ne suis pas convaincu qu'elle a établi qu'il y avait une question grave à trancher. Bien que la décision à l'égard de l'irrecevabilité suivant l'alinéa 101(1)b) de la LIPR ait été rendue par erreur, j'ai conclu que la demanderesse ne peut pas s'appuyer sur cette erreur étant donné que la mesure d'exclusion au point d'entrée a été correctement prise et que la demanderesse n'avait pas par la suite le droit de présenter une demande quant à la recevabilité.


[15]            Le défendeur prétend que l'agent n'avait pas compétence pour statuer sur la recevabilité de la demande d'asile présentée par la demanderesse afin de la déférer à la Section de la protection des réfugiés suivant l'article 100 de la LIPR. Je partage son opinion à cet égard. Une personne se trouvant au Canada n'est pas admise à présenter une demande d'asile si elle est visée par une mesure de renvoi : paragraphe 99(3) de la LIPR. Une mesure d'exclusion suivant l'article 41 de la LIPR est une « mesure de renvoi » au sens de l'article 223 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Voir également la décision Raman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 125 F.T.R. 50, confirmée dans [1999] 4 C.F. 140 (C.A.), et la décision Daher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 131, qui traitent du paragraphe 44(1) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui de la même façon empêchait que soit déposée une demande du statut de réfugié dans les cas où une « mesure de renvoi » avait été prise. Dans ces décisions, il a été statué que les mesures d' « exclusion » constituaient des « mesures de renvoi » aux fins d'empêcher que soit déposée une demande du statut de réfugié. Selon la preuve dont je dispose en l'espèce, la mesure d'exclusion a été prise correctement et la demanderesse n'a pas soulevé de question grave dans sa contestation.

[16]            Dans les circonstances, ayant conclu que la demanderesse n'a pas satisfait au volet de la question grave à trancher, je n'ai pas à examiner la question du préjudice irréparable ou celle de la prépondérance des inconvénients. Je dois mentionner, toutefois, que les avocats des deux parties ont tenté de clarifier de quelle façon serait traitée la demanderesse, suivant la procédure allemande applicable en matière de protection des réfugiés, si elle était renvoyée en Allemagne. Des demandes de renseignements ont été envoyées à l'ambassade de l'Allemagne et les réponses ont été déposées à la Cour par un témoignage par affidavit. Compte tenu du court délai dont disposaient les parties pour ces demandes, les renseignements ne sont pas nombreux, mais il appert que la demanderesse serait exposée à certaines difficultés ou à des difficultés importantes si elle présentait une demande dans ce pays en raison du fait qu'elle n'a pas de documents de voyage valides et de ce qui s'est passé lors de son récent voyage. Toutefois, je ne dispose d'aucun élément de preuve démontrant qu'elle serait exposée à de la persécution ou à un autre préjudice en Allemagne dans l'attente d'une décision à l'égard d'une demande d'asile.

[17]            Par conséquent, la présente requête est rejetée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente requête présentée en vue d'obtenir un sursis au renvoi soit rejetée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-10261-03 et IMM-10263-03

INTITULÉ :                                       JACINTHA SIVALINGAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 4 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 5 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Max Berger                                                                               POUR LA DEMANDERESSE

John Loncar                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger                                                                               POUR LA DEMANDERESSE Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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