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Date : 20210517


Dossier : IMM-4379-20

Référence : 2021 CF 454

Ottawa (Ontario), le 17 mai 2021

En présence de l'honorable monsieur le juge Bell

ENTRE :

JEAN KENDY BELFORT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

Audience tenue par vidéoconférence gérée par le greffe à Ottawa (Ontario).

Motifs prononcés à Frédéricton (Nouveau-Brunswick) séance tenante le 5 mai 2021.

(La syntaxe et la grammaire ont été corrigées et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 31 août 2020 par la Section d’appel des réfugiés (SAR). La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a rejeté la demande d’asile de Jean Kendy Belfort, (le « demandeur »), aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. La SAR a conclu que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles et qu’il n’a pas démontré qu’il ferait face à une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait à son pays d’origine, l’Haïti.

[2] Je n’ai pas l’intention de trop m’attarder sur les faits ni la norme de contrôle, donc nous allons procéder directement aux extraits pertinents de la décision de la SAR.

[3] Au paragraphe 15 de la décision de la SAR, on lit, et je cite :

Ce que l’appelant a décrit dans son [Fondement de la demande d’asile (FDA)] est très définitif, il a écrit : « Les partisans de Jean Charles Moise sont souvent à la radio pour dénoncer la politique du gouvernement en lui demandant de quitter le pouvoir. C’est ainsi que le 05 juillet 2018, j’ai accompagné certains responsables du parti Pitit Dessalines à la radio pour critiquer le gouvernement. À mon avis, tout indique que Junior nous écoutait puisque lors de l’évènement du 07 juillet 2018, il m’a rencontré dans la rue, le jour où le premier ministre a augmenté le prix de l’essence. Ce jour-là, il y avait du pillage, de la manifestation. Il m’a vue dans la manifestation. Il m’a battu, il m’a giflé plusieurs fois. Il a aussi frappé d’autres partisans de Jean Charles Moise. Junior m’a dit qu’il m’avait entendu à la radio en train de soulever le peuple contre son président. Il m’a accusé d’être le complice du soulèvement de la population contre le président.

[Je souligne.]

[4] La SAR continue, au paragraphe 16 de sa décision :

Tandis que le témoignage de l’appelant était beaucoup plus flou. L’appelant a initialement témoigné qu’il « était toujours-là quand il était question d’aller à la radio », mais, en suite, il a précisé qu’il est allé une seule fois à la radio, le 5 juillet 2018. Et lorsque la SPR lui a demandé pourquoi les « responsables » du parti lui ont demandé de les accompagner à la radio, l’appelant a répondu qu’il n’était pas le seul à les accompagner, mais que plusieurs personnes sont venues. Ainsi, l’appelant a évité de répondre à la question directement, mais avait donné l’impression que les porte-paroles du parti n’avaient pas demandé sa présence ce jour-là, et qu’il est allé avec plusieurs autres personnes sans une invitation précise. Ensuite, lorsque la SPR a demandé s’il a pris la parole à la radio, l’appelant a témoigné qu’il était parmi les supporteurs et que « les supporteurs ont parlé… à haute voix ». Encore une fois, ceci n’était pas une réponse claire; la réponse de l’appelant donne l’impression que quelqu’un qui écoutait l’émission à la radio aurait pu entendre sa voix, mais il sous-entend également qu’il y a une possibilité que sa voix n’ait pas été captée par les microphones. D’une manière certaine, l’appelant ne semble pas avoir été présenté aux auditeurs comme membre ou porte-parole du parti. Ainsi, son témoignage stipulant que le 7 juillet 2018, lors de la manifestation, Junior Pierre l’aurait entendu à la radio semble très peu vraisemblable ».

[Je souligne.]

[5] La SAR continue, au paragraphe 17 de sa décision, en parlant de l’enlèvement ou la disparition de l’ami du demandeur, M. Vince Innocent :

De plus, la SPR avait raison de conclure que l’appelant semble avoir embelli son témoignage de façon spontanée pendant l’audience lorsqu’il a parlé de la disparition de son ami, Vince Innocent, lors de la manifestation du 7 juillet 2018, une allégation qui ne figurait pas dans son FDA.

[6] La SAR continue aux paragraphes 18 et 19, et je cite :

Son témoignage à ce sujet était évolutif. La SPR a demandé à l’appelant s’il était toujours en contact avec les membres du parti Pitit Dessalines en Haïti. L’appelant a répondu qu’il est tout le temps au téléphone avec eux et qu’ils sont toujours l’objet de persécution. La SPR lui a demandé d’expliquer quel genre de persécution ils subissent. L’appelant a répondu qu’ils sont interdits de parler. La SPR lui a demandé comment ils sont interdits de parler. L’appelant n’a pas répondu à la question, mais a, à la place, expliqué que le PHTK a peur que s’ils parlent ils vont affaiblir leur pouvoir. La SPR a repris la même question en demandant à l’appelant d’expliquer quelle est la persécution qu’il venait de mentionner. L’appelant a répondu que lorsque les membres dénoncent le gouvernement, ils sont menacés par la PHTK. La SPR a demandé à l’appelant de décrire ce qu’il sait au sujet de ces menaces que les membres du parti ont reçues. L’appelant a répondu que les partisans ont manifesté en septembre 2018, octobre 2018 et février 2019 et que certains membres sont portés disparus. Ainsi, l’appelant n’a pas répondu à la question concernant les menaces, mais a sauté à la disparition des membres. La SPR a ensuite demandé qui a été porté disparu. L’appelant a répondu que son ami, Vince Innocent, a disparu lors de la manifestation du 7 juillet 2018 – la même manifestation à laquelle l’appelant a participé et à laquelle il a été attaqué par Junior Pierre. Toutefois, l’appelant a omis cette allégation dans son FDA, et il l’a également omise dans l’histoire qu’il a racontée à la police le 7 juillet 2018. La plainte à la police ne mentionne que « aussi, d’autres partisans du même groupe ont été frappés le jour de la manifestation.

[Je souligne.]

 

De plus, lorsque la SPR lui a demandé pourquoi il a cru que son ami, Vince Innocent, a été enlevé par les partisans du PHTK, l’appelant a répondu « après ça on ne le voyait plus » et puisqu’il ne connaissait pas les membres de sa famille, il n’a pas pu se renseigner auprès d’eux. Ensuite, la SPR a demandé à l’appelant comment il savait que son ami n’est pas simplement allé ailleurs au pays pour visiter quelqu’un après la manifestation. L’appelant a répondu à ce stade, que pendant la manifestation, il a vu que son ami a été pris et « qu’on le faisait monter dans un véhicule » avec « plusieurs autres ». Il faut noter que l’appelant a seulement ajouté ces détails après cinq minutes de questionnement par la SPR, et que ces détails ne concordent pas avec son témoignage initial qui était qu’il ne voyait plus son ami après la manifestation et c’était pour cela qu’il l’a cru disparu.

[Je souligne.]

[7] On continue aux paragraphes 20 et 21 de la décision de la SAR :

Quant au rapport de police, l’appelant a aussi contesté la conclusion de la SPR que l’altercation avec Junior Pierre s’est peut-être déroulée, mais que ce fait ne permet pas de corroborer l’ensemble des allégations de l’appelant. Dans son mémoire, il est écrit : « Dans l’absolu, si le tribunal accepte que l’altercation de l’Appelant avec Junior Pierre ait eu lieu, a-t-il une idée du motif de celui-ci? Nulle part dans sa décision il n’en donne une réponse. » Je ne suis pas d’accord avec l’appelant. Il ne revient pas à la SPR de combler les écarts dans l’histoire d’un demandeur. La SPR a correctement fait des constatations de fait, déterminé sur une prépondérance de probabilités, et fondé sur la preuve au dossier.

[…] De toute façon j’accorde peu de poids au rapport de police puisque ce dernier ne fait aucune mention de l’allégation énonçant que l’appelant aurait observé l’enlèvement de son ami, Vince Innocent, et de ce fait ne concorde pas avec son témoignage, tel que noté antérieurement dans cette décision.

[Je souligne.]

[8] Ce sont les faits conclus par la SAR. En dépit de ses faiblesses sur les questions de crédibilité, M. Belfort demande à cette Cour de considérer son profil politique et d’accorder sa demande de contrôle judiciaire. Il prétend que la SAR, ainsi que la SPR, n’a pas traité adéquatement de son profil politique. Je comprends cet argument; par contre, je suis d’avis que le profil politique limité du défendeur n’était pas à la base de la conclusion de la SAR. Elle se préoccupait plutôt de la crédibilité du demandeur quant à son témoignage de sa participation à l’émission de radio, à l’omission de la disparition de son ami, Vince Innocent dans son formulaire FDA et dans le rapport de police, ainsi que dans son témoignage concernant l’adresse de sa conjointe.

[9] Je ne me pencherai pas sur la question de l’adresse de sa conjointe.

[10] Quant à l’émission de radio, la SAR a indiqué que le témoignage du demandeur était flou. Plus particulièrement, le demandeur avait initialement témoigné qu’il « était toujours-là quand il était question d’aller à la radio », mais il a ensuite précisé qu’il est allé une seule fois à la radio. De plus, la SAR a indiqué que le demandeur n’avait pas témoigné clairement de sa participation lors de l’émission de radio, notamment si celui-ci aurait été entendu par son agresseur. Ainsi, je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il était très peu vraisemblable que son agresseur, Junior Pierre, lui aurait dit qu’il l’avait entendu à la radio lors de la manifestation du 7 juillet 2018. Je note ceci en particulier parce que le demandeur semble dire qu’il ne parlait pas dans le microphone lorsque les autres membres du parti Pitit Dessalines parlaient lors de l’émission à la radio.

[11] La SAR a conclu que l’omission de la disparition de son ami, Vince Innocent, dans le formulaire Fondement de la demande d’asile n’était pas une omission mineure et qu’il semblerait que le demandeur ait embelli son témoignage de façon spontanée pendant l’audience. Je suis entièrement d’accord. Le demandeur avait initialement témoigné que Vince Innocent avait disparu lors des manifestions du 7 juillet 2018. Il avait témoigné qu’après la manifestation qu’il « ne le voyait plus ». De plus, lorsque la SAR lui a demandé comment il savait que son ami n’était simplement pas parti ailleurs au pays, le demandeur a témoigné qu’il avait été témoin de l’enlèvement de Vince Innocent, lequel s’était fait monter à bord d’un véhicule. Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur avait témoigné de façon spontanée afin d’embellir son témoignage. Je trouve incrédule que quelqu’un fasse un rapport à la police sans avoir mentionné l’enlèvement de son ami.

[12] Concernant l’explication vis-à-vis l’adresse de sa conjointe et le rôle que celle-ci aurait joué dans l’analyse, il n’est pas nécessaire de considérer ces faits. Les contradictions quant à l’émission de radio et le fait de ne pas avoir mentionné l’enlèvement de son ami à la police sont suffisantes pour conclure un manque total de crédibilité de la part du demandeur dans ces circonstances.

[13] J’ai demandé aux avocats s’ils proposent une question à être certifiée et ils ont répondu que non. Je partage leur opinion. Pour être certifiée, une question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 au para. 9). Il n’y a pas de question de droit générale qui aurait un impact sur le résultat.


JUGEMENT dans le IMM-4379-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais. Il n’y a pas de question à être certifiée pour considération par la Cour d’appel fédérale.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4379-20

 

INTITULÉ :

JEAN KENDY BELFORT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 mai 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Pacifique Siryuyumusi

 

Pour le demandeur

 

Me Amani Delbani

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Pacifique Siryuyumusi

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le dÉFENdeur

 

 

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