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Date : 20040513

Dossier : IMM-2391-03

Référence : 2004 CF 695

ENTRE :

                                                       ARCHIL IANVARASHVILI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                M. Ianvarashvili préférerait vivre au Canada plutôt qu'en Géorgie. Il est arrivé au Canada en 1998 et il a revendiqué le statut de réfugié. Sa revendication a été rejetée et il a été expulsé l'année suivante. Il a tenté, sans succès, de revenir au Canada une première fois puis il est de nouveau arrivé à l'aéroport de Dorval en 2001 grâce à un faux passeport. Il a, encore une fois, revendiqué le statut de réfugié. Sa demande a été entendue en vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-12, modifiée. Le tribunal formé de deux commissaires a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention et que sa demande n'était pas fondée sur un motif crédible. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                Les motifs que le demandeur allègue à l'appui de sa demande peuvent être fractionnés comme suit : un des commissaires du tribunal qui a rejeté sa demande présentait une apparence de partialité; le tribunal a manifestement eu tort de rejeter sa demande pour ce qui concerne les questions de politique, de religion et de protection de l'État; enfin, le demandeur n'est plus un citoyen de la Géorgie. Je vais examiner tour à tour chacune de ces questions.

PARTIALITÉ

[3]         Deux commissaires de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ont entendu M. Ianvarashvili, savoir Rocco Famigliatti, le président, et Louise Robic. M. Ianvarashvili ne prétend pas que Mme Robic avait réellement un parti pris, mais il affirme qu'il y a apparence de partialité de sa part parce qu'elle avait siégé au tribunal qui avait décidé que son ami, Zurab Mgdedeladze, n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Les deux personnes se sont rendues ensemble au Canada et, dans une large mesure, leurs récits sont entrelacés.

[4]                Le juge Grandpré, en dissidence, a établi le critère qui s'applique afin de décider s'il y a apparence de partialité, à la page 394 de l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie) [1978] 1 R.C.S. 369 :

[...] « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique? [...] »

[...]

[...] les motifs de crainte doivent être sérieux [...]


[5]                Le tribunal a rejeté cette objection lorsqu'elle a été soulevée à l'audience. Le tribunal a dit que chaque affaire devait être tranchée selon les faits en cause et que, quoi qu'il en était, la situation de M. Ianvarashvili était un peu différente de celle de M. Mgdedeladze en ce que la revendication de M. Ianvarashvili était fondée en partie sur le fait que sa mère était une activiste juive, ce qui lui avait causé certaines difficultés avec des ultra-nationalistes. Le tribunal s'est fondé sur l'arrêt précité, Committee for Justice. Le tribunal a eu raison.

[6]                Les commissaires d'un tribunal acquièrent une certaine compétence relativement à certains pays et à certaines questions et, il seront très certainement saisis d'affaires qui présenteront des faits et des questions juridiques similaires. Le juge Pinard a dit que même si un commissaire avait refusé la revendication du statut de réfugié de la fille du demandeur, il n'existait pas une crainte de partialité : Gonzales c. Canada (Secrétariat d'État) (1993), 72 F.T.R. 26. Dans cette dernière décision, le juge s'est fondé sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, Arthur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 C.F. 94. Le juge MacGuigan, s'exprimant au nom de la Cour, a dit que, dans une audience relative à une revendication du statut de réfugié, il n'y a aucune crainte de partialité de la part d'un arbitre de l'immigration qui a déjà participé à la révision des motifs de la garde de la même requérante.


[7]                D'ailleurs, dans les affaires Borissotcheva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 494 (Q.L.) et Borissotchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 495 (Q.L.), le juge von Finckenstein a rejeté l'appel d'une décision prise par la juge de la citoyenneté présenté par le père, mais il a accordé l'appel relatif à la fille de ce dernier. Chaque affaire est tranchée selon les faits en cause.

[8]                Dans l'arrêt Arthur, précité, le juge MacGuigan a examiné la décision du président Jackett d'alors dans Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft c. Her Majesty the Queen, et al, [1968] 1 Ex.C.R. 443, dans laquelle le procureur général avait plaidé sans succès que la justice naturelle interdisait à tous les juges ayant siégé en appel relativement à quelques-unes des principales questions en litige de siéger à une instruction subséquente. Dans cette affaire, le président Jackett a fait siens les termes du juge Hyde dans Regina c. Barthe (1963), 45 DLR (2d) 612 qui a dit que :

[traduction] la capacité de rendre jugement dans une affaire en s'appuyant uniquement sur la preuve admissible présentée est une partie essentielle du processus judiciaire.

On aurait certainement tort de prendre pour acquis qu'un juge tiendrait compte de ses connaissances personnelles tirées de la preuve dont il se souvient dans une affaire antérieure. Il n'est pas raisonnable de craindre qu'il y ait [traduction] « une probabilité réelle que le juge manque à son devoir au point de régler une affaire en se fondant en totalité ou en partie sur la preuve présentée dans une affaire antérieure » .


[9]                Même si on devait aller plus loin et prétendre qu'un arbitre qui a commis une erreur de droit dans une affaire commettra de nouveau cette erreur, il n'y aurait toujours aucune raison de prétendre à l'existence d'un parti pris. Il est vrai qu'un arbitre devrait appliquer le droit de façon constante, mais un arbitre peut se rendre compte qu'il a commis une erreur dans une décision antérieure, même si un tribunal d'appel n'a pas annulé sa décision ni procédé à un contrôle judiciaire de celle-ci. Quelques mois seulement après avoir rendu un arrêt de principe alors qu'il siégeait à la Cour d'appel fédérale, le juge Le Dain a dit :

[...] j'estime maintenant que j'ai eu tort dans la décision que j'ai rendue dans l'affaire Domestic Converters[...] (Miida Electronics, Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et al. [1982] 1 C.F. 406, au paragraphe 18.)

OPINIONS POLITIQUES, RELIGION ET PROTECTION DE L'ÉTAT

[10]       Apparemment, quand il est retourné en Géorgie après sa première expulsion du Canada, M. Ianvarashvili a été emprisonné pendant quelques semaines et il a été accusé de trahison. Toutefois, il a réglé le problème en versant quelques pots-de-vin.

[11]            Ses opinions politiques sont vagues. Il a même eu de la difficulté à se souvenir du nom de son parti politique.


[12]            M. Ianvarashvili est chrétien mais sa mère était juive. Le tribunal a été critiqué du fait qu'il n'avait pas mentionné qu'un témoin, qui vit aujourd'hui à Montréal, l'avait confirmé. La critique n'est pas fondée. La religion de sa mère, aujourd'hui décédée, n'était pas en cause. Ce qui était en cause c'est que cela avait soulevé la colère d'un certain Sasha, membre d'un groupe d'ultra-nationalistes, qui aurait rendu la vie difficile à M. Ianvarashvili. Ce dernier affirme que la police n'a pas voulu l'aider puisqu'elle était d'avis que Sasha et les autres personnes du même acabit étaient des héros nationaux. Le tribunal a préféré s'en remettre aux rapports du pays. Il n'y a pas d'antisémitisme systématique en Géorgie. Même si, selon certains indices, il y a eu quelques incidents isolés, notamment la profanation d'un cimetière, le tribunal a néanmoins eu raison de conclure que M. Ianvarashvili n'était pas un réfugié au sens de la Convention pour ce motif. Malheureusement, dans toutes les collectivités, il y a des voyous qui s'en prennent aux minorités. Il y a eu profanation de cimetières juifs dans notre pays et plus récemment, une bombe incendiaire a été posée dans une école primaire juive.

[13]            En outre, M. Ianvarashvili n'a pas du tout donné l'impression qu'il craignait d'être persécuté. Il a travaillé en Europe pendant plusieurs mois avant son deuxième voyage au Canada. Certes, même si le demandeur n'obtient pas le statut de réfugié à la première occasion dans le premier pays où il pouvait éventuellement trouver refuge, cela n'est pas fatal, mais c'est un facteur dont il faut tenir compte : Cruz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1247 (Q.L.).

APATRIDE


[14]       M. Ianvarashvili affirme avoir renoncé à la citoyenneté géorgienne en 1999. Cependant, il a prétendu qu'il était un citoyen géorgien quand il est revenu au Canada en 2001. Il ne faut pas le croire. Il a ensuite dit qu'il avait perdu sa citoyenneté géorgienne par effet de la loi, parce qu'il ne s'était pas inscrit. Son avocat avait quelques documents en géorgien qui avaient été traduits en anglais et qui ont été présentés au tribunal pendant l'audience, mais il ne les a pas produits officiellement en preuve. Il s'était engagé à le faire, mais l'avocat qui représentait M. Ianvarashvili et qui ne le représente plus dans le présent contrôle judiciaire, ne les a jamais déposés. Le tribunal a conclu que les renseignements étaient contradictoires. M. Ianvarashvili ne s'est pas acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait. Si le tribunal avait jugé que cette prétention avait le moindre mérite, il aurait fallu une preuve beaucoup plus percutante du droit géorgien sur cette question.

[15]            Quoi qu'il en soit, la Géorgie est la résidence habituelle de M. Ianvarashvili. Une personne n'a pas qualité de réfugié du seul fait qu'elle est apatride : Thabet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 21 (CAF).

[16]            Il n'y a pas eu apparence de partialité de la part du tribunal qui n'a d'ailleurs tiré aucune conclusion manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[17]            Les parties ont jusqu'au 20 mai 2004 pour proposer une question de certification qui permettrait d'interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale.

     « Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                      

Ottawa (Ontario)

le 13 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-2391-03

INTITULÉ :                                                    ARCHIL IANVARASHVILI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 5 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 13 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Michel Le Brun                                                  POUR LE DEMANDEUR

Michel Pépin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Le Brun                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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