Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990521

     Dossier : IMM-3371-98

OTTAWA (Ontario), le 21 mai 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

     NERENGIN KAUR DHILLON,

     demanderesse,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 " P. Rouleau "

                                         JUGE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990521

     Dossier : IMM-3371-98

ENTRE :

     NERENGIN KAUR DHILLON,

     demanderesse,

ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 21 mai 1998 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déclaré que la demanderesse n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire pour réexamen.

[3]      La demanderesse est une ressortissante de la Malaisie. Elle est une Sikhe de souche et de confession sikhe. Elle est l'une des femmes de M. Habtar Singh, dont elle a eu deux filles, qui sont toutes deux nées au Canada. M. Singh a une autre femme, qui lui a donné trois enfants.

[4]      La demanderesse soutient que son mari, qu'elle a épousé en 1987, l'a injuriée et maltraitée physiquement et sexuellement à plusieurs reprises. Elle s'est rendue au poste de police une fois en Malaisie après avoir été battue par son mari. La police a refusé d'intervenir parce qu'il s'agissait d'une affaire de famille.

[5]      La famille est arrivée au Canada en 1989 et a revendiqué le statut de réfugié. La demanderesse a été inscrite comme une personne à charge sur la demande de son mari. Au Canada, les mauvais traitements se sont poursuivis; son mari l'a menacée de ne pas l'aider à demeurer au Canada si elle portait plainte.

[6]      La revendication du statut de réfugié a été rejetée. L'autre femme de Habtar Singh et leurs enfants ont obtenu le statut de résident permanent en tant qu'immigrants visés par une mesure de renvoi à exécution différée (IMRED). La demande IMRED présentée par M. Singh a été rejetée parce qu'il avait un casier judiciaire. M. Singh et la demanderesse ont par la suite été renvoyés en Malaisie le 18 novembre 1994.

[7]      À son retour dans son pays d'origine, la demanderesse a été détenue et interrogée par les autorités. Pendant sa détention, elle a été brutalisée. Les membres de la famille ont été harcelés parce qu'ils refusaient de se convertir à l'islam.

[8]      La demanderesse, son mari et leurs enfants sont revenus au Canada le 10 juillet 1995. En avril 1996, la demanderesse est allée faire des courses avec des membres de sa famille. Un membre du groupe a été pris à voler à l'étalage. Lorsque les policiers ont vérifié l'identité de la demanderesse, ils se sont aperçus qu'elle faisait l'objet d'une mesure d'expulsion. La demanderesse et ses filles ont aussitôt été arrêtées et détenues. M. Singh s'est par la suite livré à la police. Il a également été détenu pendant une courte période. Au début, toute la famille a été gardée dans une pièce. Les gardes ont toutefois transféré M. Singh dans une autre section, après que la demanderesse se fut plainte qu'il la battait.

[9]      La demanderesse et ses enfants ont été gardés en captivité pendant deux mois, jusqu'à ce que son mari produise leurs passeports et fournisse un cautionnement pour leur libération. Pendant que sa famille était détenue, M. Singh a retenu les services d'un avocat. En mai 1996, la demanderesse et son mari ont présenté une deuxième revendication du statut de réfugié. Ils ont allégué qu'ils étaient persécutés par la majorité musulmane en Malaisie parce qu'ils étaient des Sikhs de souche et de confession sikhe.

[10]      La demanderesse a préparé une déclaration (FRP) dans laquelle elle exposait les motifs de sa revendication, sans faire allusion à la violence conjugale dont elle était victime et au peu de protection que lui accordaient les autorités malaisiennes; elle craignait que son mari ne lise son FRP et n'use peut-être de représailles.

[11]      La demanderesse soutient qu'elle a avisé leur avocat qu'elle était victime de violence conjugale et qu'elle voulait présenter une revendication distincte de celle de son mari. Toutefois, son avocat n'a jamais présenté une revendication distincte en son nom et ne l'a jamais avisée qu'elle pouvait retenir les services d'un avocat indépendant au moyen de l'aide juridique.

[12]      Les mauvais traitements se sont poursuivis. En février 1998, la demanderesse a passé quelques jours dans une maison d'hébergement. Elle est rentrée parce que son mari lui a dit qu'il retirerait le cautionnement si elle ne le faisait pas. Le 12 mars 1998, M. Singh a frappé la demanderesse avec une violence telle qu'elle a dû obtenir des soins dans une clinique sans rendez-vous.

[13]      L'audience devant la Commission a eu lieu le 21 mai 1998. La demanderesse n'a pas témoigné. Les membres de la Commission ont rejeté oralement les revendications de M. Singh et de la demanderesse. Ils ont conclu que le témoignage de M. Singh n'était pas crédible parce qu'il y avait plusieurs incohérences entre son FRP, la preuve documentaire et son témoignage oral. De plus, la période de deux ans qui s'était écoulée avant le dépôt des revendications montrait qu'ils n'avaient pas vraiment une crainte subjective de persécution en Malaisie. Cette décision s'appliquait également à la demanderesse puisque sa revendication était subordonnée à celle de son mari.

[14]      Après l'audience, M. Singh est devenu très furieux et a battu sa femme presque quotidiennement. Puis, le 28 mai 1998, n'en pouvant plus, la demanderesse s'est rendue dans une maison d'hébergement avec ses deux filles. De là, elle a déposé une plainte auprès de la police. M. Singh a été accusé, arrêté et détenu. La demanderesse vivait encore dans la maison d'hébergement lorsque la Commission a rendu sa décision écrite. La demanderesse a obtenu une copie de cette décision le 23 juin 1998. Le travailleur social l'a avisée qu'elle pouvait retenir les services d'un avocat indépendant par le truchement de l'aide juridique et que celui-ci pouvait demander le contrôle judiciaire de cette décision.

[15]      Après l'arrestation de M. Singh, sa famille a tenté d'intimider la demanderesse pour qu'elle ne témoigne pas contre lui. Elle a signalé ces menaces à la police. À la date du dépôt des documents de la demanderesse (août 1998), M. Singh était encore en détention et attendait son procès.

[16]      Les quatre questions que soulève la demanderesse sont les suivantes :

     1)      La Commission a-t-elle commis une erreur en traitant la revendication de la demanderesse avec celle de son mari sans vérifier si la demanderesse était sous la contrainte et sans donner à la demanderesse la possibilité de se faire entendre sur la question du traitement conjoint des revendications?
     2)      La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant sur la conclusion défavorable qu'elle a tirée quant à la crédibilité du mari pour rejeter la revendication de la demanderesse sans entendre cette dernière?
     3)      La Commission a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas le bien-fondé de la revendication de la demanderesse?
     4)      Vu sa situation en tant que femme de confession sikhe victime de violence conjugale, la demanderesse est-elle visée par la définition d'" appartenance à un groupe social "?

[17]      L'article 10 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, est ainsi libellé :

             

10. (1) An Assistant Deputy Chairperson or coordinating member may order that two or more claims or applications be processed jointly where the Assistant Deputy Chairperson or coordinating member believes that no injustice is thereby likely to be caused to any party.

10. (2) Subject to section (3), claims or applications of the legal or de facto spouse, dependant children, father, mother, brothers or sisters of the person concerned shall be processed jointly.

10. (3) On application by a party, or on the members' own motion at the time of the hearing, the members may order that the claims or applications be heard separately, where the members believe that hearing the claims or applications jointly is likely to cause an injustice to any party.

10. (1) Un vice-président adjoint ou un membre coordonnateur peut ordonner que deux ou plusieurs revendications ou demandes soient traitées conjointement, s'il estime qu'une telle mesure ne risque pas de causer d'injustice aux parties.

10. (2) Sous réserve du paragraphe (3), les revendications ou les demandes du conjoint de droit ou de fait, des enfants à charge, du père, de la mère, des frères ou des soeurs de l'intéressé sont traitées conjointement.

10. (3) les membres peuvent, à la demande d'une partie, ou de leur propre initiative au moment de l'audience, ordonner qu'une revendication ou demande soit entendue séparément d'une autre revendication ou demande, s'ils estiment que le fait d'entendre conjointement les revendications ou les demandes risque de causer une injustice à l'une ou l'autre des parties.

[18]      La demanderesse soutient qu'elle était incapable de soulever la question de la violence conjugale de sa propre initiative à cause de la présence de son mari. La Commission aurait dû vérifier si elle était sous la contrainte en lui donnant la possibilité d'être entendue séparément sur la question du traitement conjoint des revendications.

[19]      La Commission peut ordonner de sa propre initiative que des revendications soient entendues séparément lorsqu'il y a lieu de croire que l'intéressé serait victime d'une injustice. Dans la présente espèce, la Commission n'a pas été saisie de la moindre preuve de violence conjugale.

[20]      Il incombe à l'intéressé de faire valoir son point de vue à la Commission. En l'espèce, la demanderesse a rempli son FRP séparément et en son nom personnel. Elle aurait pu s'opposer à l'audition de sa revendication en même temps que celle de son mari. Elle connaissait le processus de revendication du statut de réfugié puisqu'elle avait déjà présenté une revendication. De plus, elle était représentée par un avocat et avait eu deux ans pour consulter un avocat indépendant. Il a été statué dans l'affaire Frenkel c. Canada (M.C.I.) (26 janvier 1998), IMM-4428-97 (C.F. 1re inst.), que le demandeur qui allègue avoir été mal conseillé doit régler la question avec son avocat.

[21]      La Commission n'a pas commis d'erreur parce qu'elle n'a pas lu dans les pensées de la demanderesse. Les FRP de la demanderesse et de son mari exposent des faits cohérents et similaires. Puisqu'il en est ainsi, il était normal que les revendications soient traitées conjointement. Dans son FRP, la demanderesse parle de sa crainte de persécution et de la crainte de persécution de son mari. Elle utilise constamment le mot " nous ".

[22]      La Commission a rejeté les revendications de la demanderesse et de son mari parce qu'elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du mari. Il est allégué que la Commission a utilisé le FRP de la demanderesse pour relever des incohérences dans le témoignage de son mari. La demanderesse conteste le fait qu'on ne l'a pas appelée à témoigner pour expliquer ces incohérences. De plus, comme elle n'a pas témoigné, la Commission n'a jamais tranché la question de savoir si la demanderesse avait été persécutée par les musulmans à son retour en Malaisie en 1994 et, partant, elle a manqué à son devoir d'examiner le bien-fondé de la revendication de la demanderesse.

[23]      Les revendications qui sont traitées conjointement peuvent être tranchées de la même façon, à moins que des éléments distincts ne ressortent dans un cas particulier; voir l'arrêt Retnem c. M.E.I. (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 317 (C.A.F.). La Commission n'a pas fait expressément état de la persécution dont la demanderesse et sa famille auraient été victimes à leur retour en Malaisie en 1994. Cependant, la demanderesse revendiquait le statut de réfugié pour la même raison que son mari : ils craignaient d'être persécutés parce qu'ils sont des Sikhs. Les conclusions que la Commission a tirées quant à la situation en Malaisie ont tranché indirectement cette question. La Commission s'est référée à des éléments de preuve documentaire qui démontraient que les non-musulmans ne sont pas persécutés en Malaisie. En fait, la constitution prévoit la liberté de religion et le gouvernement a refusé d'accéder aux pressions exercées pour imposer la loi islamique en dehors de la collectivité musulmane. La Commission a conclu que la crainte de persécution des personnes d'origine sikhe n'avait aucun fondement objectif.

[24]      On ne m'a pas convaincu que le témoignage de la demanderesse était nécessaire. Il ressort des motifs que la preuve du mari n'a pas été jugée crédible en raison d'incohérences flagrantes entre son témoignage oral, son FRP et la preuve documentaire. La Commission fait seulement deux renvois au FRP de la demanderesse. Le premier se rapporte à une demande de prorogation de la validité d'un passeport. Dans ses motifs, à la page 7 du dossier, la Commission n'a pas invoqué le FRP de la demanderesse pour discréditer son mari au sujet des passeports, mais pour confirmer ses dires. Quant au renvoi à l'exposé narratif de la demanderesse de même qu'aux deux FRP de M. Singh, il visait à discréditer la prétention orale de M. Singh selon laquelle il avait demandé l'aide de la police à plusieurs reprises, mais en vain. Le témoignage de la demanderesse n'était pas nécessaire pour expliquer des incohérences. Par ailleurs, rien ne permet de conclure que la demanderesse ou son avocat a demandé que la demanderesse soit entendue.

[25]      Les victimes de violence conjugale constituent un groupe social pour l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention à l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2; voir l'affaire Aros c. Canada (M.C.I.) (11 février 1998) IMM-4480-96 (C.F. 1re inst.). Toutefois, le rôle de la Cour est d'examiner la décision de la Commission. Un demandeur ne peut pas invoquer des faits qui n'ont pas été soumis à la Commission. Celle-ci n'a jamais été mise au courant des allégations de violence conjugale. Rien ne justifie l'intervention de la Cour.

[26]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 " P. ROULEAU "

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 21 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-3371-98

INTITULÉ :                          Nerengin Kaur Dhillon c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 5 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE ROULEAU

EN DATE DU :                      21 mai 1999

COMPARUTIONS :

Mme Joyce Chan                          pour la demanderesse

M. Marcel R. Larouche                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Joyce Chan                          pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.