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Date : 20000531


Dossier : T-66-86A

ENTRE :


BERTHA L'HIRONDELLE, agissant en son nom

et au nom de tous les autres membres de la bande de Sawridge,

demandeurs


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA

défenderesse


et


LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

et LA NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

intervenants


et



Dossier : T-66-86B

ENTRE :


BRUCE STARLIGHT, agissant en son nom

et au nom de tous les autres membres de la bande de Sarcee

demandeurs


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA

défenderesse


et


LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA,

LE CONSEIL NATIONAL DES AUTOCHTONES DU CANADA (ALBERTA)

et LA NON-STATUS INDIAN ASSOCIATION OF ALBERTA

intervenants



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(Rendus à l'audience, à Toronto (Ontario), le 26 mai 2000)


LE JUGE HUGESSEN

[1]      Je suis ici saisi de deux requêtes dans chacune de ces deux affaires. Les premières requêtes, soit une requête dans chaque affaire, qui sont libellées en des termes identiques, sont présentées par les demandeurs et visent à mettre fin à la participation des intervenants ou à restreindre pareille participation. Les secondes, qui sont elles aussi libellées en des termes identiques, sont présentées par la Native Women's Association of Canada (la NWAC) et visent à l'obtention de l'autorisation d'intervenir dans chacune des actions; chacune des requêtes a fait l'objet d'une opposition.

[2]      Il est opportun de faire un bref historique de l'affaire. L'action, qui était, au départ, une action unique dans laquelle il y avait trois demandeurs agissant à titre de représentants, a été intentée en 1986. Elle vise à contester la législation communément connue sous le nom de projet de loi C-31, qui devait modifier la Loi sur les Indiens. En 1989, après voir pris connaissance d'un dossier fort complet composé de documents et de contre-interrogatoires portant sur des affidavits et après qu'une audience ayant duré environ un jour eut été tenue, Monsieur le juge McNair a rendu une ordonnance par laquelle il accordait aux intervenants ici en cause l'autorisation d'intervenir dans l'action. Les demandeurs se sont opposés à cette demande et leur opposition ayant été rejetée, ils ont interjeté appel devant la Cour d'appel contre l'ordonnance rendue par Monsieur le juge McNair. Cet appel a en temps et lieu été rejeté pour défaut de poursuite.

[3]      L'affaire a été entendue; les intervenants ont participé à l'instruction, qui a duré fort longtemps, sous la direction et le contrôle du juge de première instance et conformément aux ordonnances rendues par ce dernier. Les demandeurs ont porté le jugement rendu au fond par le juge de première instance devant la Cour d'appel qui, sans statuer sur un bon nombre des moyens d'appel, a accueilli l'appel en se fondant strictement sur le fait que le juge avait démontré qu'il y avait lieu de croire à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité; il a été ordonné que l'affaire soit de nouveau instruite. Dans l'ordonnance, la Cour d'appel n'a pas fait mention du rôle que les intervenants devraient avoir lorsque l'affaire serait de nouveau instruite.

[4]      Peu de temps après que l'ordonnance relative à la tenue d'une nouvelle instruction eut été rendue, j'ai été désigné à titre de juge responsable de la gestion de l'instance; j'agis en cette qualité depuis lors. Il peut être pertinent de noter que depuis que j'ai été ainsi désigné, j'ai rendu un certain nombre d'ordonnances, dont l'effet a été de modifier le litige à certains égards. En particulier, je tiens à signaler une ordonnance permettant la modification de la déclaration, une ordonnance radiant l'un des demandeurs qui agissait à titre de représentant et une ordonnance séparant les deux autres demandeurs qui agissaient à titre de représentants; par conséquent, alors qu'au départ il n'y avait qu'une seule action, il y en a maintenant deux.

[5]      Cela m'amène à parler des requêtes. En ce qui concerne en premier lieu la requête par laquelle les demandeurs demandent à ce qu'il soit mis fin aux droits des intervenants ou à ce que ces droits soient limités, sans vouloir trop simplifier la question, je crois qu'il convient de considérer qu'au moyen de cette requête, on me demande d'une certaine façon d'infirmer l'ordonnance rendue par Monsieur le juge McNair. À mon avis, il n'est pas approprié de le faire. Cette ordonnance, qui a en fait été confirmée par la Cour d'appel, s'applique. Il y a chose jugée. À mon avis, il est de droit constant que certains types d'ordonnances procédurales interlocutoires sont susceptibles de révision, mais je ne crois pas que l'ordonnance de Monsieur le juge McNair soit une ordonnance de ce genre. Il ne s'agit pas d'une ordonnance de nature purement procédurale. De fait, il me semble qu'il s'agit d'une ordonnance qui confère la qualité pour agir aux intervenants et, partant, elle a un effet beaucoup plus étendu qu'une simple ordonnance procédurale.

[6]      Je ne doute aucunement que si les règles 299 et 385 étaient considérées ensemble, je serais dans certaines circonstances autorisé, en ma qualité de juge responsable de la gestion de l'instance, à modifier l'ordonnance de Monsieur le juge McNair. Cependant, je ne crois pas que pareilles circonstances existent en l'espèce. En particulier, je ne crois pas que la situation factuelle ait vraiment changé au point de me permettre d'intervenir, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire qui a alors été exercé par ce juge. Le seul changement qui se serait produit, selon les demandeurs, se rapporte en fait à la modification de la déclaration. Cependant, cette modification, tout en étendant le fondement que les demandeurs invoquent pour solliciter la réparation demandée, ne modifie pas réellement la réparation elle-même et, en particulier, elle ne change rien aux effets que cette réparation peut raisonnablement avoir pour les groupes qui, en 1989, auraient censément et sont encore censément représentés par les intervenants. Ceci dit, je ne crois pas qu'il soit possible de réviser la décision de Monsieur le juge McNair.

[7]      Une bonne partie de l'argumentation des demandeurs, en ce qui concerne ces requêtes, était consacrée à une litanie de plaintes se rapportant à la conduite du premier juge et à la façon dont il a permis aux intervenants de participer à l'instruction qu'il présidait. Ces plaintes étaient incluses dans les moyens invoqués par les demandeurs devant la Cour d'appel, mais comme je l'ai dit, la décision de la Cour d'appel reposait sur un fondement fort restreint. Quoi qu'il en soit, et indépendamment de la question de savoir si les plaintes que les demandeurs cherchent à faire valoir au sujet de la conduite du premier juge sont fondées, il ne m'appartient pas de trancher ces questions. De fait, il ne conviendrait absolument pas de faire des commentaires sur la conduite d'un collègue au sujet d'une instruction qu'il a présidée. Toutefois, dans la mesure où la Cour d'appel a examiné la « conduite générale du procès » qui a lieu devant le juge, comme elle l'a dit dans ses motifs, il semble qu'elle n'ait rien à lui reprocher.

[8]      Je conclus donc que l'on n'a pas réussi à me convaincre de l'existence d'un motif me permettant à juste titre d'intervenir dans l'ordonnance permanente qui a déjà été rendue par Monsieur le juge McNair, et je me propose donc de rejeter les requêtes des demandeurs. J'ajouterais que, sans avoir entendu les arguments sur ce point, j'estime que les intervenants, du fait qu'ils ont déposé les déclarations modifiées et les défenses modifiées, auraient le droit, sans demander d'autorisation, de déposer des interventions modifiées s'ils le jugeaient bon. Si les avocats ne souscrivent pas à cet avis préliminaire que je viens d'exprimer, ils pourront bien sûr soulever la question et si l'un ou l'autre avocat souhaite procéder à des interrogatoires préalables additionnels, je crois qu'il s'agit également d'une question qu'ils pourront à juste titre soulever lorsqu'une conférence sur la gestion de l'instance sera tenue. L'ordonnance de Monsieur le juge McNair prévoit déjà que la conduite des intervenants à l'instruction, à la seconde instruction, comme c'était le cas pour la première instruction, sera assujettie aux ordonnances et directives du juge qui sera en temps et lieu désigné pour présider cette instruction.

[9]      En conclusion, je tiens à faire remarquer que les intervenants ont demandé, si je comprends bien, les dépens relatifs à ces demandes; c'est une question au sujet de laquelle j'aimerais connaître l'opinion des avocats et j'invite ces derniers à présenter leurs observations une fois que j'aurai rendu les présents motifs.

[10]      J'examinerai maintenant le second ensemble de requêtes, soit celles qui ont été présentées par la NWAC en vue de l'obtention de l'autorisation d'intervenir.

[11]      Les avocats semblent s'entendre sur le droit et ils semblent dire que le droit est correctement énoncé dans les jugements rendus en première instance et en appel dans l'affaire Rothmans1. J'ajouterais également qu'à mon avis, même si je crois que ces jugements sont encore valables, j'estime qu'il faut les interpréter à la lumière des Règles de la Cour fédérale (1998), qui sont entrées en vigueur après le prononcé de ces jugements; à mon avis, la règle 109 jette la lumière sur les critères qu'une cour de justice devrait appliquer en déterminant s'il est opportun d'intervenir. Cette règle met particulièrement l'accent sur la contribution que chaque personne qui désire intervenir est en mesure d'apporter au règlement des questions de droit et de fait et sur la mesure dans laquelle l'intervention aidera la Cour à régler ces questions.

[12]      Toutefois, ce n'est pas sur le droit qui s'applique aux interventions que les avocats de la personne qui désire intervenir et des demandeurs ne semblent pas s'entendre, mais sur l'étendue et sur la portée des actions. L'avocat des demandeurs semble croire que ces actions portent essentiellement sur des questions privées intéressant les demandeurs et le gouvernement, dans lesquelles les demandeurs cherchent à revendiquer les droits personnels qui leur sont dévolus par suite des droits issus de traités ou peut-être de la Proclamation royale de 1763 (en parlant de droits personnels, je ne veux pas dire qu'il ne s'agit pas de droits collectifs puisque tous les droits ancestraux sont des droits collectifs, mais il s'agit d'une question n'intéressant essentiellement qu'eux et des actions personnelles intentées par eux). Avec égards, je crois que cette attitude n'est pas réaliste. On fait ainsi l'autruche. Dans la décision dont je viens de faire mention, la Cour d'appel a selon moi résumé d'une façon fort adroite la nature et l'étendue de la présente action lorsqu'elle a dit ce qui suit au sujet de l'affaire dont le juge de première instance était saisi :

« [...] le différend dont il était saisi portait plutôt en réalité sur les prétentions opposées de diverses parties de la collectivité autochtone en ce qui concerne l'établissement des conditions d'appartenance aux bandes indiennes » .2

[13]      Si je comprends bien, l'avocat des demandeurs concède que les actions soulèvent des questions fort sérieuses d'égalité des sexes. À mon avis, il n'est pas possible d'en douter; de plus, ces questions soulèvent selon moi non seulement des questions liées à l'article 15 de la Charte, mais aussi, comme l'avocat de la NWAC l'a fort habilement soutenu, des questions liées à l'article 28 de la Charte et à son effet sur l'article 25 ainsi que des questions liées au paragraphe 35(4) de la Loi constitutionnelle et à son effet sur les autres dispositions de cet article.

[14]      Bref, l'affaire soulève des questions sérieuses se rapportant aux droits des femmes autochtones. Compte tenu de la preuve dont je dispose et malgré les savants arguments que l'avocat des demandeurs a invoqués au sujet de son contre-interrogatoire de la présidente de la NWAC, je suis convaincu que la NWAC est particulièrement bien placée pour défendre les intérêts des femmes autochtones, et que ces intérêts entrent fortement en ligne de compte dans ces actions. Je crois qu'à l'instruction, la NWAC sera en mesure de faire valoir un point de vue qui aidera la Cour et qui sera différent du point de vue que les autres intervenants ont déjà fait valoir. Je ne veux aucunement dire que les autres intervenants n'ont pas honnêtement et sincèrement tenté de défendre les intérêts des femmes autochtones lors de la première instruction, mais c'est maintenant une affaire classée et la nouvelle instruction marquera un nouveau départ. Toutefois, l'avocat des demandeurs a selon moi tout simplement tort d'affirmer comme il le fait que les intérêts des femmes autochtones, qui sont différents et que le projet de loi C-31 touche à mon avis d'une façon particulière, peuvent tout aussi bien être défendus par des hommes et par des femmes. La NWAC est une organisation dont l'objectif est de défendre les intérêts des femmes autochtones et je crois qu'à l'instruction, cette organisation pourra faire une contribution utile.

[15]      Par conséquent, la NWAC aura l'autorisation d'intervenir et elle pourra déposer une intervention d'ici le 30 juin 2000; le droit de procéder à des interrogatoires préalables et de faire l'objet d'interrogatoires préalables sera déterminé et pourra être invoqué lorsqu'une conférence sur la gestion de l'instance sera tenue, comme pourront l'être les autres questions préliminaires concernant la participation de la NWAC. Dans la mesure où ses droits, à l'instruction, ainsi que le droit de participer à l'instruction, d'assigner des témoins et de procéder à des contre-interrogatoires n'auront pas déjà été déterminés par une ordonnance du juge responsable de la gestion de l'instance, ils seront assujettis aux directives et au contrôle du juge qui sera chargé de présider l'instruction.

[16]      Si je comprends bien, les requêtes présentées par la NWAC ne traitent pas de la question des dépens.

(PAR LA SUITE)

[17]      J'ai entendu les avocats des intervenants existants et des demandeurs, et j'estime qu'il s'agit d'une affaire dans laquelle il devrait être ordonné aux demandeurs de payer immédiatement les dépens, et ce, quelle que soit l'issue de la cause. Ce n'est pas la première fois que les demandeurs ont cherché en vain à se débarrasser de ces intervenants. À mon avis, les requêtes n'ont pas été présentées d'une façon appropriée, elles n'auraient pas dû être présentées, l'ordonnance rendue par Monsieur le juge McNair s'appliquait et s'applique encore, et j'ai fourni les motifs pour lesquels les requêtes devraient être rejetées. Par conséquent, les dépens des premières requêtes présentées par les demandeurs contre les anciens intervenants seront payables immédiatement quelle que soit l'issue de la cause, les dépens à taxer comprenant les frais de déplacement raisonnables que les avocats ont engagés en vue d'assister à la présente audience.





                             James K. Hugessen

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

Le 31 mai 2000


Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  T-66-86

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Bertha L'Hirondelle et autres c. Sa Majesté la Reine du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :              les 25 et 26 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE HUGESSEN EN DATE DU 31 MAI 2000.


ONT COMPARU :

Philip Healey & Martin Henderson      pour les demandeurs
Catherine Twinn              pour les demandeurs
Patrick Hodgkinson et          pour la défenderesse

Martha Mendola-Dow

Jacqueline Loignon              pour le Conseil national des Autochtones du Canada
Michael Donaldson et David Haigh      pour la Non-Status Indian Association of Alberta
Jon Faulds                  pour le Conseil national des Autochtones du Canada (Alberta)
Mary Eberts et Lucy McSweeney      pour la Native Women's Association of Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aird & Birlis              pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Catherine Twinn              pour les demandeurs

Slave Lake (Alberta)

Morris Rosenberg              pour la défenderesse -- Sa Majesté la Reine

Sous-procureur général du Canada

Land Michener              pour le Conseil national des Autochtones du Canada

Toronto (Ontario)

Brunet Duckworth & Palmer      pour la Non-Status Indian Association of Alberta

Calgary (Alberta)

Field Atkinson Perraton          pour le Conseil national des Autochtones du Canada
Edmonton (Alberta)              (Alberta)

Ebert Symes Street & Corbett      pour la Native Women's Association of Canada

Toronto (Ontario)

__________________

1      Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Procureur général du Canada, [1990] 1 C.F. 74 (1re inst.)          Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Procureur général du Canada, [1990] 1 C.F. 90 (appel).

2      Bande de Sawridge c. Canada, [1997] 3 C.F. 580 (C.A.F.), à la p. 590.

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