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Date : 20210427


Dossier : IMM-3139-20

Référence : 2021 CF 369

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2021

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

RUDO MVUNDURA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SAR] faisant droit à l’appel d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR].

[2] Pour les motifs exposés ci-après, je rejette la demande.

II. Contexte

[3] Mme Mvundura est une citoyenne du Zimbabwe. Elle dit qu’elle est menacée par son ex‑époux, un ancien policier qui est opposé à sa participation à la politique et est contre ses opinions politiques, et qui la blâme pour le décès de ses deux fils.

[4] L’ex-époux de Mme Mvundura était violent durant leur mariage. Le couple a eu quatre enfants, dont deux fils : Tafadzwa, né en 1981, et Prince, né en 1983. Prince a commencé à résider aux États‑Unis en 2001. En 2005, le couple s’est séparé. Leur autre fils se trouve à Chypre, et leur fille, en Afrique du Sud.

[5] La même année, Mme Mvundura et Tafadzwa se sont joints au Mouvement pour le changement démocratique [le MDC], qui s’opposait à l’Union nationale africaine du Zimbabwe – Front patriotique [la ZANU‑PF]. Le frère de Mme Mvundura était aussi un membre actif du MDC. Mme Mvundura affirme que son ex-époux, comme la plupart des policiers, était un partisan de la ZANU‑PF et n’approuvait pas sa participation ni celle de Tafadzwa au MDC.

[6] En décembre 2005, l’ex-époux et trois autres hommes se sont présentés au domicile de Mme Mvundura et les ont agressés, elle et son fils, en raison de leur participation au MDC. Après l’agression, Mme Mvundura et Tafadzwa n’ont pas mis fin à leur implication au sein du parti politique.

[7] En 2007, Tafadzwa est décédé. La police a conclu à un suicide, mais Mme Mvundura ne croit pas à cette thèse.

[8] L’ex-époux a blâmé Mme Mvundura pour le décès de leur fils, et il est devenu violent envers elle aux funérailles et a alors dû être maîtrisé physiquement. Il a dit à Mme Mvundura qu’elle devait aller voir un sorcier pour qu’on puisse savoir comment leur fils est décédé. Elle a refusé de le faire, pour des motifs religieux mais aussi parce qu’elle pensait que, si le sorcier la blâmait, son ex-époux se sentirait justifié de la blâmer ou de lui faire du mal. Elle a quitté le Zimbabwe et est restée en Afrique du Sud pendant un mois.

[9] En 2010, la police américaine a appelé Mme Mvundura pour l’informer que son fils, Prince, s’était suicidé. Elle s’est rendue aux États‑Unis munie d’un visa valide, mais a indûment prolongé son séjour. Elle a finalement demandé l’asile le 10 mars 2016 aux États‑Unis. Elle s’est par la suite désistée de sa demande et elle est allée au Canada, où elle a présenté une demande d’asile. Elle déclare s’être désistée de la demande et être allée au Canada parce qu’elle craignait que son époux planifie de rendre aux États‑Unis.

[10] Le 7 mai 2019, la demande d’asile de Mme Mvundura a été instruite par la SPR. Dans sa décision, la SPR a écrit qu’elle avait des [traduction] « préoccupations » quant à la crédibilité de Mme Mvundura en raison des différences entre la demande d’asile présentée aux États‑Unis et celle présentée au Canada concernant les agressions dont elle et son fils ont été victimes. Mme Mvundura a répondu que les incohérences s’expliquaient par le fait qu’elle n’avait pas été représentée pour la demande d’asile aux États‑Unis et qu’elle avait rempli le formulaire à la hâte. Le commissaire n’a pas admis ces explications et a tenu compte de [traduction] « son témoignage avec circonspection ».

[11] L’allégation principale était une crainte de persécution de la part de l’ex-époux, qui, en raison de ses liens avec la police, constituerait une menace pour Mme Mvundura partout au pays. Le commissaire a conclu à l’existence d’un lien entre la persécution que Mme Mvundura faisait valoir et l’appartenance à un groupe social de Zimbabwéennes. Toutefois, il a également conclu que, comme aucun acte de violence n’avait été commis depuis 2007, lors des funérailles de Tafadzwa, et que l’ex-époux avait eu la possibilité de persécuter Mme Mvundura, la crainte d’une augmentation de la violence est hypothétique.

[12] Le décideur a jugé qu’il n’y avait pas de risque sérieux de persécution du fait des opinions politiques de Mme Mvundura parce que son appartenance au MDC est faible et que son opposition à la ZANU‑PF ne constitue pas [traduction] « un aspect important de sa vie depuis de nombreuses années […] ».

[13] La SPR a conclu que Mme Mvundura n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, et Mme Mvundura a interjeté appel à la SAR.

A. Décision faisant l’objet du contrôle

[14] Le ministre est intervenu dans le cadre de l’appel interjeté à la SAR, soutenant que la SPR n’avait pas commis d’erreur de droit concernant les évaluations de la crédibilité et qu’elle avait rendu une décision raisonnable.

[15] La SAR a conclu que Mme Mvundura avait qualité de réfugié au sens de la Convention. Dans une décision de 17 paragraphes, le commissaire a conclu que la SPR avait commis des erreurs dans la décision en ce qui concerne la crédibilité et l’évaluation du fondement objectif.

[16] Après examen du dossier et de la transcription de l’audience de la SPR, et évaluation de ceux‑ci de façon indépendante, la SAR a conclu que les éléments de preuve ne présentaient aucun problème de crédibilité. Plus précisément, concernant l’omission dans la demande d’asile présentée aux États‑Unis, le commissaire de la SAR a tenu compte de l’explication selon laquelle, lorsqu’elle a fait la demande, Mme Mvundura n’avait ni conseil ni interprète (et maîtrisait mal l’anglais). Ces éléments, combinés à la preuve médicale présentée par Mme Mvundura, indiquant qu’elle souffrait de problèmes de mémoire liés à un traumatisme, et à des preuves photographiques et par affidavit, expliquent pourquoi la SAR a conclu que l’explication de Mme Mvundura concernant ses omissions était raisonnable et que la SPR n’aurait pas dû parvenir à cette conclusion.

[17] En ce qui concerne l’évaluation du fondement objectif, le commissaire de la SAR a conclu que la SPR avait eu tort de conclure que la demande d’asile n’était pas fondée. Selon la SAR, la menace proférée par l’ex-époux de se rendre aux États‑Unis en 2017 montrait une intention de nuire gravement à Mme Mvundura. La SAR est arrivée à cette conclusion en se fondant sur le témoignage présenté ainsi que sur la preuve par affidavit selon laquelle, en avril 2019, l’ex-époux avait toujours l’intention de « venger le sang de ses enfants en le versant sur elle ». Selon le commissaire de la SAR, vu la conclusion relative à la crédibilité, les allégations principales sont crédibles et il n’était pas loisible à la SPR de conclure que l’ex-époux n’a pas l’intention de causer un préjudice grave à Mme Mvundura advenant son retour au Zimbabwe.

[18] Dans sa décision, la SAR a également traité brièvement des possibilités de refuge intérieur [la PRI] et de l’intervention du ministre.

[19] Le commissaire de la SAR a conclu les motifs en soulignant qu’il avait effectué une évaluation indépendante de la preuve et que la décision de la SPR comportait des erreurs. Il a cassé la décision de la SPR et y a substitué la décision qui aurait dû être rendue, à savoir que Mme Mvundura a qualité de réfugié au sens de la Convention, conformément au paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

III. Question en litige

[20] La question en litige est de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

IV. Norme de contrôle

[21] La SAR contrôle les décisions de la SPR selon la norme de la décision correcte. L’appel devant la SAR ne constitue pas un véritable processus de novo car tous les documents, y compris la décision de la SPR, seront pris en considération pour rendre la décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 78 et 79).

[22] La norme en fonction de laquelle la Cour contrôle les décisions de la SAR est celle de la décision raisonnable. Une décision raisonnable doit être fondée sur un raisonnement rationnel et logique et sur une analyse intrinsèquement cohérente (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85 et 102 [arrêt Vavilov]). La décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (arrêt Vavilov, au para 99).

V. Analyse

A. La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?

[23] Il ne fait aucun doute que les motifs de la SAR sont brefs, mais le critère relatif aux motifs suffisants n’est pas la longueur de ceux‑ci. Il peut y avoir de longs motifs qui ne satisfont pas aux exigences, et de brefs motifs qui y satisfont. Il convient également de souligner que, au lieu de répéter des faits, la décision de la SAR s’appuie sur l’exposé des faits figurant dans la décision de la SPR, laquelle compte 22 paragraphes fournissant des renseignements (décision de la SAR, au para 3).

[24] Le ministre soutient que les brefs motifs ne permettent pas de comprendre pourquoi la SAR est parvenue à la décision qu’elle a rendue et qu’il n’y avait aucune preuve d’évaluation indépendante des éléments de preuve.

[25] Je ne suis pas d’accord avec le ministre.

[26] Premièrement, il convient d’effectuer une brève analyse de la norme de contrôle que doit appliquer la SAR lors de l’examen particulier de la décision de la SPR sur les questions de crédibilité. Dans la décision Rozas Del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145 [décision Rozas], le juge Diner procède à une analyse longue et complexe de quelques questions liées à la SAR et aux conclusions tirées quant à la crédibilité. Dans cette décision, il a conclu que la SAR devrait faire montre d’une certaine déférence envers la SPR sur les questions de crédibilité (décision Rozas, au para 60), mais que cette déférence n’atteint pas le niveau d’un contrôle selon la norme du caractère raisonnable dans un contrôle judiciaire.

[27] Dans la décision Jeyaseelan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 278 [décision Jayaseelan], au paragraphe 13, le juge Diner a conclu que la SAR peut faire montre de déférence envers les conclusions de la SPR sur la crédibilité, mais il ne dit pas dans la décision qu’elle doit le faire. Il semblerait que la position du juge Diner soit que le décideur de la SAR dispose d’une certaine latitude pour examiner les élément précis de l’affaire :

Selon moi, pour être raisonnable, une norme déférente façonnée par la SAR ne peut pas tout simplement reproduire le rôle de surveillance de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire. La norme de la décision raisonnable appliquée par la SAR présente le risque de limiter la possibilité d’obtenir la correction de conclusions concernant la crédibilité qui sont viciées.

(décision Rozas, au para 136)

[28] J’admets que la décision de la SAR corrigeait une conclusion erronée concernant la crédibilité, et les motifs montrent à la fois pourquoi et comment le commissaire de la SAR est parvenu à cette décision – plus précisément en expliquant que le commissaire de la SPR n’a pas tenu compte de la preuve.

[29] Les motifs de la SAR montrent que le commissaire de la SAR a procédé à une analyse indépendante. Aux paragraphes 7 et 8 de la décision, il mentionne expressément l’exposé circonstancié de la demande d’asile présentée aux États‑Unis, la preuve médicale, les affidavits, les témoignages provenant de l’audience de la SPR (comme l’absence de conseil et le manque de compétences linguistiques) et les preuves photographiques présentées, et conclut que la SAR souscrit aux arguments présentés.

[30] La SAR renvoie à des éléments de preuve précis et explique pourquoi elle est parvenue à la décision qu’elle a rendue. La conclusion de la SPR relative au fondement objectif reposait sur les conclusions quant à la crédibilité qu’elle a tirées, plus précisément sur le fait qu’elle ne croyait pas nécessairement à certaines des allégations de violence qui étaient mentionnées dans la demande d’asile présentée au Canada mais qui étaient absentes de la demande d’asile faite aux États‑Unis. Cependant, pour statuer sur la crédibilité, la SAR a conclu qu’il y a davantage d’éléments de preuve à l’appui des allégations de fondement objectif, ce que le commissaire de la SAR souligne aux paragraphes 10 et 11 de la décision. Cela montre que la SAR a examiné le dossier et est arrivée à sa propre conclusion. À mon avis, cela satisfait aux exigences énoncées dans les décisions Jeyaseelan et Hundal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 72.

[31] Le ministre a expressément précisé que cette façon de procéder était particulièrement importante lorsque la SAR accorde l’asile : la SAR doit procéder à une analyse complète et exhaustive (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kaler, 2019 CF 883).

[32] La brièveté à elle seule ne rend pas la décision déraisonnable. En fait, des motifs brefs sont préférables et beaucoup plus difficiles à rédiger que de longues décisions décousues, quel que soit le contexte. Comme il est déclaré dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 91, citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, « [l]e fait que les motifs de la décision “ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire” ne constitue pas un fondement justifiant à lui seul d’infirmer la décision ». En outre, comme il ne s’agit pas d’une véritable audience de novo, il semble justifié de répondre aux préoccupations de la SPR sans entrer dans une longue discussion sur tous les problèmes possibles.

[33] On ne peut dissocier non plus le contrôle d’une décision administrative du cadre institutionnel dans lequel elle a été rendue ni de l’historique de l’instance. Les motifs doivent être interprétés à la lumière du dossier et ne pas être jugés au regard d’une norme de perfection (arrêt Vavilov, au para 91). En outre, la cour de révision doit interpréter les motifs en fonction de l’historique et du contexte de l’instance (arrêt Vavilov, au para 94).

[34] En l’espèce, une fois que le commissaire de la SAR a conclu que Mme Mvundura était crédible, tout le reste s’est enchaîné, et peu de motifs étaient nécessaires.

[35] Je suis convaincue que la SPR a exposé des motifs suffisants à l’appui de la conclusion à laquelle elle est parvenue. À mon avis, malgré la brièveté des motifs de la SAR, ceux-ci ont permis à la Cour de comprendre comment la SAR est parvenue à sa décision. La SAR a admis les arguments relatifs à crédibilité présentés par Mme Mvundura, ce qui l’a amenée à conclure qu’il y avait un fondement objectif à sa crainte d’être persécutée par son ex‑époux au Zimbabwe. À mon avis, cela satisfait aux exigences énoncées dans l’arrêt Vavilov.

[36] Aucune question à certifier n’a été présentée, et aucune ne s’est posée.

VI. Conclusion

[37] Je suis convaincue que les motifs du décideur montrent qu’il a appliqué le droit pertinent aux faits de l’espèce et qu’il y avait une chaîne de raisonnement intrinsèquement cohérente.

[38] Je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable à la lumière des faits et du droit. La demande est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3139-20

LA COUR STATUE que :

  1. la demande est rejetée;

  2. aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3139-20

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c RUDO MVUNDURA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE) ET surrey (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 AVRIL 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :


LE 27 AVRIL 2021

 

COMPARUTIONS :

Brett J. Nash

 

pour le demandeur

Massood Joomratty

 

pour lA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour le demandeur

M. Joomratty Law Corp

Avocat

Surrey (Colombie-Britannique)

pour lA DÉFENDERESSE

 

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