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                                                                                                                     Date : 20040318

                                                                                                        Dossier : IMM-3069-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 415

ENTRE :

                                                EOMAL FERNANDOPULLE

                                     TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

                                                                                                                              demandeurs

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]                     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 10 avril 2003, dans laquelle la Commission a décidé que les demandeurs, quoique crédibles, n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La Commission a décidé que la preuve ne permettait pas d'établir le bien-fondé de la crainte des demandeurs, plus particulièrement à cause d'un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres de libération de l'EELAM TAMOUL (TLET).

[2]                Pour l'essentiel, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne se demandant pas si le changement de situation au pays, savoir le cessez-le-feu au Sri Lanka, était efficace et durable.

[3]                Les demandeurs sont des citoyens du Sri Lanka qui vivaient à Dankotuwa, une ville située à environ 40 kilomètres au nord de Colombo. Le demandeur principal, Eomal Fernandopulle, est le fils de la demanderesse, Terencia Kumari Fernandopulle (Terencia Fernandopulle). Eomal Fernandopulle est arrivé au Canada le 13 août 2001 et Terencia Fernandopulle est arrivée au Canada le 12 septembre 2002. Les deux demandes d'asile ont été entendues en même temps.

[4]                À l'appui de leurs demandes, les demandeurs ont invoqué craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur race ou groupe ethnique, celui des Tamouls. En outre, Eomal Fernandopulle a soutenu qu'il était une personne à protéger parce qu'il était exposé à la torture, à une menace à sa vie ou au risque d'être soumis à des traitements ou peines cruels ou inusités au Sri Lanka.

[5]                Eomal Fernandopulle a dit qu'il avait été détenu, interrogé et battu par la police qui l'accusait de collaborer avec les rebelles tamouls. Terencia Fernandopulle a prétendu que sa maison avait été pillée par des émeutiers cinghalais et que la police l'avait harcelée, qu'elle avait également harcelé les membres de sa famille et perquisitionné chez elle à plusieurs reprises et qu'elle avait arrêté, détenu et agressé physiquement son mari et ses fils.

[6]                La Commission a reconnu que les demandeurs étaient des Tamouls. Elle a conclu que les demandeurs étaient crédibles dans la description des incidents qu'ils avaient vécus au Sri Lanka pendant qu'ils y vivaient et elle a accepté les allégations mentionnées dans leurs exposés des faits. La Commission a reconnu que les demandeurs feraient face à un certain harcèlement à Dankotuwa à cause de leur origine ethnique. Toutefois, la Commission a conclu que, compte tenu de la preuve documentaire et du témoignage des demandeurs concernant les changements qui s'étaient produits au Sri Lanka depuis 2001, la crainte de persécution des demandeurs n'était pas justifiée. Pour les mêmes motifs, la Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des personnes à protéger (Dossier de demande des demandeurs (D.D.), page 124). La Commission a dit :


La question soulevée par une demande d'asile n'est pas de savoir si le demandeur avait des raisons de craindre d'être persécuté dans le passé, mais plutôt s'il a maintenant, au moment où la demande est entendue, a des motifs raisonnables de craindre la persécution dans l'avenir. Le tribunal souligne qu'un accord de cessez-le-feu est en vigueur à Sri Lanka et il reconnaît également qu'il n'existe toutefois aucun accord de paix officiel ou définitif. Cependant, l'accord de cessez-le-feu dure depuis un certain temps déjà, soit depuis décembre 2001 jusqu'à aujourd'hui, mars 2003. Les demandeurs n'ont présenté aucune preuve permettant d'établir que le frère du demandeur principal, qui est aussi le fils de la deuxième demandeure, avait éprouvé de graves problèmes à Sri Lanka depuis le 24 juillet 2001. En fait, la deuxième demandeure a déclaré qu'elle n'avait eu aucun problème, que les choses étaient « normales » , mais qu'elle craignait que la guerre reprenne et que les mauvais traitements recommencent comme avant.

(A.R., p. 127)

[7]                La Commission a rejeté l'argument subsidiaire des demandeurs selon lequel même si la preuve ne permettait pas d'établir une crainte objective de persécution parce que la situation au Sri Lanka était suffisamment stable, il existait néanmoins des raisons impérieuses, découlant de la persécution passée, de ne pas renvoyer Eomal Fernandopulle. La Commission a décidé qu'il n'y avait aucune preuve que la persécution passée avait eu des répercussions psychologiques sur Eomal Fernandopulle; par conséquent, le traitement qu'il avait subi au Sri Lanka, même s'il était répugnant, n'était pas à ce point exceptionnel ou atroce que ce serait lui causer un préjudice que de le renvoyer dans son pays. La Commission a également conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur à Colombo.


[8]                Le premier argument des demandeurs est un argument juridique précis, savoir que la Commission a commis une erreur en imposant aux demandeurs le fardeau de démontrer que la situation au Sri Lanka n'avait pas suffisamment changé pour que la crainte objective de persécution qu'ils avaient ne soit plus justifiée. Quant à prouver une crainte bien fondée de persécution, les demandeurs soutiennent que lorsqu'ils ont fait la preuve d'une persécution passée, il existe une présomption de persécution future qui peut être réfutée par un changement de circonstances. Les demandeurs prétendent que, pour conclure qu'ils ne sont pas des réfugiés au motif que la situation a changé au Sri Lanka, la Commission doit conclure qu'il y a eu un changement de situation qui est durable, efficace et important. Les demandeurs prétendent donc que lorsque la Commission a jugé que la preuve de persécution passée était crédible, la présomption de persécution future s'appliquait et les demandeurs n'étaient pas tenus de démontrer que la situation n'avait pas changé au Sri Lanka. À l'appui de leur prétention selon laquelle la persécution passée crée une présomption de persécution future, les demandeurs citent la page 45 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (D.D., p. 133) :

On peut supposer qu'une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951.

[9]                Le défendeur prétend que la persécution passée ne crée aucune présomption de crainte bien fondée de persécution; au contraire, la Commission doit tenir compte d'un changement de situation dans le cadre de l'évaluation globale de la question de savoir si un demandeur serait exposé à un risque à son retour. Le défendeur mentionne le paragraphe 20 de la décision Sman c. Canada (M.C.I.), 2002 CF 1re instance 891 dans laquelle le juge Pelletier, maintenant juge de la Cour d'appel fédérale a dit :


Dans la mesure où le juge La Forest dit que la persécution est réelle, il doit parler d'événements passés. Selon le raisonnement du juge, s'il y a eu persécution par le passé et s'il est démontré que l'État n'assure aucune protection, il peut être présumé qu'il y aura persécutions dans l'avenir. La crainte de persécutions est donc justifiée. Cependant, le juge La Forest émet l'hypothèse cruciale selon laquelle l'avenir se déroulera de la même façon que le passé. Il s'agit ici d'un exemple d'un cas dans lequel on peut reconnaître qu'il y a eu persécution par le passé sans pour autant reconnaître que la persécution se poursuivra dans l'avenir. La présomption relative au caractère justifié de la crainte ne dépend donc pas uniquement de la preuve de la persécution passée et de l'absence de protection étatique. Il faut supposer qu'il n'existe aucune raison valable permettant de croire que la conduite passée ne se répétera pas dans l'avenir. Or, cet élément est absent dans ce cas-ci.

Le défendeur ajoute l'argument suivant :

[traduction] 15. Alors qu'on pourrait décrire la jurisprudence comme contredisant ou tout simplement comme était différente du Guide sur ce point (le défendeur mentionne le terme « peut » qui se trouve dans la disposition citée par les demandeurs), il ressort clairement de la jurisprudence que la présomption sur laquelle les demandeurs se fondent n'existe pas en droit canadien :

. . . je tiens à rappeler que toute personne revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention doit démontrer, à l'appui de sa demande, qu'elle craint avec raison d'être persécutée à l'avenir. Les preuves ainsi produites peuvent établir que la personne en cause a, dans le passé, fait l'objet de persécutions systématiques, dans son pays d'origine. Mais, en soi, cela ne suffit pas. En effet, le critère applicable aux fins du statut de réfugié au sens de la Convention est un critère prospectif et non pas rétrospectif. Voir, par exemple, Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Mark (1993), 151 N. R. 213 (C.A.F.), à la page 215. S'il est important de démontrer l'existence de persécutions passées, c'est parce que cela sert de fondement à la crainte d'être persécuté à l'avenir. Ce qui compte vraiment, cependant, c'est de convaincre qu'on craint avec raison d'être persécuté à l'avenir.

Pour-Shariati c. Canada (M.E.I.) [1995] 1 C.F. 767 (1re inst.), au paragraphe 17; confirmé pour d'autres motifs (1997), 215 N.R. 174 (C.A.F.)                                                                                                                                                                                       Voir également : Penate c. Canada (M.E.I.) [1994] C.F. 79, aux paragraphes 26 et 27; Saka c. Canada (M.C.I.) (le 23 juillet 1996), A-1638-92 (C.F. 1re inst.); Thevagasayam c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 1406 (Q.L.), IMM-252-97 (1re inst.), au paragraphe 9; Ahmed c. Canada (M.C.I.), 2003 CF 1re instance 470, au paragraphe 6.


[10]            Je conviens avec le défendeur que la persécution passée n'est pas suffisante en soi pour établir une crainte de persécution future, même si cette persécution peut constituer la base de la crainte actuelle. Quant aux répercussions d'un changement de situation au pays, la Cour d'appel fédérale a dit qu'il n'y avait aucun critère juridique distinct à appliquer dans l'examen d'une demande de statut de réfugié au sens de la Convention lorsque la situation a changé dans le pays d'origine du demandeur et que la seule question à résoudre est celle de savoir si, au moment de l'audition de la demande, le demandeur a raison de craindre d'être persécuté en cas de renvoi (Yusuf c. Canada (M.E.I.) (1995), 179 N.R. 111, à la page 12 (C.A.F.). La norme de contrôle concernant la question de savoir si les demandeurs craignent avec raison d'être persécutés au Sri Lanka est celle du caractère manifestement déraisonnable (Chorny c. Canada (M.C.I.), 2003 C.F. 999).

[11]            Mis à part l'argument juridique susmentionné, les demandeurs prétendent principalement que la Commission a commis une erreur en décidant que la situation au Sri Lanka avait suffisamment changé pour que la crainte de persécution objective des demandeurs ne soit pas justifiée; plus particulièrement, ils prétendent que la Commission a commis une erreur en décidant que l'accord de cessez-le-feu conclu au Sri Lanka était efficace et durable. Les demandeurs attirent l'attention sur la preuve documentaire qui indique que le cessez-le-feu ne durerait pas, en particulier, la preuve que les accords antérieurs de cessez-le-feu ont été violés et que le gouvernement du Sri Lanka et les TLET ont l'habitude d'utiliser les cessez-le-feu pour se réarmer.

[12]                 Le défendeur prétend que la Commission n'a pas tiré de conclusion générale concernant un changement de situation au Sri Lanka mais qu'elle s'est plutôt fondée sur la preuve documentaire et les témoignages des demandeurs pour décider qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir que la crainte des demandeurs d'être persécutés au Sri Lanka était bien fondée. Le défendeur prétend que la conclusion de la Commission à cet égard était étayée par la preuve.

[13]            À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en décidant que les demandeurs n'avaient aucune raison de craindre la persécution et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger à cause de l'accord de cessez-le-feu. La preuve documentaire révèle que le gouvernement du Sri Lanka et les Tigres de libération de l'EELAM TAMOUL (TLET) avaient conclu un accord de cessez-le-feu temporaire le 24 décembre 2001 et qu'un accord a été signé par la suite, le 22 février 2002. Le 2 avril 2002, des observateurs nordiques avaient commencé à surveiller le respect de l'accord. La Commission a également mentionné que le HCR de l'ONU soutenait que même si le gouvernement sri lankais et les TLET avaient entamé des négociations de paix, il était trop tôt pour promouvoir le rapatriement volontaire à grande échelle des Sri Lankais; toutefois, le HCR n'avait pas demandé la suspension du renvoi des demandeurs d'asile dont la demande avait été rejetée. La Commission a mentionné une preuve documentaire qui révélait que le cessez-le-feu durait depuis un certain temps et qu'il n'était pas que temporaire. La preuve permettait de dire que l'accord de cessez-le-feu avait eu des répercussions importantes sur la diminution des cas de violations des droits de la personne au Sri Lanka et, qu'en règle générale, le gouvernement de ce pays respectait les droits de ses citoyens et qu'il avait pris des mesures afin d'éviter la violation des droits de la personne (D.D., pp. 124-126).


[14]            En sus de la preuve documentaire, la Commission a mentionné le témoignage de la demanderesse qui avait dit qu'au Sri Lanka la situation était devenue « normale » à cause de l'accord de cessez-le-feu. La Commission a dit que les demandeurs n'avaient produit aucune preuve que les membres de la famille qui étaient restés au Sri Lanka avaient eu des ennuis depuis juillet 2001. En outre, la demanderesse a déclaré que son fils de 22 ans était au Sri Lanka pour se trouver un emploi.

[15]            Les demandeurs prétendent, à titre subsidiaire, que même si la preuve ne permet pas d'établir une crainte objective de persécution au motif que la situation est suffisamment stable au Sri Lanka, la Commission a commis une erreur en décidant qu'aucune raison impérieuse découlant de la persécution passée permettent de ne pas renvoyer Eomal Fernandopulle au Sri Lanka. Les demandeurs font valoir que la Commission n'a pas tenu compte des raisons impérieuses suivantes : la persécution passée, la crainte subjective persistante de la demanderesse et la possibilité raisonnable que l'accord de cessez-le-feu échoue.

[16]            Le défendeur soutient qu'il appartient au demandeur de prouver qu'il existe des raisons impérieuses de ne pas le renvoyer au Sri Lanka, que la barre est haute et que le demandeur n'a pas réussi à démontrer qu'il s'agissait d'un cas extraordinaire auquel des raisons impérieuses s'appliquaient.

[17]            Quant à ce dernier argument, je suis d'accord avec le défendeur.


                            ORDONNANCE

Je n'ai trouvé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la Commission et, par voie de conséquence, la demande est rejetée. Pour ce qui touche l'argument juridique précis soulevé par les demandeurs, le demandeur propose la question certifiée suivante :

[traduction] Lorsqu'une personne qui demande l'asile a été victime de persécution, la Section de la protection des réfugié de la commission de l'immigration et du statut de réfugié est-elle tenue d'appliquer la présomption réfutable visée au paragraphe 45 du Guide des procédures et des critères permettant de déterminer le statut de réfugié des Nations Unies selon laquelle :

[...] une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951.

ou, cette présomption ne fait-elle pas partie du droit canadien?

Le défendeur soutient que la question n'a pas de portée générale. Néanmoins, selon moi, la question de présomption soulevée par le demandeur exige une réponse définitive. Par conséquent, la question proposée par le demandeur est certifiée.

                                                               « Douglas Campbell »               

                                                                                         Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-3069-03

INTITULÉ :                                              EOMAL FERNANDOPULLE, TERENCIA KUMARI FERNANDOPULLE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                        WINNIPEG ( MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 17 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                             LE 18 MARS 2004

COMPARUTIONS :

David Matas                                                POUR LES DEMANDEURS

Nalini Reddy                                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                               POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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