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Date : 20210514


Dossier : T-1512-20

Référence : 2021 CF 448

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2021

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

L’HONORABLE GÉRARD DUGRÉ

demandeur

et

LE CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

mis en cause

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie de deux requêtes dans cette demande de contrôle judiciaire qui contestent une décision interlocutoire du Comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature. La première, déposée par le Procureur général du Canada, vise à radier la demande comme prématurée, comme cette Cour l’a fait avec cinq autres demandes découlant de procédures devant le Conseil : Dugré c Canada (Procureur général), 2019 CF 1604; Dugré c Canada (Procureur général), 2020 CF 789, les deux confirmées par 2021 CAF 8. La deuxième, déposée par le demandeur, sollicite une suspension de l’instance jusqu’à la décision finale de la Cour suprême du Canada sur la demande d’autorisation d’appel du demandeur au sujet de ces autres ordonnances en radiation.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de suspension et j’octroie la demande en radiation. La demande de contrôle judiciaire est alors radiée. Conformément à la demande du Procureur général, aucuns frais ne sont accordés.

II. Questions en litige

[3] Dans sa réponse à la requête du Procureur général en radiation, le demandeur a soulevé son intention de demander la suspension des procédures jusqu’à la décision de la Cour suprême traitant sa demande d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel en 2021 CAF 8. Il argumente qu’une décision sur sa demande d’autorisation d’appel peut avoir une incidence sur la requête en radiation du Procureur général et que ceci nécessite la suspension de la demande plutôt que sa radiation. Il faut donc considérer la requête du demandeur en suspension en premier, même si elle a été déposée après celle du Procureur général.

[4] Par conséquent, les requêtes soulèvent les questions en litige suivantes, qui sont liées :

  1. Est-ce que l’intérêt de la justice exige que les procédures dans cette demande soient suspendues jusqu’à la décision de la Cour suprême du Canada sur la demande d’autorisation d’appel du demandeur et, si elle est accordée, à sa décision dans l’appel?

  2. Cette demande n’a-t-elle aucune possibilité raisonnable de réussite parce qu’elle est prématurée?

III. Analyse

A. L’intérêt de la justice n’exige pas la suspension des procédures

(1) La situation procédurale

[5] Le Comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature est saisi de sept plaintes au sujet du demandeur, qui est juge de la Cour supérieure du Québec. Les deux premières étaient déposées en 2018. Le 30 août 2019, deux Comités d’examen du Conseil ont rendu des rapports selon les Procédures du Conseil canadien de la magistrature pour l’examen de plaintes ou d’allégations au sujet de juges de nomination fédérale, concluant qu’il y avait lieu de constituer un Comité d’enquête dans les deux cas. Le demandeur a déposé deux demandes de contrôle judiciaire de ces décisions. Le 13 décembre 2019, le juge Martineau a radié ces deux demandes comme prématurées à l’instance du Procureur général, suivant les principes de la Cour d’appel en CB Powell : Dugré, 2019 CF 1604 aux paragraphes 4 à 8, 13, 24, appliquant Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux paragraphes 30 à 33.

[6] La troisième plainte était transmise au Comité d’enquête par le juge en chef Joyal, vice-président du Comité sur la conduite des juges du Conseil. Les quatre autres plaintes étaient transmises directement au Comité d’enquête par le Directeur exécutif du Conseil. Ces références faisaient l’objet de deux autres demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur en 2019. Une cinquième demande de contrôle judiciaire était déposée en 2020 contestant un avis d’allégations émis par le Comité d’enquête concernant six des plaintes. Le 8 mai, le juge Roy a rejeté la demande du demandeur de suspendre les travaux du Comité d’enquête (ou des deux Comités d’enquête avec la même composition), jusqu’à la détermination des trois dernières demandes de contrôle judiciaire : Dugré c Canada (Procureur général), 2020 CF 602 aux paragraphes 1 à 3, 52. Le 24 juillet 2020, le juge Roy a radié ces trois dernières demandes de contrôle judiciaire comme prématurées, encore à l’instance du Procureur général : Dugré, 2020 CF 789 aux paragraphes 5 à 13, 70.

[7] Le demandeur a porté en appel les trois décisions de cette Cour. La Cour d’appel, de sa propre initiative, a ordonné aux parties de déposer des observations écrites sur la question de savoir si les appels des deux ordonnances en radiation sont voués à l’échec. Après avoir considéré ces observations, la Cour d’appel a mis fin aux appels de façon sommaire : Dugré, 2021 CAF 8 aux paragraphes 1 à 2, 11, 49 à 50. Le demandeur a déposé avec la Cour suprême du Canada une demande d’autorisation d’appel de cette décision de la Cour d’appel.

[8] Suite à cette décision, le Procureur général a demandé à la Cour d’appel de traité de la même manière les appels de la décision du juge Roy rejetant la demande en sursis (2020 CF 602). En réponse, le demandeur a demandé que ces derniers appels soient mis en veilleuse jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par la Cour suprême. La Cour d’appel a rejeté la demande en suspension et a radié les appels : Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 40 aux paragraphes 3, 6, 8 à 9.

[9] Pendant ce temps, le demandeur a présenté cinq demandes préliminaires au Comité d’enquête. Les moyens du demandeur visaient la récusation des membres du Comité d’enquête, l’arrêt de l’enquête ou sa radiation en partie, la scission des enquêtes, le sursis de l’enquête jusqu’à la décision de la Cour fédérale sur les demandes de contrôle judiciaire, et des questions préliminaires portant sur la preuve. Le 17 novembre 2020, le Comité d’enquête a rendu une décision qui portait sur la plupart des demandes préliminaires. Le Comité d’enquête a rejeté les demandes de sursis, de récusation, d’arrêt et de scission. Il a accueilli en partie la demande au sujet de la preuve.

[10] La présente demande de contrôle judiciaire conteste la décision du Comité d’enquête sur ces questions. Elle allègue que le Comité d’enquête a mal interprété le Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203, et a erré en refusant de reconnaître la nécessité de se récuser, de scinder l’enquête ou de la suspendre. Le demandeur prétend que la décision du Comité d’enquête est inéquitable et déraisonnable à plusieurs égards.

[11] Comme indiqué, le Procureur général demande que cette demande de contrôle judiciaire, comme celles qui étaient devant les juges Martineau et Roy et devant la Cour d’appel, soit radiée comme prématurée. Le demandeur sollicite que la Cour ne tranche pas actuellement la question de radiation, mais plutôt qu’elle suspende les procédures afin de permettre à la Cour suprême de déterminer la gamme de la doctrine de la prématurité lorsqu’elle traite la demande d’autorisation d’appel.

(2) Le pouvoir de suspendre les procédures

[12] L’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7, donne à cette Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire lorsque « l’intérêt de la justice l’exige ». Cet alinéa donne à la Cour le pouvoir de suspendre les procédures d’un autre organisme, tel qu’un tribunal administratif, ou de suspendre ses propres procédures. La Cour d’appel a reconnu que ces deux situations sont de nature fort différentes : Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada inc, 2011 CAF 312 aux paragraphes 3 à 5.

[13] Les parties conviennent que la demande du demandeur appartient à la deuxième catégorie, une demande à la Cour de suspendre ses propres procédures pour une durée limitée. Dans une telle instance, la décision « repose sur des considérations discrétionnaires d’ordre général », telles que l’intérêt public à ce que les procédures se déroulent équitablement et d’une manière expéditive, la durée de la suspension demandée, la raison pour la demande, la perte potentielle de ressources judiciaires, le statut procédural et la présence ou absence de préjudice : Mylan aux paragraphes 5, 19; Coote c Lawyers’ Professional Indemnity Company, 2013 CAF 143 aux paragraphes 12 à 14; Clayton c Canada (Procureur général), 2018 CAF 1 au paragraphe 28; Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, Règle 3.

[14] Le demandeur argumente qu’il y a un intérêt public d’éviter des jugements contradictoires sur la question de radiation. Il allègue que si cette Cour accorde la requête du Procureur général, cette décision pourrait être en conflit avec celle de la Cour suprême si cette dernière fait droit au recours du demandeur. Il prétend aussi qu’il y a un intérêt public d’éviter le gaspillage de ressources des parties et de la Cour, telles que les coûts d’un appel d’une ordonnance en radiation avant la décision de la Cour suprême et les coûts advenant d’une contradiction de jugements. Inversement, le demandeur allègue qu’il n’y aura aucun préjudice aux parties si la suspension demandée est accordée.

[15] Le Procureur général ne prétend pas qu’il subirait un préjudice si la suspension est accordée. Il argumente plutôt qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de suspendre la demande étant donné l’état actuel de la jurisprudence au sujet des demandes de contrôle judiciaire prématurées. Il cite la décision de cette Cour en Shehzad, dans laquelle le juge Shore a conclu que « la loi doit être appliquée telle qu’elle a été établie par la Cour d’appel fédérale, et elle est maintenue jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada en décide autrement » : Shehzad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 79 au paragraphe 11.

[16] Le Procureur général souligne aussi que, comme on l’a vu, la Cour d’appel a récemment rejeté la demande du demandeur en suspension des appels de la décision du juge Roy sur la question de sursis : Dugré, 2021 CAF 40. Ce faisant, le juge en chef Noël a dit ce qui suit aux paragraphes 6 et 7 :

Je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de la justice de suspendre les trois appels compte tenu de la problématique fondamentale engendrée par les recours interlocutoires multiples entrepris par l’appelant à l’encontre de l’enquête menée à son sujet […]. J’estime que la Cour suprême devrait avoir devant elle la gamme complète des recours interlocutoires que l’appelant a entrepris jusqu’à ce jour, alors que le Comité d’enquête n’a toujours pas tenu sa première journée d’audience.

Les encombrements procéduraux, voire même la paralysie du processus administratif, que ces recours seraient susceptibles d’engendrer si l’appelant pouvait les introduire au moment de son choix sont au cœur du principe de non-ingérence qui se dégage de l’arrêt C.B. Powell. Cet enjeu mérite d’être considéré sans ornières et dans son plein contexte.

[Je souligne; citations omises.]

[17] À mon avis, les mêmes considérations et principes s’appliquent à la demande actuelle. S’il y a un gaspillage potentiel de ressources, il survient du fait que le demandeur a soumis une autre demande de contrôle judiciaire d’une autre décision interlocutoire du Comité d’enquête : CB Powell au paragraphe 49. Si cette demande est radiée, tel que je conclus ci-dessous qu’elle doit l’être, c’est parce que la demande est vouée à l’échec. La simple référence à la possibilité qu’une décision de la Cour suprême puisse infirmer la jurisprudence établie de la Cour d’appel pendant une décennie ne peut pas justifier la suspension demandée. Malgré le manque de préjudice lié à la suspension de l’instance, je conclus que l’intérêt de la justice n’exige pas la suspension demandée, ce qui serait d’une durée d’au moins plusieurs mois.

[18] Je note qu’en arrivant à cette conclusion, je n’accepte pas l’argument du Procureur général que la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Alexion exige que la détermination d’une demande en radiation ne puisse pas être suspendue : Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2017 CAF 241. Dans Alexion, le juge Laskin a remarqué qu’il « serait souhaitable » qu’une objection fondée sur la prématurité soit soulevée à la première occasion. Par contre, le juge Laskin n’a pas suggéré qu’une fois soulevée, une telle objection ne pourrait pas être suspendue dans le cas, peut-être rare, que l’intérêt de la justice l’exige : Alexion au paragraphe 54.

[19] La demande du demandeur en suspension est alors rejetée.

B. La demande de contrôle judiciaire est prématurée

[20] Avant de radier une demande de contrôle judiciaire, cette Cour doit être satisfaite, après un examen approfondi de la nature essentielle de la demande, qu’elle n’ait « aucun[e] chance d’être accueilli[e] » : Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 aux paragraphes 47 à 50. Cela peut inclure une demande introduite de façon prématurée : JP Morgan aux paragraphes 84 à 85, 88, citant CB Powell aux paragraphes 28 à 33.

[21] Cette Cour et la Cour d’appel ont conclu que toutes les demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur jusqu’à présent sont prématurées et qu’elles devaient être radiées. Il ne sert à rien de répéter le raisonnement dans les jugements des juges Martineau et Roy en première instance et du juge en chef Noël en appel : Dugré, 2019 CF 1604 aux paragraphes 16 à 24; Dugré, 2020 CF 789 aux paragraphes 21 à 70; Dugré, 2021 CAF 8 aux paragraphes 34 à 50. À mon avis, ces principes et conclusions s’appliquent également à la présente demande.

[22] Le juge en chef Noël a réitéré de façon claire les principes applicables :

[…] une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision administrative de nature interlocutoire ne peut être introduite que dans des « circonstances exceptionnelles ». De telles circonstances sont très rares, et exigent que les conséquences d’une décision interlocutoire soient à ce point « immédiates et radicales » qu’elles mettent en question la primauté du droit[.]

[Je souligne; citations omises; Dugré, 2021 CAF 8 au paragraphe 35.]

[23] Le demandeur tente de distinguer la demande actuelle des cinq demandes déjà radiées. Il argumente que les juges Martineau et Roy ont souligné que le Comité d’enquête n’a pas eu l’occasion, lors des demandes antécédentes, de se prononcer sur les questions préliminaires. Maintenant que le Comité d’enquête a rendu sa décision sur les moyens préliminaires du demandeur, il prétend que la décision est finale ou définitive à ces sujets et que cette demande ne peut être qualifiée comme prématurée. Je ne suis pas d’accord, pour deux raisons.

[24] Premièrement, je ne lis pas les décisions des juges Martineau et Roy comme fondées principalement sur le fait que le Comité d’enquête n’avait pas encore tranché ces questions. Au contraire, le juge Martineau a souligné qu’en règle générale, « un demandeur ne peut obtenir un remède judiciaire avant que le processus administratif ne soit terminé et que tous les recours efficaces soient épuisés » [je souligne] : Dugré, 2019 CF 1604 au paragraphe 13, citant CB Powell aux paragraphes 30 à 33. Il a aussi conclu qu’il n’est pas opportun d’intervenir « avant que le processus enclenché ait au moins franchi la quatrième étape, soit celle des Comités d’enquête » : Dugré, 2019 CF 1604 au paragraphe 23. De même, le juge Roy a fait référence à la « nécessité de laisser le processus être complété » et il a souligné que « [s]eules des circonstances exceptionnelles pourraient justifier qu’un contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire soit entendu » : Dugré, 2020 CF 789 aux paragraphes 36, 55 à 57.

[25] Deuxièmement, le fait que la décision du Comité d’enquête sur les points préliminaires détermine ces questions ne rend pas la décision « définitive » aux fins de la règle contre le contrôle judiciaire interlocutoire. Le juge Pelletier a répondu à cet argument dans l’arrêt Black c Canada (Procureur général), 2013 CAF 201 au paragraphe 8 :

Il est vrai que la décision du comité d’arbitrage est définitive au sens où elle statue sur la question en cause et que le comité n’a pas l’intention de la reconsidérer. Cependant, elle ne porte que sur une question de procédure non déterminante pour le fond du litige, soit la question de savoir si le sergent Black a contrevenu au code de déontologie. Il s’agit en conséquence d’une décision interlocutoire[.]

[Je souligne; citation omise.]

[26] À cet égard, je ne peux pas accepter la soumission du demandeur que la radiation d’une demande de contrôle judiciaire comme prématurée est limitée aux situations d’« hyper-prématurité » dans le sens qu’il « n’existe encore aucune décision administrative sur laquelle exercer un contrôle judiciaire » [soulignement du demandeur]. Au contraire, la Cour d’appel a appliqué les principes de CB Powell à maintes reprises aux décisions interlocutoires sur lesquelles la Cour pourrait, théoriquement, exercer le contrôle judiciaire : voir Black aux paragraphes 2 à 8; Forner c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35 aux paragraphes 6 à 8, 11 à 13, 16; Greater Toronto Airports Authority c Canada (Office des transports), 2017 CAF 64 aux paragraphes 2, 21. Tel qu’a dit le juge Stratas dans l’arrêt Forner, la règle générale exige que « les demandes de contrôle judiciaire ne peuvent être présentées qu’une fois que le décideur administratif a rendu sa décision définitive » [je souligne]: Forner au paragraphe 12.

[27] Le demandeur argumente en outre, avec référence à l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 et d’autres causes, que l’application de la doctrine de la prématurité relève exclusivement de l’appréciation du juge du mérite. Je conviens avec le Procureur général que cet argument a été rejeté par la Cour d’appel: Dugré, 2021 CAF 8 aux paragraphes 44 à 47.

[28] Tel qu’a souligné le juge en chef Noël, la limite à l’exercice de recours interlocutoires est « quasi-absolue » : Dugré, 2021 CAF 8 au paragraphe 37. Une demande de contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire ne peut être introduite que dans des « circonstances exceptionnelles » et rares dans lesquelles les conséquences sont si immédiates et radicales qu’elles mettent en question la primauté du droit : Dugré, 2021 CAF 8 au paragraphe 35.

[29] Le demandeur prétend que la violation de l’équité procédurale et les abus de droit dans le cas actuel justifient d’écarter la doctrine de la prématurité. Je suis lié par les décisions de la Cour d’appel quant aux circonstances dans lesquelles la doctrine ne sera pas applicable. Je prends alors les arguments du demandeur comme arguments que les violations alléguées de l’équité procédurale et de ses droits ramènent cette demande dans la catégorie de « circonstances exceptionnelles ». Ayant considéré les allégations présentées dans l’avis de demande de contrôle judiciaire, je ne peux pas conclure qu’elles sont de nature qui mettent en question la primauté du droit.

[30] Je note que les arguments du demandeur à cet égard sont limités. Ils consistent surtout en la proposition que la Cour ne puisse pas accorder une demande en radiation pour le motif de prématurité si les faits allégués démontrent une violation de l’équité procédurale si grave qu’elle constitue un abus de droit. Par contre, le demandeur ne démontre pas pourquoi, ou comment, les faits allégués démontrent une telle violation. Il ne suffit pas d’alléguer qu’une violation est abusive. Une telle allégation, comme conclusion de droit ou de mixte fait et droit, ne doit pas être acceptée comme véridique.

[31] Au fond, cette demande de contrôle judiciaire est basée sur des arguments que l’interprétation du Comité d’enquête de l’article 5(1) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015) est erronée et que celle-ci porte atteinte grave et irrémédiable aux principes d’équité et d’impartialité procédurale, surtout dans l’absence d’un procureur indépendant. Sans faire aucun commentaire sur le bien-fondé de ces arguments, il est possible qu’ils réussissent s’ils demeurent pertinents à la fin du processus administratif. Ceci ne change pas le fait qu’ils sont prématurés. Même si certains arguments soulevés dans l’avis de demande se fondent sur des principes relatifs à la primauté du droit, tel que l’indépendance de la magistrature, ils ne démontrent pas que la décision interlocutoire du Comité d’enquête a des conséquences immédiates et radicales qui mettent en question la primauté du droit.

[32] Ayant conclu que l’exception à la règle générale contre le contrôle judiciaire interlocutoire ne s’applique pas, la demande de contrôle judiciaire doit être radiée comme prématuré. Comme les autres ordonnances à cet effet de cette Cour et de la Cour d’appel, ceci ne porte pas atteinte au droit du demandeur de présenter ses arguments, et de s’attaquer à la décision du Comité d’enquête, par voie de contrôle judiciaire une fois le processus administratif est terminé.

C. Un mot sur la confidentialité

[33] L’avis de demande a été déposé sous le couvert d’une lettre demandant que le dossier de la Cour soit traité de manière confidentielle. L’avis de demande inclut aussi une demande à la Cour d’émettre une ordonnance à cet effet. Le Procureur général s’est opposé à la manière dont le demandeur a présenté sa demande de confidentialité, soit en forme de lettre. Le demandeur a confirmé à un agent du greffe qu’il déposerait au mois de janvier 2021 soit une requête pour une ordonnance de confidentialité ou une explication du délai. Aucune requête ni explication n’a été déposée. Les autres décisions de cette Cour et de la Cour d’appel ne sont pas confidentielles en tout ou en partie. En l’absence d’une requête concernant la confidentialité, le principe de la publicité des débats exige que ni ce jugement ni le dossier du tribunal ne soient traités de manière confidentielle.

IV. Conclusion

[34] Pour ces motifs, la demande du demandeur en suspension est rejetée et la demande du Procureur général en radiation est accueillie. La demande de contrôle judiciaire est radiée. Le Procureur général n’a pas requis ses dépens et aucuns ne sont accordés.


JUGEMENT au dossier T-1512-20

LA COUR STATUE que

  1. La demande du demandeur en suspension est rejetée.

  2. La demande du défendeur en radiation est accueillie. L’avis de demande de contrôle judiciaire dans ce dossier est radié sans possibilité d’amendement.

  3. Le tout sans frais.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1512-20

 

INTITULÉ :

L’HONORABLE GÉRARD DUGRÉ c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTES ÉCRITES EXAMINÉES À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 mai 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Me Magali Fournier

Me Gérald R. Tremblay

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Me Bernard Letarte

Me Liliane Bruneau

Me Pascale Guay

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fournier avocat inc.

Montréal (Québec)

-et-

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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