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Date : 20050907

Dossier : IMM-7224-04

Référence : 2005 CF 1222

ENTRE :

                                                             ZHUAN NU LIANG

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                La demanderesse d'asile, Mme Zhuan Nu Liang, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 20 juillet 2005 de M. Robert North, agent d'examen des risques avant renvoi (l'agent d'ERAR). La demanderesse s'est mariée en 1983 et elle est mère de trois enfants.

[2]                La demanderesse est arrivée au Canada en avril 2001. Sa demande d'asile a été instruite le 25 janvier 2002 et une décision défavorable a été rendue le 22 avril 2002. La demande se fondait sur l'appartenance de la demanderesse au groupe des Chinoises victimes de violence conjugale, lesquelles n'obtiennent pas de protection de l'État. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué à la fois qu'il existait une possibilité de refuge intérieur et que la demanderesse pourrait obtenir la protection de l'État.


[3]                La Commission a déclaré : « Durant son témoignage oral, la demandeure s'expliquait avec aisance, avait l'air d'une personne évoluée et d'une femme d'affaires sûre d'elle. » La Commission s'est également fondée sur un article du 29 avril 2001 de l'Associated Press, dont voici un extrait :

[TRADUCTION]

Après un débat houleux, la législature chinoise a adopté d'importantes modifications à la loi sur le mariage du pays, afin de mettre fin aux relations extra-conjugales et à la violence familiale, a déclaré dimanche la presse d'État.

Les modifications, adoptées samedi presque à l'unanimité par les législateurs, interdisent aux époux infidèles de vivre avec leurs maîtresses. Ils donnent également aux victimes de violence familiale la possibilité de demander une protection officielle et de faire punir les auteurs des actes de violence par la police.

La presse officielle a exprimé l'espoir que les changements aideront à stabiliser les mariages chinois et à empêcher que les épouses ne soient battues.

[4]                Dans sa décision du 20 juillet 2005 faisant l'objet du contrôle en l'espèce, l'agent d'ERAR a jugé la demanderesse crédible et a cru qu'elle avait été victime de violence conjugale pendant qu'elle vivait avec son époux. Il a décrit ce qu'elle avait vécu comme une [traduction] « grave suite d'agressions » par son mari sur une période de plusieurs années et a conclu qu'à ce titre, elle appartenait au groupe social des femmes victimes de violence.


[5]                L'agent a cru que la demanderesse avait demandé la protection de la police en une occasion en 1991 et qu'elle n'avait alors obtenu aucune aide. Toutefois, a-t-il conclu, la preuve était insuffisante pour conclure qu'elle courait toujours un risque et l'unique tentative faite pour obtenir l'aide de la police ne suffisait pas pour réfuter la présomption de protection de l'État. L'agent a fait remarquer qu'il devait [traduction] « fortement s'appuyer sur le dossier d'information sur le pays » pour fonder sa décision en raison de la mince preuve fournie sur sa situation actuelle par la demanderesse.

[6]                Certains documents (les documents manquants), à savoir un rapport psychologique, le curriculum vitae du psychologue et diverses pièces jointes aux observations relatives à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC), ne figuraient pas dans le dossier certifié du tribunal. La demanderesse a demandé de pouvoir modifier le dossier certifié afin qu'y soient ajoutés les documents manquants; cette demande a été rejetée.

[7]                La demanderesse soutient que l'agent a commis une erreur en concluant qu'elle n'avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l'État. La demanderesse cite la preuve documentaire en vue d'étayer la conclusion selon laquelle il y a toujours beaucoup de violence conjugale en Chine et la législation y est lacunaire et ne permet pas de régler efficacement ce problème.


[8]                Le défendeur soutient pour sa part qu'à la lecture de la décision, on peut constater que l'agent reconnaît combien est profondément enraciné le problème de la violence conjugale en Chine. L'agent relève également les changements et améliorations apportés à la législation ainsi que la modification de l'attitude du public face à cette violence. Lorsqu'un agent n'a pas fait abstraction de la preuve, il est de son ressort de tirer des conclusions sur le fondement de cette preuve. La Cour ne doit pas apprécier à nouveau cette preuve, quand bien même elle en serait elle-même arrivée à une conclusion différente (Suresh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2002] R.C.S. 1).

[9]                Pour ce qui est de la présomption de protection de l'État, l'agent relève le fait que la demanderesse s'est présentée à la police qu'une seule fois, soit en 1991, et qu'on l'a alors renvoyée chez elle sans lui prêter assistance. L'agent reconnaît ainsi ce fait.

[10]            Tout demandeur a le fardeau de « confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection » (Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 723 à 726). L'agent a conclu que la demanderesse ne s'était pas acquittée de ce fardeau et je partage cet avis. Aucune preuve n'a été présentée à l'agent selon laquelle la demanderesse courait un risque quelconque et il n'y avait pas le moindre motif pour qu'elle ne se présente pas de nouveau à la police si le problème devait persister. Il y a lieu de noter à cet égard que la demanderesse est allée voir la police pour la dernière fois en 1991, soit il y a quelque 14 ans.


[11]            Aucune preuve au contraire n'ayant été produite par la demanderesse, il était loisible à l'agent de conclure que la situation s'était améliorée en Chine pendant ces 14 années et que la demanderesse serait maintenant en mesure d'y obtenir de l'aide. Tel que l'agent le signale, l'approche à suivre consiste à examiner le risque dans l'avenir et à évaluer la possibilité que la demanderesse coure un risque en cas de retour en Chine.

[12]            La preuve documentaire confirme qu'il existe toujours des problèmes en Chine en termes de violence à l'endroit des femmes mais que, depuis avril 2001, des modifications importantes ont été apportées au droit matrimonial et l'État surveille davantage l'application de la loi.

[13]            La demanderesse n'a présenté aucune preuve quant à savoir si son époux constituait toujours une menace; la conclusion à ce sujet était raisonnable compte tenu du fait que celle-ci réside au Canada depuis 2001. Il est bien établi en droit que la demanderesse doit présenter sa preuve la plus convaincante et que l'agent n'a pas à rechercher des faits pouvant confirmer ses allégations d'absence de protection.

[14]            Pour résumer, il ressort de la décision de l'agent que celui-ci a pris en compte toute la preuve dont il disposait. Si la demanderesse souhaitait que l'agent tienne compte d'autres aspects de sa situation, c'est à elle qu'il incombait de lui présenter des éléments de preuve à leur égard.


[15]            La demanderesse soutient maintenant - sans pouvoir en faire la preuve - que l'agent disposait du rapport psychologique mais qu'il en a fait abstraction. Une bonne part de l'argumentation actuelle de la demanderesse repose sur les conclusions de ce rapport. Cet élément de preuve n'ayant pas été présenté à l'agent, on ne peut maintenant procéder à son examen. L'avocate du défendeur réplique sur ce point que, même si les rapports psychologiques avaient été soumis à l'agent, l'objet en était simplement d'étayer les allégations de la demanderesse selon lesquelles les mauvais traitements infligés par son époux lui avaient causé des traumatismes. Or, cela n'a jamais été mis en question et l'agent d'ERAR a bien reconnu cette situation.

[16]            La demanderesse a invoqué les décisions Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1925, et Cuffy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1316. Ces décisions portent que la Commission doit être convaincue du fait que l'État est incapable d'assurer une protection et que, s'il existe un cadre législatif approprié, les autorités sont soit incapables, soit réticentes à le mettre en oeuvre. Aucune preuve n'a été produite à cet égard et la demanderesse n'a pu mettre à l'épreuve la détermination de la police en ce sens, la nouvelle législation n'étant entrée en vigueur qu'après son départ de Chine.

[17]            Lorsqu'une décision est raisonnable, la Cour ne procédera pas à une nouvelle appréciation de la preuve. En l'espèce, j'estime qu'aucune conclusion manifestement déraisonnable n'a été tirée de la preuve dont disposait l'agent. La demande est par conséquent rejetée.

                                                                                      « P. Rouleau »                     

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       IMM-7224-04

INTITULÉ :                      ZHUAN NU LIANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :     LE 7 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Peter Dimitrov                                       POUR LA DEMANDERESSE

Banafsheh Sokhansanj                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Dimitrov                                       POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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