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Date : 20210518


Dossier : IMM-4639-20

Référence : 2021 CF 455

Montréal (Québec), le 18 mai 2021

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MAICO DIANSONI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision en date du 9 septembre 2020 de la Section d’appel des réfugiés [SAR], qui confirme une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] en date du 19 juin 2018, rejetant la demande d’asile du demandeur.

[2] Pour les motifs qui suivent, la décision de la SAR est raisonnable à tous égards. Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce.

I. Contexte factuel

[3] Le demandeur est citoyen de la République d’Angola. Il allègue être persécuté par les autorités angolaises et craindre pour sa vie et sa sécurité en raison de son appartenance, depuis mars 2014, à l’Église des adventistes du 7e jour – Luz do mondo [l’Église]. En tant que groupe millénariste, les adeptes de l’Église croient la fin du monde proche. De fait, celle-ci devait survenir le 16 avril 2015. La veille de cette date fatidique, les croyants devaient se réunir et prier au mont Sumi. Cela n’a pas empêché le demandeur de se rendre, le 6 avril 2015, aux États-Unis afin d’explorer des opportunités d’affaires. Or, pendant le voyage, les membres de son Église connaissent de graves problèmes avec les autorités. Les forces de l’ordre auraient fait feu sur des membres de l’Église – qu’ils perçoivent comme des opposants politiques – et voulaient arrêter leur leader. Plusieurs d’entre eux auraient succombé à leurs blessures. De fait, l’épouse du demandeur, ainsi que plusieurs autres membres de l’Église, auraient été arrêtés et détenus par la police si l’on donne foi au récit du demandeur. Le 6 mai 2015, le demandeur quitte les États-Unis et retourne au pays pour retrouver son épouse. Le 10 mai 2015, alors qu’il poursuit ses recherches, le demandeur est arrêté par les autorités angolaises qui l’accuse d’être membre de l’Église. Après 19 jours de détention, durant lesquels il aurait failli perdre la vie, le demandeur réussit à s’échapper avec l’aide d’un militaire. Le demandeur vit en cachette en attendant d’avoir les moyens de quitter l’Angola. Il quitte l’Angola pour les États-Unis le 28 octobre 2016 et y demande l’asile.

[4] Le 8 juillet 2017, alors que sa demande d’asile est toujours en attente de traitement aux États-Unis, il décide de traverser la frontière pour demander l’asile au Canada.

II. Rejet de la demande d’asile et de l’appel conséquent

[5] La SPR conclut que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger. La crédibilité de son récit est un aspect déterminant. La SPR relève une incohérence importante dans le témoignage du demandeur, soit sa présence aux États-Unis le 16 avril 2015 alors que les fidèles de l’Église avaient été appelés à se réunir au mont Sumi pour la fin du monde. Les explications du demandeur à ce sujet étaient changeantes et n’ont pas satisfait la SPR. Celle-ci relève d’autres incohérences en ce qui a trait à la date à laquelle le demandeur est devenu membre de l’Église et relativement aux endroits où le demandeur allègue s’être caché durant sa fuite. Les explications du demandeur demeurent insatisfaisantes. Tout ceci entache gravement la crédibilité du demandeur et justifie le rejet de la demande d’asile.

[6] Le demandeur fait appel. Il désire notamment soumettre à la SAR six nouveaux éléments de preuve, dont des déclarations attestant que l’épouse du demandeur aurait été de nouveau arrêtée en mars 2020 avec les pasteurs et d’autres membres de l’Église.

[7] Dans un premier temps, la SAR refuse d’admettre les nouveaux éléments de preuve soumis. Bien que ces ceux-ci rencontrent les exigences contenues à l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, ils ne rencontrent pas les conditions implicites d’admissibilité énoncées dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza] et reprises avec certaines précisions par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh].

[8] Au mérite, suite à une analyse indépendante du dossier, la SAR en arrive aux mêmes conclusions que la SPR. La SAR note d’abord que les informations offertes par le demandeur en regard des dogmes, des courants philosophiques et de la doctrine de l’Église sont plutôt minces. N’ayant pas été en mesure d’expliquer la structure et les principes de sa nouvelle religion, la SAR conclut que la crédibilité du demandeur est affectée. S’agissant de la prétention que la SPR n’a pas offert la chance de clarifier certains éléments dont la date de la fin du monde et l’authenticité de sa carte d’adhésion – la SAR considère que le demandeur a eu l’opportunité de témoigner longuement au sujet de la fin du monde. Elle note également que les explications offertes par le demandeur quant à sa carte d’adhésion sont illogiques et la laissent perplexe. Quant à la date d’entrée officielle du demandeur au sein de l’Église, la SAR conclut que le témoignage du demandeur comporte d’importantes contradictions qui minent sa crédibilité. Enfin, s’agissant de l’allégation à l’effet que la SPR n’aurait pas compris son contexte culturel différent, la SAR indique que le demandeur n’a donné aucun exemple pour étayer ses dires. En conséquence, elle conclut que la SPR n’a pas erré et que l’appel doit être rejeté, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Analyse

[9] Aujourd’hui, la Cour est invitée par le demandeur à conclure que la SAR a agi déraisonnablement en refusant d’admettre en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR sa déclaration en date du 23 juin 2020, qui selon lui apporte un fait nouveau, crédible et probant, soit l’arrestation de son épouse les 27 et 28 mars 2020. Puisque l’arrestation de mars 2020 de l’épouse constitue un fait nouveau, le demandeur reproche à la SAR de ne pas avoir suffisamment expliqué dans ses motifs en quoi la déclaration de son épouse datée du 15 mai 2020 est ambiguë, et rendrait non crédible sa propre déclaration du 23 juin 2020. Il soumet également que la SAR a erré en notant l’existence d’une contradiction entre la déclaration du 22 juin 2020 d’un ami du couple et la déclaration de son épouse. En somme, il soumet que la SAR a erré en rejetant les nouveaux éléments de preuve parce que ceux-ci ne rencontrent pas les conditions implicites d’admissibilité mentionnées dans Raza et Singh.

[10] Tant dans son mémoire supplémentaire qu’à l’audience, la procureure du défendeur s’est attardée à démontrer que tant le refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve, que les conclusions de non crédibilité de la SAR, sont raisonnables et ne doivent pas être perturbées.

[11] Conformément à la présomption établie par la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la décision contestée. Cette Cour doit donc examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à une conclusion. En l’espèce, la Cour doit s’assurer que la décision de la SAR est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. En bref, il incombe au décideur d’apprécier et d’évaluer la preuve qui lui est soumise, et à moins de circonstances exceptionnelles, cette Cour ne doit pas modifier ses conclusions de fait (Vavilov au para 125).

[12] Rappelons en premier lieu que le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit que seuls les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande, qui n’étaient pas normalement accessibles ou pour lesquels il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet, sont admissibles. Mais il y a plus, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il existe également des conditions implicites d’admissibilité, comme la crédibilité, la pertinence et le caractère substantiel, qui doivent être également évaluées par la SAR (Raza et Singh).

[13] En l’espèce, la SAR a raisonnablement conclu que les nouveaux éléments de preuve étaient, soit normalement accessibles au demandeur avant l’audience devant la SPR, soit non pertinents ou crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles ils sont apparus. En particulier, le demandeur a fait défaut d’identifier devant cette Cour une erreur déterminante à ce chapitre. Bien que pertinentes à première vue, la SAR avait néanmoins des motifs raisonnables pour douter de la crédibilité des déclarations du demandeur, de son épouse et des amis du couple. Le raisonnement de la SAR est clairement articulé aux paragraphes 13, 15, 16 et 17 de la décision sous étude (pièces D-1, D-3, D-4 et D-5).

[14] S’agissant du mérite de l’appel, il était raisonnable pour la SAR de conclure que les incohérences et contradictions entre la preuve au dossier et le témoignage du demandeur sur des éléments centraux de sa demande d’asile, comme son absence aux évènements reliés à la fin du monde ou la date à laquelle il aurait joint l’Église, affectaient négativement sa crédibilité générale. Or, les conclusions sur la crédibilité vont au cœur même de l’expertise de la SPR et de la SAR. La Cour ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable, ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 16, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

IV. Conclusion

[15] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée par les procureurs et ne se soulève en l’espèce.

 


JUGEMENT au dossier IMM-4639-20

LA COUR STATUE ET ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4639-20

 

INTITULÉ :

MAICO DIANSONI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE québec (québec) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2021

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 mai 2021

 

COMPARUTIONS :

Me Laurent Gryner

 

Pour le demandeur

Me Chantal Chatmajian

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Laurent Gryner, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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