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Date : 20051207

Dossier : IMM-10472-04

Référence : 2005 CF 1664

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

HABIP H. H. HABIBOGLU

(alias Habip Habiboglu)

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 30 novembre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

Contexte

[3]                Habip Habiboglu (le demandeur) est citoyen turc et musulman. Il a affirmé craindre d'être persécuté, d'une part, par la police turque, pour avoir participé à des manifestations en faveur de la liberté de porter des vêtements islamiques dans les bureaux de l'État et dans les écoles publiques, et, d'autre part, par l'armée turque, pour avoir refusé d'effectuer le service militaire obligatoire.

[4]                Dans l'exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (FRP), lequel est daté du 15 avril 2004, le demandeur a déclaré avoir été détenu par la police à trois reprises : en novembre 2000, en février 2001 et en juillet 2002. Il a produit un FRP modifié le 22 septembre 2004 en vue d'ajouter un quatrième incident, survenu en juillet 2003 et à l'occasion duquel il a été arrêté et battu par la police et ensuite détenu dans un hôpital, avant de s'échapper avec l'aide d'un agent.

[5]                La demande d'asile du demandeur a été entendue le 7 octobre 2004. La Commission a rejeté la demande dans une décision datée du 30 novembre 2004. Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de cette décision.

Motifs de la décision de la Commission

[6]                La Commission a conclu que le demandeur n'était ni crédible ni digne de foi. Elle est arrivée à cette conclusion en se fondant principalement sur l'omission de renseignements détaillés dans le FRP du demandeur ainsi que dans les notes prises au point d'entrée.

[7]                À l'audience, le demandeur a témoigné au sujet des détails des manifestations et de ses détentions par la police qui l'ont amené à présenter une demande d'asile. Toutefois, dans l'exposé circonstancié de son FRP daté du 15 avril 2004, il avait simplement écrit ce qui suit :

[Traduction] En tout, j'ai été détenu trois fois, la première en novembre 2000, la deuxième en février 2001, et la troisième en juillet 2002. Chaque fois, j'ai été agressé physiquement et ma vie a été menacée.

[8]                Dans le FRP modifié en date du 22 septembre 2004, un bref énoncé a été ajouté à propos d'une détention en juillet 2003. En outre, la Commission a souligné, à la page 7 de ses motifs, qu'il n'est nullement mentionné dans les notes prises au point d'entrée que le demandeur a pris part à des manifestations étudiantes ou qu'il a été arrêté, battu, menotté, qu'on lui a bandé les yeux bandés et qu'il a été battu ou détenu par la police. Le demandeur a expliqué à l'audience qu'il manquait des détails sur les incidents allégués dans son FRP et dans les notes prises au point d'entrée parce qu'on ne lui avait pas demandé d'en fournir.

[9]                La Commission a conclu que la détention en juillet 2003 était un fait important qui aurait dû être inclus dans le FRP initial du demandeur. Interrogé sur les raisons pour lesquelles cet incident avait été ajouté par voie de modification au FRP, le demandeur a expliqué que son interprète avait oublié d'inclure ce renseignement dans le FRP initial.

[10]            La Commission n'a pas accepté les explications du demandeur et a décidé que les prétendues détentions par la police avaient été inventées de toutes pièces. Elle a conclu que le demandeur avait eu « suffisamment de temps pour fournir les détails des incidents qu'il allègue avoir vécus en Turquie, mais il ne l'a pas fait parce qu'il n'a pas vécu de tels incidents en Turquie » .

[11]            La Commission a rejeté les explications du demandeur en partie parce que, selon elle, il était en l'aise en anglais, il n'avait pas eu besoin de l'aide d'un interprète à l'audience et, dans le FRP, il avait signé l'attestation indiquant que tous les renseignements fournis étaient véridiques et complets. La Commission a dit :

Le demandeur d'asile a utilisé les services d'un interprète pour remplir son FRP et son exposé circonstancié. Toutefois, à l'audience, il ne désirait pas avoir recours aux services d'un interprète. Il a déclaré qu'il était à l'aise en anglais et qu'il n'avait pas besoin d'un interprète. Il a donc assisté à son audience sans interprète.

[12]            La Commission a également souligné ce qui suit :

On a souligné au demandeur d'asile qu'il parlait couramment l'anglais et qu'il n'avait pas besoin d'un interprète à l'audience et on lui a demandé pourquoi il n'avait pas relu attentivement l'exposé circonstancié de son FRP avant de le signer et de déclarer qu'il était véridique et exact lorsque tout son contenu lui a été interprété. Le demandeur d'asile a alors modifié son histoire et a déclaré qu'il voulait fournir cette information au tribunal à l'audience.

[13]            En fait, il ressort des notes sténographiques que les services d'un interprète ont été utilisés pendant toute l'audience. De plus, le demandeur a déclaré qu'il avait eu recours aux services d'un traducteur et qu'il ne connaissait pas l'anglais.

[14]            Par ailleurs, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il ignorait certains détails au sujet des incidents allégués, comme l'identité des organisateurs de la manifestation tenue en novembre 2000 ou le sort des autres personnes détenues à l'occasion de cette manifestation, ou encore des détails au sujet de l'hôpital dans lequel il avait été gardé en détention en juillet 2003. La Commission a également conclu que le récit du demandeur à propos de son évasion de l'hôpital avec l'aide d'un agent était invraisemblable.

[15]            Enfin, la Commission a conclu que le demandeur était un musulman ordinaire n'ayant pas de liens profonds avec sa religion, car il ignorait qui sont les califes dont parlent les prédicateurs islamiques en Turquie. Pour ce qui est de la crainte du demandeur d'effectuer le service militaire obligatoire, la Commission n'a trouvé aucune preuve indiquant qu'il est interdit à un musulman pratiquant de servir dans l'armée en Turquie. Elle a conclu que la conscription militaire est dans ce pays une loi d'application générale et qu'elle n'est pas assimilable à de la persécution.

Question en litige

[16]            La question en litige consiste à savoir si la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

Arguments du demandeur

[17]            Le demandeur a fait valoir que la Commission s'est fondée à tort sur les omissions relevées dans les notes prises au point d'entrée pour attaquer sa crédibilité. Il a ajouté que les notes concordaient avec l'exposé circonstancié contenu dans le FRP et son témoignage.

[18]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en n'évaluant pas si la conscription est assimilable à de la persécution en tant que loi d'application générale. Il a ajouté qu'il y avait des éléments de preuve montrant que des sanctions sévères sont infligées à ceux qui se soustraient à la conscription, et que la pratique de l'Islam pendant le service militaire est interdite et punie.

[19]            Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur en ne dévoilant pas la source de ses connaissances spécialisées au sujet des prédicateurs islamiques qui, en Turquie, mentionnent les califes dans leurs prières.

Arguments du défendeur

[20]            Le défendeur a fait valoir que la norme de contrôle à laquelle il convient de soumettre la conclusion de la Commission quant à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[21]            Selon le défendeur, la Commission peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité à cause des contradictions et des incohérences relevées dans le récit du demandeur, ainsi qu'entre ce récit et d'autres éléments de preuve dont elle a été saisie. La Commission peut également tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité à cause de l'invraisemblance du simple témoignage du demandeur (voir Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.) (QL)).

[22]            Le défendeur a soutenu que la Commission peut admettre d'office tout renseignement ou tout avis qui relève de ses connaissances spécialisées comme, en l'occurrence, la connaissance de la religion islamique. La prétention du demandeur selon laquelle la connaissance qu'a le défendeur des califes n'a pas été indiquée est donc dénuée de fondement.

[23]            Selon le défendeur, le service militaire est, en Turquie, une loi valide d'application générale. Même dans les cas où le service militaire est obligatoire, les poursuites et les incarcérations à répétition d'un objecteur de conscience qui refuse d'effectuer son service militaire ne constituent pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention (voir Ates c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 322, confirmant 2004 CF 1316).

Dispositions législatives pertinentes

[24]            L'alinéa 95(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, prévoit que l'asile est la protection conférée à une personne à laquelle la Commission reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger.

95. (1) L'asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas:

[...]

b) la Commission lui reconnaît la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger;

[...]

95. (1) Refugee protection is conferred on a person when

...

(b) the Board determines the person to be a Convention refugee or a person in need of protection;

...

[25]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés définissent comme suit les mots « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision

[26]            À l'audience, le demandeur a déclaré qu'il y avait quatre points en litige :

1.          sa crédibilité en ce qui a trait aux détentions;

2.          l'utilisation, par la Commission, de connaissances spécialisées;

3.          l'analyse du service militaire;

4.          l'omission d'analyser séparément les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[27]            J'examinerai d'abord la question de l'utilisation, par la Commission, de connaissances spécialisées. Le commissaire a déclaré ce qui suit aux pages 13 à 15 des notes sténographiques de l'audience :

[Traduction]

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Avez-vous appris l'histoire de l'Islam par l'intermédiaire de vos parents?

DEMANDEUR :                                    Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Si je vous pose la question, c'est que j'ai une connaissance spécialisée de cette religion.

DEMANDEUR :                                    J'ai compris.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Avez-vous, savez-vous combien il y a de califes dans la religion islamique?

DEMANDEUR :                                    Quatre.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Connaissez-vous leurs noms?

DEMANDEUR :                                    Oui. Voulez-vous que je [inaudible] dans l'ordre, je le peux, Hazrit Abubika, Hazrit Omar, Hazrit Osman, Hazrit Ali.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Et qui était le premier calife?

DEMANDEUR :                                    Hazrit Abubikar.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Et le troisième?

DEMANDEUR :                                    C'était, il pourrait s'agir d'Osman ou d'Omar, je pourrais, il est possible que je les confonde. Mais le troisième n'était pas Ali.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Et vous, vous n'êtes pas sûr du troisième.

DEMANDEUR :                                    Je ne me souviens pas de qui il s'agissait exactement.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Eh bien, c'est fort simple, vous savez, tout musulman le sait.

DEMANDEUR :                                    Je connais leurs noms, bien sûr, mais je confonds le deuxième et le troisième.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Savez-vous où le premier calife est enterré?

DEMANDEUR :                                    Je ne le sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Savez-vous où le deuxième calife est enterré?

DEMANDEUR :                                    Non, je ne le sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Savez-vous où le quatrième calife est enterré?

DEMANDEUR :                                    Non, je ne le sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Le premier khâlifa, vous avez dit, était [inaudible] Abubakar.

DEMANDEUR :                                    Oui.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         C'est exact. Le troisième khâlifa [inaudible] Osman. Êtes-vous d'accord? Et votre réponse n'était pas la bonne.

AVOCAT :                                             Je crois que le demandeur a dit qu'il n'était pas certain.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Vous dites?

AVOCAT :                                             Je crois que le demandeur a déclaré qu'il n'était pas certain de l'identité du troisième, c'était soit Osman soit Omar. D'après ce qu'il a dit.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Oui, mais c'est ce que je dis, il se trompe, il l'ignore. Et vous ignorez où le premier khâlifa a été enterré.

DEMANDEUR :                                    Oui, je ne le sais pas.

PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE :         Il est enterré à Médine. Savez-vous où se trouve Médine?

[...]

[28]            Dans la décision Al-Khaliq c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 625, le juge von Fickenstein a fait état de la jurisprudence en matière de connaissances spécialisées, aux paragraphes 9 à 13 de la décision :

[9]            Les règles de droit applicables à l'utilisation de connaissances spécialisées sont bien établies. Elles reposent, évidemment, sur l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés :

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228

18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

[10]          De plus, dans l'arrêt Gonzalez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 2 C.F. 781 (C.A.), le juge Urie a décrit à la page 782 le genre de renseignements qui constituent des connaissances spécialisées :

Il ne s'agit pas de renseignements dont on pouvait, à l'occasion de procédures devant un tribunal, prendre connaissance judiciaire. Il ne s'agit pas non plus de renseignements généraux, bien connus de la Commission et du public, du genre mentionné dans l'affaire Maslej. Si la Commission, lors d'une audience [...] doit se fonder sur le genre de renseignements dont il est question en l'espèce, renseignements auxquels un requérant pourrait, semble-t-il, très bien s'opposer, la justice naturelle exige que le requérant ait le droit de les contester de la même façon qu'il contesterait les preuves présentées lors de l'audience.

[11]          En l'espèce, la Commission avait des connaissances spécialisées se rapportant aux procédures utilisées par l'Agence des services frontaliers du Canada pour analyser les documents iraquiens, et elle en a avisé les demandeurs.

[12]          Étant donné que la spécialiste n'était pas disponible le jour de l'audience (la date de l'audience a été retenue à la demande du demandeur, qui craignait qu'un retard mette en péril son certificat d'aide juridique), la Commission a pris trois mesures :

1)              elle a présenté une transcription expurgée du témoignage fait, dans le cadre d'une autre audience, par cette même spécialiste au sujet de documents iraquiens;

2)              elle a donné la possibilité au demandeur de présenter ses observations au sujet de cette transcription;

3)              elle a examiné la preuve soumise après l'audience en ce qui trait à la preuve du demandeur et de la spécialiste concernant l'encre spéciale.

[13]          Le demandeur a accepté toutes ces mesures sans objection. En résumé, l'article 18 des Règles, dans la mesure où il s'applique en l'espèce, a été respecté et le raisonnement du juge Noël dans la décision Kabedi, précitée, s'applique : un réexamen conduirait tout probablement à la même décision.

[29]            En l'espèce, le commissaire a simplement déclaré qu'il avait des connaissances spécialisées sur l'Islam. Il ne s'est pas conformé à l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-28, en ce sens qu'il n'a pas donné au demandeur la possibilité de faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation des renseignements et de fournir des éléments de preuve à l'appui de ses observations. Les tribunaux ont statué qu'il s'agit là d'un manquement à la justice naturelle qui rend nulle l'audience à moins qu'il y ait d'autres conclusions qui étayeraient la décision de la Commission et qu'une nouvelle décision mènerait au même résultat.

[30]            En l'espèce, la Commission a utilisé ses connaissances spécialisées pour conclure que le demandeur est un musulman ordinaire qui n'a pas de liens profonds avec sa religion, et qu'il n'a donc pris part à aucune contestation relative au port du hidjab ni à aucune manifestation étudiante en Turquie. Selon moi, ces conclusions touchent tous les aspects de la cause du demandeur. Je ne peux pas conclure qu'un réexamen de l'affaire conduirait à la même décision.

[31]            Les arguments du défendeur ne me convainquent pas qu'il y a d'autres conclusions qui étayeraient la décision de la Commission, car l'utilisation des connaissances spécialisées semble être, elle aussi, liée à ces conclusions.

[32]            En conclusion, je suis d'avis qu'il y a eu manquement à la justice naturelle parce que la Commission a omis de se conformer à ses propres règles et qu'il convient donc d'annuler la décision.

[33]            Cela étant, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres points que le demandeur a soulevés.

[34]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie, la décision est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur celle-ci.

[35]            Aucune des parties n'a souhaité me proposer une question grave de portée générale en vue de sa certification.


ORDONNANCE

[36]            LA COUR ORDONNE quela demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur cette celle-ci.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 décembre 2005

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10472-04

INTITULÉ :                                        HABIP H. H. HABIBOGLU

                                                            (alias Habip Habiboglu)

                                                            - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 23 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       Le 7 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Ronald Shacter                                      POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ronald Shacter                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur généra du Canada       

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