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Date : 20210514


Dossier : IMM-522-20

Référence : 2021 CF 429

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2021

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

YINGRU DENG,

CHAOHUA YANG ET

ZHISHAN YANG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], à l’encontre de la décision du 18 décembre 2019 de la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu qu’ils n’avaient ni qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en interprétant de façon déraisonnable les politiques sur la planification familiale de la Chine et en ne tenant pas compte du fait que les amendes pour violation de ces politiques peuvent équivaloir à de la persécution dans certaines circonstances.

[3] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[4] La demanderesse principale, son mari et leur fille sont des citoyens du Guangdong, en Chine. Après avoir donné naissance à sa fille le 13 avril 2011, la demanderesse principale a été obligée de se faire poser un dispositif intra‑utérin [DIU] et de se soumettre à un examen de vérification de son DIU trois fois par année. La demanderesse principale est tombée enceinte de son deuxième enfant en 2015 après avoir été autorisée par les autorités de planification familiale à se faire enlever son DIU. Le bureau de planification familiale a avisé la demanderesse principale qu’elle subirait une stérilisation après la naissance de son deuxième enfant malgré ses objections. La demanderesse principale et son mari ont discuté des mises en garde des autorités de planification familiale et ont décidé de quitter le pays avant la naissance de leur deuxième enfant.

[5] Les demandeurs ont quitté la Chine le 24 novembre 2015, sont entrés aux États‑Unis, puis se sont rendus au Canada. La demanderesse principale affirme que pendant leur séjour au Canada, les autorités de planification familiale se sont rendues au domicile de ses beaux‑parents en Chine pour s’enquérir des allées et venues des demandeurs et de leur retour en Chine. Selon la demanderesse principale, les autorités ont affirmé que, sans statut au Canada, et à leur retour en Chine, les demandeurs devraient se conformer aux politiques de planification familiale de la Chine et la demanderesse principale devrait subir une stérilisation. Le deuxième enfant des demandeurs est né au Canada en avril 2016.

[6] Les demandeurs ont demandé l’asile en 2019 alors que la demanderesse principale était enceinte de leur troisième enfant. Le 24 avril 2019, la SPR a rejeté leur demande au motif qu’ils n’avaient pas établi qu’ils contrevenaient au règlement sur la population et la planification familiale de la province du Guangdong [le règlement]. La SPR a également souligné que si elle concluait que les demandeurs contrevenaient au règlement en ayant un troisième enfant, ils seraient tout au plus tenus de payer une amende, ce qui, selon la SPR, ne constituait pas de la persécution. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

III. La décision de la SAR

[7] Les demandeurs ont fait valoir que la SPR a commis deux erreurs. Premièrement, la SPR a commis une erreur dans son interprétation du règlement quant à savoir s’il s’applique aux naissances à l’étranger. Deuxièmement, elle a commis une erreur en concluant que les demandeurs ne seraient passibles que d’une amende.

[8] La SAR a confirmé les conclusions de la SPR et a conclu que les demandeurs ne risquaient pas d’avoir des enfants « non autorisés » parce que le règlement ne s’applique pas aux naissances à l’étranger. Subsidiairement, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle, au pire, les demandeurs devraient payer une amende, une sanction qui constitue une règle d’application générale et qui n’équivaut pas à de la persécution.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[9] La seule question à trancher consiste à savoir si la décision de la SAR était raisonnable.

[10] Les parties conviennent que la question en litige est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’intéresser à la décision, notamment au raisonnement suivi et au résultat (Vavilov, au para 83).

[11] Cette norme exige que la Cour examine si la décision de la SAR est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Pour ce faire, la Cour doit s’attarder aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov, au para 97).

V. La thèse des parties

  • (1) La thèse des demandeurs

[12] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en concluant que les enfants nés au Canada ne seraient pas pris en considération dans la politique chinoise des deux enfants et en ne tenant pas compte du fait que la nouvelle politique n’est pas appliquée rétroactivement et que l’amende qu’ils devraient payer équivaudrait à de la persécution étant donné leur situation.

  • (2) La thèse du défendeur

[13] Le défendeur soutient qu’en soulevant ces arguments, les demandeurs demandent essentiellement à la Cour de soupeser à nouveau la preuve. Il affirme que la SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs n’ont pas établi que les deux enfants nés au Canada seraient pris en considération dans l’application du règlement sur la planification familiale. Le défendeur fait valoir que la SAR a adéquatement tenu compte du règlement ainsi que de l’applicabilité des mesures coercitives et des sanctions pour parvenir à sa décision.

VI. Analyse

A. L’interprétation des politiques sur la planification familiale était‑elle déraisonnable?

[14] L’argument des demandeurs selon lequel la SAR a fondé sa décision sur le libellé des politiques de la province du Fujian ne me convainc pas. Il ressort clairement de la décision de la SAR que cette dernière a fait référence aux politiques de la province du Fujian comme outil d’interprétation pour comprendre le règlement en vigueur dans la province du Guangdong. Rien dans la décision ne donne à penser que ce facteur à lui seul a été déterminant.

[15] De plus, la thèse des demandeurs selon laquelle l’interprétation de l’article 20 par la SAR est déraisonnable et rend le règlement en grande partie inutile ne me convainc pas. Selon les demandeurs, si le règlement s’appliquait seulement aux naissances dans la province, il y aurait une façon plus simple de le formuler et le règlement serait libellé en conséquence. De plus, ils font valoir qu’il n’aurait pas été nécessaire d’établir des règles précises dans le règlement.

[16] Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la SAR a interprété le règlement. La SAR a conclu que le règlement ne s’appliquerait pas aux demandeurs puisqu’il ne s’applique qu’à ceux qui ont des enfants dans la province du Guangdong. Comme deux de leurs trois enfants sont nés au Canada, la SAR a conclu que le règlement n’aurait aucun effet sur les demandeurs. Pour parvenir à cette conclusion, la SAR a examiné l’article 20 du règlement, qui est ainsi rédigé :

[traduction]

Le règlement sur la population et la planification familiale de la province du Guangdong s’applique, sauf prescription contraire de l’État, aux personnes suivantes qui ont des enfants dans la province : les Chinois qui reviennent de l’étranger et leurs proches, les citoyens qui résident à l’extérieur de la Chine, mais dont l’adresse permanente se trouve dans la province, ainsi que les personnes dont les époux résident dans la région administrative spéciale de Hong Kong, dans la région administrative spéciale de Macao ou de Taïwan, ou encore qui sont des citoyens étrangers.

[Non souligné dans l’original.]

[17] La SAR a également examiné l’article 2 du règlement et a conclu que le règlement ne s’applique qu’aux citoyens chinois qui ont des enfants et qui résident ou sont enregistrés dans la province du Guangdong. La SAR a renvoyé aux modifications qui ont été apportées au règlement, ainsi qu’au cartable national de documentation, et a examiné la jurisprudence invoquée par les demandeurs. De plus, elle a examiné le règlement de la province voisine, le Fujian, pour mieux comprendre le règlement applicable dans le Guangdong. Elle s’est fondée sur le fait que la nature des modifications récemment apportées aux règlements, et le moment où elles ont été apportées, sont similaires dans les deux provinces.

[18] En somme, je conclus que la SAR a raisonnablement interprété le règlement. Bien que la SAR ait apprécié le règlement d’après le sens ordinaire de ses dispositions, il est clair qu’elle a poussé l’analyse plus loin et qu’elle a tenu compte des modifications apportées aux lois et politiques de la Chine. Bien que les demandeurs interprètent les politiques différemment, cette interprétation ne rend pas celle de la SAR déraisonnable.

B. La SAR a‑t‑elle tenu compte du fait que la version la plus récente du règlement ne s’appliquait pas rétroactivement?

[19] Les demandeurs affirment que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’ils seraient victimes de persécution en raison de la nature non rétroactive du règlement et de la mesure coercitive en matière de planification familiale à laquelle la demanderesse principale était assujettie avant son départ de la Chine.

[20] Les demandeurs soutiennent que peu importe en quoi consiste la politique aujourd’hui, les autorités de planification familiale avaient déjà déterminé que la demanderesse principale subirait une stérilisation à son retour en Chine. Ils présument que les autorités de planification familiale auraient recours à la stérilisation compte tenu de la nature non rétroactive du nouveau règlement. À l’appui, ils invoquent la décision Xie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1458 [Xie] :

[23] Je conviens que la SPR a commis une erreur fatale en omettant d’examiner l’allégation des demandeurs selon laquelle ils craignaient d’être stérilisés à leur retour en Chine parce qu’ils avaient eu trois enfants pendant qu’ils se trouvaient au Canada. De plus, l’allégation de la demanderesse selon laquelle le fait d’être forcée de se soumettre à un contraceptif obligatoire par l’insertion d’un dispositif intra‑utérin équivalait à de la persécution était également énoncée clairement. Il s’agit là d’un élément essentiel de leur demande. Il a été mentionné dans le Formulaire de renseignements personnels des deux demandeurs, et répété dans leur témoignage. La SPR a reconnu la crainte de la demanderesse d’être forcée d’utiliser un contraceptif obligatoire sous la forme d’un dispositif intra‑utérin (au par. 44), mais a omis ensuite d’analyser l’une ou l’autre de ces allégations.

[21] La décision Xie invoquée par les demandeurs n’est pas particulièrement utile. Les demandeurs ont énoncé clairement devant notre Cour qu’ils sont d’avis que la SAR n’a pas tenu compte de la rétroactivité. Toutefois, il ressort clairement des motifs de la SAR et du dossier que cette allégation n’était pas centrale à l’appel. La SAR a précisément examiné la rétroactivité en faisant directement référence aux décisions que les demandeurs avaient invoquées ainsi qu’à la preuve sur la situation dans le pays. Par conséquent, je conclus que plutôt que de faire fi d’une allégation, ce qui était reproché dans la décision Xie, la SAR est simplement parvenue à une conclusion différente des observations des demandeurs en appel.

C. La SAR a‑t‑elle omis d’examiner si une amende équivaut à de la persécution?

[22] Les arguments des demandeurs ne m’ont pas convaincu que la SAR n’a pas examiné si l’amende dont ils sont passibles peut équivaloir à de la persécution. Les demandeurs ont fait valoir que l’amende pourrait atteindre de trois à six fois leur revenu annuel, qu’ils ne seraient pas en mesure de la payer et que le défaut de payer entraînerait d’autres frais.

[23] À l’instar du défendeur, je suis convaincu qu’en statuant que le règlement ne s’appliquait pas aux demandeurs, la SAR a raisonnablement conclu qu’ils ne seraient pas assujettis à une quelconque amende.

[24] La SAR était consciente de la question des sanctions et que celles‑ci pouvaient être considérées comme de la persécution. Après avoir examiné la preuve sur la situation dans le pays et la jurisprudence pertinente, la SAR a conclu que la seule sanction économique à laquelle les demandeurs pourraient être condamnés serait des frais de compensation sociale, et ce, seulement dans l’éventualité où ils auraient d’autres enfants à leur retour en Chine. Je ne vois aucune erreur dans la façon dont la SAR est parvenue à sa décision.

[25] En somme, je conclus que la conclusion de la SAR sur cette question est raisonnable.

VII. Conclusion

[26] Il incombe aux demandeurs de prouver, pour établir qu’ils sont des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger, que l’application du règlement les exposera à de la persécution. Il était raisonnable pour la SAR, au vu de la preuve dont elle disposait, de conclure que les demandeurs ne l’ont pas démontré. Les motifs de la SAR illustrent le raisonnement qu’elle a suivi pour parvenir à sa décision. La décision satisfait à la norme de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-522-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-522-20

INTITULÉ :

YINGRU DENG, CHAOHUA YANG ET ZHISHAN YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par VIDéOCONFéRENCE entre Ottawa (Ontario) et TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 20 janvier 2021

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FAVEL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

le 14 mai 2021

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR Les demandeurs

 

Gregory George

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR Les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

 

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