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                                                                                                                     Date : 20040405

                                                                                                        Dossier : IMM-5603-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 520

Ottawa (Ontario), le 5 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                              TERESITA PASCUAL JAPSON

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH


[1]                La demande de résidence permanente déposée par Teresita Pascual Japson au titre du Programme concernant les aides familiaux résidants (PAFR) a été rejetée parce que son fils, qui souffre d'une déficience profonde, a été jugé interdit de territoire pour des raisons d'ordre médical. Mme Japson demande l'annulation de cette décision, affirmant que l'agent d'immigration a commis une erreur en n'examinant pas sa demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH). Elle ajoute que l'agent a commis une erreur en n'examinant pas sa demande de permis ministériel (il s'agit maintenant d'un permis de séjour temporaire ou PST) pour son fils. Enfin, Mme Japson soutient que l'agent a commis une erreur en refusant de lui permettre de modifier sa demande de résidence permanente afin de retirer son fils de celle-ci.

[2]         Mme Japson dit que chacune de ces erreurs découle d'une mauvaise application des dispositions législatives applicables, et constitue une erreur de droit.

Contexte

[3]         Mme Japson est une citoyenne des Philippines, et elle est la mère de Menard Pascual. Menard a actuellement 25 ans et souffre d'une déficience mentale profonde. La preuve médicale non contredite décrit Menard comme un déficient sévère, notant que ses capacités cognitives sont celles d'un enfant de deux ans. Il n'a jamais appris à parler et demeure entièrement dépendant des autres pour les aspects essentiels de la vie quotidienne. Il est incapable de se nourrir ou de s'habiller, et il nécessite des soins constants.


[4]         Alors qu'elle était encore aux Philippines, Mme Japson s'occupait elle-même de Menard, avec l'aide de sa mère. En 1990, Mme Japson a présenté une demande d'admission au Canada au titre du Programme concernant les employés de maison étrangers, maintenant le PAFR. Ricardo Japson, qui était son petit ami d'alors et qui est maintenant son mari, et sa famille élargie, l'ont soutenue relativement à cette décision en s'occupant des soins quotidiens de Menard.

[5]         Mme Japson est arrivée au Canada le 3 juin 1991. Elle est entrée au pays au titre de ce qui est maintenant le PAFR. Depuis son entrée au Canada, Mme Japson a continué de subvenir aux besoins de Menard, envoyant régulièrement de l'argent dans son pays.

[6]         Au milieu des années 90, Mme Japson a déposé une demande de résidence permanente pour elle-même, son mari et Menard. Dans une lettre datée du 10 décembre 1996, elle a été informée que sa demande de résidence permanente était approuvée en principe et que son admission serait envisagée, dans la mesure où les exigences normales en matière d'immigration étaient respectées.

[7]         Il y a eu une abondante correspondance entre Mme Japson, son mari et les autorités canadienne de l'immigration dans les quelques années qui ont suivi. Il y a également eu une évaluation médicale du dossier de Menard. Comme nous l'avons noté précédemment, Mme Japson ne conteste pas les conclusions de cette évaluation.


[8]         Dans une lettre datée du 26 novembre 2001, l'agent d'immigration Phinn a informé Mme Japson qu'il ressortait de l'évaluation médicale du dossier de Menard que Menard pourrait être jugé interdit de territoire pour des raisons d'ordre médical. Mme Japson a eu la possibilité de fournir une preuve médicale additionnelle, au cas où elle aurait voulu contester l'évaluation. En réponse, l'avocate de Mme Japson a fourni un plan de soins, qui indiquait que sa cliente avait pris des dispositions à l'égard de Menard de façon à ce qu'il n'entraîne pas un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Cette lettre se termine par l'affirmation suivante :

[traduction] Si vous n'êtes pas convaincu que Menard Pascual n'entraînera pas un fardeau « excessif » pour les services sociaux [...] je vous demande, au nom de Mme Japson, de délivrer à Menard Pascual un permis ministériel qui lui permettra d'entrer et de rester au Canada.

Décision de l'agent d'immigration

[9]         Dans une lettre datée du 21 octobre 2002, l'agent d'immigration a informé Mme Japson qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, parce que son fils était interdit de territoire en raison de son état de santé.

Questions en litige


[10]       Initialement, la présente demande de contrôle judiciaire portait principalement sur l'allégation suivant laquelle l'agent d'immigration n'avait pas dûment tenu compte de l'effet qu'aurait le plan de soins fourni par Mme Japson sur les besoins futurs de Menard en services médicaux et sociaux. À la lumière des arrêts rendus par la Cour d'appel fédérale dans des affaires comme Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 420, et Pigg c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 421, cet argument a été abandonné. La demande de Mme Japson porte maintenant plutôt sur l'allégation que l'agent n'a tenu compte d'aucune des trois options qui, selon ce que prétend Mme Japson, lui auraient permis d'avoir gain de cause dans sa demande de résidence permanente. Les questions soulevées par Mme Japson sont donc les suivantes :

1.          L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en n'examinant pas la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires présentée par Mme Japson?

                                                                       

2.          L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en refusant de faire droit à la demande de Mme Japson pour que Menard soit retiré de sa demande de résidence permanente?

3.          L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en n'examinant pas la demande de Mme Japson pour qu'un permis ministériel soit délivré à Menard?


[11]       À titre préliminaire, le défendeur invoque l'article 302 des Règles de la Cour fédérale, qui prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision. En conséquence, affirme le défendeur, la seule question dont est régulièrement saisie la Cour est de savoir si l'agent d'immigration a agi correctement en refusant la demande de résidence permanente présentée par Mme Japson au titre au PAFR, à la lumière de l'interdiction de territoire de Menard pour des raisons d'ordre médical. Cette question sera traitée la première.

Application de l'article 302 des Règles

[12]       Le défendeur soutient que les exemptions fondées sur des considérations humanitaires et les permis ministériels font intervenir des processus tout à fait distincts, et que Mme Japson aurait donc dû présenter deux demandes. C'est pourquoi l'article 302 des Règles empêche ces questions de faire l'objet d'une seule demande de contrôle judiciaire. Selon le défendeur, la présente demande devrait se limiter à l'examen de la question de savoir si la demande de résidence permanente de Mme Japson au titre du PAFR a à bon droit été refusée.


[13]       Il ne s'agit pas d'une affaire où plusieurs décisions distinctes rendues par différents décideurs font l'objet d'une seule demande de contrôle judiciaire. L'affaire Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1634, peut donc être distinguée d'avec la présente espèce. En fait, l'argument invoqué par Mme Japson est qu'un agent d'immigration a commis une erreur en ne tenant aucun compte de trois façons possibles de trancher sa demande de résidence permanente. Autrement dit, compte tenu des arguments présentés par Mme Japson, la présente demande porte sur la façon dont une seule personne a traité une seule demande de résidence permanente. Dans ces circonstances, je suis convaincue que la présente affaire peut à bon droit faire l'objet d'une seule demande de contrôle judiciaire.

[14]       Les arguments du défendeur quant à savoir s'il était nécessaire que Mme Japson dépose une demande CH distincte ou une demande distincte de permis ministériel seront examinés dans le cadre de l'examen du bien-fondé de la présente demande.

L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en n'examinant pas la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires présentée par Mme Japson?


[15]       Je ne suis pas convaincue que l'agent d'immigration a commis une erreur en n'examinant pas le dossier de Mme Japson en tenant compte de considérations humanitaires, et ce, pour la simple raison que je ne dispose pas de suffisamment de preuve pour conclure qu'une demande a été faite en ce sens. Il est particulièrement révélateur que nulle part dans son document du 24 juin 2002, l'avocate de Mme Japson n'a demandé d'exemption fondée sur des considérations humanitaires. En l'absence d'une telle demande, le défendeur ne pouvait être tenu d'examiner le dossier de Mme Japson au regard de considérations humanitaires.

L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en refusant de faire droit à la demande de Mme Japson pour que Menard soit retiré de sa demande de résidence permanente?

[16]       La preuve sur ce point est contenue dans l'affidavit de Mme Japson. Cette déclaration assermentée faite sur la foi de renseignements tenus pour véridiques renvoie à des conversations téléphoniques entre l'avocate de Mme Japson et une certaine Mme Manias, qui était manifestement superviseur au Centre de traitement des demandes de Mississauga. Selon Mme Japson, au cours de l'une de ces conversations, son avocate a demandé à Mme Manias [traduction] « si [s]on fils, Menard, pourrait être retiré de [s]a demande compte tenu du fait qu'il était alors âgé de presque 23 ans. Mme Manias s'est engagée à examiner le dossier, mais elle a souligné que si [Mme Japson ] faisai[t] retirer Menard de [s]a demande, [elle] ne pourrai[t] jamais le parrainer » .


[17]       Suivant l'affidavit de Mme Japson, il semble qu'il s'agissait là d'une option parmi plusieurs autres dont on avait discuté au cours de cette conversation téléphonique. Il ne ressort pas du dossier que cette question ait été poussée plus loin, ou que Mme Japson ait fait une demande expresse pour que soit modifiée sa demande de résidence permanente. En l'absence d'une telle demande, je n'ai pas besoin de me demander si Mme Japson avait en fait une telle option.

L'agent d'immigration a-t-il commis une erreur en n'examinant pas la demande de Mme Japson pour qu'un permis ministériel soit délivré à Menard?

[18]       D'après l'affidavit de Mme Japson, il semble qu'une question quant à la délivrance possible d'un permis ministériel ait été soulevée au cours de la conversation téléphonique entre l'avocate de Mme Japson et Mme Manias. Mme Japson témoigne que son avocate a demandé à Mme Manias si elle envisagerait de délivrer un permis ministériel, ce à quoi Mme Manias aurait répondu que le permis ministériel était un [traduction] « privilège » auquel n'avaient pas droit les participants au PAFR.

[19]       Dans son document du 24 juin 2002, l'avocate de Mme Japson a réitéré la demande de sa cliente et elle a également fait une demande expresse pour que l'on envisage la possibilité de délivrer au fils de sa cliente un permis ministériel.


[20]       Dans sa lettre du 21 octobre 2002, l'agent Phinn a écrit que le dossier de Mme Japson avait été examiné et que sa demande de résidence permanente avait été refusée pour non-respect des exigences du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, et ce, parce que son fils était interdit de territoire pour des raisons d'ordre médical. Il ne fait aucune mention de la demande de permis ministériel faite par Mme Japson. De même, il ne semble pas avoir envisagé la possibilité de délivrer un permis de séjour temporaire au titre de la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[21]       Le défendeur soutient que des exigences particulières d'admissibilité s'appliquent aux participants au PAFR et que l'une d'elles est que les membres de la famille d'un aide familial qui présente une demande de résidence permanente ne doivent pas être interdits de territoire (Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, alinéa 114b)). Selon ce qu'affirme le défendeur, étant donné l'interdiction de territoire de Menard pour des raisons d'ordre médical, Mme Japson ne pouvait satisfaire aux exigences légales particulières applicables aux participants au PAFR. À son avis, la délivrance d'un permis ministériel ou d'un permis de séjour temporaire ne pouvait rien changer à cette situation. En conséquence, le défendeur soutient que c'est à bon droit que l'agent d'immigration a refusé la demande de résidence permanente de Mme Japson.

[22]       Vu que la décision en cause a été rendue après l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, je vais examiner la demande de permis ministériel soumise par Mme Japson comme une demande de permis de séjour temporaire déposée au titre de la nouvelle loi.


[23]       Un examen du libellé de l'article 24 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés montre que la raison d'être du permis de séjour temporaire est de permettre à une personne qui ne remplirait peut-être pas par ailleurs les exigences d'admissibilité applicables à sa catégorie d'entrer au pays sur une base temporaire. À mon avis, rien dans la loi n'exclut les participants au PAFR d'un examen au titre de l'article 24.

[24]       En outre, il convient de noter qu'alors que l'article 66 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés comporte des exigences précises quant à la forme des demandes CH, les articles 64 et 65, qui se rapportent aux demandes de permis de séjour temporaire, ne comportent pas d'exigences semblables.

[25]       En conséquence, je suis convaincue que l'agent d'immigration a commis une erreur en n'examinant pas la demande de Mme Japson pour l'obtention d'un permis de séjour temporaire. La présente affaire est renvoyée au Centre de traitement des demandes de Mississauga uniquement pour que soit tranchée la question de savoir si Menard Pascual devrait se voir délivrer un permis de séjour temporaire.


Certification

[26]       Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                         ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

     1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée au Centre de traitement des demandes de Mississauga uniquement pour que soit tranchée la question de savoir si Menard Pascual devrait se voir délivrer un permis de séjour temporaire.

     2.    Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-5603-02

INTITULÉ :                                                                TERESITA PASCUAL JAPSON

c.         

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 31 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                               LE 5 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Judy Welikovitch                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Sally Thomas                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

West Toronto Community Legal Services                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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