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Date : 19980831


Dossier : T-410-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE 31 AOÛT 1998

     EN PRÉSENCE DU JUGE TEITELBAUM

ENTRE :


Najib Antoine Jabre


Requérant

ET :


Middle East Airlines (Air Liban)


Intimée

ET :


Me André Dugas, ès qualité d'arbitre nommé aux termes de

l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2


Mis-en-cause

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans mes motifs d'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur de l'intimée.

                                                                  J.C.F.C.


Date : 19980831


Dossier : T-410-97

ENTRE :


Najib Antoine Jabre


Requérant

ET :


Middle East Airlines (Air Liban)


Intimée

ET :


Me André Dugas, ès qualité d'arbitre nommé aux termes de

l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2


Mis-en-cause

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision en date du 10 février 1997 dans laquelle l'arbitre André Dugas a statué que le requérant avait démissionné de son plein gré. L'arbitre a également jugé que l'intimée devait verser au requérant un montant de 171,14 $ à titre de salaire pour la période allant du 12 mars 1996 au 21 mars 1996.

LES FAITS

[2]      De nombreux événements sont survenus en l'espèce, mais j'ai tenté de m'en tenir aux faits essentiels. En 1986, le requérant a commencé à travailler pour l'intimée à Beyrouth. En 1990, il a demandé et obtenu un poste à Montréal à titre de promoteur des ventes et je suis d'avis qu'il est toujours demeuré " promoteur des ventes " lorsqu'il a travaillé pour l'intimée.

[3]      Le 8 mars 1993, l'intimée a créé un système visant à répartir les tâches de vente entre le requérant et une dénommée Arabia Saleh, représentante des ventes. Dans sa décision, l'arbitre a conclu que cette répartition des tâches n'a pas été faite arbitrairement et n'a pas touché le contrat d'emploi du requérant en réduisant les tâches de celui-ci. Pourtant, l'avocat du requérant a fait parvenir à l'intimée une lettre en date du 12 mars 1993 dans laquelle il a indiqué que son client refusait d'accepter les nouvelles conditions. L'avocat de l'intimée a répondu par une lettre datée du 22 avril 1993 dans laquelle il a réitéré les nouveaux ordres et demandé au requérant de les respecter, faute de quoi il risquait de faire l'objet de mesures disciplinaires.

[4]      Le 6 septembre 1995, le requérant a demandé à l'intimée son dossier personnel. Le 12 octobre 1995, l'intimée a fait savoir au requérant que les documents étaient disponibles. Insatisfait du contenu du dossier, le requérant a fait parvenir, le 20 octobre 1995, une lettre indiquant que plusieurs documents manquaient et qu'il était étonné de la présence de certains autres documents, dont un article d'un journal arabe renfermant des déclarations qui lui étaient attribuées. Le 2 novembre 1995, M. Cherif P. Gémayel, le directeur des ventes au Canada de l'intimée et le supérieur immédiat du requérant, a répondu que l'article de journal était pertinent, parce que l'intimée estimait que ses employés devaient afficher une attitude neutre en public au sujet de la situation politique du Liban, étant donné que cette attitude pouvait toucher les activités de l'entreprise.

[5]      Le 6 novembre 1995, le requérant a répondu à M. Gémayel qu'il déposerait une plainte auprès des autorités compétentes (l'intimée a appris le 8 décembre 1995 que le requérant avait déposé une plainte officielle auprès de la Commission de l'accès à l'information du Québec). Dans cette lettre qu'il a fait parvenir à M. Gémayel, le requérant a également écrit ce qui suit (voir la pièce R-19) :

     [TRADUCTION] En passant, je suis heureux de constater que le Liban, à l'instar de l'Égypte et du Canada, est également devenu votre pays et je vous félicite de votre nouvelle citoyenneté libanaise. Que Dieu bénisse votre nouveau pays et vous aide à le servir avec la même dignité et la même fidélité que celles que vous témoignez à l'endroit de MEA.         

[6]      Examinant le paragraphe qui précède dans le contexte des relations qui existaient entre M. Gémayel et le requérant, l'arbitre a conclu que ce paragraphe se voulait ironique à l'endroit de M. Gémayel. Par conséquent, le 17 novembre 1995, M. Wajdi Na'man, le vice-président des relations industrielles de l'intimée, a avisé le requérant que celui-ci était suspendu pour une période d'un jour. M. Na'man a expliqué que la suspension était fondée sur les [TRADUCTION] " attaques personnelles visant le supérieur hiérarchique du requérant " et sur les [TRADUCTION] " propos et allégations que le requérant a formulés lorsqu'il a répondu à son supérieur et à l'entreprise ".

[7]      Le 24 novembre 1995, le requérant a déclaré qu'il n'était pas disposé à accepter la suspension et qu'il prendrait des mesures pour protéger ses droits. Il a également dit à M. Gémayel qu'il n'accepterait plus de documents télécopiés chez lui.

[8]      Le 1er décembre 1995, le requérant a reçu un chèque duquel avait été retranché un montant de 114,09 $, soit une journée de salaire. Le requérant a écrit à l'intimée pour lui demander le remboursement de ce montant ainsi qu'une autre somme qu'il aurait gagnée en travaillant le jour du Souvenir. Le requérant s'est également plaint d'avoir reçu son chèque quatre jours après les autres employés.

[9]      Le 11 décembre 1995, M. Na'man a avisé le requérant que la lettre de celui-ci en date du 6 novembre démontrait un manque de respect à l'endroit de son supérieur et que l'intimée ne tolérerait pas cette attitude. De plus, il lui a fait savoir que le chèque en question était disponible dès le 28 novembre 1995, mais que le requérant ne se trouvait pas au travail les 28 et 29 novembre 1995. M. Na'man a poursuivi sa lettre en ces termes (voir la pièce I-7) :

     [TRADUCTION] Il semble donc qu'un problème existe quant à votre présence au travail et que l'entreprise ne soit pas toujours informée de vos activités. Votre supérieur vous rencontrera sous peu pour revoir avec vous vos tâches et nous espérons qu'il ne sera pas nécessaire de répéter cet exercice.         

[10]      À la mi-décembre 1995, le requérant se trouvait au Liban et a demandé à rencontrer le président de l'intimée, même si la politique consistait à rencontrer les employés de l'extérieur le mardi, lorsque l'horaire du président le permettait. Cette rencontre a été annulée à la dernière minute.

[11]      Le 10 janvier 1996, le requérant a écrit à M. Na'man pour lui dire qu'à son avis, M. Gémayel s'était servi de son poste pour exercer sa vengeance contre lui.

[12]      Le 17 janvier 1996, le requérant a envoyé à M. Gémayel une lettre qui, de l'avis de l'arbitre, indiquait très bien l'état d'esprit du requérant à l'époque. Le ton de la lettre est agressif et le requérant accuse M. Gémayel d'avoir menti. Le requérant consent à la médiation, même s'il précise qu'il connaît à l'avance le résultat de cette démarche. Le requérant cite également sa lettre du 6 novembre 1995 et nie avoir eu l'intention de contrarier qui que ce soit. Il défie également M. Gémayel d'utiliser les recours dont il dispose.

[13]      Le 27 février 1996, le requérant a déposé une réclamation devant la Cour des petites créances afin d'obtenir de M. Gémayel et de l'intimée le remboursement de deux jours de salaire ainsi qu'un montant de 2 700 $ à titre de dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Cette réclamation a été rejetée le 24 octobre 1996.

[14]      Le 29 février 1996, l'avocat du requérant a écrit à M. Gémayel une lettre dans laquelle il a décrit les événements survenus et les griefs de son client et a demandé que la situation soit corrigée à la satisfaction du requérant, faute de quoi M. Gémayel serait poursuivi pour un montant d'environ 250 000 $.

[15]      Au cours de la dernière semaine de février 1996, M. Gémayel et le requérant se sont rencontrés pour discuter d'une note remise à tous les employés le 15 janvier de la même année. Le requérant a déclaré qu'il n'avait jamais reçu cette note, qui indiquait que tous les employés devaient remplir un formulaire lorsqu'ils s'absentaient pour cause de maladie ou d'accident, pour des raisons personnelles ou pour exercer leurs devoirs civiques. La note indiquait également que l'employé qui s'absentait sans autorisation s'exposait à des mesures disciplinaires.

[16]      La note du 15 janvier 1996 était jointe à une lettre datée du 1er mars 1996 dans laquelle M. Gémayel reprochait au requérant ses nombreuses absences prolongées du travail, lesquelles absences n'étaient pas justifiées. Voici un extrait de cette lettre (voir la pièce R-35) :

     [TRADUCTION] Étant donné que la situation n'a pas changé malgré la note susmentionnée que j'ai envoyée à tous les membres du personnel, je me vois contraint d'exiger le respect intégral des règles qui y sont énoncées. Si ces directives ne sont pas respectées, des mesures disciplinaires seront prises; c'est regrettable, mais c'est la conséquence des abus commis dans le passé.         
     Je fais donc appel à votre sens des responsabilités pour veiller à ce que cette situation, qui risque de créer des problèmes avec d'autres employés, soit corrigée dès maintenant.         

[17]      Le 5 mars 1996, le requérant a répondu qu'il n'acceptait pas les propos formulés dans ces notes et qu'il ne pouvait faire confiance à M. Gémayel. Le requérant a ajouté qu'il avait fait l'objet d'intimidation, de menaces et de harcèlement.

[18]      Le 12 mars 1996, le requérant a rencontré M. Gémayel, qui lui a plus tard remis une note confirmant leur rencontre. Dans cette note, M. Gémayel a rappelé au requérant que celui-ci n'avait pas fourni de plan de vente et confirmé qu'il le rencontrerait le 25 mars 1996 pour discuter du plan de vente qu'il comptait proposer. M. Gémayel a également précisé dans cette même note que l'intimée ne tolérerait désormais aucun écart par rapport aux directives précédentes et que des mesures disciplinaires allant jusqu'au congédiement risquaient d'être prises si le requérant continuait à défier les directives. La lettre se termine en ces termes (voir la pièce R-39) :

     [TRADUCTION] Nous sommes convaincus que vous changerez d'attitude et que vous exercerez désormais vos fonctions d'une façon qui sera profitable pour chacun de nous. Nous vous assurons à nouveau de notre soutien indéfectible à cette fin; toutefois, vous devez comprendre que c'est la dernière chance que nous vous offrons.         

[19]      Le requérant s'est rarement présenté au travail entre le 12 mars 1996 et le 21 mars 1996. L'arbitre a conclu qu'il s'était présenté environ une journée et demie au cours de cette période. Le requérant n'a reçu aucune approbation à l'égard de ses absences et, au cours de l'audience, il n'a pas indiqué de façon précise ses heures et journées de travail pendant ladite période.

[20]      Le 19 mars 1996, le requérant a écrit à M. Gémayel pour lui faire savoir qu'il n'acceptait pas les directives reçues. Il a répété qu'il faisait l'objet de mesures disciplinaires visant à l'inciter à démissionner. Il a également mentionné que son contrat d'emploi avait été modifié et qu'il avait fait l'objet d'une rétrogradation visant indirectement à provoquer son renvoi. Dans sa décision, l'arbitre a refusé de conclure que le requérant avait exercé des fonctions autres que celles de promoteur des ventes depuis qu'il s'est joint à l'intimée. Il a également déclaré que les lettres et directives de l'intimée étaient suffisamment claires pour permettre à une personne raisonnable de s'y conformer et de travailler selon les exigences de l'employeur. L'arbitre a conclu que la source du problème de comportement venait du requérant et que M. Gémayel s'était montré très patient.

[21]      Le 21 mars 1996, le requérant s'est absenté de son travail sans remplir de formulaire ou fournir d'explication. À cette même date, il a déposé une plainte auprès de la Commission des droits et libertés de la personne. Il a reçu par la suite une lettre en date du 21 mars 1996 dans laquelle M. Gémayel mentionnait que le requérant ne s'était pas présenté au travail et lui demandait de justifier ses absences, faute de quoi il ne serait pas payé pour cette période. Au cours de l'audience, le requérant a déclaré qu'il avait rencontré M. Gémayel peu de temps après avoir reçu cette lettre et s'est fait dire qu'il était renvoyé, mais M. Gémayel a nié cette rencontre et nié avoir tenu des propos de cette nature. Dans sa décision, l'arbitre a conclu que M. Gémayel n'avait pas le pouvoir de congédier un employé et il appert manifestement de la preuve dont l'arbitre était saisi que M. Gémayel n'avait effectivement aucun pouvoir de cette nature.

[22]      Le 21 mars 1996, le requérant a informé la secrétaire de M. Gémayel qu'il avait été congédié et qu'il se présenterait au travail le lendemain pour recevoir une lettre de références et le salaire qui lui était dû. M. Gémayel a alors rédigé, le même jour, une lettre dans laquelle il a précisé que le requérant n'avait pas été congédié et qu'aucune décision n'avait été prise quant aux mesures disciplinaires. M. Gémayel a réitéré qu'il avait simplement demandé au requérant de justifier ses absences. Il a ajouté que, si le requérant maintenait son interprétation des faits et refusait de se présenter au travail, l'intimée présumerait qu'il a démissionné. La secrétaire de M. Gémayel a tenté de télécopier cette lettre à maintes reprises le 21 mars, mais le télécopieur du requérant ne fonctionnait pas.

[23]      Vers 23 h le 21 mars 1996, le requérant a fait parvenir à M. Gémayel une lettre en vue de confirmer qu'il avait été renvoyé et qu'il se présenterait au travail le lendemain pour obtenir les documents susmentionnés. Vers 1 h le 22 mars 1996, le requérant a envoyé à M. Samir Saab, le vice-président associé (affaires juridiques) de l'intimée, une lettre indiquant que sept travailleurs confirmeraient qu'il ne s'était pas absenté du travail tant avant qu'après le 12 mars 1996. Toutefois, à l'audience, le requérant a admis qu'il s'était absenté de son travail.

[24]      Le 22 mars 1996, M. Gémayel a lu la télécopie du requérant et a rédigé une nouvelle lettre à l'intention de celui-ci, mais le télécopieur du requérant ne fonctionnait pas encore une fois. Les notes en date des 21 et 22 mars 1996 ont été insérées dans une enveloppe adressée au requérant, qui s'est présenté au travail pour aller chercher ses documents vers midi. La preuve concernant la question de savoir si le requérant a effectivement lu les notes contenues dans l'enveloppe est contradictoire. Le requérant soutient qu'il ne les a pas lues et qu'il les a simplement jetées sur la table lorsqu'il a constaté qu'aucun chèque n'y était joint. D'autres témoins ont déclaré qu'il a lu les lettres, bien que rapidement, et qu'il les a jetées sur la table. Selon l'arbitre, il est difficile de comprendre pourquoi le requérant n'aurait pas lu les notes, étant donné qu'il avait déjà exprimé le désir de lire d'autres lettres dans le passé.

[25]      Le 1er avril 1996, le requérant et son avocat ont reçu une enveloppe contenant les notes des 21 et 22 mars 1996, une lettre de M. Na'Man en date du 26 mars ainsi que des chèques et d'autres documents. L'avocat du requérant a envoyé des lettres à l'intimée les 2, 3 et 4 avril 1996 et le requérant lui-même l'a fait le 10 avril 1996, mais ces lettres ne comportaient aucune allusion aux notes de M. Gémayel en date des 21 et 22 mars 1996 ni à la déclaration selon laquelle le requérant n'avait pas été renvoyé.

[26]      Dans sa décision, l'arbitre a conclu que le requérant n'avait pas été renvoyé et que les directives de l'intimée n'étaient pas contrariantes ni ne constituaient l'équivalent d'une rétrogradation ou d'un changement majeur touchant les conditions de travail. Selon l'arbitre, il était évident que les directives avaient fâché le requérant, mais que celui-ci avait eu une réaction excessive qui frôlait l'insubordination. De plus, l'arbitre ne croyait pas que le requérant aurait présenté un plan de vente le 25 mars 1996.

[27]      L'arbitre a également jugé que le témoignage du requérant était peu crédible et a préféré la version de M. Gémayel. Ainsi, l'arbitre n'a pas cru le requérant lorsque celui-ci a dit qu'il avait été congédié le 21 mars 1996. Il a aussi accepté la déclaration de l'intimée selon laquelle plusieurs tentatives ont été faites en vue de télécopier la lettre du 21 mars 1996 et que cette lettre était jointe à celle du 22 mars 1996 contenue dans l'enveloppe destinée au requérant. L'arbitre a également statué que toutes ces lettres ont été envoyées le 27 mars 1996. Même s'il a précisé qu'il aurait peut-être été plus prudent d'envoyer les lettres au requérant par huissier, il a jugé que les efforts de l'intimée étaient sincères.

[28]      L'arbitre a conclu à l'insuffisance de la preuve permettant de dire, contrairement à ce que le requérant a soutenu, qu'il avait été la cible de différentes mesures par suite des plaintes qu'il avait formulées ou des activités politiques qu'il avait poursuivies. Selon l'arbitre, les directives de l'intimée étaient normales et il n'a pas été prouvé que l'intimée nourrissait les intentions que le requérant lui prêtait.

[29]      En conclusion, l'arbitre a jugé que la note du 21 mars 1996 n'était pas une lettre de congédiement et il a refusé de croire qu'une rencontre avait eu lieu le même jour entre le requérant et M. Gémayel et qu'au cours de cette rencontre, le requérant aurait appris qu'il était congédié. L'arbitre a déduit des événements survenus de janvier à mars 1996 que le requérant avait démissionné de son plein gré et que cette démission avait été causée par son refus d'accepter l'autorité légitime de son employeur et de son supérieur immédiat ainsi que de justifier son horaire de travail pour la période allant du 12 au 21 mars 1996.

[30]      L'arbitre a ajouté que l'intimée devait au requérant un montant de 171,14 $, soit l'équivalent d'une journée et demie de travail pour la période allant du 12 au 21 mars 1996.

ARGUMENTS

1. Les arguments du requérant

[31]      Je n'ai pas l'intention de m'attarder aux arguments du requérant, puisque ceux-ci concernent dans bien des cas des erreurs mineures reprochées à l'arbitre, notamment des erreurs de fait. Je résume plutôt ci-dessous les principaux points contestés.

[32]      Le requérant soutient d'abord que l'arbitre est en situation de conflit d'intérêts. L'arbitre en l'espèce est ou a été défendeur, ainsi que d'autres avocats du cabinet Leduc, Lebel, dans une action civile intentée devant la Cour supérieure du Québec. Les défendeurs ont été représentés par ce même cabinet jusqu'en décembre 1993. Par la suite, ce cabinet a été remplacé par celui de Desjardins, Ducharme, Stein, Monast (DDSM) dans ladite action en justice. Me Gilbert Poliquin, l'avocat de l'intimée en l'espèce, a travaillé pour le cabinet DDSM jusqu'au mois d'août 1993. De plus, l'intimée était représentée par le cabinet DDSM en 1993.

[33]      Le requérant reproche à l'arbitre de ne pas lui avoir dit qu'il était représenté par le cabinet DDSM. Le requérant ajoute que Me Poliquin était également tenu de divulguer ce renseignement et que, s'il avait été mis au courant de cette situation, il aurait demandé à l'arbitre de se récuser avant l'audience. Selon le requérant, ces faits justifient une crainte raisonnable de partialité.

[34]      En deuxième lieu, le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur de droit lorsqu'il a conclu qu'il avait démissionné. Selon le requérant, l'arbitre a accordé beaucoup d'importance au fait qu'il avait refusé de fournir un rapport d'activité écrit ou un plan de visite malgré les directives de l'intimée. Le requérant fait valoir que l'arbitre a commis une erreur en cherchant à comprendre l'objet de son comportement plutôt que de se demander si l'intimée avait l'intention de le congédier.

[35]      Le requérant ajoute que, si l'intimée lui a demandé de soumettre un rapport d'activité écrit ou un plan de visite, son refus d'obtempérer à la demande permettrait plutôt de conclure que l'intimée l'a congédié et non pas qu'il a quitté son emploi de son propre chef. De plus, si le requérant a refusé de se soumettre à l'autorité légitime de l'intimée, il serait raisonnable de conclure qu'il a fait l'objet d'un congédiement et non qu'il a démissionné.

[36]      Le requérant fait valoir que, si l'intimée avait sincèrement tenté de le convaincre qu'il n'avait pas été congédié, elle aurait trouvé un meilleur moyen de le lui faire savoir. Il ajoute que l'arbitre ne s'est pas demandé si les lettres des 21 et 22 mars 1996 ont modifié l'impression que le requérant avait et selon laquelle il avait été congédié.

[37]      De l'avis du requérant, l'arbitre a omis de tenir compte des principes suivants : la démission comporte un élément subjectif et un élément objectif; la démission doit être volontaire; la démission est évaluée différemment selon que l'intention de démissionner est exprimée ou non; l'intention de démissionner ne peut être présumée lorsque la conduite de l'employé est incompatible avec une autre interprétation; l'expression de l'intention de démissionner ne constitue pas nécessairement une preuve de l'intention véritable; en cas d'ambiguïté, les tribunaux ont généralement refusé de conclure à une démission; la conduite antérieure et future représente un élément important à prendre en compte pour décider s'il y a eu démission.

[38]      Le requérant soutient que l'arbitre ne s'est fondé sur aucun témoignage ou autre élément de preuve pour conclure à une démission. De l'avis du requérant, l'arbitre n'a pas tenu compte des modifications apportées au contrat d'emploi ainsi qu'aux conditions et au milieu de travail. Pour conclure que la démission n'était pas forcée, l'arbitre doit, selon le requérant, décider si des modifications ont été apportées au contrat ou aux conditions de travail, si les modifications ont été apportées de bonne foi et si elles étaient justifiables. Le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur de droit en omettant de se poser ces questions.

[39]      En troisième lieu, le requérant reproche à l'arbitre d'avoir commis un manquement aux règles d'équité procédurale et de justice naturelle en omettant d'entendre trois de ses témoins. L'arbitre a refusé d'entendre Diane Bélanger, de Ressources humaines Canada, un agent de voyage et un représentant des ventes pour Royal Jordanian Airlines, laquelle dessert la même clientèle et les mêmes destinations que celles de l'intimée. Toutefois, le requérant souligne que l'arbitre a autorisé celle-ci à interroger un représentant d'Air France et qu'il n'a pas examiné tous les éléments de preuve pertinents.

[40]      Le requérant fournit également une liste des éléments de preuve que l'arbitre a omis de mentionner : l'arbitre aurait omis de mentionner que le requérant a clairement fait part de son intention de demander sa réintégration; que la lettre du 21 mars 1996 renfermait une menace, soit les mots suivants : [TRADUCTION] " les postes qui ajoutent peu à la productivité globale de MEA pourraient être en jeu "; que M. Gémayel avait le pouvoir de congédier le requérant, contrairement à la conclusion de l'arbitre; que le requérant n'a pas pris possession de la lettre et des notes après son congédiement, parce qu'il ne voulait pas que son geste soit perçu comme une acceptation de son congédiement afin de ne pas nuire à ses chances de réintégration; que l'arbitre a considéré Mesdames Ferreira et Khatib, les employées de l'intimée, comme des témoins crédibles, sans souligner qu'elles avaient reçu des appels téléphoniques de M. Gémayel, qui leur a demandé si le requérant avait quitté l'immeuble le 21 mars 1996, parce que ce fait prouverait qu'il avait bel et bien été congédié; que le requérant a dit qu'il avait été congédié dans sa lettre du 22 mars 1996; qu'il y avait contradiction entre la décision de suspendre son salaire et la lettre du 21 mars 1996 dans laquelle l'intimée a mentionné qu'elle n'avait pris aucune mesure disciplinaire contre le requérant. Selon le requérant, en refusant de tenir compte de cette preuve, l'arbitre a commis un manquement aux règles de justice naturelle.

[41]      En quatrième lieu, l'arbitre aurait commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant que l'intimée avait demandé des rapports écrits au requérant. Celui-ci fournit une liste des cas dans lesquels M. Gémayel n'a pas demandé spécifiquement de rapports écrits ou a dit que cette mesure visait à avantager les employés seulement. Le requérant ajoute que M. Gémayel n'a pas demandé de plan de vente écrit ni de liste de clients. Selon lui, ce n'est que dans la lettre du 21 mars 1996 que M. Gémayel a demandé un document écrit et cette demande visait uniquement à justifier ses absences du travail. Le requérant souligne que, étant donné que Mme Saleh et d'autres employés ont donné des rapports verbaux à M. Gémayel et ont reçu de lui des directives verbales, il était raisonnable de conclure que les mêmes règles s'appliqueraient aux communications entre lui-même et M. Gémayel.

[42]      L'arbitre aurait également commis une erreur lorsqu'il a conclu que le requérant n'avait pas été rétrogradé et que ses conditions de travail n'avaient pas changé. Le 30 novembre 1989, le titre du poste de requérant, qui était auparavant [TRADUCTION] " promoteur des ventes de voyages aux immigrants " pour le Canada, a été remplacé par [TRADUCTION] " promoteur des ventes " pour Montréal. Dès lors, le territoire du requérant s'est limité à Montréal plutôt que de s'étendre aux villes importantes du Canada. Au début de 1993, le requérant a perdu son bureau, ses " instruments de travail ", son téléphone, sa table de travail et son fauteuil, ce qui a modifié en profondeur son milieu de travail. Le 8 mars 1993, l'intimée a limité les activités du requérant à 32 agences et la majorité des clients ont été confiés à Mme Saleh, qui a été engagée six ans et demi après lui. Enfin, en février 1996, l'intimée a demandé au requérant de rester dans le bureau de 9 h à 17 h, ce qui l'empêchai effectivement de conclure ds ventes.

[43]      De plus, l'arbitre aurait eu tort de conclure que le requérant avait catégoriquement refusé d'accepter les ordres de l'intimée. De l'avis du requérant, cette conclusion n'est pas justifiée par la preuve. Le requérant fait remarquer que M. Gémayel a tenu ces propos au cours de l'audience, mais qu'il n'a pu faire cette preuve.

[44]      Le requérant cite également une liste de dix-neuf autres erreurs que l'arbitre aurait commises. Il ne m'apparaît pas nécessaire de les mentionner toutes et je me limiterai donc à en donner quelques exemples. Le requérant souligne que l'arbitre a conclu qu'il y avait une répartition des tâches entre lui-même et Mme Saleh, mais qu'il s'agissait en réalité d'une division du territoire. Le requérant conteste également la conclusion de l'arbitre selon laquelle Mme Saleh a travaillé pendant plusieurs années, alors qu'elle travaillait pour l'intimée depuis le mois d'août 1992 seulement. De plus, selon le requérant, l'arbitre a tort de conclure qu'il n'était pas présent au travail du 28 au 30 novembre 1995. Le requérant soutient que cette conclusion était fondée sur une déclaration écrite de M. Na'man et ajoute que celui-ci demeure au Liban et n'est certainement pas au courant des faits. De plus, le requérant n'a pas eu la possibilité de le contre-interroger, ce qui va à l'encontre des principes de justice naturelle. Le requérant ajoute que l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la répartition des clients et des tâches entre lui-même et Mme Saleh ne faisait pas partie du contrat de travail. Le requérant cite le contrat d'emploi, qui renferme une définition du territoire, des tâches et des clients. En restreignant le territoire, les clients et les tâches ainsi que les instruments de travail et en modifiant l'environnement de travail, l'intimée aurait modifié le contrat d'emploi du requérant.

[45]      Le requérant reproche aussi à l'arbitre d'avoir commis des erreurs au sujet de la crédibilité des témoins et d'avoir omis de se prononcer sur le droit du requérant à un dédommagement au titre des vacances.

2. Les arguments de l'intimée

[46]      L'intimée fait valoir que la Cour devrait intervenir uniquement pour s'assurer que le requérant a été protégé par les garanties d'ordre procédural ou pour vérifier si la décision de l'arbitre était manifestement déraisonnable (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Fraternité Unie c. Bradco, [1993] 2 R.C.S. 316). L'intimée souligne également que l'arbitre possède des compétences spécialisées et que le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, comporte des clauses privatives qui démontrent que le législateur avait l'intention de restreindre l'intervention de la Cour. Voici le texte de ces clauses privatives :

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

251.12 (6) The referee's order is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(7) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain a referee in any proceedings of the referee under this section.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire " notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto " visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

251.12 (6) Les ordonnances de l'arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(7) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire " notamment par voie d'injonction, de certiorari , de prohibition ou de quo warranto " visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

[47]      D'abord, l'intimée soutient que la production de neuf documents soumis au contrôle judiciaire de la Cour en l'espèce ne devrait pas être autorisée, parce qu'ils n'ont pas été portés à l'attention de l'arbitre (ces documents sont mentionnés au paragraphe quatre des arguments de l'intimée).

[48]      En ce qui a trait à la crainte raisonnable de partialité, l'intimée soutient que la simple existence de liens antérieurs entre l'arbitre et un cabinet d'avocats au sein duquel l'avocat de l'intimée a déjà travaillé ne suffit pas à faire naître une crainte de partialité. L'intimée souligne que l'audience a été enregistrée et qu'aucun élément de preuve n'indique que l'arbitre a fait montre de partialité. De plus, elle précise que le cabinet DDSM a cessé de représenter l'intimée plus de trois ans avant que l'arbitre commence à entendre la présente affaire. Selon l'intimée, il s'agit d'un laps de temps suffisant pour permettre de conclure à l'absence de conflit d'intérêts. De plus, même si l'avocat de l'intimée a représenté celle-ci dans un dossier actif alors qu'il travaillait pour le cabinet DDSM, celui-ci compte plus de 90 avocats. De l'avis de l'intimée, l'argument du requérant présuppose que de bonnes relations ont continué à exister entre ledit cabinet et l'intimée après le changement d'avocats, mais cette présomption ne repose sur aucun élément de preuve.

[49]      Par ailleurs, l'intimée fait valoir que c'est un assureur qui a retenu les services du cabinet DDSM pour représenter tous les membres du cabinet Leduc Lebel et que c'est l'assureur qui subirait les conséquences d'une conclusion défavorable à l'endroit de l'arbitre et des autres défendeurs. L'intimée souligne que ni ses avocats non plus que l'arbitre n'ont eu de lien direct avec M. Lizotte, qui s'est occupé de l'affaire civile. Par conséquent, l'intimée estime qu'une personne objective ne conclurait pas à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité de la part de l'arbitre. En l'absence de crainte raisonnable de cette nature, l'intimée fait valoir que l'arbitre n'était pas tenu de discuter de ce fait avec le requérant.

[50]      En deuxième lieu, l'intimée allègue que l'arbitre disposait d'une marge de manoeuvre considérable qui lui permettait de déterminer la façon d'admettre la preuve. Pour que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, il doit y avoir, selon l'intimée, un refus clair de la part de l'arbitre de recevoir une preuve qui était non seulement pertinente, mais indispensable, lequel refus doit avoir des répercussions importantes quant à l'équité procédurale au point de mettre en péril la validité de la procédure. L'intimée précise qu'il s'agissait d'une audience de six jours au cours desquels dix témoins ont été entendus et soixante-seize documents ont été présentés en preuve. L'arbitre devait entendre la preuve de façon impartiale tout en veillant à ce que l'audience ne soit pas indûment prolongée par la présentation d'éléments de preuve non essentiels.

[51]      En ce qui a trait au refus de l'arbitre d'entendre trois témoins du requérant, l'intimée fait valoir qu'aucun élément de preuve n'indique qu'ils étaient présents ou qu'ils ont été assignés ou encore que l'arbitre a catégoriquement refusé d'entendre leur témoignage sous une autre forme. Dans le cas de Mme Bélanger, l'arbitre a statué que la discussion qu'elle avait eue avec l'avocat de l'intimée au sujet de l'assurance-chômage était très peu pertinente en l'espèce. L'intimée souligne que l'arbitre a accepté un rapport écrit au sujet de cette conversation.

[52]      En ce qui concerne l'agent de voyage non identifié, l'intimée soutient que le requérant n'a jamais précisé la raison pour laquelle ce témoignage était pertinent et qu'il avait déjà donné à entendre que des observations écrites suffiraient. L'arbitre a convenu d'accepter des observations écrites.

[53]      Enfin, en ce qui concerne le représentant de Royal Jordanian Airlines, l'intimée mentionne que l'arbitre a accepté d'entendre Mme Sonia Tower, d'Air France, dont le témoignage devait démontrer que ce transporteur aérien exigeait des rapports de vente écrits. Après avoir entendu ce témoignage, l'arbitre a déclaré que cette preuve n'avait guère de valeur et, selon le requérant, c'est ce qui explique pourquoi il a refusé d'entendre le représentant de Royal Jordanian Airlines. Cependant, il a accepté des observations écrites du représentant de façon que le requérant puisse démontrer que d'autres transporteurs aériens n'exigent pas de rapports écrits.

[54]      L'argument suivant de l'intimée concerne la longue liste de documents qui, d'après le requérant, n'ont pas été mentionnés par l'arbitre. L'intimée soutient qu'il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que l'arbitre mentionne tous les documents, la décision renfermant déjà 41 pages.

[55]      L'intimée ajoute que les questions de savoir si le requérant a été renvoyé, expressément ou tacitement, et s'il avait droit à une rémunération pour la période allant du 12 au 21 mars 1996 sont des questions qui relèvent manifestement de la compétence de l'arbitre. Selon l'intimée, la décision concernant ces questions ne peut être infirmée que si l'arbitre a commis une erreur manifestement déraisonnable. Pour décider s'il y a eu congédiement en droit, l'intimée soutient que l'arbitre doit se demander a) si M. Jabre avait été renvoyé verbalement par M. Gémayel au cours de la rencontre tenue le 21 mars 1996 ou b) si les mesures énoncées dans la note du 21 mars 1996, selon lesquelles le salaire du requérant était diminué jusqu'à ce que celui-ci présente un rapport justifiant ses absences du travail depuis le 12 mars 1996, constituaient un congédiement indirect. L'arbitre a décidé que les versions des témoins étaient compatibles entre elles, sauf dans le cas du requérant. Selon l'arbitre, le requérant n'était pas un témoin crédible et des contradictions existaient au sujet de son horaire de travail pour la période allant du 12 au 21 mars 1996.

[56]      L'intimée allègue que la Cour devrait être très réticente à intervenir quant aux questions de crédibilité, même lorsque la norme d'examen applicable est celle de la décision correcte.

[57]      En ce qui a trait à l'allégation de congédiement verbal, l'arbitre a décidé que les versions présentées par le requérant et M. Gémayel étaient contradictoires. En l'absence d'éléments de preuve appuyant la version du requérant, l'arbitre a évalué leurs témoignages respectifs et a préféré celui de M. Gémayel, qui a affirmé que le requérant n'avait pas été congédié verbalement.

[58]      L'arbitre s'est également demandé si l'employeur avait modifié unilatéralement les conditions essentielles du contrat de travail du requérant en l'obligeant à soumettre un plan de vente avant de rendre visite aux clients et à remettre un rapport de vente en vue de la prochaine réunion. L'intimée soutient que l'arbitre a conclu que cette exigence était légitime, qu'elle existait depuis plusieurs années et qu'elle n'était pas discriminatoire, mais que le requérant avait refusé de s'y conformer. Par conséquent, l'arbitre a conclu à l'absence de congédiement indirect.

[59]      L'arbitre a également examiné les griefs du requérant au sujet de son supérieur et de l'intimée, lesquels griefs étaient fondés sur un témoignage non corroboré et contredit par d'autres témoins, et conclu à l'absence de preuve de mauvaise foi de la part de l'intimée, l'arbitre ayant plutôt relevé un problème de comportement chez le requérant.

[60]      Enfin, l'arbitre a examiné la conduite des parties après le 21 mars 1996 pour conclure que l'intimée avait utilisé des moyens raisonnables pour convaincre le requérant qu'il n'avait pas été renvoyé. L'intimée souligne que le requérant est la seule personne qui a parlé de congédiement et qu'il s'est fait dire à au moins deux occasions qu'il n'avait pas été renvoyé. L'intimée souligne que le requérant a eu la possibilité de prendre possession des documents qui expliquaient ce fait le 22 mars 1996, mais qu'il avait refusé de le faire. Lorsqu'il a finalement reçu les documents le 1er avril 1996, le requérant n'a pas modifié son attitude, de l'avis de l'intimée. De plus, celle-ci ajoute que le refus du requérant de reconnaître que son comportement créait des problèmes avec d'autres employés a déclenché l'impasse avec l'intimée et a causé des problèmes avec son supérieur.

[61]      Dans ce contexte, l'intimée fait valoir qu'il était résonnable pour l'arbitre de conclure que le requérant avait accepté la responsabilité de la rupture du lien d'emploi. Selon l'intimée, il n'existait aucun fondement objectif permettant de conclure qu'elle avait rompu le contrat d'emploi, l'intimé ayant plutot démontré un intérêt manifeste à l'endroit du maintien de la relation de travail. Par son attitude, le requérant a créé une impasse, parce qu'il a continué obstinément à croire qu'il était congédié et qu'il ne pouvait retourner au travail, ce qui a permis à l'intimé de conclure qu'il avait quitté son emploi. L'intimée cite plusieurs autres décisions dans lesquelles le tribunal a examiné des faits similaires et décidé que le requérant avait quitté son emploi et n'avait pas été congédié.

ANALYSE

[62]      J'aimerais d'abord énoncer le principe général applicable aux décisions que rendent les arbitres sous le régime du Code canadien du travail, lequel principe a été énoncé par le juge Rouleau dans l'arrêt Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. c. Ladislav Kmet, T-1371-97, 2 juin 1998, C.F. 1re inst., p. 8 :

     [15]      Je refuse d'annuler la décision contestée pour les raisons suivantes. Il est bien établi aujourd'hui que les cours de justice ne devraient pas entraver les tribunaux administratifs dans l'exercice des attributions qui leur sont dévolues par les lois qui les régissent et qu'elles doivent faire preuve de retenue lorsqu'elles sont appelées à examiner leurs décisions. Cela est d'autant plus vrai lorsque la loi habilitante renferme une disposition privative, comme celle qui fait l'objet de l'article 243 du Code canadien du travail, et dont voici le texte :         

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.

(2) No order shall be made, process entered or proceeding taken in any court, whether by way of injunction, certiorari, prohibition, quo warranto or otherwise, to question, review, prohibit or restrain an adjudicator in any proceedings of the adjudicator under section 242.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire " notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto " visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.

     [16]      Pareille disposition privative signifie que la décision d'un arbitre n'est pas susceptible de contrôle judiciaire sauf si elle est à ce point déraisonnable qu'elle ne puisse rationnellement s'appuyer sur la loi habilitante et que l'équité exige l'intervention de la Cour. La Cour suprême du Canada a énoncé clairement ce principe juridique dans l'arrêt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, p. 1003 et 1004; (1989), 62 D.L.R. (4th) 437, p. 453 :
         Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, ses décisions ne devraient faire l'objet d'un contrôle que si celui-ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction : voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227. Le tribunal a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire (p. 237). Le critère de contrôle constitue un "test sévère" : voir Blanchard c. Control Data Ltd. , [1984] 2 R.C.S. 476, à la p. 493. Cette portée restreinte du contrôle oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions du tribunal administratif. La retenue judiciaire est plus qu'une fiction invoquée par les cours de justice lorsque celles-ci sont d'accord avec les décisions du tribunal. Un simple désaccord avec le résultat atteint par le tribunal administratif ne suffit pas à rendre ce résultat "manifestement déraisonnable". Les cours de justice doivent vérifier si la décision du tribunal a un fondement rationnel plutôt que de se demander si elles sont d'accord avec celle-ci.                 

     (non souligné dans le texte)

     [17]      Qu'importe, par conséquent, que la Cour soit ou non d'accord sur la conclusion tirée par le tribunal dans la cause qui lui est soumise; elle n'interviendra que si la décision est entachée d'une erreur de droit telle qu'elle constitue une interprétation fautive des dispositions législatives sur lesquelles elle s'appuie, si elle se fonde sur des conclusions de fait dénuées de preuve ou si le tribunal a outrepassé sa compétence d'une autre façon. Pour que la décision d'un arbitre soit tenue pour manifestement déraisonnable, il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie.

[63]      Bien que la décision de l'arbitre et les arguments des parties soient assez étoffés, les questions à trancher en l'espèce sont très simples. À mon avis, l'arbitre n'a commis aucune erreur susceptible de révision.

[64]      D'abord, je rejette l'argument du requérant quant à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité du fait que l'arbitre et l'avocat de l'intimée ont un lien avec le cabinet DDSM. Le critère reconnu à appliquer pour décider s'il y a crainte raisonnable de partialité a été énoncé dans le jugement dissident du juge de Grandpré dans l'affaire Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394 :

     ... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander " à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... "         

[65]      De toute évidence, une personne raisonnable qui aurait pris les renseignements nécessaires conclurait à l'absence de partialité. À mon avis, le fait que l'arbitre soit représenté par le cabinet DDSM et que l'avocat de l'intimée ait travaillé pour ce même cabinet il y a plus de trois ans n'a aucune importance. L'avocat de l'intimée n'avait aucun lien direct avec l'action civile concernant l'arbitre ou M. Lizotte et il n'était pas au courant non plus du dossier lorsqu'il travaillait pour ce cabinet. Dans ces circonstances, je ne puis comprendre comment une personne raisonnable pourrait conclure à l'existence d'une crainte de partialité.

[66]      La deuxième grande question à trancher est celle de savoir si l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu que le requérant avait démissionné de son plein gré. L'arbitre a examiné la preuve de façon approfondie et défini les problèmes qui ne cessaient de s'aggraver entre le requérant et M. Gémayel. De l'avis de l'arbitre, les méthodes que l'intimée a utilisées pour assurer l'exploitation en bonne et due forme de son entreprise étaient raisonnables. Ces méthodes comprenaient l'obligation, pour le requérant et les autres employés, de fournir des explications lorsqu'ils s'absentaient de leur travail et l'obligation pour le requérant de fournir un plan de vente et des pièces justificatives à l'égard de toute visite faite chez les clients. Le requérant a semblé penser que ces directives ne visaient qu'à le contrarier et à le forcer à démissionner. À l'instar de l'arbitre, j'estime que ces directives ont été adoptées dans l'intérêt de l'entreprise et ne constituaient pas un moyen indirect de forcer le requérant à démissionner. Je souligne que, dans plusieurs lettres et notes adressées au requérant, M. Gémayel et d'autres membres de la direction ont déclaré qu'ils souhaitaient que le requérant comprenne et accepte ces directives de façon qu'ils puissent poursuivre ensemble un objectif profitable de part et d'autre.

[67]      Tout comme l'arbitre, je conclus également que M. Gémayel n'a pas renvoyé le requérant au cours d'une réunion qui aurait été tenue le 21 mars 1996. Cette conclusion était fondée sur l'impression de l'arbitre quant à la crédibilité du requérant par opposition à celle de M. Gémayel et la Cour hésite évidemment à modifier une décision touchant la crédibilité. De plus, cette interprétation des faits est appuyée par une lettre en date du 21 mars 1996, dans laquelle M. Gémayel a écrit que le requérant n'avait pas été renvoyé, mais qu'il devait justifier ses absences afin de recevoir son salaire.

[68]      M. Gémayel a tenté à maintes reprises d'envoyer ces explications écrites par télécopieur au requérant et les lui a remises dans une enveloppe qui devait être ramassée le 22 mars 1996. Le requérant a eu l'occasion de lire ces documents à son arrivée au travail le 22 mars 1996, mais il a refusé de le faire ou a été aveugle quant à leur contenu. Néanmoins, M. Gémayel a envoyé les lettres au requérant et à l'avocat de celui-ci au cours de la semaine qui a suivi, de sorte que ceux-ci ne peuvent dire qu'ils ignoraient la position de l'intimée. Il m'apparaît étrange que le requérant n'ait pas cherché à répondre à la déclaration de M. Gémayel selon laquelle il n'avait pas été renvoyé, étant donné qu'il avait vigoureusement contesté les lettres précédentes de celui-ci à différentes occasions.

[69]      Dans ces circonstances, je ne vois pas en quoi l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu que le requérant avait démissionné de son plein gré. Le requérant a refusé d'accepter les directives raisonnables de son employeur et de retourner au travail. Je ne puis dire que l'arbitre a commis une erreur lorsqu'il a conclu à l'absence de congédiement explicite ou indirect.

[70]      De plus, je refuse de croire l'argument du requérant selon lequel l'arbitre aurait commis un manquement aux principes de justice naturelle en omettant de permettre à trois personnes de témoigner à l'audience. Je souligne que les trois témoins ont pu fournir un témoignage écrit et que le requérant avait accédé à cette demande et mentionné explicitement que le témoignage écrit de l'agent de voyage non identifié conviendrait. De plus, je suis convaincu que la valeur de ce témoignage est assez mineure dans le contexte de l'affaire. L'arbitre n'a pas été influencé par la version du témoin de l'intimée qui était employé chez Air France et a donc conclu que le témoignage d'un représentant de Royal Jordanian Airlines sur la même question aurait peu d'importance. De la même façon, les témoignages de Mme Bélanger et de l'agent de voyage non identifié semblent avoir peu de conséquences. Il aurait peut-être été plus sage pour l'arbitre de permettre à ces personnes de témoigner de vive voix; cependant, compte tenu de l'ensemble de l'affaire, je ne puis conclure qu'il y a eu déni du droit à une audience impartiale.

[71]      Enfin, en ce qui a trait aux détails dont l'arbitre n'a pas tenu compte ou des contradictions ou erreurs que sa décision renfermerait, je suis convaincu que le requérant n'a pas démontré que les erreurs en question font de la décision de l'arbitre une décision manifestement déraisonnable. Étant donné que j'ai décrit une partie de ces erreurs plus haut dans la section intitulée " Les arguments du requérant ", il ne m'apparaît pas nécessaire d'explorer ces arguments de façon approfondie. Essentiellement, ces arguments concernent des désaccords au sujet de points mineurs qui, même s'ils étaient vrais, ne pourraient avoir d'effet important sur le résultat de la décision. Ainsi, même s'il est vrai, comme le requérant l'a soutenu, que Mme Saleh avait travaillé pour l'intimée pendant une courte période, cela ne signifie pas pour autant que la décision de répartir le travail entre celle-ci et le requérant n'était pas raisonnable. À mon avis, il n'est pas nécessaire, aux fins de la présente décision, d'examiner et de commenter chacun des arguments du requérant au sujet de chaque incident.

CONCLUSION

[72]      Après avoir entendu les arguments et lu la transcription de la preuve ainsi que les observations écrites des parties, j'estime qu'il est impossible de conclure que la décision de l'arbitre est déraisonnable et n'est pas fondée sur la preuve dont il était saisi.

[73]      Comme je l'ai mentionné, il n'appartient pas à la Cour d'intervenir au sujet de la question de la crédibilité. L'arbitre était la personne la mieux placée pour trancher cette question. Les témoins ont comparu et témoigné devant l'arbitre et celui-ci était le mieux placé pour décider du poids à accorder à leur témoignage.

[74]      La décision d'accepter ou de rejeter le témoignage de M. Gémayel ou du requérant était une décision visée par le pouvoir de l'arbitre, qui pouvait retenir la version de M. Gémayel et rejeter celle du requérant, puisqu'il a motivé sa conclusion à ce sujet.

[75]      Comme je l'ai mentionné plus haut, la décision de l'arbitre est visée par la clause privative énoncée dans le Code canadien du travail. Pour annuler ou modifier la décision de l'arbitre, je dois être convaincu que cette décision, ou du moins une partie importante de celle-ci, est manifestement déraisonnable. Je ne puis en arriver à cette conclusion en l'espèce.

[76]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur de l'intimée.

                                 "Max M. Teitelbaum"

                            

                                     J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

Le 31 août 1998


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