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Date: 20040908

Dossier: IMM-7037-03

Référence: 2004 CF 1227

Ottawa (Ontario), ce 8e jour de septembre 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                     RONALD JEAN-FRANÇOIS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente d'immigration Bernier ( « l'agente » ) a conclu, le 16 juin 2003, que le demandeur ne pouvait pas être admis au Canada sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire en vertu des paragraphes 11(1) et 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

( « la Loi » ).


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un citoyen d'Haïti âgé de 27ans. Il est arrivé au Canada le 10 septembre 1999 et il a revendiqué le statut de réfugié le 1er octobre 1999. La revendication du statut de réfugié du demandeur a été entendue le 31 octobre 1999 et le 7 novembre 2000, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « CISR » ) a jugé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la convention. Le 22 novembre 2000, le demandeur a soumis une demande en vertu du programme des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada

( « DNRSRC » ), demande qui n'avait pas été tranchée à l'entrée en vigueur de la Loi.

[3]                Le 29 juillet 2001, le demandeur a fait une demande de dispense de visa pour motifs humanitaires avec risque au soutien de laquelle il a présenté des documents. Les motifs humanitaires évoqués étaient qu'il était nouvellement marié avec une citoyenne canadienne et qu'il craignait pour sa sécurité en Haïti dû aux conditions difficiles qui existent dans ce pays. De plus, il a affirmé être personnellement ciblé par des hommes armés reliés au trafic de la drogue. Le demandeur a aussi inscrit, sous la rubrique considérations humanitaires comme autres motifs, le fait qu'il a toujours subvenu à ses besoins depuis qu'il est arrivé au Canada, le fait qu'il a suivi une formation sur le transport des marchandises dangereuses et que depuis le 29 août 2002 il occupait un emploi pour Joncas Telexpert à la Place Dupuis.


[4]                Le 22 mars 2003, le demandeur s'est marié avec Myrtho Polynice, une citoyenne canadienne. À cette date, cette dernière était enceinte de leur enfant. Le 28 mars 2003 le demandeur a été informé par la défenderesse que sa demande DNRSRC serait traitée en vertu des dispositions de la Loi portant sur l'examen des risques avant renvoi ( « l'ERAR » ). Le 28 avril 2003, le demandeur a déposé des documents informant l'agente au programme ERAR, de son nouveau mariage ainsi que de la grossesse en cour de son épouse.

LA DÉCISION DE L'AGENTE

[5]                Le 16 juin 2003, L'agente a refusé la demande pour des considérations d'ordre humanitaire au motif que le demandeur ne s'était pas déchargé de son fardeau de prouver la présence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives justifiant la présentation de sa demande de résidence permanente à partir du Canada. Elle a également conclu que le demandeur n'avait pas établi la présence d'un risque personnalisé s'il devait retourner en Haïti car l'ensemble de la population haïtienne se trouvait à vivre une période difficile. L'agente a aussi indiqué sous les considérations humanitaires invoquées par le requérant que le demandeur est « apparemment le père d'une fille canadienne qui aurait aujourd'hui environ 7 mois. Toutefois il n'y a pas d'information au sujet de sa fille au dossier » . L'agente a conclu que le demandeur s'était marié et avait eu un enfant au Canada avant même d'avoir obtenu un statut au pays et qu'il devait savoir qu'un jour, il serait dans l'obligation de retourner en Haïti afin de régulariser sa situation juridique au Canada.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                Cette demande soulève essentiellement les deux questions en litige suivantes:

            1.         L'agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le mariage n'est pas un motif suffisant, en vertu de la Loi, pour accueillir la demande de dispense?


            2.         L'agente a-t-elle omis de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant ou commis une erreur de fait manifestement déraisonnable dans son sommaire des faits?

LA NORME DE CONTRÔLE

[7]                Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1992] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), La Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle d'une décision rendue par un agent suivant le paragraphe 114(2) est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Le régime législatif:

[8]                Les paragraphes 11(1) et 25(1) de la Loi prévoient ce qui suit:


11. (1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- ou l'intérêt public le justifient.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.



ANALYSE

1.         L'agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le mariage n'est pas un motif suffisant, en vertu de la Loi, pour accueillir la demande de dispense?

[9]                Dans ses motifs, l'agente a écrit :

Tout d'abord, il est important de clarifier que depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l'immigration le 28 juin 2002, le mariage n'est pas automatiquement jugé comme étant un motif suffisant pour conclure à une décision favorable.

Je ne peux voir comment un tel énoncé peut être considéré erroné particulièrement dans le constat d'une demande de dispense pour raisons humanitaires. Le mariage en soi ne porte pas automatiquement à un certain résultat, ce n'est qu'un facteur important parmi d'autres à considérer dans une telle demande.


[10]            Ayant attentivement révisé la décision de l'agente, je constate qu'elle a considéré tous les facteurs pertinents tels que prévus par la Loi ainsi que par les lignes directrices du Guide de l'immigration, chapitre IP5 aux sections 12.6 et 12.7, lorsqu'il s'agit de l'examen la demande d'une personne mariée avec un citoyen canadien qui ne le parraine pas. L'agente a déterminé que le demandeur et sa famille ne rencontreraient pas de difficultés autres que celles inhérentes au renvoi d'un étranger qui demeure au Canada sans statut légal. En l'espèce les faits démontrent que l'agente a considéré que le demandeur était marié et qu'il avait un enfant né de cette union, mais a aussi constaté l'absence de preuve sur la relation qu'il avait avec son épouse, l'absence d'information sur sa fille et sur son rôle de soutien de famille, l'absence de parrainage, l'absence d'information sur la situation de son épouse ainsi que l'absence d'éléments de preuve sur ce que constitueraient, dans son cas, des difficultés injustifiées ou excessives. Je partage l'avis de la défenderesse à l'effet que ni le mariage, ni même la présence d'enfants nés au Canada ne soient des facteurs déterminants lorsque le Ministre doit trancher d'une telle question et je reprends les motifs de l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358, 369 (C.A.):

Bref, l'agent d'immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, précité au paragraphe 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce. La présence d'enfants, contrairement à ce qu'a conclu le juge Nadon, n'appelle pas un certain résultat. Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d'appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

[11]            En l'espèce, l'agente n'a pas erré dans son analyse de la preuve et ses conclusions traitant du mariage du demandeur.

2.         L'agente a-t-elle omis de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant ou commis une erreur de fait manifestement déraisonnable dans son sommaire des faits?

[12]            Il incombe au demandeur de fournir les éléments de preuves nécessaires afin de permettre à l'agente de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant (Jesuthasan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 224 F.T.R. 196, à la page 200 (1re inst.) et au paragraphe 5 de l'arrêt Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 FCA 38).    En l'espèce, ce qui a trait à l'intérêt supérieur de l'enfant, aucune preuve ne fut présentée. La preuve nous informe seulement que l'enfant est née et vit avec sa mère au Canada.


[13]            Je ne retiens pas l'argument du demandeur selon laquelle l'agente n'aurait nulle part dans ses motifs expressément mentionné les termes « intérêt supérieur de l'enfant. » Je retiens plutôt la position de la défenderesse à l'effet que cette approche est erronée et formaliste (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] 2 C.F. 555 (C.A.) aux pages 562 et 563).

[14]            À la lumière de la preuve présentée, je suis satisfait que l'agente a raisonnablement considéré tous les éléments de preuve que le demandeur avait apportés à l'appui de sa demande lorsqu'elle a rendue sa décision. Je suis aussi d'avis que, malgré le fait qu'il aurait peut-être été préférable qu'elle le fasse, l'agente d'Immigration n'avait pas l'obligation d'aller au-devant du demandeur pour lui signaler les carences de sa preuve et de son argumentation ni de lui fournir l'occasion de les corriger ou de lui proposer d'autres recours.

[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[16]            Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'article 74(d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, S.C. (2001) chapitre 27. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »             

                                                                                                                                                     Juge                     


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7037-03

INTITULÉ :                                        Ronald Jean-François c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                24 août 2004

MOTIFS [de l'ordonnance ou du jugement] : le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       8 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Me William Sloan                                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Demers                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me William Sloan                                                          POUR LE DEMANDEUR

400, McGill - 2e étage

Montréal (Québec)    H2Y 2G1

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)     H2Z 1X4

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