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     Date: 19990813

     Dossier: IMM-5202-98

Between :

     NARINDER PAL GILL, domiciled and residing at

     5 Cathcart Cr., Brampton, Ontario, L6T 2A4

     Applicant

     - and -

     THE MINISTER, c/o Justice Department, Guy Favreau Complex,

     200 West René-Lévesque, East Tower, 5th Floor,

     Montreal, Quebec, H2Z 1X4

     Respondent

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 17 septembre 1998 par un agent d'immigration statuant que le demandeur ne pouvait être admis à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada ("DNRSRC") parce qu'il n'avait pas soumis sa demande d'admission à cette catégorie dans le délai de quinze jours prescrit.

[2]      Arrivé au Canada le 5 octobre 1996, le demandeur y a aussitôt revendiqué le statut de réfugié. Le 23 septembre 1997, la Section du statut a rejeté cette revendication en raison du manque de crédibilité du demandeur. Le 8 octobre 1997, le demandeur a déposé une demande d'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision, demande qui fut rejetée le 2 février 1998. Le demandeur, qui n'avait que jusqu'au 15 octobre 1997 pour présenter sa demande d'admission à la catégorie DNRSRC, ne l'a fait que le 16 avril 1998, soit bien après l'expiration du délai de quinze jours prévu à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-72 (ci-après le "Règlement").

[3]      À l'audition devant moi, le procureur du demandeur a reconnu ne pas avoir donné les avis requis par l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale, relatifs aux questions constitutionnelles soulevées dans son mémoire écrit, renonçant expressément à maintenir ces questions et à les plaider au mérite. Cette affaire ne soulève donc plus que deux seules autres questions, soit celle relative au pouvoir de proroger le délai de présentation de la demande visant l'attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié prévu à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement, et la question de savoir si cette dernière disposition du Règlement est ultra vires des pouvoirs de réglementation que l'alinéa 114(1)e) de la Loi sur l'immigration (la Loi) confère au gouverneur en conseil.

[4]      Les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement sont les suivantes:

     Loi sur l'immigration

3. It is hereby declared that Canadian immigration policy and the rules and regulations made under this Act shall be designed and administered in such a manner as to promote the domestic and international interests of Canada recognizing the need

     (g) to fulfil Canada's international legal obligations with respect to refugees and to uphold its humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted;

6. (5) Subject to subsection (8) but notwithstanding any other provision of this Act or any regulation made under paragraph 114(1)(a), an immigrant and all dependants, if any, may be granted landing for reasons of public policy or compassionate or humanitarian considerations if the immigrant is a member of a class of immigrants prescribed by regulations made under paragraph 114(1)(e) and the immigrant meets the landing requirements prescribed under that paragraph.

6. (8) Where an immigrant is of a prescribed class of immigrants for which the regulations specify that the immigrant and any or all dependants are to be assessed, the immigrant and all dependants may be granted landing if it is established to the satisfaction of an immigration officer that the immigrant and the dependants who are to be assessed meet, collectively,

     (a) the selection standards established by the regulations for the purpose of determining whether or not and the degree to which the immigrant and all dependants will be able to become successfully established in Canada, as determined in accordance with the regulations; or
     (b) the landing requirements prescribed by regulations made under paragraph 114(1)(e).

114. (1) The Governor in Council may make regulations

     (e) prescribing, for the purposes of subsection 6(5), classes of immigrants and landing requirements in respect of immigrants and their dependants and specifying, with respect to any such class, at what stage of assessing applications for landing all or part of the landing requirements shall be applied;


3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité :

     g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées;

6. (5) Sous réserve du paragraphe (8) mais par dérogation aux autres dispositions de la présente loi et aux règlements d'application de l'alinéa 114(1)a), peuvent également obtenir le droit d'établissement pour des motifs d'ordre humanitaire ou d'intérêt public l'immigrant et, le cas échéant, toutes les personnes à sa charge, s'il appartient à l'une des catégories prévues aux règlements d'application de l'alinéa 114(1)e) et satisfait aux exigences relatives à l'établissement visées à cet alinéa.

6. (8) Si l'immigrant appartient à une catégorie pour laquelle les règlements prévoient que le cas de l'immigrant et de certaines ou toutes les personnes à la charge de celui-ci doit être examiné, l'immigrant et les personnes à sa charge ne peuvent se voir octroyer le droit d'établissement que si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant et les personnes à sa charge dont le cas doit être examiné satisfont collectivement :

     a) soit aux normes de sélection réglementaires visant à déterminer s'ils peuvent ou non réussir leur installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure;
     b) soit aux exigences relatives à l'établissement prévues par les règlements d'application de l'alinéa 114(1)e).

114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

     e) pour l'application du paragraphe 6(5), préciser des catégories d'immigrants, établir à leur égard et à l'égard des personnes à leur charge des exigences relatives à l'établissement, déterminer à partir de quelle étape de l'examen des demandes d'établissement ces exigences s'appliquent, en tout ou en partie, à l'une de ces catégories d'immigrants et aux personnes à leur charge;
         Règlement sur l'immigration de 1978

11.2 The following classes are prescribed as classes of immigrants for the purposes of subsections 6(5) and (8) of the Act:

     (b) the post-determination refugee claimants in Canada class; and

11.4 (2) For the purposes of subsection 6(5) of the Act, a person whom the Refugee Division

     (b) on or after May 1, 1997, has determined is not a Convention Refugee and who intends to apply for landing as a member of the post-determination refugee claimants in Canada class shall submit an application for a determination of whether the person is a member of that class to an immigration officer not later than 15 days after the day the person is notified of the determination by the Refugee Division.

11.2 Sont des catégories réglementaires d'immigrants pour l'application des paragraphes 6(5) et (8) de la Loi :

     b) la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada;

11.4 (2) Pour l'application du paragraphe 6(5) de la Loi, la personne à laquelle la section du statut a décidé de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention :

     b) le ler mai 1997 ou après cette date, si elle a l'intention de présenter une demande d'établissement à titre de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada, doit présenter à un agent d'immigration une demande visant l'attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada dans les 15 jours suivant la date où la section du statut l'a avisée de sa décision.

[5]      Quant à la question de savoir si l'agent d'immigration a le pouvoir de proroger le délai réglementaire concerné, mon collègue monsieur le juge Nadon y a répondu par la négative dans Adam v. M.C.I. (23 décembre 1998), IMM-5090-97. M'appuyant comme lui sur les arrêts Ponnampalam v. Canada (M.C.I.) (1996), 117 F.T.R. 294, Melinte v. Canada (M.C.I.) (1997), 134 F.T.R. 292 et Razavi v. Canada (M.C.I.) (1998), 144 F.T.R. 36, je conclus également à l'inexistence d'un pouvoir discrétionnaire de prorogation du délai de quinze jours prescrit à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement (voir en outre les arrêts Caron v. M.N.R. et al. (1996), 108 F.T.R. 137 et Miucci c. M.R.N. (1991), 52 F.T.R. 216).

[6]      À l'instar de monsieur le juge Nadon dans Adam, supra, je certifie la question suivante:

         L'agent d'immigration a-t-il le pouvoir de proroger le délai de présentation de la demande visant l'attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada prévu à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration?                 

[7]      En l'espèce, les questions constitutionnelles ayant été abandonnées par le demandeur, il n'y a pas lieu de certifier, comme l'a fait le juge Nadon dans Adam, supra, des questions additionnelles reliées à l'application de la Charte canadienne des droits et libertés.

[8]      Quant à savoir si l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement est ultra vires des pouvoirs de réglementation que l'alinéa 114(1)e) de la Loi confère au gouverneur en conseil, le procureur du demandeur, à défaut de pouvoir citer soit de la doctrine, soit de la jurisprudence confirmant ce caractère ultra vires de la disposition en cause, soumet simplement que l'alinéa 114(1)e) de la Loi n'inclut pas spécifiquement un délai dans lequel une demande peut être présentée et que l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement contrevient aux objectifs humanitaires de la Loi.

[9]      Dans un premier temps, il importe de rappeler qu'il existe une présomption qu'un règlement respecte les limites fixées par la loi habilitante (voir P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1990, aux pages 349-350). Dans un deuxième temps, tel que noté par la Cour suprême du Canada dans Chiarelli c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 711, aux pages 733 et 734:

         . . . le principe le plus fondamental du droit de l'immigration veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer. . . .                 
             Le Parlement a donc le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et de légiférer en prescrivant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. . . .                 

[10]      Enfin, la Cour d'appel fédérale, dans Jafari c. Canada (M.E.I.), [1995] 2 C.F. 595, a souligné les principes généraux applicables afin de déterminer si une législation par délégation tel un règlement se trouve dans les limites du pouvoir conféré par la loi habilitante. On peut résumer ces principes comme suit:

     -      le tribunal ne doit pas juger de la sagesse de la législation par délégation ni en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique;
     -      la question essentielle est la suivante: le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière?
     -      rechercher dans la mesure législative attributive du pouvoir en cause tous les indices possibles de l'objet et de l'étendue de la législation par délégation autorisée;
     -      tenir compte de toute limitation, expresse ou implicite, de l'exercice de ce pouvoir;
     -      examiner le Règlement lui-même pour s'assurer de sa conformité;
     -      s'il est contesté au motif qu'il n'a pas été pris pour des fins autorisées par sa loi habilitante, tenter de reconnaître une ou plusieurs des fins pour lesquelles le Règlement a été adopté;
     -      un vaste pouvoir discrétionnaire, y compris un pouvoir de réglementation, ne peut être exercé pour poursuivre une fin totalement étrangère;
     -      il appartient à la partie qui conteste le Règlement de démontrer ce que pourrait être cette fin illicite;
     -      rechercher le fondement législatif du Règlement en question;
     -      le Règlement doit apparaître comme étant relié de quelque façon à l'objet de la Loi;
     -      vérifier si l'alinéa a été rédigé aux fins de l'administration de la Loi sur l'immigration;
     -      le Règlement ne peut viser principalement à atteindre un objectif irrégulier et non autorisé;
     -      présumant que le Règlement est de prime abord autorisé par la Loi, se demander s'il est contraire à une condition quelconque imposée à l'exercice du pouvoir de réglementation.

[11]      Considérant tous les principes ci-dessus, considérant en outre que les objectifs du législateur s'apprécient en fonction de l'ensemble de la Loi et de son Règlement, et que le Règlement en cause constitue un régime d'exception par l'effet du paragraphe 6(5) de la Loi, je suis d'avis que le pouvoir d'établir la procédure d'examen des demandes d'attribution de la qualité de membre d'une catégorie comporte le pouvoir d'en fixer le délai de présentation et qu'en l'espèce, il s'agit d'un délai de procédure. Le Règlement est intra vires des dispositions habilitantes que sont le paragraphe 6(5) et l'alinéa 114(1)e) de la Loi. De plus, l'imposition d'un délai s'avérait essentielle à la bonne administration de la Loi sur l'immigration, notamment quant au devoir du Ministre d'exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent. Vu la nature de la demande concernée, le fait que le demandeur est visé par une mesure de renvoi exécutoire et le fait qu'il désire se voir reconnaître la qualité de DNRSRC, il m'apparaît tout à fait acceptable et raisonnable, dans le cadre du présent régime d'exception où le demandeur sollicite un privilège d'exemption, et non un droit, que le gouverneur en conseil, en l'absence d'interdiction, ait prévu le délai prescrit à l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement.

[12]      Concernant cette dernière question relative au caractère ultra vires de l'alinéa 11.4(2)b) du Règlement, j'accepte de certifier la question suivante dont le texte est accepté par les procureurs des deux parties:

         L'alinéa 11.4(2)b) du Règlement sur l'immigration est-il ultra vires des pouvoirs de réglementation que l'alinéa 114(1)e) de la Loi sur l'immigration confère au gouverneur en conseil, en ce qu'il fixe le délai de présentation de la demande visant l'attribution de la qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada pour l'application du paragraphe 6(5) de la Loi?                 

[13]      En conséquence, sous réserve de la certification ci-dessus de deux questions, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 août 1999

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