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Date : 20041215

Dossier : T-1888-03

Référence : 2004 CF 1742

Montréal (Québec), le 15 décembre 2004

Présent(e) :      ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE :

                                                    JEAN-CLAUDE BOUCHARD

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                           PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une requête du demandeur en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin essentiellement de pouvoir signifier et déposer un dossier complémentaire. De façon plus précise, le demandeur recherche par sa requête les remèdes suivants :

AUTORISER le dépôt d'un dossier du Demandeur complémentaire composé de l'affidavit de Jean-Claude Bouchard et des pièces R-1 à R-16.


ORDONNER qu'une copie certifiée conforme ou l'original des documents demandés (sic) l'office fédéral et que celui-ci a refusé de produire soient transmis en totalité au greffe.

ORDONNER à madame Josée Brunelle de répondre aux questions posées et de fournir les documents demandés lors du contre-interrogatoire sur affidavit en date du 11 février 2004 dont les demandes et objections apparaissent aux pages 761 à 765, 864 à 866 et 867 à 873 du Dossier du Demandeur et sans limiter la généralité de ce qui précède mais pour plus de précisions.

1)              Fournir le compte-rendu de la rencontre entre Monsieur Matteau et le Demandeur le 14 février 2003.

2)              Répondre aux questions de Me Anne Hébert concernant la fouille de l'unité d'habitation du Demandeur, la saisie des biens du Demandeur et leur disposition.

3)              Fournir la liste des biens saisis et copie des rapports de saisies.

AUTORISER l'interrogatoire lors de l'audition de la révision judiciaire de monsieur François Matteau et de monsieur Robert Paquette.

Contexte

[2]                Le demandeur, qui est présentement incarcéré pour un crime majeur commis à la fin des années soixante-dix, a déposé le 10 octobre 2003 une demande de contrôle judiciaire visant, et je cite :

[...] la décision datée du 25 août 2003 rendue par le Commissaire du Service Correctionnel du Canada au 3e palier du grief du Demandeur portant le numéro : V30A00010878 justifiant :

A) selon les sections 28 et 31(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition l'isolement préventif involontaire du Demandeur du 21 février 2003 au 2 mai 2003,

B) selon les Instructions permanentes 700-14, Cote de sécurité des délinquants la hausse de la cote de sécurité de faible à modérée et


C) selon les sections 17 et 18 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition le transfèrement non sollicité du Demandeur le 2 mai 2003 de l'Établissement Ste-Anne des Plaines, un établissement à sécurité faible, à l'Établissement de Cowansville un établissement à sécurité médium.

Le Demandeur a pris connaissance pour la première fois de la décision le 10 septembre 2003 à 17:00 heures.

[3]                On constate donc que la décision du 25 août 2003 regroupe en elle-même trois décisions prises par le Service correctionnel du Canada, plus précisément par la direction de l'Établissement Sainte-Anne-des-Plaines (les autorités carcérales).

[4]                La première de ces décisions, soit celle de placer le demandeur en isolement préventif involontaire, fut prise le 21 février 2003. La durée de cet isolement fut du 21 février au 2 mai 2003. Il ressort que durant cette période, soit le ou vers le 18 mars 2003, les autorités carcérales auraient procédé à une saisie de biens dans la cellule régulière du demandeur. On aurait émis alors au demandeur un rapport d'infraction mineure pour possession de biens non autorisés.

[5]                La deuxième décision portant sur la hausse de la cote de sécurité du demandeur fut prise le 24 avril 2003 et se serait appuyée, entre autres, sur le rapport d'infraction mineure discuté au paragraphe précédent. (À l'audition de la requête, il ne fut pas établi clairement par l'une ou l'autre des parties si ce rapport d'infraction avait ou non joué dans la hausse de la cote de sécurité du demandeur.)

[6]                La troisième décision concerne le transfèrement non sollicité du demandeur et aurait été prise le 24 avril 2003, mais mise en application le 2 mai 2003, soit à la fin des soixante-dix jours (70) jours d'isolement du demandeur.

[7]                De par ces trois décisions, la décision du 25 août 2003 qui les regroupe couvre donc une période qui va à tout le moins du 21 février au 2 mai 2003 (suivant la procureure du demandeur la période couverte par la décision du 25 août 2003 irait véritablement du 21 février à juillet 2003).

[8]                Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur demande non seulement l'annulation de la décision du 25 août 2003 mais également « [...] une ordonnance de replacer les parties dans l'état où elles étaient avant le 21 février 2003 et de radier des rapports préparés par le Défendeur les mentions faites concernant l'isolement involontaire, la hausse de la cote de sécurité et le transfèrement non sollicité du Demandeur le 2 mai 2003 selon les dispositions de l'article 18.1(3)a) de la Loi sur la Cour fédérale » . [Non souligné dans l'original.]

[9]                Les rapports dont traite ici le demandeur consisteraient en un certain nombre de rapports que les autorités carcérales auraient rédigés entre février et juillet 2003 à l'occasion de la prise des trois décisions couvertes par la décision du 25 août 2003; rapports qui auraient vraisemblablement été portés à l'attention du Commissaire du Service correctionnel du Canada pour les fins de sa décision du 25 août 2003 (les Rapports).


[10]            Il ressort qu'à quelques exceptions près, dont nous traiterons en fin d'analyse, le demandeur serait en possession de tous les documents pertinents qui ont été portés à l'attention du Commissaire pour les fins de sa décision du 25 août 2003, y inclus les Rapports.

[11]            Suivant le demandeur, les Rapports auraient également servi de référence dans le cadre de décisions défavorables au demandeur mais prises ultérieurement à la décision du 25 août 2003.

[12]            Le demandeur de par sa requête à l'étude cherche essentiellement à produire ces décisions dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire dans le présent dossier, et ce, non pas pour soutenir l'illégalité de la décision du 25 août 2003 mais bien pour obtenir que cette Cour contrôle également, directement ou indirectement, ces décisions ultérieures.

[13]            C'est là la conclusion inéluctable que cette Cour doit tirer ici, et ce, de par les termes mêmes utilisés par le demandeur. Tel qu'on l'a vu précédemment, le demandeur demande à cette Cour de replacer les parties dans l'état où elles étaient avant le 21 février 2003. Cette demande ne s'arrête pas aux trois décisions couvertes par la décision du 25 août 2003 mais va bien au delà, et vise, somme toute, toute décision ultérieure au 21 février 2003.

[14]            À sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur indique bien en page 3 :

Les actions du Défendeur ont causé des dommages irréparables au Demandeur qui sans l'intervention de cette cour continue et continuera d'avoir des conséquences préjudiciables pour le Demandeur.


[15]            Dans les représentations écrites déposées au soutien de la présente requête, le demandeur soutient ce qui suit, aux paragraphes 3 et 4 :

3.              Suite au dépôt de l'Avis de Demande dans le présent dossier, le Demandeur-Requérant a reçu des documents et des décisions complémentaires reliées à des allégations déjà adressées dans le Dossier du Demandeur qui ont eu des conséquences additionnelles sur le préjudice allégué dans l'Avis de demande et le Dossier du Demandeur (paragraphe 2 de la Requête, ci-après « par. » ) ;

4.              Ces documents et décisions sont fondés sur l'information contenue aux rapports dont la radiation est demandée dans le Dossier du Demandeur car ceux-ci continuent de servir de référence et à être utilisés par les instances décisionnelles du Service correctionnel du Canada ( « Défendeur » ) et de la Commission nationale des libérations conditionnelles (C.N.L.C.) de manière à continuer de causer préjudice au Demandeur (par. 3) ;

[Non souligné dans l'original.]

Analyse

[16]            Tel que l'indique elle-même la règle 302, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision ou ordonnance. Cette règle se lit :

      302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

      302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.


[17]            Il est donc reconnu que lorsque l'on recherche réparation à l'égard de plusieurs décisions, chacune de ces décisions doit faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire indépendante. (Voir Institut canadien des droits humains c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2000] 1 C.F. 475.)

[18]            Bien que cette Cour ait reconnu certaines situations factuelles exceptionnelles qui donnaient ouverture au contrôle de plusieurs décisions par le biais d'une seule demande de contrôle judiciaire, le demandeur ici n'est aucunement dans ce genre de situations. (Voir notamment Mahmood c. Canada, [1998] A.C.F. no 1345; Puccini c. Canada (Directeur général, Services de l'administration corporative, Agriculture Canada), [1993] 3 F.C. 557.)

[19]            En effet, chaque décision du Service correctionnel est clairement identifiable de façon temporelle si bien que chaque décision aurait dû faire l'objet d'un contrôle judiciaire distinct.

[20]            En conséquence, le premier remède recherché par le demandeur, soit d'être autorisé à déposer un dossier complémentaire composé d'un affidavit du demandeur et des pièces R-1 à R-16, est rejeté. La Cour ajoute ici que le dossier de requête du demandeur ne contenait même pas l'affidavit du demandeur dont ce dernier recherchait la production.

[21]            Quant aux documents recherchés de l'office fédéral en cause, le défendeur aura trente (30) jours de la date de la présente ordonnance pour joindre à un affidavit une version expurgée des documents suivants recherchés en page 4 de la demande de contrôle judiciaire du demandeur :


Enquête de la sécurité préventive et rapport de sécurité préventive concernant le Demandeur.

[22]            Les autres documents requis de l'office fédéral dans le cadre de la présente requête n'ont pas à être produits.

[23]            Quant aux objections soulevées lors de l'interrogatoire sur affidavit de madame Josée Brunelle, elles sont résolues de la façon suivante. Le défendeur signifiera dans les quinze (15) jours de la présente ordonnance un court affidavit de cette dernière où il sera indiqué si ou non le rapport d'infraction mineure par suite de la saisie des biens du demandeur a eu un impact sur la hausse de la cote de sécurité de ce dernier. Cet affidavit additionnel devra également inclure, s'il existe, le compte-rendu de la rencontre entre M. Matteau et le demandeur en date du 14 février 2003. Dans les cinq (5) jours de la signification de cet affidavit, le demandeur pourra faire tenir par écrit au défendeur un court interrogatoire écrit sur cet affidavit (maximum cinq (5) questions simples et précises) et le défendeur devra faire tenir ses réponses par affidavit dans les dix (10) jours de la signification de l'interrogatoire écrit.

[24]            Toute autre mesure quant aux interrogatoires sur affidavits est rejetée.


[25]            Quant à la permission recherchée par le demandeur d'interroger certaines personnes à l'audition au mérite de sa demande de contrôle judiciaire, cette permission est rejetée puisque contrairement aux exigences de la règle 316, le demandeur n'a pas établi en preuve de circonstances particulières.

[26]            Quant à la pièce P-38, elle demeurera sous pli confidentiel jusqu'à ordonnance contraire de cette Cour.

[27]            Pour plus de sûreté, tout autre remède recherché par le demandeur à son avis de requête ou à ses représentations écrites déposées au soutien de cette requête est rejeté.

[28]            Les frais sur la présente requête sont à suivre.

[29]            Enfin, les parties devront se gouverner selon l'échéancier suivant pour parfaire les étapes restant à compléter :

1.          Les parties se conformeront dans les trente (30) prochains jours à ce qui est indiqué aux paragraphes [21] à [23] ci-dessus ;

2.          Dans les dix (10) jours suivant l'expiration des trente (30) jours mentionnés au point 1, le demandeur signifiera et déposera un dossier supplémentaire du demandeur contenant uniquement de courtes représentations écrites pour couvrir ce qui ressort de nouveau des exercices visés au point 1 ;


3.          Dans les vingt (20) jours suivants, le défendeur signifiera et déposera son dossier de la règle 310 ;

4.          Par après, le demandeur se conformera à la règle 314 dans les délais des règles.

Richard Morneau

protonotaire


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

INTITULÉ:


T-1888-03

JEAN-CLAUDE BOUCHARD

                                                                demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                   défendeur


LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           22 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


DATE DES MOTIFS :                                  15 décembre 2004

ONT COMPARU:


Me Anne Hébert

POUR LE DEMANDEUR

Me Yannick Landry

POUR LE DÉFENDEUR


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Anne Hébert

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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