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Date : 20210317


Dossier : IMM‑6541‑19

Référence : 2021 CF 233

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

VASYL YELENYCH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Vasyl Yelenych sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR]. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la CISR, selon laquelle M. Yelenych n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Yelenych est un citoyen de l’Ukraine. Il affirme craindre la persécution ou un autre préjudice dans ce pays en raison de son appartenance à l’ethnie rom.

[3] La SAR a raisonnablement conclu que la preuve présentée par M. Yelenych pour établir son appartenance à l’ethnie rom était insuffisante, et que son allégation selon laquelle il risquait d’être persécuté ou de subir un autre préjudice en Ukraine manquait de crédibilité. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[4] M. Yelenych était arrivé au Canada avec un visa de visiteur le 16 septembre 2016, laissant son épouse et ses deux enfants en Ukraine. Il avait demandé l’asile le 1er décembre 2016.

[5] M. Yelenych affirme avoir été victime de vandalisme, de discrimination et de violence physique en Ukraine tout au long de sa vie. Il dit que sa situation s’est aggravée après la révolution de Maïdan de 2014.

[6] La SPR avait conclu que M. Yelenych n’était pas un Rom et n’était pas perçu comme tel en Ukraine, et que les incidents de violence et de discrimination qu’il avait relatés ne s’étaient pas produits. Elle avait fondé ses conclusions sur une série de préoccupations concernant la crédibilité de M. Yelenych, y compris : a) son témoignage sur la question de savoir s’il avait hérité de son origine ethnique rom de sa mère, de son père ou des deux; b) le manque de documents acceptables permettant d’établir son origine ethnique, ou une explication satisfaisante quant à leur absence; c) l’ambiguïté des photographies et d’autres éléments de preuve présentés pour démontrer son origine ethnique. La SPR, invoquant le retard de M. Yelenych à présenter une demande d’asile, avait également jugé qu’il ne craignait pas subjectivement de subir un préjudice.

[7] M. Yelenych a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR et a cherché à présenter de nouveaux éléments de preuve. La SAR a accepté comme nouvel élément de preuve le certificat de naissance de M. Yelenych. Elle a rejeté le reste des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Yelenych et a confirmé la décision de la SPR le 3 octobre 2019.

III. Les questions en litige

[8] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle raisonnablement refusé d’accepter les nouveaux éléments de preuve de M. Yelenych?

  2. La SAR a‑t‑elle raisonnablement conclu que M. Yelenych n’était pas un Rom et n’était pas perçu comme tel en Ukraine?

IV. Analyse

A. La SAR a‑t‑elle raisonnablement refusé d’accepter les nouveaux éléments de preuve de M. Yelenych?

[9] M. Yelenych a cherché à présenter devant la SAR les éléments de preuve suivants :

a) une lettre de K. G. Vanchulyak, datée du 29 avril 2018, confirmant qu’il était un des voisins de M. Yelenych et que M. Yelenych était de descendance rom, que son grand‑père s’était établi dans la ville dans les années 1950, où sa fille était née, que peu de choses étaient connues au sujet de son père, qui est mort, et qu’il avait un beau‑père qui n’était pas son père biologique;

b) une lettre de N. K. Kalenchuk, datée du 30 avril 2018, confirmant qu’il était un travailleur social et un des voisins de M. Yelenych, et que M. Yelenych était de descendance rom par la lignée maternelle, mais M. Kalenchuk affirme ne pas connaître son père;

c) une carte de Google Maps indiquant l’emplacement du village de Lashkivka par rapport à d’autres villes et villages de l’Ukraine.

[10] Les lettres visaient à corroborer un rapport, daté du 8 novembre 2016, qui avait été présenté à la SPR et qui était intitulé [traduction] « Inspection des conditions de vie de Yelenych, Vasyl Olegovych » [le rapport de la commission]. Le rapport avait été rédigé par une « commission » composée de N. K. Kalenchuk, K. G. Vanchulyak et G. I. Bevtsik, et il avait confirmé, entre autres, que M. Yelenych était un Ukrainien d’origine rom par la lignée maternelle.

[11] La carte de Google Maps avait pour but de répondre à une préoccupation de la SPR à l’égard du témoignage de M. Yelenynch au sujet du rapport de la commission. M. Yelenych a affirmé que le rapport avait été rédigé par trois voisins, mais le document indiquait qu’il avait été rédigé par deux voisins et un travailleur social. M. Yelenych avait expliqué que son village était très petit et que M. Kalenchuk était donc à la fois un voisin et un travailleur social. La carte de Google Maps servait à étayer cette affirmation.

[12] L’explication de M. Yelenych pour ne pas avoir présenté les lettres à la SPR était qu’il n’avait pas cru qu’il était nécessaire de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour corroborer le rapport de la commission. La SPR avait accordé peu de poids au rapport, parce que M. Yelenych avait été incapable de nommer correctement ses auteurs, malgré le fait qu’ils avaient prétendument été ses voisins. La SAR a également jugé que l’affirmation dans le rapport selon laquelle M. Yelenych était Rom par la lignée maternelle ne concordait pas avec la déclaration faite dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] voulant qu’il eût hérité de son origine rom autant de la lignée maternelle que paternelle.

[13] Conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR, de nouveaux éléments de preuve présentés devant la SAR dans le cadre d’un appel sont admissibles que s’ils sont survenus depuis le rejet de la demande par la SPR, s’ils n’étaient pas normalement accessibles ou s’ils n’avaient pas pu être normalement présentés au moment où la SPR avait rejeté la demande. Les facteurs qui doivent être pris en compte par la SAR sont décrits par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 13, et Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2016] 4 RCF 230 [Singh] au para 43.

[14] La SAR a conclu que les lettres de MM. Vanchulyak et Kalenchuk, ainsi que la carte de Google Maps, avaient été adaptées pour répondre aux préoccupations soulevées par la SPR concernant le témoignage de M. Yelenych. Les renseignements contenus dans les lettres et la carte ne sont pas survenus après le rejet de la demande par la SPR, et étaient normalement accessibles avant que la SPR ne rende sa décision. Les nouveaux éléments de preuve visaient seulement à combler les écarts et les lacunes dans le dossier.

[15] Le rôle de la SAR est de fournir la possibilité de corriger des erreurs de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit, et non pas de compléter une preuve déficiente devant la SPR (Singh, au para 54). Il incombait à M. Yelenych de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour prouver sa prétention, et de le faire devant la SPR (Ribeiro Da Costa Soares c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 FC 190 au para 22). Le refus par la SAR d’accepter les nouveaux éléments de preuve de M. Yelenych en appel était raisonnable.

B. La SAR a‑t‑elle raisonnablement conclu que M. Yelenych n’était pas un Rom et n’était pas perçu comme tel en Ukraine?

[16] La décision de la SAR est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 10). La Cour n’interviendra que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Ces exigences sont respectées si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision et d’établir si la décision appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 85 et 86, citant Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[17] M. Yelenych affirme que le rejet de sa crédibilité par la SAR était fondé sur seulement deux conclusions défavorables : a) l’incohérence mineure entre la déclaration dans son formulaire FDA et son témoignage subséquent; b) son défaut de présenter quelque élément de preuve que ce soit de son adhésion à des organisations roms ou de sa participation à leurs activités.

[18] M. Yelenych ne conteste pas le fait qu’il avait déclaré dans son formulaire FDA avoir hérité son origine ethnique rom de sa mère et de son père. Cependant, il dit avoir volontairement clarifié devant la SPR que sa mère était Rom à part entière, alors que son père était à moitié Rom. Il affirme également qu’il n’avait jamais prétendu être membre d’organisations roms, et qu’il était donc déraisonnable pour la SPR et la SAR d’exiger que cela soit prouvé.

[19] Le défendeur nie le fait que M. Yelenych ait volontairement clarifié son origine ethnique devant la SPR; M. Yelenych avait plutôt reconnu avoir principalement hérité son origine ethnique rom de sa mère seulement lorsque l’incohérence apparente entre son formulaire FDA et le rapport de la commission lui avait été soulignée. La décision de la SAR comporte l’extrait suivant de la transcription de l’audience devant la SPR :

[traduction]

Q : […] [vos origines ethniques roms] viennent‑elles de votre mère ou de votre père ou de vos deux parents?

R : Elles viennent de ma mère.

Q : Vos deux, euh… alors seule votre mère est rom?

R : Oui. Mon père n’est pas totalement rom.

Q : Dans votre formulaire FDA, vous affirmez que vous êtes rom par vos deux parents et que votre père a des problèmes en raison de sa nationalité rom. Pourquoi est‑ce différent?

R : Eh bien, l’idée, c’est que la mère de mon père était rom, et son père ne l’était pas.

Q : Pourquoi ne faites‑vous pas cette distinction dans votre récit?

R : Eh bien, j’ignorais qu’elle aurait une telle importance.

[20] Contrairement aux affirmations de M. Yelenych, le rejet de sa crédibilité par la SAR était fondé sur plus que seulement deux conclusions défavorables. En plus de l’incohérence reconnue entre son formulaire FDA et son témoignage subséquent, la SAR a également relevé l’incapacité de M. Yelenych à identifier correctement les voisins qui avaient rédigé le rapport de la commission.

[21] La SAR a mené sa propre analyse du rapport de la commission et a partagé les doutes de la SPR concernant son statut en tant que document officiel :

[…] Bien que [le document] soit signé et qu’il porte un sceau, la question visant à savoir si le document a été commandé n’est pas claire. Le conseil de l’appelant affirme que le document ressemble à un document commandé par le chef de l’administration du village; il n’y a cependant aucun élément de preuve dans ce sens. Il ne ressort pas clairement non plus de la preuve pour quel motif il est indiqué que les trois signataires sont les [traduction] « membres de la Commission » ni quel est l’objectif de la « Commission », sinon de préparer et de signer le document dans ce cas précis. […]

[22] Le certificat de naissance de M. Yelenych avait été délivré après 1991 et ne confirmait donc pas son origine ethnique. Il n’avait pas affirmé qu’il n’avait jamais été impliqué dans des organisations roms, mais plutôt qu’il avait envisagé d’y adhérer et qu’il ne l’avait pas fait. Le défendeur souligne l’extrait suivant de la transcription de l’audience devant la SPR :

[traduction]

Q : Et à Toronto, avez‑vous cherché des groupes ou des associations roms?

R : Non, vous savez, ici à Toronto, j’ai rencontré un Rom et nous sommes devenus amis. Euh… il voulait m’emmener quelque part, mais on a échoué. Puis, on a essayé de rencontrer d’autres personnes appartenant à des organisations. On a échoué une deuxième fois, mais, à l’église, j’ai rencontré beaucoup de Roms et j’ai des amis, beaucoup d’amis roms.

[23] La SAR a raisonnablement conclu que la capacité de M. Yelenych à compter jusqu’à dix en langue rom n’avait apporté que peu d’éléments de preuve pour étayer le fait qu’il pouvait parler la langue ou qu’il était d’origine rom. La SAR a raisonnablement jugé que des photographies montrant des gens qui assistent à un mariage avec de l’iconographie chrétienne et des fleurs que portent les hommes sur leurs revers, une photographie d’une femme et d’un jeune garçon vêtus de ce qui semblait être des habillements ethniques traditionnels et des photographies montrant des tapis et des tissus d’ameublement aux motifs colorés ne constituaient pas des éléments de preuve objectifs de l’origine ethnique de M. Yelenych.

[24] En fin de compte, il n’y avait qu’un seul document prétendument officiel qui confirmait l’origine ethnique rom de M. Yelenych : le rapport de la « commission » daté du 8 novembre 2016. La SAR a raisonnablement conclu que la preuve présentée par M. Yelenych pour établir son appartenance à l’ethnie rom était insuffisante, et que son allégation selon laquelle il risquait d’être persécuté ou de subir un autre préjudice en Ukraine manquait de crédibilité.

V. Conclusion

[25] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6541‑19

 

INTITULÉ :

VASYL YELENYCH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 février 2021

 

JUDGMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 17 mars 2021

 

COMPARUTIONS :

James H. Lawson

 

Pour le demandeur

 

Leanne Briscoe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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